30 novembre 2011

Hara-kiri

Il m'a manqué un petit quelque chose pour adorer plus franchement encore cet Hara-kiri de Kobayashi - grand cinéaste japonais auteur de Kwaïdan, sorti un après, en 1964 - c'est pourtant un très bon film, et déjà c'est pukku. Avec ce film, le cinéaste japonais critiquait férocement le pouvoir tel qu'on le conçoit dans son pays en s'attaquant à la féodalité et au code d'honneur de l'ère grandiose des Samouraïs. Hara-kiri raconte l'histoire d'une chaude journée - le 23 juin 1630 - de Hanshiro Tsugumo (Tatsuya Nakadai), un Rônin, samouraï sans maître, désœuvré et miséreux en ces temps de paix. Parvenu dans la résidence d'un seigneur, Hanshiro lui demande l'hospitalité pour commettre le hara-kiri, dernier recours du samouraï sans contrat déshonoré, dans la cour de son château. Pour le dissuader, le chambellan de la seigneurie raconte à Hanshiro l'histoire d'un autre rônin qui vint faire la même demande en espérant qu'on l'engage et qui, face au refus du seigneur, fut contraint de faire seppuku avec un sabre en bambou, ayant vendu son véritable sabre pour survivre à la famine.




Mais, et c'est là que j'en dis trop sur l'histoire et que ceux qui ne veulent pas se laisser gâcher le suspense peuvent sauter vers le paragraphe suivant, qui ne dévoilera rien, Hanshiro révèle alors au chambellan qu'il connaît bien l'histoire de ce rônin, et pour cause puisqu'il n'était autre que son gendre, et il raconte comment il a commencé à le venger et, pour ce faire, tranché les chignons (humiliation suprême) des trois samouraïs responsables de sa mort. Horrifié et choqué par les crimes de son hôte, le chambellan ordonne à ses hommes de le tuer, mais Hanshiro se défend dans un combat final magnifique, dont il ressort vaincu, abattu d'une balle de fusil, non sans avoir démoli la grande armure de samouraï exposée comme un trésor dans le château, symbole fier et désincarné de la puissance et de la droiture du code d'honneur des samouraïs. Afin de préserver ce code et de ne pas déshonorer le bushido, le chambellan force ensuite les survivants du combat, ses propres soldats, à se supprimer, afin que le secret de cette journée soit préservé, que rien ne vienne faire outrage à l'ordre des samouraïs, et pour mieux préserver les apparences d'un honneur dont Hanshiro a démontré la bassesse et la cruauté.




Cette mise à mal de l'absurdité du code d'honneur samouraï, soit du plus grand chapitre de l'Histoire nippone, sorte de paroxysme sidérant de la culture japonaise, ne manque pas de panache et se déploie dans une tension palpable, qui passe notamment par l'acteur principal, Tatsuya Nakadai, superbe d'intensité et de présence d'un bout à l'autre de l’œuvre. Tenant Kenji Mizoguchi pour le plus grand cinéaste japonais de tous les temps, et donc pour un réalisateur plus génial encore que le pourtant immense Akira Kurosawa, je pourrais reprocher à ce film de manquer cependant de vie, sinon à l'intérieur du cadre, du moins dans les mouvements de ce dernier. Car si l'acteur Nakadai insuffle au film une énergie ravageuse, j'aurais préféré que la mise en scène de Kobayashi fût directement à l'origine de ce souffle, car on peut lui trouver un statisme et une rigidité conformes au code qu'il dénonce et dont il pointe si génialement les faiblesses.




Co-écrit par Shinobu Hashimoto, le scénariste de Rashomon et des Sept Samouraïs, le film de Kobayashi donne souvent l'impression d'être une œuvre de Kurosawa - on a vu pire comme critique - très stable, très nette, très lente, très marquée jusque dans sa stature par cette culture japonaise qu'il représente avec fascination. Il y a finalement plus de vie dans la rage contenue de l'acteur principal ou dans le visage de tel enfant saisi sur le vif que dans la caméra qui les filme. Chez Mizoguchi la vie va et vient dans un mouvement permanent entre ce qui se passe dans l'image et ce que cette dernière crée, comme dans Les Amants crucifiés, quand Moheï court embrasser la cheville de sa maîtresse qu'il aime en bas de la colline, suivi par un travelling que je n'oublierai jamais et qui me bouleversera toujours, ou comme dans Les Contes de la lune vague après la pluie, quand les enfants sont séparés de la mère et de la tante au début du film, et que la caméra court avec eux en travelling le long de la plage et des éclaboussures que font leurs pieds en frappant l'eau : il y a une là une puissance et une beauté rarement égalées dans l'histoire du cinéma.




Mais c'est une autre affaire, et je cesse de digresser pour revenir au film de Masaki Kobayashi, qui est néanmoins un excellent film, dont l'esthétique froide et statique est cependant vibrante, subtile et violente, par exemple dans les changements brutaux d'échelles de plans quand, aux cadres larges sur les espaces vides épurés, succèdent des cadrages très rapprochés sur les visages en sueur recelant quantité d'expressions bouillonnantes. Un plan en particulier m'a interpellé (beaucoup de plans valent le détour, par leur justesse ou par leur rudesse, peu importe, je veux parler d'un plan qui m'a semblé dénoter vis-à-vis des autres, changer de ton, changer de rythme, créer un vrai mouvement par lui-même), c'est un plan sur des herbes hautes balayées par le vent, durant le flash-back du combat contre le troisième coupable. Ce plan m'en a évoqué un autre, dans Sous la pluie, un film de 1999 de Takashi Koizumi (ancien premier assistant de Kurosawa, qui tourna le dernier scénario de son maître après sa mort). Ce film-là, très simple mais tout-à-fait intéressant, parlait aussi d'un samouraï déchu en quête de maître car soucieux de se racheter un honneur et de nourrir sa famille. Tout le film était droit, posé, épuré, lent et tranquille. Sauf un plan, où l'on voyait un genre d'oiseau à grandes pattes, debout au milieu d'une rivière traversée dans le plan précédent par le rônin et son épouse partis en exode. La caméra filmant cet oiseau en équilibre sur une seule patte était quant à elle en déséquilibre notoire et tremblotait au-dessus des tourbillons de l'eau. C'était un très bête plan de coupe, peut-être réalisé par un assistant, et sans doute que le tremblement de la caméra n'était pas voulu au départ, voire qu'on l'avait regretté au montage, mais il était aussi rassurant que touchant au milieu d'une série de plans fixes et stables, maîtrisés, et c'était de très loin le plus beau plan du film. Il en va peut-être de même pour le plan de coupe sur les herbes hautes fouettées par le vent de Kobayashi, dont le film est par ailleurs remarquable et qui compte bon nombre de plans admirables. Un film que je vous recommande avant d'aller découvrir le remake de Takashi Miike.

P.S. A ceux qui m'auront lu jusqu'au bout, je dis merci pukku.


Hara-kiri de Masaki Kobayashi avec Tatsuya Nakadai, Akira Ishihama et Shima Iwashita (1963)

28 novembre 2011

Trust

En réalisant ce thriller sur un sujet grave (le viol d'une adolescente par un pédophile rencontré sur le net), David Schwimmer voulait rompre une bonne fois pour toutes avec son image de grand frère au grand cœur issue de la fameuse sitcom Friends. Une image qui lui collera à la peau toute sa vie et dont il se plaint au quotidien, du matin au soir, alors qu'elle lui a tout de même rapporté des milliards et qu'elle lui permet chaque jour de déguster de la Gelée Royale trempée dans son thé Tieguanyin au petit-déj’ et des omelettes au safran et à la truffe blanche à son souper ! Bref, passons sur l'ingratitude un brin déplacée de cet acteur fin gourmet et concentrons-nous sur son deuxième passage derrière la caméra : Trust (à ne pas confondre avec le film de Hal Hartley). Avec un traitement qui se veut au plus proche de la réalité, notamment dans la façon dont nous est dépeinte l’évolution psychologique de la jeune victime (on sent que Schwimmer s'est longuement documenté), ce long métrage nous propose donc d’assister à l’anéantissement d’une famille suite à un viol perpétré par un prédateur sexuel opérant par le biais d’internet (et, plus précisément, d'un tchat Yahoo!, le salon "easy teens"). Aussi étrange que cela puisse paraître, ce pitch sinistre donne l’occasion à David Schwimmer de nous torcher des scènes d’un humour irrésistible, solidement épaulé par un casting 4 étoiles. Petit tour d'horizon...


Que dire de ce film quand on sait que Schwimmer lui-même est en couple avec une jeune femme de 21 ans sa cadette ? Comme je m'aventure ici sur un terrain glissant, je préfère laisser cette question en suspens !

