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16 février 2014

Le Petit lieutenant

Avec Rémi maintenant on regarde les films dans sa chambre. Pourquoi ? Pour trois raisons. Parce que de une : y'a une salade mutante sur notre table basse de salon et on n'ose plus y toucher. C'est vraiment un nouveau colocataire qui vit avec nous. On l'a oubliée deux jours et elle a pris vie. Ses relents irréguliers semblent vouloir communiquer. J'espère juste qu'elle va payer le loyer et qu'elle va pas nous niquer la caution. Deuxième raison : parce que notre canapé tombe en ruine, notamment à cause des acrobaties de Rémi. Troisième raison : parce que ça nous permet de voir les films allongés l'un contre l'autre, l'un dans l'autre, bref, en grande intimité. Et Rémi aime ne pas avoir à bouger de sa chambre. Là on peut tout y faire : j'y amène une boite de sablés, lui une bouteille d'Orangina, et hop, on peut également y pique-niquer. Son ordinateur nous relie aussi au monde extérieur (vous). Bref, c'est le gros panard dans sa chambre et la voisine va bientôt débarquer pour participer à la fête, suite aux bruits qui doivent traverser les murs. A n'en pas douter, on sera bientôt trois. Et ce soir-là on viendra pas faire un compte-rendu ici, croyez-moi, on aura un gros cul à fouetter. Rien que pour nous deux.



Hier on a déjà maté Bandidas dans ces conditions. Alors autant vous dire que l'ambiance était là, et tant pis pour les sous-titres. Ce soir c'était donc notre deuxième fois, avec cette fois-ci Le Petit lieutenant, un film apparemment français et suggéré par un ami dévédévore à grands coups de conversations MSN bien chiantes (sic Rémi). A coup sûr, ce type-là nous prévoyait une soirée bien terne et pourrie, se frottant les mains en nous imaginant en train de se taper ce film. Mais Petit Lieutenant 0, Rémi 6, croyez-moi. Mon gros salop l'a battu par KO dès le 1ier round, en faisant tous les coups bas possibles. Voici ce qu'on s'est dit après avoir vu le film, chacun dans nos chambres, connectés à MSN :

Rémi dit (03:08) :
C'est plus agréable de mater un film dans ma chambre plutôt qu'au salon non ?
Félix dit (03:08) :
Ouaip sauf que là pour Le Petit lieutenant j'avais un peu de mal à me concentrer, avec les coups de bâtons et ton torse à côté, offert à moi. C'est pas toujours facile.
Rémi dit (03:10) :
Je te l'ai pourri ?
Félix dit (03:10) :
Bah boarf c'est aussi parce que le film m'a pas énormément captivé...
Rémi dit (03:10) :
Oui, pareil pour moi. S'il m'avait captivé j'aurais pas fait ça non plus. J'aurai ptêtre levé les yeux de mon kremly et stoppé les coups de savates.
Félix dit (03:10) :
Enfin, dans ta chambre c'est cool ouaip. Mais pour l'instant je peux pas vraiment dire que j'y ai vraiment "vu" un film. Là je retiendrai surtout le bâton et le velouté fruix de 450g que je me suis enfilé à la paille.
Rémi dit (03:11) :
Ahah
Félix dit (03:12) :
Sale type


Le Petit lieutenant de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Jalil Lespert et Roschdy Zem (2004)

13 juin 2012

Des Vents contraires

Ce film-là je parie que vous n'en avez pas entendu parler à sa sortie, et si vous en avez croisé la promo vous l'avez aussitôt effacé de vos mémoires, pour une simple raison : vous n'en aviez rien à foutre. Des Vents contraires est un de ces films qui sortent par dizaines et qui composent une grande partie du paysage cinématographique français, une sorte de majorité silencieuse. Chaque semaine on voit trois ou quatre films minimum de cet acabit qui sortent imperturbablement sur les écrans alors que tout le monde ou presque s'en fout complètement. A la limite ça fera passer une après-midi pluvieuse déjà flinguée devant Canal +, ou un dimanche soir cafardeux sur TF1, pas plus. Ces films-là sont de plus en plus souvent réalisés par des acteurs ou des actrices, dont les noms célèbres et les trognes connues assurent un minimum d'éclairage médiatique vital aux producteurs frileux. Neuf fois sur dix ces acteurs "passés derrière la caméra" bien que n'ayant rien de spécial à dire ou à montrer, viennent nous raconter des histoires intimes vaguement autobiographiques, des histoires de papa ou de maman disparus. Jean-Paul Rouve (Jean-Paul Rouve !) sort aujourd'hui même son deuxième film (après le nullissime Sans arme, ni haine, ni violence ; Dieu m'est pourtant témoin que j'ai maté ce navet armé jusqu'aux dents, chargé à bloc de haine à l'égard de Rouve et paré pour l'ultra-violence), et à cette occasion il est allé donner des leçons de mise en scène sur le plateau de Ruquier samedi dernier ("on peut faire des choses ma-gni-fiques ! Et très simplement ! A condition de savoir placer la caméra !"), tout en assurant qu'il ne se considère nullement comme un cinéaste... Son film, Quand je serai petit, raconte une énième histoire de papa paumé et de déficit affectif chez l'enfant abandonné, sujet certes potentiellement passionnant, voire primordial, à condition de ne pas en tirer de sombres téléfilms que seules Audrey Pulvar et Natacha Polony peuvent trouver "sublimes". Je cite Pulvar : "Il y a des plans fixes sur le clocher du village ou sur les rues du quartier qui sont de véritables tableaux magnifiques, extraordinaires, des images qui vous resteront dans la tête toute votre vie !". Faut-il n'avoir rien vu et ne pas s'en soucier pour déblatérer de telles conneries à l'antenne à une heure de grande écoute. S'extasier sur les plans de coupe de Rouve Jean-Paul et crier au monde que c'est du grand cinéma, c'est non seulement un crime contre l'humanité, mais c'est ce qu'on appelle un suicide médiatique.