Si l'on parle beaucoup de ce film comme du second long-métrage de David Schwimmer et de sa première excursion en dehors de la comédie, je tenais pour ma part à souligner qu'il s'agit aussi du premier rôle sur grand écran de l'ex-tennisman helvète Martina Hingis. L'ex-championne poids semi-léger incarne ici le rôle de l'adolescente qui se fait alpaguer par un pervers roi du clavier. Si l'imprévisible tornade en jupette des terres battues et des gazons maudits vous avait manqué, regardez donc ce film, vous pourrez à nouveau admirer tout ce qui faisait jadis son charme singulier et qui n'a pas bougé d'un poil malgré le poids des saisons : son front bombé comme un ballon de basket, sa petite bouche en trou de balle de poule, son regard insolent de prépubère avide de victoires, tout est encore là, intact, comme lorsque la virevoltante joueuse de raquette trustait les premières places au classement ATP/WBA. Trust nous permet aussi de retrouver Clive Owen dans un rôle à sa (dé)mesure. Le natif de Coventry (UK) apporte une certaine intensité à son personnage et réussit à nous captiver par sa seule présence lors de quelques scènes, mais on est tout de même forcé de reconnaître qu'il abuse légèrement de cette technique bien répandue dans le métier qui consiste à se passer la main sur le visage et à se pincer l'entre-sourcils pour exprimer l'embarras, la déception, ou la confusion. L'acteur passe ainsi une paire de scènes la main collée à sa ganache flétrie, se ratiboisant littéralement la façade de bas en haut, puis de gauche à droite, dans un mouvement circulaire trop répété et travaillé pour être naturel. De plus, en utilisant cette technique sans âge, Clive Owen ne manque pas de faire chanter les poils de barbe naissant de son vieux crépis usagé, foutant ainsi en l'air la prise son dans un vrombissement terrible qui laisse songeur quant au taux de testostérone sécrétée par l'organisme de la star... A leurs côtés, on signalera la présence de la trop rare Catherine Keener, qui traverse le film comme un fantôme, se faisant simplement remarquer lorsqu'elle stationne sa voiture sur une place réservée aux handicapés. Maigre bilan...


Plus douée à la raquette que sur le net, la suissesse !

Revenons à présent sur les scènes les plus marquantes du film, que je traiterai dans l’ordre semi-chronologique, pour ne pas trop vous perdre (même si je pense vous avoir perdus depuis bien longtemps, depuis la deuxième phrase de mon billet pour être précis). On remarque d'abord la patte Schwimmer lors d'une séquence pourtant anodine où Clive Owen, errant chez lui sans but, se dirige tête basse vers la cuisine, ouvre machinalement son frigo, s'empare d'une bouteille de jus d'orange (ces bouteilles typiquement américaines, vous savez, ces énormes cubis en plastoc à moitié transparent) et se met à en boire quelques rasades, au goulot, à la dure, tout simplement pour remplir la scène et pour tuer le temps. Les amateurs de Friends ne s'y tromperont pas et auront forcément une grosse impression de déjà-vu : on sent bien ici la "Schwimmer's touch" (je viens de paumer mes deux dents de devant en me relisant à voix haute) ! On imagine tout à fait l'acteur-réalisateur, hyperactif sur le plateau, dire à sa ténébreuse vedette "Prends du jus et régale-toi le gosier, même si t'as pas soif. Franchement ça marche bien pour combler un peu. Occupe tes menottes avec une bouteille, ça donne de la contenance. Je faisais ça dans Friends et tout le monde s'est mis à m'imiter, Chandler le premier, ça marchait du tonnerre, et c'est devenu un gimmick de la série !" D'autres petites touches comiques viennent nous rappeler qui est derrière la caméra, je pense par exemple à ce dîner familial d'Halloween où l'aîné débarque tout sourire en portant un masque à l'effigie du président Barack Obama. Le grand-père, très naturellement déguisé en vieillard facho et réac', outré par l'accoutrement de son petit-fils, lui lance alors "Indigne fils de salops ! C'est un socialiste ! Au bûcher !". Une scène qui fait froid dans le dos et qui rappelle l’humour pince-sans-rire cher à David Schwimmer.


L'acteur qui joue le pédophile est fort bien choisi. Trop flippant et ultra crédible, on dirait mon frère Glue 3 (si tu lis ces lignes, je te salue) !

Une autre scène laisse sans voix : celle durant laquelle Clive Owen pète les plombs et, voyant le mal partout, s'en prend au malheureux spectateur d'un match de volleyball féminin qu'il soupçonne d'être un pervers pédophile. Dans un état second, l'acteur distribue des coups de poings dans tous les sens et s'acharne, la bave aux lèvres. Sachant que Clive Owen s'en donne à cœur joie et qu'il n'est pas ce qu'on pourrait appeler un gringalet, on s'imagine donc que ça ne doit pas faire du bien. Les deux hommes sont ensuite séparés par la force, et l'innocente victime se relève la gueule en sang en disant "Non non mais pas de souci, ça arrive, laissez pisser, ça va, circulez y'a rien à mater ! Je me suis fait détruire la tronche, j'aurais bien besoin de quelques sparadraps, de bandages et de points de suture, mais c'est pas grave, c'était un malentendu, passons à autre chose, reprenons le match !" puis il enchaîne "On en était où d'ailleurs ? Ah si 4 à 4 pour les rouges. Qui ne saute pas n'est pas teubé hé, qui ne saute pas n'est pas teubé hé !" en sautillant ridiculement sur sa seule jambe valide. Le type vient de se faire ma-ssa-crer mais n'a pas perdu sa bonne humeur. Une vraie crème !


Clive Owen, plus circonspect que son metteur en scène à la vue des rushs...

Après avoir été violée, la gamine se met à consulter régulièrement une psy et ceci nous donne l'occasion d'assister à une nouvelle scène savoureuse. Lors d'une séance, la jeune fille lui raconte ce qu'elle a ressenti pendant l'acte sexuel non consenti dont elle a été victime. Elle lui dit alors "Pendant qu'il me défouraillait, j'avais comme l'impression de survoler mon propre corps, d'assister à la scène depuis l'extérieur, de ne pas être vraiment moi ni vraiment là... Tandis qu'il me défenestrait depuis l'intérieur, j'avais de mon côté l'impression de feuilleter l'ouvrage intitulé La Terre vue du ciel, vous savez, le best-seller de Yann Arthus Bertrand, je survolais littéralement cet instant, des images plein la tête, loin des faits. Alors qu'il me foutait en vrac et me dégommait la teu...". "Chhhhhhh". La psy l'interrompt à cet instant et lui déballe du tac o tac "Ok, je vois, très bien, arrête-toi là. Tu décris en détails et de façon assez originale quelque chose de très commun, une sensation bien connue, un véritable cas d'école. A l'ouest que dalle de nouveau, comme aurait dit Erich Maria Remarque. Je t'explique. Quand l'être humain subit un évènement horrible, qui va bien au-delà de son seuil de tolérance, il a très souvent le réflexe de s'évader de son enveloppe corporelle, comme pour trouver un refuge psychique, c'est la seule façon de supporter l'épreuve qu'il traverse." Devant ce dialogue à couteaux tirés, je me suis alors dit que le même phénomène pouvait très bien se produire pendant le visionnage du film de David Schwimmer chez des spectateurs aux seuils de tolérance plus bas que le mien...


Sur le point de casser la gueule à une infirmière qu'il est certain d'avoir vue dans neighbour-stalker.com !

Clive Owen passe également voir la psy pour vider son sac et lui raconter que sa seule envie est de faire la peau au salopard qui a violé sa fille. Il lui dit non sans gêne qu’il y pense sans arrêt, que ce soit en réunion, au bureau, au ciné, lors du goûter, à la récré, en plein coït, bref, tout le temps. Meurtri, Clive Owen lui avoue même qu’il en rêve la nuit et qu'il lui est déjà arrivé de se réveiller en sursaut, avec un goût de sang dans la bouche, du sang qu'il espérait être celui du violeur. Hélas ! Il s'était simplement mordu les joues pendant son sommeil, tant il serrait les dents rageusement. Ça a l'air de rien quand je vous la raconte, mais cette scène est un pur régal grâce au talent sans pareil de Clive Owen, tout simplement bluffant quand il ouvre grand la gueule pour montrer ses douloureuses cicatrices à une psy qui n'en demandait pas tant et qui est à deux doigts de dégobiller sur ses chaussures. Le talent de l'acteur fait aussi des ravages lors d'une scène très différente où l'on peut apprécier une autre facette de sa personne, un autre gadget de sa panoplie de comédien hors-norme. Je veux parler de la scène où Clive Owen rôde de nuit sur les tchats Yahoo! en se faisant passer pour une jeune fille histoire de débusquer du salopard et, accessoirement, de retrouver celui qui a abusé de sa fille. Catherine Keener le surprend, scrute l'écran et lui demande alors "Heu... Détrompe-moi si je me trompe... C'est bien toi "TinyLittlePussy" ?". A ce moment-là, il faut voir le regard piteux de l'acteur britannique, au top de sa forme. Ça échappe aux mots et ça mérite une nomination aux Oscars !


Sur le point de maraver sa psy, gratuitement !

Je parlais tout à l'heure de seuil de tolérance, hé bien mon seuil personnel doit en effet se situer assez haut quand je me trouve dans la configuration dans laquelle j'ai regardé Trust : mon gros chat sur les genoux, ronronnant à s'en faire exploser le larynx, ma compagne d'humeur joviale à mes côtés, et, dans ma main droite, un gros bol où un morceau de brownie bien craspec se noie dans de la crème anglaise Bridélice. Pour cela, et grâce aux quelques éclats de rire qu'il a provoqué chez moi, je garderai un très agréable souvenir du film Trust. Un film qui est donc à prendre au second degré pour être pleinement apprécié, et c'est un peu dommage, car franchement, il y a quelques trucs pas si mal vus et, par moments, ce thriller fonctionne plutôt bien. Mais, au bout du compte, on se marre assez souvent et je ne pense pas que ça soit l'objectif visé par notre apprenti cinéaste ! J'attends tout de même avec impatience le prochain Schwimmer !


Trust de David Schwimmer avec Clive Owen, Catherine Keener et Martina Hingis (2011)

26 novembre 2011

Les Aventures de Philibert, capitaine puceau

Je ne comprendrai jamais ce genre de films. C'est juste fait dans le souci de reproduire du mieux possible des films qui étaient déjà médiocres à leurs sorties, des trucs ultra ringards, de mauvais goût et infiniment laids. C'est donc encore une nostalgie dégueulasse et mal placée qui aboutit à ce genre de films de petits faiseurs ridicules. Et ils font ça bien, ça ne rigole pas : les décors, les costumes, les scènes de duels à l’épée, etc, tout ça est fait avec un soin ostentatoire, insupportable ; c'est vraiment du travail d'orfèvre, réalisé par une bande de petits tocards bien soucieux de coller au plus près possible à leurs modèles minables. On n'est même pas vraiment dans la parodie, le bouchon n'est jamais poussé assez loin. Du coup, forcément, c'est pas drôle une seconde. En fait, on est dans le pastiche sans saveur et sans intérêt. Le réalisateur Sylvain Fusée déclare, non sans une certaine satisfaction du devoir bien accompli : "Le défi était de pasticher les films de cape et d'épée sans tomber dans la parodie. On n'est ni chez les Zucker-Abrahams-Zucker, ni chez Mel Brooks, ni chez les Monty Python". En effet, on est nulle part ! On est dans un film infâme qui donne seulement envie de revoir les quelques réussites des auteurs cités par Fusée. Dans l'esprit, le film peut rappeler les OSS 117 de Michel Hazanavicius, mais l'humour en moins !



On est attristé de voir l'acteur Jérémie Renier se démener comme il peut dans ce spectacle pitoyable. On a même de la peine pour lui quand on s'imagine qu'il a dû s'entraîner pendant des mois à l'escrime pour ce rôle et ce film nullissime, lui qui peut être si doué ailleurs, chez les Dardenne par exemple... Bon, par contre, force est de reconnaître que les tenues moyenâgeuse aux décolletés pigeonnants siéent particulièrement bien à la jeune Élodie Navarre. Pour être plus clair : elles mettent drôlement bien en valeur sa poitrine et c'est un régal pour les yeux de voir ces deux seins grossir au rythme des respirations de la dame. Voilà où on en est ! A parler des gros nibards de l'actrice pour relever le seul point positif de ce si triste film ! Une actrice dont le visage ne respire pourtant pas l'intelligence et qu'on aura tôt fait d'oublier, comme ce film ridicule...


Les Aventures de Philibert, capitaine puceau de Sylvain Fusée avec Jérémie Renier, Manu Payet, Alexandre Astier et les seins d’Élodie Navarre (2011)

23 novembre 2011

Lord of War

Andrew Niccol a deux prénoms dont un très mal orthographié et ça n'est pas la seule raison que nous avons de le conchier. Petit point sur l'actu : pourquoi parlons-nous de lui ? Parce qu'il sort un nouveau film ! Depuis 1997 et Bienvenue à Gattacca des tas de gens n'arrêtent pas de répéter : "Putain si ça se peut le prochain Niccol il va être aussi bien que Bienvenue à Gaccacca ! On attend qu'il remette ça !". Et depuis 1997 Andrew Niccol enchaîne les déceptions. Il déçoit. Et il décevra encore avec Time Out. Justin Timberlake aura beau danser sur tous les plateaux télé du PAF, ça ne fera pas oublier son film. Niccol décevra comme il avait déçu avec Lord of War, ce film qui dès le générique annonçait la couleur en présentant l'existence entière d'une cartouche de fusil, depuis sa fabrication en manufacture jusqu'à son atterrissage dans la tronche d'un gosse africain. On aurait préféré que la balle finisse son parcours dans le flan d'un coyote famélique, comme dans Red Dead Redemption, notre nouveau jeu préféré sur Playstation 3. Ce plan en vue subjective d'une balle, dans une séquence en accéléré qui nous raconte toute sa vie, est digne d'un de ces spots publicitaires du gouvernement voués à refroidir l'envie de faire un ride sans permis avec trois grammes dans le sang : il veut choquer avec les armes qu'il dénonce.



C'est le principe des images dégueulasses sur les paquets de clopes censées nous vacciner contre l'envie irrépressible de fumer. Eh bien le résultat est identique. Quand on découvre une telle image gerbante de poumon éclaté, de dents à la Jaws (on finirait avec une mâchoire de requin à force de fumer des cigarettes ?), d'yeux morts à la Steve Buscemi et ainsi de suite, on s'empresse de détourner le regard du papelard pour vite se saisir de son cendar et s'enfumer la gueule à la Gainsbarre. Devant l'intro de Lord of War, c'est idem, on éteint vite son téléviseur et on va dans l'armoire de papa (qui porte bien son nom puisque c'est une vraie armurerie) chercher le 22 long rifle poussiéreux de pépé qui va bien, avec l'envie d'aller se payer un ou deux clébards fatigués dans la rue, commencer par dégommer des pigeons et finir par des vieillardes.



Que dire de plus sur ce film sinon que cette introduction digne d'un jeu vidéo pourri n'aurait pas dû avoir de suite, ça aurait dû s'arrêter là et on aurait tout pigé de la toute petite idée politique d'Andrew Niccol. En jouant là-dedans Nicolas Cage s'est doté du bagage humanitaire nécessaire à tout artiste engagé de pacotille et d'Hollywood qui veut pouvoir se regarder dans la glace quand il dépense ses milliards en 60 secondes chrono dans des bagnoles à la con. C'est tout bénéf pour Cage : il se montre engagé sans débourser un kopeck, au contraire même, puisqu'il a été grassement payé pour le rôle, à hauteur de 20 millions de dollars minimum par scène. Cage n'a pas besoin d'adopter 300 malgaches comme Angelina Pas Jolie et Brid Patt pour prouver qu'il aime les blacks. La prochaine fois, Cage, ne te fais pas chier à tourner dans une saloperie, inscris-toi directement à la National Rifle Association, aux côtés de tes potes morts Charlton Heston, John Wayne et Clint Eastwood.


Lord of War d'Andrew Niccol avec Nicolas Cage (2006)

21 novembre 2011

Drive

A grand phénomène, grand article. Ce n'est pas toujours vrai sur ce blog mais pour le coup ça l'est ! Si l'article est long c'est parce que le film suscite un tel mouvement de masse qu'il appelle des réactions souvent contraires. Certains spectateurs, très minoritaires, haïssent Drive, d'autres lui sont indifférents mais cette indifférence se transforme souvent en irritation face à l'adoration sans condition du plus grand nombre, et d'autres encore se contentent de l'apprécier sans le porter aux nues. Vos deux serviteurs ont des avis légèrement différents, des points de vue à priori modérés qui le sont moins que prévu quand ils se saisissent chacun de leurs claviers !


Rémi (avec l'appui et l'aide de Nônon Cocouan) :

Je n'ai pas à proprement parler "détesté" le film, car il n'a même pas de quoi susciter mon mépris ou ma colère, à part, et il est bien difficile de faire autrement vu le "phénoménorme" qu'il a suscité, si je le considère en prenant en compte les louanges extravagantes qu'il reçoit, l'engouement unanime autour de lui et le prix franchement honteux qu'il a reçu à Cannes, là oui, tout de suite, on a envie de le détester et de le traîner dans la boue. Mais en essayant d'évacuer ces données effectivement très irritantes de ma conscience, je le trouve simplement absolument sans intérêt, vide de tout, mal réalisé et horriblement niais. Il se regarde, certes, mais il est malgré tout d'une nullité assez remarquable.