Mais revenons à Des Vents contraires, le deuxième film réalisé par l'acteur Jalil Lespert, connu pour avoir joué et plutôt bien joué chez Laurent Cantet (Ressources humaines) ou Xavier Beauvois (Le Petit Lieutenant). Autant le dire tout de suite, pour son deuxième passage derrière la caméra Jalil Lespert n'a pas montré la patte de l'expert. L'histoire du film ? On la connaît par cœur. C'est vaguement celle de mille romans et d'autant de films, c'est celle par exemple de Je vais bien, ne t'en fais pas, le triste film de Philippe Lioret écrit par Olivier Adam, auteur du bouquin qui a également inspiré Des Vents contraires... C'est celle aussi de Mères et filles, le récent film pour ménagères de plus de cinquante ans de Julie Lopes-Curval, avec Marina Hands qui tentait de soutirer des informations à sa mère, Catherine Deneuve, sur le parcours de son arrière-grand-mère, Marie-Josée Croze, laquelle cinquante ans plus tôt avait quitté le foyer familial sans prévenir, abandonnant du jour au lendemain son mari et ses enfants pour ne plus jamais revenir. Le script n'est évidemment pas le même, mais on y retrouve le topos du personnage qui a perdu un être cher de façon mystérieuse et qui essaie de survivre à cette absence tout en tâchant de l'élucider, sans omettre de se fabriquer une retraite anticipée pour se reconstruire et retrouver son identité. Ici le film s'ouvre sur une dispute entre Benoît Magimel et Audrey Tautou, jeune couple en difficulté : elle est infirmière, lui est écrivain et ne parvient pas à boucler ses romans à cause de ses deux gamins dont il doit s'occuper toute la journée. Le ton monte autour d'un petit déjeuner à base de Cruesli Choco et de lait caillé. Magimel insulte carrément sa femme. "J'en peux plus, j'en VEUX plus", dit Tautou en gros plan. Le soir même elle ne rentre pas. Magimel appelle à l'hôpital puis chez une amie de sa femme, il reste cool mais ne comprend pas. Un an plus tard elle n'est toujours pas rentrée. Magimel commence à s'impatienter, il trépigne un peu, commence à être inquiet, on le serait à moins, et laisse ses gosses seuls chez lui pour aller se bourrer la gueule en boîte et s'y faire joyeusement tabasser. Il part finalement se mettre au vert avec ses enfants du côté de St Malo, bled qui l'a vu naître et où son frère a repris l'entreprise paternelle d'auto-école.



On espère vaguement que ce déménagement va permettre au scénariste de déballer l'événement majeur du film, et on se dit que si c'est le déménagement l'événement majeur en question, on va lentement souffrir. Malheureusement c'est le cas. On passera le reste du film à observer Magimel repeignant toute sa baraque pièce à pièce pour finalement la revendre dix minutes avant la fin de l'histoire. Tout ça pour ça. On le voit aussi essayer d'aider un voisin arabe joué par Ramzy, d'Eric et Ramzy, qui a enlevé son propre fils dont il n'avait pas la garde et que la police recherche activement. Magimel le ramène à la raison puis écoute son ami après lui avoir mis du NTM histoire de lui remonter le moral, avec une certaine efficacité. Le dialogue suivant nous vaut une très belle tirade de Ramzy, pleine de profondeur métaphorique : "Quand j'étais petit mon père lisait plein de bouquins sur le soleil, les étoiles, et il me disait qu'après un trou noir y'a la lumière, y'a Dieu". Sauf qu'après le trou noir pour Ramzy y'a un camion, qui le frappe de plein fouet dans un plan digne de celui où Brad Pitt se faisait empéguer par un poids-lourd au début de Rencontre avec Joe Black. Alors que Magimel venait de régler le problème de ce nouvel ami, père divorcé douloureusement éloigné de son fils, une gendarmette un peu zélée interprétée par Isabelle Carré, affublée d'une frange affreuse sans doute censée la rendre crédible dans ce rôle ingrat, vient arrêter Ramzy chez lui avec tout le GIGN et les équipes du RAID quand le suspect, pris de panique, tente de s'échapper et se fait aplatir par un véhicule en léger excès de vitesse mais dans son bon droit : le piéton menotté n'avait pas traversé sur les clous.



Bref Jalil Lespert a réuni ses amis comédiens (on retrouve aussi Bouli Lanners et Aurore Clément) pour leur donner plein d'émotions à jouer sur fond d'une de ces bandes originales à base de piano et de violon souffreteux qu'on devrait interdire à tout jamais à tous les réalisateurs de cinéma du monde. Bien que mis au service de personnages clichés, apparemment inévitables dans ce type de récit (le parent isolé acariâtre qui reprend goût à la vie en soulevant les vieux secrets de famille tout en aidant l'arabe dans la merde et en étant aidé par le bon bougre ventripotent du coin plein de bonne humeur ; le frère faiblard mais rassurant, qui a raté sa vie mais qui fait des efforts pour rester sympa ; la flic sèche mais humaine, dotée d'une frange qui la condamne à un métier sans éclat mais dont l'humanité perce sous des traits agréables, etc.), malgré cette galerie de stéréotypes donc les acteurs font le boulot, on peut leur reconnaître ça. Surtout Magimel, qui est parfois fabuleux comme il sait l'être, que ce soit quand il prend son air pénétré de mec dépressif cheveux aux vents et yeux plissés (il le tient sur 95% du métrage !), quand il regarde par la fenêtre alors qu'il est en pleine leçon de conduite et manque de faire un infarctus lorsque son élève (qu'il baisera ensuite, mais c'est une parenthèse) dirige sensiblement la voiture sous le capot d'une autre vers un crashtest grandeur nature imminent, Magimel redressant le volant au dernier moment en lâchant les dents serrés un très beau : "On t'a jamais dit de serrer à droiiiiiiite ?!", ou encore quand il dit à son fils : "Maintenant tu laves les cheveux de ta sœur" et que celui-ci répond "non", Magimel rétorquant "si", le gamin "non", Magimel "si !","non !", "si !", et ainsi de suite pendant 7 minutes montre en main.



Dans ce film il y a aussi Antoine Duléry, l'éternel second rôle des Mariages, Camping, Camping 2, 3, 4, 5, and counting. Faut le voir dans toutes ces scènes où il joue avec les enfants de Magimel comme les pires tontons gâteux jouent avec leurs neveux et nièce pour soi-disant les exciter un bon coup avant le repas, donnant envie à tout le reste de la famille, spectateurs forcés du spectacle de ce proche déficient, de le traiter de grosse enflure et de le rouer de coups de latte dès qu'il aura fini et que les gosses seront couchés. A la fin du film, et là gare au massive spoiler, Magimel apprend que sa femme est morte, dépecée par un taré récidiviste juste après leur dispute matinale et enterrée dans le jardin de ce voisin taré depuis plus d'un an. Magimel apprend la mauvaise nouvelle à ses bambins, et le fils de Magimel, révolté par la nouvelle, mu par une immense colère face à l'injustice, se réfugie dans les bras de son oncle Duléry et pleure tout en criant et en le rouant de coups. Il lui met une branlée impressionnante, à grand renfort de coups de poings à la chaîne, emporté par le rôle et par cette séquence poignante ! A ce moment là j'étais à la fois presque ému par la réaction physique à vif de ce gamin et presque jaloux qu'il ait eu un si bon prétexte pour tabasser Antoine Duléry un bon coup.