Au crédit du film, une ou deux scènes d'action plutôt maîtrisées, dont principalement la séquence d'ouverture, devant laquelle tout le monde se pâme alors qu'on en a déjà vu 1000 de meilleures dans le même genre et alors qu'il ne s'agit jamais que d'un coton-tige humain qui attend deux malfrats en train de faire un casse, qui démarre quand ils arrivent enfin, se gare quand une voiture de police passe, démarre vite à un feu vert, se gare à l'ombre pendant qu'un hélicoptère passe, puis s'arrête dans un parking et profite d'un mouvement de foule prévu à l'avance pour quitter le véhicule sans être vu des flics et en laissant ses passagers dans la merde - incroyable… Mais enfin ne soyons pas de mauvaise foi, la scène est maîtrisée, le rythme fonctionne, reconnaissons cela à Refn, car il n'y a rien d'autre à lui reconnaître. Comme dans la plupart des films de ce genre dès qu'il y a une fusillade ou une course poursuite, c'est facilement prenant, ça l'est presque par définition, et Nicolas Winding Refn sait à peu près nous intéresser à son action dans ces moments-là, bravo, j'admets la maîtrise d'une ou deux scènes de tension, même si ce n'est jamais pour Refn que remplir le cahier des charges qu'il s'est fixé et assurer le minimum syndical, chose qui passe pour exceptionnelle tant le cinéma d'action actuel est moribond. Mais pour le reste, les yeux m'en tombent et je me suis ennuyé copieusement.


The Driver, The Girl et The Kid au volant de The Car dans The Merde

Comment se passionner pour ces personnages creux et inexistants qui permettent au film de gagner l'admiration de ceux qui reconnaîtront une référence à Macadam à deux voies (Refn fait appeler son héros "The Driver" tout en faisant parfois appeler la fille "The Girl" pour se faciliter la tâche dans la quête d'une filiation honorable auprès de Monte Hellman), ou au personnage sans nom et sans passé de Sergio Leone (l'inévitable cure-dent remplace le cigarillo, car le héros aime les bains de sang mais il est trop gentil pour fumer du tabac). Pourquoi Clint Eastwood a-t-il une allure et une classe sans égales et pourquoi Ryan Gosling n'en a-t-il aucune ? C'est difficile à dire. Peut-être parce qu'il est impossible de déceler la moindre miette de charisme chez Gosling là où celui d'Eastwood bouffait l'écran chez Leone, peut-être aussi parce que Leone savait filmer son acteur et mettre en scène sa superbe, tout en rendant son personnage extrêmement savoureux grâce à beaucoup d'humour, de dérision, de caractère et de réactions mémorables, toutes choses dont The Driver est dépourvu. Le projet consistant à filmer un personnage hellmanien, disons le "Driver" de Macadam à deux voies, mutique et dépourvu de caractère défini, comme Leone filme Eastwood dans ses westerns, et à le revêtir d'une tenue aussi imposante que celle de "Sans-nom" (imaginez le James Taylor d'Hellman dans une veste brillante décorée d'un scorpion doré...) ne tient pas debout car cela revient à filmer avec admiration (et à soumettre à la nôtre) un homme en aucune façon admirable (sauf à être fasciné par une coquille vide bien apprêtée). L'accablement l'emporte donc devant ce héros silencieux sans émotion ou presque et sans histoires, à la fois doux et ultra-violent (ambivalence d'une profondeur qui me tétanise), un concept de personnage génial et inédit. "Minable" conviendrait mieux à ce héros, comme à tous les gens qui l'entourent, des gros mafieux caricaturaux sans consistance (Ron Perlman... encore un acteur nul qui a une "tronche" et que les réalisateurs les plus niais font jouer juste pour ça, à l'image de Dany Trejo chez Bob Rodriguez et consorts), et la fille "mignonne" trop "cute" avec ses bouclettes, ses fossettes, son nez retroussé, trop "cute" pour être honnête, qui aurait sa place dans Dawson Creek. Carey Mulligan n'aura aucun mal à émouvoir ces messieurs, avec son petit garçon tout aussi mignon et son gentil bac à linge sous le bras. Mais le héros c'est le pompon (on aura pigé l'idée de Refn de nous recycler un héros à l'ancienne, avec la chanson à la fin qui miaule en boucle : "You're a real human being, you're a real hero" ad lib, pour surligner un propos indigent et quêter l'émotion facile chez le spectateur). The Driver hausse un sourcil par ci, décroche laborieusement un sourire stupide par là, il a la vie dure parce que c'est un type sans vie qui se projette en éternelle doublure des vrais héros (les braqueurs de banque qu'il conduit la nuit ou les acteurs qu'il double le jour en tant que cascadeur - un job bien rétro et bien cool, qui a déjà fait les choux gras de Tarantino dans Death Proof - mais le cinéaste ne tient aucun propos sur l'une ou l'autre de ces professions voulues atypiques, d'ailleurs il ne tient aucun propos sur rien, à l'image de tous ces films américains contemporains poseurs et crétins qui se contentent de refourguer des références dans l'insignifiance la plus assumée ; on est face à Taxi Driver mais sans le moindre discours de fond, ce qui pose un léger problème). Et quand The Driver fout le doigt dans l'engrenage d'une histoire dangereuse pour les beaux yeux de sa ménagère, sa personnalité double se révèle, car cet autiste bipolaire est aussi amorphe que violent, cette jolie tronche de cake n'étant au final qu'un gros cliché sur pattes, un héros sans saveur qui sauve la sempiternelle veuve et l'imparable orphelin.


Trop stylée cte police !

A propos de clichés on pourrait d'ailleurs énumérer tous les éléments qui composent le film, le kitsch imbattable du générique écrit en rose, comme au début de Rosemary's Baby (c'était déjà kitsch dans le film de Polanski mais au moins ça ne disait pas "Matez comme je mets du rose bonbon décalé sur mon gros conducteur cool") ; la musique lourdingue des années 80 un peu grindhouse sur les bords car bien ringarde mais du coup très cool, qui peut rappeler les film de gangster hongkongais de l'époque, comme le As Tears Go By de Wong Kar-Wai ; le héros qui se lance dans ses missions toujours selon le même schéma et qui répète son speech à la façon de Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction, ou plutôt à la façon de Jean Réno dans Léon ou Nikita ; ses actes de vengeance ultra violents à coups de marteaux manière Old Boy ; sa veste trop classe avec le scorpion doré dans le dos (Snake Plissken es-tu là ?), ajouté au sang sur la doublure de son beau blouson blanc immaculé à la fin du film et à son savoir-faire de pilote cascadeur qui nous renvoient à la purge de Tarantino sus-citée (Death Proof), et j'en passe et des meilleures. Refn pioche ça et là des trucs sympas et les reproduit dans un film sans propos et sans force avec une attitude de gros poseur insignifiant, sans véritable idée, sans véritable talent, sans rien.


C'est un plan tiré du générique de Dawson Creek ou je m'y connais pas... J'imagine que si Dawson conduisait une belle bagnole et fracassait quelques visages à l'occasion la série aurait encore un fier succès aujourd'hui.