Le vrai problème du film c'est que Lespert n'a de cesse d'évoquer la question de la justice pour soi et de ses écarts nécessaires ou non avec la loi, celle des dissensions entre le bon sens et la bonne cause, ou de la culpabilité des victimes (Magimel a envoyé des textos d'insulte à sa femme assassinée ; le gros Bouli Lanners a tout perdu pour avoir renversé malgré lui un cycliste qui n'avait pas ses feux ; Ramzy a enlevé son fils pour le revoir...), mais le sujet, omniprésent, n'est jamais réellement traité et on ressort du film sans y penser, sans que l'émotion n'ait jamais complètement pris et sans que la réflexion n'ait porté ses fruits, les arguments qui la portent ne se résumant qu'à un regrettable enchaînement de facilités. Sur Allociné ils donnent sept bonnes raisons pour aller voir ce film, mais ils n'ont pas dû en trouver sept vu que la dernière c'est juste : "Les scènes de jeux sur la plage". Quand ceux qui ont adoré le film ne trouvent que ça à dire pour filer envie de le voir, y'a pas vraiment de raison de le descendre à leur place.


Des Vents contraires de Jalil Lespert avec Benoît Magimel, Audrey Tautou, Isabelle Carré, Bouli Lanners, Ramzy Bedia, Antoine Duléry et Aurore Clément (2011)

6 avril 2012

Les Adieux à la reine

Avec son argument de poids et son casting douze mille étoiles, le nouveau film de Benoit Jacquot aurait pu être tellement bien ! Aurait pu… Mais n'est pas. Malheureusement le cinéaste, à mi-chemin de son film, sabote lui-même son entreprise pourtant bien engagée et pleine de promesses. La première partie des Adieux à la reine est vraiment remarquable. On y suit, dès le matin du 14 juillet 1789 - date qui s'inscrit immédiatement à l'écran - et sur les trois jours qui suivent, le parcours de la jeune lectrice de la Reine, Sidonie Laborde (Léa Seydoux), obnubilée par son idole Marie-Antoinette (Diane Kruger) et préoccupée par les émeutes du peuple révolutionnaire qui vient juste de prendre la Bastille et s'apprête à réclamer la tête de plusieurs centaines d'aristocrates, dont bien sûr Louis XVI et son autrichienne. Jacquot a l'intelligence de se servir de ce que tous ses spectateurs connaissent par cœur les événements de cette journée fatidique et en profite non seulement pour s'éviter de les représenter mais pour en prime les rendre malgré tout mystérieux en nous immergeant dans le quotidien d'une demoiselle de Versailles mal informée et déconnectée de Paris, donc du monde. Le début du film prend le personnage de Sidonie comme pivot pour montrer non seulement le chaos angoissé qui s'empare de la cour mais aussi à quel point la reine et les siens n'y entendent rien. Plusieurs séquences sont même admirables. Par exemple quand on accompagne Léa Seydoux dans les appartements privés de Marie-Antoinette, allongée comme une enfant sur son lit, occupée de littérature et de broderies et surtout, il faut bien le dire, incarnée par une Diane Kruger au faîte de sa beauté, dont le visage tel qu'il est alors filmé par le cinéaste, avec un peu de la délicatesse d'une Jane Campion, nous fascine littéralement. Il y a aussi cette scène haletante, emballée par la musique de Bruno Coulais, où Sidonie parcourt en pleine nuit avec son vieux camarade Moreau (Michel Robin) les allées de Versailles encombrées de nobles effrayés, éclairés à la torche et ne sachant que faire, si ce n'est défaillir à l'annonce des futures têtes coupées.




Mais au bout d'un certain temps le personnage de Léa Seydoux n'est plus un simple regard permettant au cinéaste de faire entrer son spectateur dans un monde incroyablement réaliste, captivant et même impressionnant, elle cesse d'être l'axe sur lequel la caméra se fixait pour dévoiler tout un monde alentour et devient le personnage central du film, dans le sens où la caméra se met à tourner autour d'elle. Or il faut avouer que si les derniers jours du microcosme versaillais à l'aube des décapitations royales avait tout pour nous intéresser, la toute petite personne d'une groupie tiraillée entre son amour pour la reine et sa jalousie à l'égard de sa favorite la Duchesse Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen), nous laisse complètement de marbre. En fin de compte le film se met à ressembler à son affiche, c'est-à-dire à une histoire de chamailleries et de bisous dans le cou entre de très jolies pimbêches tout en bijoux, maquillage et robes à décolletés pigeonnants (et décolletés il y a ! et pigeonnants !). Tout le travail de Benoit Jacquot retombe dès lors comme un soufflé. Un peu comme dans Villa Amalia, l'antépénultième film du cinéaste, adapté de Pascal Quignard, avec Isabelle Huppert dans le premier rôle, dont la première partie était aussi très belle, avec une mise en scène raffinée et tout un travail sur les espaces et les lumières pour révéler le rapport d'une femme à un monde qu'elle ne supportait plus, avant que le scénario ne se perde dans le déjà vu et ne nous fasse verser dans l'ennui en suivant cette parisienne en espadrilles respirant l'air du large et se convertissant à l'homosexualité pour révolutionner sa vie.




De nouveau Benoit Jacquot gâche son talent en abandonnant la création par la mise en scène d'une tension palpable (entre le rêve et la réalité, entre la menace de mort et la frivolité, entre la haine de la couronne et son respect, entre les dorures de la chambre royale et la pierre vulgaire des appartements des laquais, entre les bijoux de la reine et les rats et moustiques qui prennent possession d'un lieu déjà pourri), en abandonnant aussi la représentation tout en subtilité de rapports complexes entre des individualités touchantes et intrigantes au profit d'un scénario de basse-cour filmé par le plus petit bout de la lorgnette. Le principe du point de vue unique reste à peu près le même mais n'a pourtant plus rien à voir quand on passe d'une caméra fiévreuse marchant dans les pas rapides et incertains de Léa Seydoux au milieu d'un couloir obscur empêtré d'hommes et de femmes aux regards d'enfants effarés (remarquable Jacques Nolot), incrédules, cloîtrés et condamnés à la guillotine, à une caméra balayant mollement d'un visage à l'autre la reine et sa duchesse, occupées à un marivaudage un peu surjoué, observées dans leurs jeux de regards et leurs grands gestes de désespoir par une Sidonie voyeuse, à quatre pattes devant la porte de la chambre. De même, on était complètement accaparés par le déroulement du récit quand Sidonie et ses amies domestiques observaient soudain depuis la fenêtre la première sortie du Roi (Xavier Beauvois), proche et lointain à la fois, on ne l'est plus quand, concernant le roi, on nous le montre en gros plan discutant mollement avec sa femme de son futur départ pour Paris, ni quand, concernant les domestiques, la jeune Honorine (Julie-Marie Parmentier) demande sans raison à Sidonie de lui dire qui elle est vraiment, elle qui ne se dévoile jamais et dont les autres filles ne savent finalement rien : "Qui sont tes parents ? Ils sont morts ou vivants ?". Le film essaie alors de s'imposer à lui-même le thème de l'identité... de faire entendre, et ce uniquement via les dialogues, que Sidonie serait une fille mystérieuse, et à la fin la voix-off lui fait dire : "Je suis orpheline de père et de mère, je suis la lectrice de la Reine, et bientôt je ne serai plus personne". Comme si tout ce qu'on venait de voir était en fait lié à un problème de filiation, d'identité, de place à tenir et de rôle à jouer, ce que le film n'a absolument pas traité jusque là, le sujet tombant soudain comme un cheveu sur la soupe en conclusion d'un film qui ne l'a jamais abordé.