Ou plutôt si, il a une idée, une seule, qu'il étale sur tout le film et qu'il souligne inlassablement, l'idée de ce personnage ambivalent, "real human being" qui aspire à un bonheur domestique plan-plan mais paradoxalement "real hero" dépendant de sa voiture, prolongement de son corps (quand il accroche sa montre au volant au lieu de la mettre à son poignet, on aura compris) et catalyseur de son énergie destructrice, bagnole sans laquelle il devient capable des pires violences… C'est ainsi que le personnage frappe le triste Ron Perlman avec sa voiture qu'il lance à toute vitesse dans le flan du véhicule du mafieux (ses phares sont cependant intacts après le choc énorme…), coiffé d'un masque de cascadeur qui l'efface une fois de plus, car cet homme-là est condamné à s'effacer, c'est pour ça qu'il part à la fin au lieu de rejoindre la fille, diantre que c'est profond et passionnant. Et si l'on accepte que c'est un film de genre qui n'a pas pour vocation d'avoir un propos dense et porteur de sens, préférant à cela un récit efficace, qu'en est-il de ce récit ? C'est l'histoire linéaire, cousue de fil blanc et rebattue des dizaines de millions de fois du héros solitaire qui tombe amoureux au détour d'une lessive, décide de s'imposer une mission périlleuse pour sauver sa copine avec qui il a vécu des tas de trucs qui se résument à un voyage en ascenseur et deux sourires difficiles (et, j'oubliais, un ride interminable dans le lit d'un fleuve desséché, où l'unique et faramineux événement tient dans ce bref plan où la voiture monte de dix centimètres sur le rebord de la piste ; sans oublier l'aboutissement de la séquence, une séance bouleversante de ricochets sur fond de musique guimauve), fille adorable qui ne peut pas être sa vraie copine, dur, car elle est mariée à un tocard qui vit en taule mais que le héros va gentiment aider par amour désintéressé pour sa blonde, et qui à la fin, après avoir buté tout le monde très très facilement (y compris donc en arborant un masque de Fabien Barthez qui fera ergoter les fans avides de symbolisme à propos du personnage sans passé et sans identité mais aussi sans visage, pour une scène qui ne fait une fois de plus qu'évoquer d'autres films, de Halloween à Point Break !), se laisse poignarder par un vieillard histoire de rajouter du drame au drame et de s'octroyer stupidement une dimension de "real hero" sacrifié, vulnérable car aussi human being mais hero tout de même car immortel. Et on est censé chialer ? Ou s'émerveiller de voir l'acteur cligner des yeux après dix minutes d'attente ? Car il n'est pas mort, c'est un real hero ! Tu peux rêver Refn. Et ta fausse fin, avec la gentille qui va frapper à la porte du gentil et le gentil qui part sur la route au volant de sa seule femme, sa bagnole, si tu savais ce qu'on s'en cogne…


Ou comment vautrer une scène de course-poursuite par un plan hideux où Christina Hendricks mériterait de recevoir le prix "Toni Colette 2011"

La scène dans l'ascenseur c'est le comble je crois. Cette scène où le méchant, avant de se faire buter sauvagement, laisse le temps au héros de rouler une grosse pelle à sa copine. Au moment du baiser les lumières se tamisent, la musique sirupeuse embraye la première, et par-dessus le marché on a droit au gros ralenti qui tâche pour se rouler dans le mielleux et le niais à tout rompre. On n'en attendrait pas moins de Luc Besson ! Idem quand, après ce plan plutôt bien vu où l'acteur se retourne en nages, coupable d'une ultraviolence répugnante qui révulse logiquement The Girl, la porte d'ascenseur se referme sur celle-ci et les sépare dans un énième cliché visuel pathétique et désespérant qui achève de tout gâcher et de rater la scène dans les grandes largeurs. Oui car le comble c'est quand on pense à la mise en scène. Que le film plaise entre autres à des adolescents, je pige, à l'adolescence on aime les films creux et prétentieux qui en jettent un peu (j'aimais Léon quand j'avais 12 ans). Qu'il fasse éclater de rire, d'un rire gras, et qu'il excite manifestement lors des nombreuses scènes assez minables où l'on voit des gorges tranchées, des gueules écrasées à coups de doc marteens, des fourchettes plantées dans des yeux (ces choses-là choquent et donc plaisent encore, c'est épatant), je ne pige pas mais je commence à avoir l'habitude. Mais qu'on file à ce film le prix de la mise en scène, là faut pas déconner. Et que les meilleurs journaux répètent que le graal du film c'est le style, la question du style, qui serait cruciale, ça, ça me fout les j'tons. Parce que c'est quoi la mise en scène de ce film ? Celle de n'importe quel autre film de merde (avec quelques scènes plus longues vu que le héros a besoin d'une heure et demi pour dire "Ok..." et d'une demi heure supplémentaire pour sourire, des scènes lentes qui attestent de la volonté de Refn de se démarquer du cinéma hollywoodien d'action de la façon la plus simple qui soit : ces films-là vont vite, je vais aller lentement, pour avoir une caution européenne et devenir une bête à festoche, une machine à faire triper du cinéphile), à quoi s'ajoutent des milliers de ralentis misérables sur le bisou, sur le héros qui porte l'enfant de sa dulcinée pour le mettre au lit et j'en passe, et quoi d'autre ? Rien... Si, à la fin il filme les ombres projetées du héros et de sa dernière victime, c'est brillant j'avoue, j'étais sur le fion devant tant d'audace et de génie, un vrai masterpiece. En somme c'est le néant absolu et un ramassis d'images d'une platitude égale. Je m'attendais à mieux.


Il a ouvert les yeux ! You're a real hero, toudoudoum, toudoum, tidadadoum

Je ne m'attendais pas à grand chose pourtant, car tant d'unanimisme critique me semblait suspect, mais comme à chaque fois que je donne de l'argent pour aller voir un film au cinéma c'est avec l'espoir et l'envie d'apprécier, je m'attendais véritablement à un film un peu plus ambitieux, plus original, plus osé du point de vue du style, justement, or il n'y a vraiment rien à se foutre sous la dent avec ce film poseur, cliché, niais et laid au possible. Ce n'est pas un film qui a du style, ce n'est pas un film stylisé, c'est un film "stylé" comme disent les adolescents d'aujourd'hui, à propos d'un zippo ou d'une bagnole. Car au final ce film ne donne qu'une envie, semble-t-il, à pas mal de fans, celle d'aller "faire un ride sur la route avec de la bonne grosse musique de merde en fond", et procurer une telle envie facile et crassement stupide doit rendre Refn très fier de lui. C'est QUEU-TCHI ce film.


Félix :

Rares sont les films qui nous divisent sur Il a Osé ! Bon, en réalité, il n'y a pas de réelle division au sein de la rédaction à deux têtes du blog, tout simplement parce que je ne fais pas partie des grands fans de Drive, présents en nombre sur la blogosphère. Il me faudrait revoir le film pour m'assurer de cela. Ce que je peux néanmoins d'ores et déjà affirmer après l'avoir vu au cinéma, c'est que j'ai apprécié Drive, suffisamment pour avoir envie de modestement compléter la critique de Rémi en vous proposant aussi mon point de vue, tout de même très différent du sien.

Ma principale réserve à la sortie du cinéma résidait dans ces quelques plans dégoûtants qui parsèment la deuxième partie du film consacrée à des règlements de compte sanguinolents. Quand je vois des scènes de ce genre, où la violence explose à l’écran, sur le moment ça me révulse forcément, ça ne me fait ni rire ni applaudir comme certains individus présents dans les salles de cinéma, ça m'amène même parfois à mépriser le réalisateur. Cependant, dans des films qui finalement semblent traiter de la fascination et de l'addiction à la violence, je comprends pourquoi celle-ci est mise en scène de cette façon (comme dans J'ai rencontré le Diable, pour prendre un autre exemple récent de long métrage remarqué où l’on peut aussi noter la présence de quelques images chocs - le film de Refn fait d'ailleurs penser à cet égard à un certain pan du cinéma sud-coréen). Le choix du réalisateur danois ne me semble donc pas totalement gratuit, voire même tout à fait justifié. Avec du recul, ces réserves ont donc quelque peu disparu, même si sur le moment ça n’a pas manqué de me déranger (ceci dit, c'est peut-être mieux comme ça vu de quoi il s'agit).


La scène dite "de l'ascenseur", à rendre jaloux Dick Maas !

Pour illustrer mes propos, j'aimerais revenir sur ce qui est sans doute la scène-clé du film : celle de l'ascenseur, typiquement la scène que l'on détestera en cas d'allergie aiguë au film de Nicolas Winding Refn. Cette scène m'a typiquement amené à penser que Refn nous causait de l'addiction du Driver à la violence. Cette scène commence par nous montrer un baiser langoureux entre le Driver et la fille, un baiser dont l'érotisme est souligné par la dilatation du temps, les jeux de lumières et la musique ; puis dans la foulée, le Driver tue l'autre gars, dans une sorte de jouissance incontrôlable, comme s'il s'agissait de la fin du rapport amoureux débuté avec la fille, qui culmine donc avec ce plan dégueu où il lui défonce la tronche. De cette manière, Refn m'a l'air de nous montrer comment le Driver descend définitivement dans la spirale de la violence par choix contraint mais apprécié, tout en changeant de style lors des deux parties de la scène, pour dissocier le premier acte, qui se veut planant et beau, du second, très terre-à-terre et révulsant. Tout de suite après, le Driver affiche un visage bouleversé, il nous livre peut-être une de ses rares expressions faciales attestant d'une perte de maîtrise, avec ce dernier regard adressé à la fille, dont il s'éloigne pour de bon après ce geste pourtant exécuté pour la défendre : le regard d'un type pris en flagrant délit et irrécupérable.

Pour toutes ces raisons, cette scène, qui pourra tant énerver, est paradoxalement l’une des plus intéressantes du film à mes yeux. C’est finalement celle où tout se joue, où le sort du Driver en est définitivement jeté. Pendant la première partie du film, nous pouvons déjà sentir une tension latente chez le personnage, très perceptible par exemple quand un type vient l'enquiquiner dans un bar et que le Driver le menace, en lui disant, par les mots, ce qu'il finira par faire réellement à ses semblables ensuite ; on sent clairement que le personnage est tiraillé entre ces deux voies, entre deux mondes, celui représenté par la fille et l’autre, par les gangsters. Après, effectivement j’avoue donc avoir été un peu dérangé lors de ces scènes chocs et je comprends évidemment qu’on puisse trouver ça lourdingue. Mais si mon collègue ne comprend pas la hype autour de Drive, je crois personnellement saisir un peu pourquoi ce film a fait un tel boucan. J'arrive par exemple à trouver du sens et un certain intérêt aux scènes décisives du film, des scènes qui, aussi, peuvent plaire de façon beaucoup plus terre-à-terre, notamment par la simple héroïsation qu'elles proposent. C'est cette ambivalence fragile qui a selon moi fait le succès du film, comme ça doit souvent arriver. Un succès décelable chez les cinéphiles, via la blogosphère, mais aussi bien au-delà (quid des ventes de gants de pilotes en cuir, qui ont tout simplement décuplé au troisième trimestre 2011 ?).


Pour voir une autre facette de l'acteur Ryan Gosling, je vous conseille Half Nelson.

Peut-être est-ce justement l'apparente simplicité, la linéarité et le côté très "rentre-dedans" du film qui ont plu, et ce même aux cinéphiles. Moi-même, en tant que cinéphile, j'ai parfois un faible pour les films comme ça, très directs et lisibles, presque minimalistes et conceptuels, qui ont comme l’air animé par une idée fixe. C'est sans doute cela qui m'a fait apprécier Drive. Je considère surtout le film de Refn comme un très bon film de genre, ce que j’ai déjà pu lire ailleurs. Soit dit en passant, je préfère clairement lire ça aux inévitables formules "meilleur film de l'année", "un classique instantanée" ou "un film déjà culte !". Car si ces formules attestent de la vague d'enthousiasme rare provoquée par ce film, elles en font aussi une cible d'autant plus facile pour ses détracteurs. A mon sens, Drive est donc un film de genre de qualité, qui veut simplement s'inscrire dans la lignée des polars américains des années 70 et 80. Il me semble d'ailleurs que c'est tout ce que revendique le réalisateur Nicolas Winding Refn, qui de film en film s'essaie à différents genres en trouvant toujours le prétexte pour aborder ses thèmes de prédilections et en visant systématiquement à y apposer son style, de plus en plus affirmé.

L'utilisation de la BO, qui pourra elle aussi agacer, va aussi dans ce sens-là. Je veux ici parler de ces chansons très lourdes de sens par rapport ce que que l'on voit déjà à l'écran, qui surlignent donc vachement tout ce que l'on comprend déjà, comme celle de la toute fin du film, intitulée "A Real Hero". Ça ne m'a personnellement pas gêné dans le sens où j'ai trouvé ça tout à fait cohérent avec le reste. Ça m'a également fait penser à un truc tout con, à une impression que j'ai déjà ressentie plus d'une fois en bagnole (et je ne suis à l'évidence pas le seul dans ce cas, c'est donc très probablement un but visé par Refn). Je veux parler de ces moments où la radio se met à diffuser une chanson qui exprime très lourdement l'émotion qu'on ressent déjà naturellement. Ce genre de situation arrive typiquement en voiture, où l'on est souvent très pensif et où de la musique vient parfois accompagner nos pensées, en les exacerbant, de façon parfois désagréable et inopinée. Il me semble que tout est fait nous donner l'impression que la musique provient de la radio du Driver et qu'il l'écoute en même temps que nous (sans que cela soit pourtant réellement le cas). En cela, je trouve ça plutôt original et pas inintéressant, car le film peut donc encore davantage s'appréhender comme une sorte de trajet en voiture, aux côté de ce Driver donc, comme une invitation à ce parcours, linéaire et périlleux, avec ce personnage de héros volontairement superficiel, qui a l'opportunité de changer de voie en s'acoquinant avec "the girl" mais qui s'engage finalement et définitivement dans celle de la violence afin de la protéger. Un trajet d'un point A à un point... A. Ceci dit, je comprends complètement qu'on puisse être rétif au style outrancier de Refn, surtout compte tenu de la faible teneur apparente de ce qu'il raconte. Mais c'est aussi tout ce qui fait la singularité du film, réalisé par un cinéaste déterminé et sûr de lui, qui sait obstinément où il va et comment il nous y amène.


Les deux hommes ne se quittent plus et ont affiché au grand jour leur rapport fusionnel lors du Festival de Cannes.

Je suis actuellement en train de découvrir les autres films de Nicolas Winding Refn (j'avais seulement vu le premier Pusher avant d'aller voir Drive) et je dois reconnaître qu'il est très intéressant de constater comment le style de ce cinéaste a évolué au fil de ses films et comment il choisit systématiquement de traiter la violence et sa représentation de manière différente. C'est peut-être la première fois avec Drive qu'il la traite aussi frontalement, alors que les sujets de ses précédents films, comme par exemple Bronson (biopic sur "le détenu le plus violent de Grande-Bretagne"), s'y prêtaient a priori beaucoup plus. Aussi, quand je constate par exemple que Refn a comme source d'influence évidente le cinéma de John Carpenter, que ce soit dans Drive via l'utilisation de la BO (tout particulièrement le morceau d'ouverture de Chromatics, qui rappelle les rythmes lancinants chers à Big John) ou même à travers une scène qui peut clairement passer comme un hommage assumé à Halloween (celle où, portant un masque inexpressif, le Driver observe le chef mafieux depuis la porte vitré d'un bar), cela ne me fait pas l'effet désagréable d'assister au triste spectacle d'un cinéaste sans idée qui multiplie les clins d’œil cinéphiliques dans le but de caresser le spectateur dans le sens du poil pour mieux se le mettre dans la poche. Non, je vois au contraire un cinéaste qui parvient à joliment assimiler ses références pour mieux les incorporer à sa patte personnelle et les mettre au service de ce qu'il nous raconte.

Il me tarde à présent de revoir Drive à la lumière d'une meilleure connaissance de la filmographie de ce cinéaste singulier, que l'on peut si aisément mépriser ou adorer.


Drive de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston, Ron Perlman et Oscar Isaac (2011)

18 novembre 2011

Sleeping Beauty

Nônon Cocouan, rédactrice récurrente du blog et critique affutée, se joint à moi pour vous parler de Sleeping Beauty.

Ce film est d'une nullité insondable. C'est un film de la pire espèce, qui se prend pour ce qu'il n'est pas, et ça se voit… Je ne dis pas que c'est le film le plus mauvais qui soit, il y a bien pire évidemment, je dis simplement que c'est le genre de film que nous maudissons parce qu'il est vide, scolaire, pompeux et prétentieux au possible, et peut créer chez le grand public une haine profonde du cinéma d'auteur, justifier l'expression si laide et si exaspérante, souvent employée à tort mais malheureusement parfaitement adéquate ici, de "branlette intellectuelle". Julia Leigh, l'écrivaine australienne qui a réalisé cette parfaite purge, semble s'astiquer le ciboulot et s'exciter sur trois idées étalées par une mise en scène qu'elle voudrait moderne - comprendre froide et contemplative, avec de longs plans-séquences fixes - sans se rendre compte que la théorie ne suffit pas à faire un bon film.



Il est évident que la réalisatrice souhaite éviter les écueils d'une narration un peu trop classique en laissant de côté des scènes trop explicatives ou informatives, sauf que ce qu'elle conserve ressemble finalement à une succession de scènes coupées sans le moindre intérêt, autant de séquences qui ne pourraient même pas servir de transitions dans un film réussi et qui sont en fin de compte dénuées de réel intérêt plastique ou émotionnel. En gros elle ne parvient jamais à surmonter la difficulté du cinéma moderne et se vautre dans son piège le plus évident, celui de l'insignifiant pur et de la vacuité, un cinéma moins de scénario que d'idées mises en images en tant que telles via un symbolisme accablant et une esthétique sans vie. L'effet scène coupée concerne surtout la partie du film concentrée sur le quotidien creux de l'héroïne, à quoi s'oppose un autre régime narratif, que l'on appellera "porno chic" et qui réunit les actes de prostitution dans un milieu bourgeois, avec des plans plus léchés et un esthétisme forcené qui n'apportent aucune plus-value au film. C'est forcément là qu'on attendait la réalisatrice, sur ces scènes dangereuses où la belle au bois dormant est aux prises avec des vieillards lubriques : manifestement Julia Leigh veut jouer de la comparaison entre corps jeune et corps vieux dans tous ces moments répétitifs où un client joue avec sa pute comme avec une poupée, où tel autre l'insulte en la léchant faute de mieux et où un troisième essaie de la porter avant de tomber, le tout constituant une métaphore filée sur l'impuissance, une métaphore trop filée et rapidement lourdingue. La réalisatrice, pour ne pas tomber dans le voyeurisme, en fait des tonnes sur sa pseudo-froideur dans des séquences où rien n'affecte la pellicule. C'est à se demander comment Julia Leigh parvient à réussir ce prodige de ne strictement rien produire avec un tel sujet... Ni dégoût, ni désir honteux, ni abjection, ni rien.