C'est d'ailleurs pour ça que le personnage de Léa Seydoux passait bien dans la première partie, parce qu'il en était à peine un. Sidonie était quasiment un prétexte pour s'immiscer dans Versailles depuis les cantines des valets jusqu'au lit de la reine, mais quand Sidonie cache, et gâche, par son omniprésence ce vaste projet pour devenir le cœur du récit, la chose fonctionne d'autant moins que son personnage se limite finalement à une fille un peu paumée dont l'adulation d'abord ambigüe et insaisissable pour la reine se limite ensuite au comportement inintéressant de n'importe quelle adolescente béate devant sa star. D'ailleurs tous les personnages finissent par être insupportables. La Reine devient une véritable garce, il n'y a pas d'autre mot, supérieure et arrogante, elle force sa chère lectrice à revêtir la robe de la Duchesse dont elle est amoureuse afin de couvrir la fuite de cette dernière, quitte à ce que Sidonie se fasse trancher la tête pour une autre ; la Duchesse de Polignac se révèle être une écœurante égoïste hautaine et méprisante qui abandonne la reine et parle à celle qui risque sa vie pour elle comme à un chien ; et la lectrice elle-même, l'héroïne, qui souffre de ce que son idole la condamne à mort pour en sauver une autre, accepte ce projet et obéit bêtement, comme une idiote tête à claques. Mais Sidonie ne s'abandonne pas aux caprices de sa reine par devoir, par obéissance, par réflexe culturel ou civilisationnel, elle le fait par un amour auquel nous ne goûtons pas. Sa colère ou son adoration n'ont rien à voir avec un geste politique, pourtant crucial dans ce contexte, et c'est d'autant plus regrettable que Benoit Jacquot parvient assez bien à montrer l'ambivalence de la révolution, son horreur barbare consubstantielle (les aristocrates assassinés en masses et sans procès pour leur arbitraire appartenance à une famille) et sa nécessité (l'accablement d'un peuple ne pouvant plus tolérer l'injustice et les privilèges d'une classe dominante résolument puante). Le cinéaste soulève cette dualité notamment en opposant deux dames de la reine, l'une déférente et l'autre opportuniste, interprétées par d'excellentes Noémie Lvovsky et Dominique Reymond. De même, Sidonie et sa vénération sans condition, sacrificielle même, pour la reine, s'opposent au comportement plus libre des autres servantes, qui pestent contre leur maîtres et n'oublient pas de se marier ou de se sauver.




Quitte à ce qu'elle prenne tristement le dessus sur des événements qui la dépassent et qui se veulent ô combien plus passionnants que ses peines de cœur, on aurait pu souhaiter que Sidonie, le personnage malheureusement "central" du film, ne soit pas une simple suiveuse, une imbécile amoureuse (ou alors cet amour-là aurait-il dû supplanter le contexte et l'écraser, sur ce point Jacquot échoue), une fade adulatrice, un être sans vie disparaissant avec sa reine. On aurait aimé qu'elle existe, qu'elle décide, qu'elle agisse, qu'elle se révolte (ce que l'amour n'interdit pas, soit dit en passant). D'autant plus qu'en voyant le film avec ces galeries bourrées de courtisans rapaces cavalant après la moindre apparition d'un Roi disgracieux et fat mais si précieux puisque paré des plus riches ornements, presque prêts à lui demander un autographe (on n'en serait qu'à moitié surpris vu le parallèle fait par Jacquot entre la royauté d'alors et le star system bling bling d'aujourd'hui), on pense forcément à nos puissants actuels, et le film aurait pu, comme on l'a vu récemment dans Habemus Papam ou La Dernière piste, se grandir d'un message violemment ancré dans le contemporain sur le rapport au politique et au pouvoir, à la figure du dirigeant en tant que guide plus ou moins fiable, plutôt que de simplement raccorder le XVIIIème siècle à aujourd'hui par le biais plus facile et plus maigre de la "peopolisation" des dirigeants (ou par d'autres biais, comme la question de l'homosexualité affichée). Il est un peu vain, voire idiot, de refaire le film et de le souhaiter différent, mais pour le coup avouons qu'on aurait aimé voir Sidonie réagir, ou que sa non-réaction signifie quelque chose d'autre que son soi-disant manque d'identité pallié par un aplatissement absurde face à une icône, défaut d'identité complètement auto-proclamé du reste mais, malheureusement pour le film, bien réel, le personnage que Jacquot décide tardivement et très préjudiciablement de prendre pour unique et minuscule sujet n'existant pas.


Les Adieux à la reine de Benoit Jacquot avec Léa Seydoux, Diane Kruger, Virginie Ledoyen, Noémie Lvovsky, Xavier Beauvois, Dominique Reymond, Julie-Marie Parmentier, Jacques Nolot, Lolita Chammah et Michel Robin (2012)

23 octobre 2011

L'Apollonide - Souvenirs de la maison close

Quand je pense que Drive a eu le prix de la mise en scène à Cannes... Mais ne déshabillons pas Paul pour habiller Jacques. Parlons de L'Apollonide. L'amour qui émane du regard porté sur ses personnages par Bertrand Bonello est primordial, car c'est l'un des films les plus durs qu'il m'ait été donné de voir ces derniers temps. Plus difficile encore à regarder que le récent Vénus noire d'Abdellatif Kechiche, auquel L'Apollonide renvoie par bien des aspects, la scène de la visite médicale entre autres, mais surtout celle de la "soirée un peu spéciale" où le monstre est tripoté par des vicieux, dont Bonello lui-même, qui questionne le voyeurisme et interroge la responsabilité de ceux qui montrent comme de ceux qui regardent, à l'instar donc du film Kechiche, plus cru et plus violemment réaliste. A vrai dire, le film m'a mis personnellement dans un état de malaise, de peine, de souffrance même, assez étonnant.




L'organisation du récit, avec ces boucles un peu "vansantiennes" dans la première partie du film, révèle la quotidienneté de la maison close, son enfermement temporel et son ressassement insupportable en même temps que s'instaure un enfoncement inéluctable vers le jaillissement de l'horreur : la fin de la première partie - avec ces plans oniriques, autres, ces images ensanglantées, ces hurlements qui résonnent dans la maison creuse et ne semblent pas appartenir à la réalité, rompant avec le visuel établi jusque là - est digne d'un pur film d'épouvante. Le film vacille entre un obscur onirisme baroque et un réalisme tranchant plus constant, nous présentant au final un univers littéralement horrible. C'est d'ailleurs, soit en passant, et contrairement aux préjugés de certains animateurs radio ou télé qui en parlent sans l'avoir vu, le film le moins érotique qui soit. Au sens où on l'entend prosaïquement disons, c'est-à-dire en oubliant que l'érotisme a partie liée avec la mort (relire Bataille). Le film qui donne à voir, sinon à vivre, avec justesse et sans complaisance aucune, l'horreur de la condition de ces putains, leur désespoir absolu et leur envie de mourir. 




De la même façon que le destin de ces filles est sans issue, sans rémission, le film n'offre aucune échappatoire, pas de bouffée d'air frais, même pas dans cette séquence à la campagne où l'on pourrait croire que se profile une envolée de "joie", car la scène est elle aussi plombée par une incurable peine, à l'image de Léa (Adèle Haenel) que l'on voit monter dans un arbre et qui dans le plan suivant est ramenée au sol, allongée à côté de Clotilde (Céline Sallette), pour à nouveau évoquer avec son amie ces jeux d'esclaves de luxe infâmes que leur imposent leurs clients, qui les hantent constamment. L'espoir d'une échappatoire est aussi contredit par l'usage du splitscreen, qui cloisonne la maison et la rend encore plus close (dans les pas peut-être de Max Ophüls et de l'introduction géniale du fragment du Plaisir consacré à La Maison Tellier), contraignant les filles jusque dans la liberté de leurs gestes et mouvements, toutes réduites au même labeur oppressant et répétitif. La fin du film, qui n'en finit pas de finir (et ce n'est pas ici un reproche), est à nouveau une épreuve, car elle montre bien par son indécision qu'on n'en finit pas avec cette "putain de vie de putain" (sic), et le spectateur ressent quelque chose de l'ordre de ces larmes de sperme qui concluent l'une des dernières séquences, de ce trop-plein au bord de la nausée.




Les images inventées par le cinéaste rejouent avec élégance l'imaginaire collectif de l’apparat des maisons closes, comme dans la scène où les filles descendent l'une après l'autre les escaliers qui mènent au salon, scène qui rappelle encore Le Plaisir. Il faudrait revoir aussi les dessins et peintures de Degas dans son Carnet érotique édité par Norbert Wolf aux éditions du Chêne pour y retrouver la substance de certaines des compositions de Bonello. Le cinéaste recompose également l'imagerie des sombres coulisses de la maison, avec par exemple l'abandon dans l'opium, qui évoque le McCabe and Mrs Miller de Robert Altman. Certains regretteront peut-être l'usage d'une musique anachronique mais le cinéaste ne s'en sert pas pour séduire son audience (suivez mon regard), et le générique d'ouverture, apparemment très "cool", est voué à être réduit en miettes par la suite du film, comme si Bonello nous disait : c'est beau en photo et sans couleurs ? Attendez le mouvement, attendez le sang. La bande-son est plutôt bien employée, comme dans cette scène de danse après la mort ulcérante d'une des filles, où le réalisateur casse son jouet pour en montrer les rouages (mais pas seulement), quand il arrête la musique au moment où Céline Sallette entre dans la pièce et voit ses camarades de naufrage danser en silence. Il relance le même morceau ensuite et, faisant d'une pierre deux coups, vient de nous rappeler que sa musique est une musique de film, et de suggérer en même temps que cette chanson-là (Nights in white satin), qu'il aime sans doute profondément et considère probablement comme la musique la plus adéquate et la plus juste pour dire l’écœurement et la douleur des filles endeuillées, cette musique-là qui n'existait pas en 1900, Bonello est persuadé qu'on pourrait l'entendre en pareil moment, comme s'il n'y avait pas d'époque (cf. le tout dernier plan), et peu importe les scrupules historiques.




Dans cette scène, qui se termine sur la chute brutale de Céline Sallette, Bonello pousse encore plus loin son obsession du rapport des corps à la musique, et donc son obsession de la danse (sujet qu'il a déjà traité dans ses films précédents et notamment dans Le pornographe et De la guerre). La danse est ici un ballet triste où les filles se soutiennent avant l'inévitable chute. Bertrand Bonello devient peut-être bien, avec ce film, un cinéaste français de premier plan, aux côtés d'une poignée d'autres, dont peut-être Xavier Beauvois et certainement Pascale Ferran, qui apparaissent tous deux dans le film, cette dernière lisant en voix-off le chapitre d'un livre scientifique d'époque sur le cerveau soi-disant amoindri des putains, à la lecture duquel Hafsia Herzi s'effondre, elle aussi.


L'Apollonide - Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello avec Céline Sallette, Hafsia Herzi, Adèle Haenel, Jasmine Trinca, Alice Barnole et Noémie Lvovsky (2011)

31 janvier 2011

Bilan 2010



L'heure fatidique des bilans de fin d'année a sonné ! Notre blog existe depuis trois ans, chaque année la question des TOPs était poussée sous le tapis, balayée par les habituels arguments anti-TOPs qui peuvent effectivement refroidir les mecs qui se posent un peu trop de questions, du genre : "Et qu'est-ce qui se passe si le 3 mars prochain je découvre tel film oublié et méga mieux que les dix films de mon Top réunis", ou encore : "Remember l'an de grâce 1982 où j'avais foutu Koyaanisqatsi au sommet de mon top pour avoir l'air fin, alors que la même année E.T. crevait l'écran en pointant son gros doigt vers mon trou de balle. J'étais pas né en 82 putain, on peut faire des erreurs quand on n'est pas né !". Exit toutes ces petites contrariétés. Maintenant le blog marche à fond, on a près de 20 visites par jour, on n'a pas désactivé nos propres visites donc c'est peut-être 19 fois nous et un fan de Lindsay Lohan mais au strict niveau des stats c'est la grande forme sur notre plate-forme. Donc, même si on est en retard d'un mois, Top il devait y avoir et Top il y a. Pour ce faire, nous allons vous proposer nos deux classements respectifs, qui seront donc deux Top 5, accompagnés de brefs commentaires qui seront particulièrement éclairants pour les films dont nous n'avons pas encore parlé (à noter qu'un article viendra développer nos points de vue sur pratiquement chaque film). A la suite de quoi viendra le Top des lecteurs d'Il a Osé !, auxquels nous avons également demandé de nous dresser la liste des pires films de 2010.