Au point qu'il nous est difficile de bien comprendre comment la grande majorité des gens qui ont vu le film peuvent le qualifier d’œuvre "dérangeante", car rien ne dérange dans ce scénario faussement social et prétendument provocateur (à part éventuellement la scène où l'héroïne se fait lécher le visage par un triste type tandis qu'elle dort, et encore). Pour en revenir à des considérations plus générales, sur le papier on a des personnages désaffectés, a-psychologiques, pris dans une histoire elliptique et lâche qui voudrait embrasser un sujet lourd et délicat filmé avec distance… Concrètement on ne comprend d'abord pas grand chose au projet, on ne comprend pas beaucoup plus les détails de l'histoire, le regard de la cinéaste est d'un superficiel accablant, le tout d'un ennui et d'une indigence artistique comme intellectuelle qui laisse béat, qui laisse surtout platement et irrémédiablement insensible. La raison principale du désintérêt total que l'on porte à la beauté dormante du titre et à son parcours, c'est qu'on se fout éperdument du personnage et de ceux qui l'entourent, quand on n'espère pas carrément qu'une bombe explose au milieu du plan et qu'on en finisse avec ce trop long métrage poseur et interminable. Je dis ça en particulier pour l'ami de l'héroïne, nommé Birdyman (si c'est bien seulement son ami, je n'en suis pas sûr car encore une fois on ne comprend pas tout à l'histoire), qui lui propose de regarder un porno comme d'autres proposent de faire un scrabble (le sexe est banalisé, neutralisé, on aura BIEN pigé l'idée). On ne comprend pas davantage les liens qui les unissent quand elle le demande en mariage et se couche près de lui nue en pleurant, pour l'écouter déblatérer des tirades allégoriques désespérantes devant un documentaire sur des rats.



On ne comprend rien mais c'est en réalité parce qu'il n'y a rien de particulièrement riche à comprendre. Ou plutôt n'y a-t-il que cela à faire, essayer de tirer des interprétations plus ou moins fumeuses de ce scénario nébuleux, et paradoxalement, au bout du compte, on ne comprend que trop où veut en venir la réalisatrice avec ce film ni fait ni à faire. On ne comprend que trop ce qu'elle veut déballer avec le portrait de cette fille sans émotions apparentes, détachée de son propre corps, qui se vend pour payer ses études et qui est à ce point déconnectée du monde affectif qu'elle propose à des types rencontrés en soirée de les sucer pour ensuite les demander en mariage. On ne comprend que trop que cette fille handicapée émotionnellement profite de son corps soi-disant parfait pour s'en sortir en fréquentant des types handicapés physiquement (impuissants) et contraints de payer pour côtoyer un corps désiré ; on ne comprend que trop la minuscule idée qui a foutu le boxon dans le cerveau de la réalisatrice, ce gros gloubi-boulga sur le sujet du corps, du désir et de la jouissance qui pourrait être intéressant avec quelqu'un d'autre derrière la caméra. On ne s'attend que trop à voir la fille péter un plomb vers la fin du film et voir son trop-plein affectif déborder dans une crise de larmes violente…



Tout cela est cousu de fil blanc, clair comme de l'eau de roche, fabriqué, factice. A l'image de la mise en scène. Le risque est grand à réaliser un film très formaliste et très épuré quand les plans sont aussi immensément laids (certains cadrages font mal) que sans intérêt, et quand le propos est aussi lourdement surligné. Chaque personnage est un concept de personnage, énigmatique et silencieux, prononçant des phrases tantôt absconses et d'un sibyllin à toute épreuve tantôt navrantes de simplicité, des freaks loufoques et improbables dont on n'a strictement rien à faire et qui se veulent originaux alors qu'on a le sentiment de les avoir déjà croisés dans un tas d'autres films aussi désespérants que celui-là (je pense par exemple à Canine, pour prendre un film dont j'ai parlé ici récemment). Tout ce que tente Julia Leigh avec une fierté ostentatoire tombe à plat dans un bruit sourd, celui que fait le guano, l'excrément visqueux et blanchâtre de l'oiseau-marin, en s'écrasant sur la visière cartonnée de la casquette des touristes. Je pense par exemple à cette scène dans un bar, la nuit, où Emily "chuppachups" Browning dit à un type : "J'ai très envie de sucer votre bite". Julia Leigh aimerait que cette phrase nous choque et nous surprenne dans la bouche d'une telle femme-enfant, dont le corps immaculé est d'une blancheur inquiétante et qui mesure 1m10 bras levés, mais ça ne marche même pas, car l'actrice, ainsi salement filmée, n'a plus que le visage vulgaire de toutes les top modèles hollywoodiennes actuelles - contrairement à Mia Wasikowska, initialement prévue dans le rôle et qui s'en est intelligemment tenue écartée pour préférer jouer dans le dernier Gus Van Sant. On ne s'étonne ni ne s'émeut donc de voir Emily Browning désirer sucer des bites au hasard, c'est quand même un comble...



L'actrice justement, parlons-en, elle qui a un visage si "plastique" qu'elle peut fasciner, y compris dans un film aussi dénué de sensualité. Son visage est si intriguant que nous la fixons régulièrement pour tenter de cerner d'un seul coup d’œil enfin l'ensemble de sa physionomie et de percer ce qui dans ses traits retient notre regard, et c'est ainsi que nous tenons le coup devant un film insupportablement pontifiant et creux, grâce au seul pivot d'observation que représente cette comédienne. On peut peut-être affirmer qu'avec une actrice moins originale le spectateur ne tiendrait pas plus d'un quart d'heure devant cette somme de banalités, de faiblesses, de clichés et d'images laides. On sait que Julia Leigh a vu et aimé l'immense Eyes wide shut de Kubrick, on l'a vu et aimé nous aussi, mais qu'elle le revoie, par pitié, ou n'essaye plus jamais de s'en inspirer. Et si notre amie veut traiter du désir, de la jouissance, des corps utilisés comme moyens ou réduits à de simples valeurs marchandes, qu'elle aille voir Vénus noire, ou L'Apollonide, et constate son échec cuisant dans un domaine où la concurrence contemporaine l'enterre six pieds sous terre.


Sleeping Beauty de Julia Leigh avec Emily Browning (2011)

16 novembre 2011

La Planète des singes : les origines

Dire qu'on a failli aller le voir au cinéma... Tout ça à cause d'un tas de critiques assez élogieuses sur le web, qui ne manquaient jamais de dire que c'était un blockbuster terrible par rapport à ses concurrents, un blockbuster si terrible qu'il en faisait oublier l'original. Croyez-nous, nous ne nous sommes jamais autant rappelé du film de Franklin J. Schaffner, et jamais avec autant d'amour, que devant cette saloperie qui prétend en raconter les origines et qui fait passer le remake de Tim Burton pour un chef-d’œuvre. Pas mal de gens se sont extasiés sur ce film et on a bien du mal à le comprendre. On nous en a même parlé sur notre facebook... Fait assez rare qui plus est, vu qu'il ne s'agissait pas de nos contacts cinéphiles mais de vieilles connaissances de primaire, par exemple une meuf qui pose sans arrêt avec son clebs sur les photos, un chien de merde qui mesure trois pommes et qu'elle a pourtant appelé "Kolosse". Son statut facebook, qui annonçait : "La Planète des singes : origines est une tuerie", dénotait un peu de ses statuts habituels racontant comment Kolosse lui avait chié dans ses pantoufles ou comment il avait chié dans le lave-linge et ainsi de suite.



C'est ce genre de clebs tout petit et avec le museau défoncé. Rupert Wyatt, qui a réalisé ce prequel, aurait dû faire un film sur Kolosse. Ce chien a sensiblement le même parcours que César, le singe qui sert de héros au long métrage. Dans la vraie vie, des scientifiques se sont amusés à défoncer le nez de cette race de chien grâce à des techniques génétiques pour les rendre plus mignons, mais sans maîtriser les conséquences de leurs travaux : résultat, à part à quelques illuminés ces chiens ne plaisent à personne, ils sont trop laids, et plus affreux encore ils ont le cœur qui bat si vite qu'ils ont une durée de vie très limitée. Il leur est même interdit de jouer, de s'amuser, car en trente secondes ils sont à deux doigts de clamser. On le sait parce qu'un tonton a ramené un de ces chiens chez nous et on l'a rendu fou pour jouer mais on a vite déchanté quand on a pigé au bout d'une minute qu'il était aux portes de la mort. On l'a constaté avec le sourire aux lèvres quand même, mais même ce sourire-là s'est volatilisé quand le maître du chien, Tonton Scefo, nous a regardé avec les gros yeux et en faisant non d'un mouvement balancier de l'index. Autre coïncidence, qui finit de relier cette race de chien au film, c'est que cet oncle est sans arrêt qualifié par sa propre sœur de "vieille guenon", or il ressemble lui-même comme deux gouttes d'eau à sa sœur, en à peine plus bronzé.



Putain d'anecdote qui prend trop de place ! Pour revenir au film, qu'y trouve-t-on ? James Franco, qui n'est pas crédible une seconde en chercheur à blouse blanche. Les producteurs auraient dû choisir l'acteur de la mini-série merdique Bref, qui quant à lui se paye le luxe d'avoir une véritable tronche de con de rat de labo. Aux côtés de el caudillo Franco, l'inévitable Andy Serkis, qui chaque jour remercie le ciel d'avoir signé ce contrat avec Weta Digital, vu que ça lui permet de jouer les premiers rôles malgré sa tronche de balais à récurer les chiottes. Nous le tenons pour responsable officiel de ce merdier de film, ce film qui nous raconte une histoire à pioncer debout. James Franco tente de guérir la maladie d'Alzheimer avec des singes. Plus tard on comprend pourquoi il s'intéresse à ce mal, c'est parce que son propre paternel en est atteint. Comme dans tous les films de merde de ce type, il faut que le héros ait un proche touché par une maladie pour s'intéresser à son remède. Passons sur ce détail qui est certes agaçant mais qui n'est rien par rapport à la connerie globale qui se déploie dans l’œuvre. Ce remède donc, qui guérit le papa du héros en une nuit, rend aussi les singes beaucoup plus malins, à commencer par le dénommé César. Qui est-il ? C'est le fils d'une chimpanzée qui avait reçu les médicaments censés réparer les failles cognitives dans le cervelet, médocs préparés par Franco. Avant de mourir abattue par un agent de sécurité un peu flippé, cette femelle chimpanzé était enceinte et avait chié un marmot dans sa cage, mais ça, les scientifiques du labo qui passaient leurs journées à lui examiner le trou de balle ne s'en étaient pas rendu compte. Énième gage de débilité de ce scénario ridicule. Laissons de côté la question du script, qui est un bloc-note rempli de merde voué à se foutre de notre gueule au maximum. Laissons ça pour causer un peu de la tronche du film. Combien de fois avons-nous lu que ce film est magnifique, que les effets spéciaux y sont sublimes, le singe plus vrai que nature, et compagnie. Putain on n'a pas tous les mêmes mirettes. C'est d'une laideur sans nom et à ceux qui ont clamé qu'il a fallu attendre 2011 pour qu'un tel prodige visuel soit rendu possible, nous répondons gaiement qu'en ce qui nous concerne on aurait bien patienté encore un bail.



Comment s'esbaudir devant ces longues séquences où l'animatronics simiiforme saute de branches en branches pendant des plombes, avec la caméra qui tourne dans tous les sens pour le mater faire ses acrobaties comme s'il s'agissait d'un truc extraordinaire alors que des tas de documentaristes perchés ont déjà filmé des tas de primates faisant la même chose... Dans une scène particulièrement fumée, par la grâce de quelques pirouettes simiesques, cinq ans passent et notre ami le singe gagne un sweat shirt quetchua et un jean levis entre deux branches, il finit tout en haut d'un séquoia, en admiration devant le pont de San Francisco, et tout cela en se grattant les couilles (non, car tout le film se veut très réaliste mais on n'aperçoit pas une grosse paire de burnes de macaque, n'espérez pas davantage admirer un cul rouge de babouin, un gorille qui mange ses mokos ou deux bonobos qui s'enculent, le réalisme a ses limites dans ce film, les limites d'un dessin animé Pixar)... Pour défendre ce type d'effets spéciaux immondes, on nous sort souvent l'argument du passage au mp3, de la compression vidéo qui perd la qualité de la projection cinéma et rend les moindres défauts plus voyants, y compris sur dvd. A cet argument nous répondrons comme tonton Jack Scefo quand il récupère son chien maboule qu'on a essayé de faire crever, avec les larmes aux yeux et un doigt essuie-glace.


La Planète des singes : les origines de Rupert Wyatt avec James Franco, Freida Pinto et Andy Serkis (2011)

14 novembre 2011

Adieu, je reste

Tout juste après avoir été larguée, une danseuse (Marsha Mason), maman d'une petite fille (Quinn Cummings), apprend que son ex a sous-loué son appartement new-yorkais à un acteur (Richard Dreyfuss) qui veut percer à Broadway. Bien décidées à ne pas quitter les lieux, elles se verront donc contraintes à accepter une colocation forcée avec cet inconnu débarqué de nulle part, aux lubies très spéciales et à la personnalité bien affirmée. Voici donc le point de départ de ce film d'Herbert Ross intitulé The Goodbye Girl aka Adieu, je reste, une comédie romantique très agréable et bien rythmée, portée par un couple d'acteurs principaux en pleine forme et, comme nous le verrons à la fin de cet article, assez éloigné des standards actuels.



La chose qui m'a le plus agréablement interpellé pendant la vision de ce film, ce sont ces sortes de raccourcis qui le ponctuent ça et là. Il s'agit souvent de réactions qu'ont les personnages, des réactions qui sont très plaisantes car soudaines, et d'autant plus justes, là où l'on pourrait craindre que cela s'éternise. Le scénario de Neil Simon évite ainsi assez brillamment les lourdeurs propres à ce genre de films, c'est-à-dire tous ces moments où l'on tente vainement de nous faire naviguer entre deux eaux alors que l'on sait très bien comment tout cela va se terminer. De cette même façon, les passages a priori plus graves, comme par exemple le tout début du film et la découverte de la lettre de rupture par l'héroïne, sont traités avec légèreté, tout en réussissant l'exploit de rester tout à fait crédibles. Tout s'enchaine donc sur un rythme très soutenu, pour notre plus grand plaisir. A l'image des dialogues, très écrits, qui fonctionnent parfaitement et qui nous offrent quelques savoureuses joutes verbales entre les deux acteurs vedettes.



On pense parfois à Woody Allen, notamment à travers certaines réflexions de ce personnage désabusé et pince-sans-rire incarné par le frétillant Richard Dreyfuss, qui fut récompensé d'un Oscar amplement mérité pour sa prestation. Sa partenaire Marsha Mason a son petit charme, qui réside dans son corps fluet et son nez retroussé, malgré sa coupe de cheveux démodée et sa beauté toute relative. De par son jeu tout en spontanéité, elle dégage une vraie fraîcheur, et son personnage finit donc par nous conquérir également. Quant à la toute jeune actrice Quinn Cummings, elle campe un autre personnage très charmant, avec des attitudes et des remarques très crédibles pour une enfant de son âge, et là encore, la fraîcheur de l'actrice n'y est pas pour rien. Ces acteurs forment un trio crédible et attachant, dont on suit l'évolution avec entrain, en étant simplement content du déroulement de l'histoire, qui paraît tracé d'avance, mais que l'on apprécie d'autant plus, comme cela peut arriver devant une comédie romantique de ce genre quand elle est réussie et parvient à se mettre le spectateur très vite dans la poche.



Adieu, je reste est donc un film à l'image de ses comédiens, assez frais et vraiment plaisant, très mignon sans jamais être agaçant. Un film comme Hollywood ne semble plus savoir en produire aujourd'hui. Déjà, si un tel film était produit actuellement, le couple vedette serait incarné par un duo glamour des plus insupportables. J'imagine bien Ryan Reynolds et Elizabeth Banks, tiens. Ou Justin Timberlake et Jennifer Aniston. On pourrait en trouver mille autres en fait... La petite fille, trop encombrante dans ce monde de jeunes cons, serait remplacée par un animal domestique : un clébard ou, plus original, un furet. Le film aurait sans doute pour titre quelque chose comme Sex Friends, (S)ex List ou Sexe entre amis, il viserait un public adolescent et il nous raconterait comme il est plus pratique de commencer par être amis avant de se dégommer jour & nuit. On y perdrait un peu en qualité, ça c'est sûr...


Adieu, je reste d'Herbert Ross avec Richard Dreyfuss, Marsha Mason et Quinn Cummings (1977)