Félix :


1) Copie conforme d'Abbas Kiarostami

Mon acolyte vous en parlera certainement mieux que moi. Je l'ai découvert en sa compagnie au cinéma, et ce fut un véritable enchantement. Délesté d'une certaine lourdeur allégorie présente dans Le Goût de la Cerise, Abbas Kiarostami livre une œuvre poétique qui rappelle toute la force et la grandeur du cinéma, provoquée ici par une simplicité désarmante via un retournement magnifique. Ce film donne tout bonnement une haute idée de l'art cinématographique, et c'est à cela qu'on doit reconnaître les plus réussis.



2) Une Vie toute neuve de Ouinie Lecomte
Une Vie toute neuve est un petit bijou, d’une sensibilité et d’une beauté rare. Je regrette qu’on n’en ait pas davantage entendu parler. Ce film mérite toutes les louanges. Il m’a beaucoup ému, à tel point qu’il m’est même difficile d’en parler dignement.



3) Dans ses yeux de Juan José Campanella

Dans ses yeux est un film extrêmement séduisant, une bestiole de festoche, couverte de récompenses en tout genre, et je suis complètement tombé sous son charme. J’ai pris un réel plaisir à le suivre, un plaisir que je n’avais pas ressenti depuis un bail au moment où je l'ai découvert. Dans ses Yeux est un divertissement de très haute facture, réussissant à mêler différents genres, au sein d'un film qu'Hollywood a dû regarder avec envie et impuissance.



4) The House of the Devil de Ti West

Je vous ai déjà parlé de ce film en détails il y a quelques temps. Je ne l’ai pas revu depuis, peut-être qu’il le faudrait, mais il m’avait laissé une si belle impression que je le mets ici sans me poser plus de question. Pour moi, il s’agit tout simplement d’un des meilleurs films d’horreur de ces dernières années, et d'un bien plus bel hommage aux films de genre que peuvent l’être des œuvres comme celles de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez. Ti West nous rappelle qu’un bon film d’horreur peut se faire avec trois fois rien, tant qu’on est rempli de bonnes intentions. The House of the Devil est un film à découvrir de toute urgence pour les amateurs, et que je recommanderai même aux autres.



5) Moon de Duncan Jones

Pour ne rien vous cacher, sachez que j’ai longuement hésité entre Moon et MacGruber pour la cinquième place de mon top personnel. MacGruber m’a tué de rire plusieurs fois, notamment lors de deux scènes terribles qui à elles seules justifiaient la présence du film dans mon top. Mais, une fois n’est pas coutume, le sérieux m’a rattrapé, et j’ai préféré faire figurer ici ce film de science-fiction intelligent et rare qu’est Moon, dont peut-être nous vous reparlerons plus longuement bientôt. Il est aussi à noter qu’il s’agit du premier long-métrage de Duncan Jones, le fiston de David Bowie. On attend donc déjà son prochain film, Source Code, au pitch accrocheur, avec impatience ; et on espère de tout cœur qu’il continuera sur cette voie.


Et après ?

Comme je l'ai dit, j'ai effectivement hésité pour la cinquième place de mon podium... J'aurais aimé y mettre The Other Guys (aka Very Bad Cops en vf), la dernière comédie de Will Ferrell, et comme je reste fan du bonhomme, j'ai failli le faire. Faut dire qu'une place dans mon top lui était toute réservée. Hélas, le film n'est pas à la hauteur, et bien qu'il soit assez souvent drôle, la déception est tout de même le sentiment qui domine. J'ai également hésité en ce qui concerne Ouinie Lecomte. Je ne savais pas si on pouvait dire "un film d'Ouinie Lecomte", le "d'Ouinie" me gênait. Je l'ai dit plusieurs fois à voix haute pour m'aider, et j'ai finalement décidé d 'écrire "de Ouinie Lecomte". Voilà vous savez tout. A part ça, je voulais aussi préciser qu'il y a encore bon nombre de films qu'il me reste à voir, et certains de ces films sont mêmes présents dans le top que vous trouverez ci-dessous. Je pense tout particulièrement à Vénus Noire dont je suis à peu près sûr qu'il me plaira, étant donné le casier judiciaire d'Abdellatif Kechiche.



Rémi :



1) Copie conforme d'Abbas Kiarostami

Au sommet de ce classement je n'ai eu aucun mal à placer le film extraordinaire d'Abbas Kiarostami. Un film sublime, absolument parfait, et à tous points de vue. Porté par une Juliette Binoche époustouflante, c'est un film enthousiasmant et profondément riche à la fois, qui procède d'une liberté totale et qui en laisse autant au spectateur. Libre à celui-ci de s'efforcer de discerner le vrai du faux dans cette histoire en deux temps, ou d'en tirer une vérité personnelle, ou, mieux encore, libre au spectateur d'y puiser une intarissable source de joie devant un film qui ne choisit pas, qui ne répond pas, qui se contente de jouer sa partition, un film brillant sur l'art, sur le couple, un film porté par la grâce. Un film surtout qui rappelle à chacun la beauté élémentaire, l'efficacité puissante et la capacité d'émerveillement d'un art du cinéma dont aurait failli oublier à quel point il est précieux.




C'est pour cette même faculté à l'enchantement que le film d'Apichatpong Weerasethakul atterrit à la deuxième place de mon classement. Car même si ce film m'a moins directement touché que celui de Kiarostami, il ne m'a pas quitté depuis que je l'ai vu au cinéma. Je suis impatient de le revoir pour retrouver ses instants subjuguants et pour mieux m'en imprégner encore. Encadrant la séquence centrale, qui touche au sublime, l'ouverture et la clôture du film revendiquent a contrario un style plus réaliste qui fait la nique au règne actuel d'un cinéma de la rapidité, du sensationnel et des effets spéciaux. Au détour d'un simple faux-raccord ou d'un banal champ-contrechamp, Weerasethakul nous rappelle modestement et librement tous les possibles d'un art dont les plus anciennes et rudimentaires techniques sont une ressource de ravissement inépuisable.



3) Bright star de Jane Campion

J'ai dit dans ces pages mon amour pour ce film, qui n'a certes pas la puissance ou la brillance des deux œuvres dont j'ai parlé précédemment, mais qui cependant fait preuve d'une sensibilité et d'une intelligence de plus en plus rares aujourd'hui. Simultanément réaliste et littéralement poétique, le film de Jane Campion est très simplement beau et touchant. C'est un film juste sur la noblesse des sentiments, qui se refuse aux facilités et aux platitudes du marasme des romances actuelles, et qui fait le pari d'une écriture originale, travaillée et réjouissante. Avec le parti pris d'une mise en scène classique, et en racontant l'histoire d'amour romantique d'un poète maudit, la cinéaste se joue des clichés et du grotesque pour toucher à la plus évidente subtilité. (Cf. ma critique du film sur le blog).



4) Vénus noire d'Abdellatif Kechiche

Avec son troisième film Abdellatif Kechiche s'impose comme un des cinéastes français contemporains les plus importants en même temps qu'il fait la promesse d'une œuvre à venir considérable. Avec humilité et sans s'en donner l'air, il a réalisé un film d'une prodigieuse ambition. Un long film, certes historique mais faisant la part belle à la fiction, dans lequel le réalisateur confirme son talent, si rare, de "storyteller". Son art du récit est peu commun et il devient particulièrement efficace lorsqu'il se revêt de qualités documentaires pour un film très dur, d'une vive intelligence, qui de répétitions en aggravations assume la volonté de ne pas laisser indemne et d'interroger le rôle même du spectateur.



5) Tournée de Mathieu Amalric

Il faut saluer le retour au sérieux de Mathieu Amalric, qui après s'être tristement éparpillé dans un millier de rôles en tant qu'acteur, est enfin revenu derrière la caméra pour réaliser un film vigoureux, imparfait, inégal et revitalisant. Car son film est tout cela à la fois, si bien qu'il est facile de s'avouer mitigé à son sujet. En effet les séquences de music hall sont d'un autre niveau que les séquences plus intimistes. Mais le mariage entre ces deux mondes, ces deux fictions, opère néanmoins. Certes le cinéaste ne tient pas toutes ses promesses, celles qu'il nous avait adressées avec ses premières réalisations. N'empêche que ce film, qui semble avoir été fait sur le vif, est emporté par un souffle de liberté et d'énergie qui fait un bien fou et qui, en soi, est une nouvelle promesse.


Et après ?

Il me faut néanmoins brièvement parler de ces perdants qui auraient pu gagner. J'ai longuement hésité, comme on hésite toujours avec ce genre de classement. Ça s'est bousculé au portillon. Parmi les perdants, deux films dont mon camarade vous aura parlé, le bouleversant Une vie toute neuve et le très plaisant Moon. Mais surtout deux autres films : Des Hommes et des Dieux et Bad Lieutenant, très justement plébiscité par nos lecteurs. Je vous ai déjà parlé de la puissance narrative du film de Werner Herzog. Encore un long film dense et essoufflant, plein d'ambition et de force qui tend son doigt au tout Hollywood en insistant sur les possibilités et la richesse de cette vertu que l'on nomme simplicité. Ou quand le cinéma se rappelle qu'il lui suffit d'un lézard et d'un art du cadrage pour évoquer le monde intérieur ravagé d'un vrai personnage sous les traits ingrats et adorables de Nicolas Cage. Quant au film de Xavier Beauvois, il aurait aussi mérité sa place dans ce classement. Traitant d'un sujet loin d'être évident avec une grande maîtrise, le film divise cependant. Ne s'embarrassant pas du politiquement correct qui veut que l'on évite à tout prix la moindre preuve de manichéisme ou le plus petit soupçon de complaisance, le cinéaste français réalise une pure hagiographie, et tant pis pour la nuance. Cet amour sincère pour ses personnages, calqué sur leurs propres sentiments, que l'on pourrait aussi qualifier d'aveuglement a de quoi séduire et de quoi agacer. Idem pour la séquence du repas final sur fond de Tchaïkovski, qui balance entre le risible et le magnifique. A la sortie du cinéma c'est plutôt largement le positif que j'avais retenu du film. J'ai hâte de le revoir pour peut-être confirmer - du moins je l'espère - ce jugement.


Le TOP 10 des lecteurs :




1) Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans de Werner Herzog
2) Copie conforme d'Abbas Kiarostami
3) Bright star de Jane Campion
4) Mother de Bong Joon-ho
5) Dans ses yeux de Juan José Campanella
6) Oncle Boonmee d'Apichatpong Weerasethakul
7) Une Vie toute neuve de Ouinie Lecomte
8) Moon de Duncan Jones
9) Vénus Noire d'Abdellatif Kechiche
10) Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois

Avec ce top, nos lecteurs apparaissent donc en parfaite harmonie avec nous-mêmes, puisque seul Mother ne figure pas déjà dans l’un de nos deux tops. Bien qu'on l'ait regardé sans déplaisir, le film de Bong Joon-ho ne nous a pas totalement convaincus. Échouent aux portes de ce classement : Breathless, Fantastic Mr Fox, Mystères de Lisbonne, The Town, Toy Story 3 et The Ghost Writer, ce dernier aurait même pu figurer à une bien meilleure place si l’une de nos lectrices ne l’avait pas situé au sommet de son flop (elle est grande et file facilement des beignes, alors on a rien pu faire). C'est le film de Werner Herzog qui a plu au plus grand nombre, et c'est logiquement pour cela qu'il se retrouve tout en haut de ce top. Nicolas Cage a su trouver ses fans, c'est certain.


Le FLOP 10 des lecteurs :



1) The Social Network de David Fincher
2) Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton
3) Tout ce qui brille de Géraldine Nakache
4) Knight & Day de James Mangold
5) Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet
6) Mr Nobody de Jaco van Dormael
7) Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar
8) Harry Potter et les reliques de la mort - partie 1 de David Yates
9) Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec de Luc Besson
10) Les Amours imaginaires de Xavier Dolan

Véritable plébiscite pour le dernier film de David Fincher, The Social Network, pourtant bien parti pour rafler tous les Oscars et que l’on peut également retrouver au sommet des tops sur bien d’autres blogs et magazines en tout genre. Il faut croire que c'est bien parmi les lecteurs de notre blog que Fincher s'est fait "quelques ennemis". Que rajouter si ce n’est que nous sommes ici très fiers de nos lecteurs. Pour ne rien vous cacher, sachez qu’une critique du film de David Fincher sommeille dans nos brouillons depuis plus de deux mois. Faut croire que ce film est tellement chiant que nous rechignons même à y revenir pour vous en dire du mal. Mais cette critique arrivera bientôt, c’est promis. Pour le reste, que dire ? S’exprime ici un véritable rejet pour toutes ces grosses machines merdeuses, avec lesquelles on nous a bassinés pendant des semaines, voire davantage, que ça soit mondialement (Harry Potter, Alice au Pays des Merveilles, etc) ou seulement dans notre doux et beau pays (Gainsbourg, Tout ce qui brille, Les Petits mouchoirs, Adèle Blanc-Sec). On pourrait presque s’étonner de ne pas retrouver Inception dans ce flop. Il aurait pu y figurer, car certains d’entre vous l’ont bel et bien détesté, mais quelques autres l’ont aimé et l'ont placé dans leurs tops... En tout cas, nous essaierons aussi de le critiquer bientôt, même si comme le film de Fincher nous retardons l'échéance par crainte de nous replonger dans l'esprit malade de Chris Nolan.
Nous tenons à remercier tous ceux qui ont aimablement participé à ces classements.

Nota Bene : Avis à tous ceux qui le souhaiteraient, n'hésitez surtout pas à poster vos propres Top/Flop dans les commentaires de cet article !

21 janvier 2011

Toy Story 3

Y'a bien aimer et bien aimer. Moi aussi j'ai plutôt "bien aimé" Toy Story 3, mais jamais il foutra le bout d'un pied dans un de mes classements de fin d'année... Qu'il apparaisse dans le Top 2010 des gens qui n'ont rien à foutre du cinéma, ok, on s'en branle, y'a beaucoup de gens qui vont au cinéma trois fois dans l'année, ils ont vu Toy Story 3 pour se niquer une bonne soirée et ne surtout pas se prendre la tronche, ils ont passé un bon moment et le mettent en tête de leur wish list de Noël prochain ? Fort bien. L'étonnant, et je dis pas que c'est criminel, juste que c'est surprenant et peut-être parlant, en tout cas ça pose question, c'est plutôt qu'il apparaisse haut placé dans les classements d'un certain nombre de critiques. Par exemple dans celui des Cahiers du cinéma de décembre 2010. Pourquoi ? On peut hasarder tout un tas de réponses plus ou moins fallacieuses... Si c'est parce que Toy Story 3 est effectivement meilleur que tout un tas de films américains bidons, soit, mais pourquoi faudrait-il à tout prix du cinéma hollywoodien dans un top de fin d'année ? Si ce n'est que ça on peut en trouver des bons films ricains sortis cette année, ne serait-ce que Bad Lieutenant... Ou alors c'est parce qu'il est de bon ton d'aimer les films à priori pas importants, de trouver de grandes qualités cinématographiques à des films qui ne cherchent pas à en avoir et qui de fait n'en ont pas et de pousser l'élucubration jusqu'à puiser un double sens étonnamment profond dans un film pour gosses dont la portée se limite à l'effleurement des thèmes de l'abandon et de la solidarité dans une apologie agréable de l'enfance par l'intermédiaire d'une histoire de jouets dont le propriétaire atteint l'âge de la majorité. Ce fut déjà le cas avec Ratatouille à une autre époque : on a l'impression que dès qu'un animé fait pour les gamins peut éventuellement déceler un deuxième niveau de lecture pour adultes, ça en fait un chef d'œuvre incroyable. C'est exactement ce que font encore les Cahiers du cinéma quand ils mettent sur un pied d'égalité franchement regrettable les jouets de Toy Story 3 et les moines du film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux...




Pour en revenir au film, si vous aussi vous l'avez "bien aimé", je vous recommande de pousser le bouchon jusqu'à la fin du générique de fin, parce que tout le long du générique on a droit à de petites scènes 'en plus' qui sont un vrai régal d'humour et de légèreté, des pépites de tendresse trop trop mignonnes. Et ces petits sketches 'bonus' défilent astucieusement dans un petit cadre qui trouve sa place juste à gauche de la liste de noms du "casting & crédits", laquelle est savamment décalée pour défiler sur la droite de l'image, une belle et riche idée des studios Pixar/Don Bluth/Walt Disney qui ont certainement signé là LE générique de fin de l'année 2010. Quitte à me renier je place Toy Story 3 au sommet de mon classement des meilleurs génériques de fin de l'année qui vient de s'écouler ! Dès que le générique a été fini de chez fini j'ai enfin lâché l'écran du regard pour foncer dans ma chambre en glissant à travers toute la baraque, j'ai enfilé un slip puis quelques vêtements de ma meuf dans la hâte (ce qui veut bel et bien dire que j'ai regardé ce dessin animé Walter Disney pour enfants en tenue d'Adam), j'ai fermé mon appart à clé avec ma meuf à l'intérieur, j'ai sauté dans ma Fiat et j'ai tracé sur l'autoroute à 135km/h, limite autorisée par les marges laxistes de la loi, une heure durant, zigue-caguant à contre-sens entre les bagnoles qui me fonçaient dessus. Étais-je dans le mauvais sens ? Sont-ce ces milliers d'autres usagers qui se sont trompés de côté ce jour-là ? Je ne l'ai jamais su. Peu importe, j'ai poursuivi ma course vers la maison de mon paternel. Arrivé là-bas, ni bonjour ni merde j'ai couru dans la remise pour récupérer une pelle et une pioche, j'ai foncé dans le jardin, sous l'arbre centenaire qu'on a dû scier à la souche parce qu'il empêchait de mater chez les voisins, et j'ai pas attendu, j'ai creusé tant que j'ai pu, zaï zaï zaï zaï. C'est là que mon papa a enterré tout ce qui pouvait représenter mon enfance, il a fait ça un jour de colère encore plus terrible que le Jour de colère d'Adrian Rudomin dont l'affiche présentait pourtant un Christophe Lambert très en colère au strabisme plus convergent que jamais. Planqués sous une énorme écorce tortueuse de feu ce maudit chêne, j'ai retrouvé ma chaise haute, mon doudou à l'effigie d'un gros toutou sur lequel je collais mes plus beaux mokos faute de mouchoir avant de m'endormir, le grand pneu de poids-lourd qui fut mon lit quand financièrement c'était un peu just pour mes darrons, un gros oeuf fossilisé, qui devait être un oeuf en chocolat parce que ce fameux jour où mon père a pété un plomb c'était un jour de Pâques et il s'est justement foutu dans une rage pas possible parce que je pigeais que dalle à ses devinettes pour le jeu de piste, et enfin, j'y viens, j'ai retrouvé mes playmobils. Je les ai sortis de terre et je les ai serrés contre mon cœur. Merci tonton Pixar !

P.S. La voix de Woody, c'est Tom Hanks. Je le précise uniquement pour citer Tom Hanks, mon artiste préféré, et pour le faire grimper dans la liste des libellés.


Toy Story 3 de Lee Unkrich avec la voix de Tom Hanks (2010)