6 janvier 2011

Bright Star

Le film de Jane Campion est à n'en pas douter l'un des plus beaux films de l'année 2010, peut-être un des plus beaux de ces dernières années. J'étais très curieux de le voir, ayant pu au préalable apprécier un certain nombre d'images qui laissaient présager de belles choses, ayant lu et brièvement étudié certains poèmes de John Keats, l'un des deux plus illustres poètes romantiques anglais avec Percy Bysshe Shelley, et m'étant laissé dire quelque bien de ce film que j'espérais dans la lignée de La Leçon de piano. Et je n'ai pas été surpris. Ou plutôt si, et au-delà de mes espérances. Dans son art de raconter et de filmer l'idylle naissante puis épanouie quoique contrainte du jeune et infortuné poète John Keats avec la jolie couturière voisine Fanny Brawn (que dis-je jolie, sublime, sous les traits de la magnifique Abbie Cornish), dans le Hampstead Village de 1818, Jane Campion renoue bel et bien avec une certaine poétique de l'image que l'on avait aimée dans La Leçon de piano. Dans une veine cependant moins érotique, car aucune union sexuelle ne vient ponctuer la relation amoureuse intacte des deux amants, la réalisatrice filme le sentiment avec une justesse confondante, représentation grandiose dont les comédiens, tout à fait exceptionnels, achèvent l'ouvrage.



En cela Bright Star évoque l'extraordinaire Lady Chatterley de Pascale Ferran, par une alchimie assez remarquable qui voit le film s'élever grâce à la concordance de tous les talents qui le composent et qui le placent à un niveau d'exception, d'enchantement. Dans une moindre mesure mais néanmoins dans la veine du chef-d'œuvre de Pascale Ferran, Jane Campion parvient à saisir ce qui passe entre deux êtres, cet entre-deux qui unit les amants avant qu'ils ne se connaissent dans l'art de tisser des étoffes ou des mots, lors de leur rencontre consécutive à la lecture d'Endymion et devant le miroir d'une salle de bal, à travers le mur qui sépare leurs chambres attenantes, dans une forêt par un premier et interminable baiser, à des kilomètres de distance entre missives et absence, ou après la mort. Et la cinéaste procède d'une part d'une simplicité naïve et d'autre part d'une maîtrise certaine qui font basculer tant de scènes depuis l'ombre menaçante d'un grotesque hypothétique vers un pur et simple sublime.



Au début du film, alors qu'elle vient de lire Endymion, volume de poèmes dont elle trouve le début si parfait ("A thing of beauty is a joy for ever") qu'elle ne peut que moins en apprécier la fin, Fanny Brawn dit à John Keats : "Avant même de le lire, je voulais l'adorer". Cette phrase, si belle en soi, m'a fait songer que j'aimais déjà le film à cet instant. Après seulement une dizaine de minutes j'aimais ce film et cet amour ne serait pas démenti. J'aime ce film dont les images sont émouvantes et dont chaque plan est l'aboutissement d'une réflexion, le témoignage d'une passion pour l'œuvre qu'il compose. J'aime ce film dont les personnages sont intelligents et sensibles, dont les caractères me touchent et dégagent un sentiment de brutale vérité, sans manichéisme aucun, sans caractère pré-défini, avec toute cette complexité propre à l'âme humaine et avec toute la richesse qui en découle. J'aime ce film dont chaque dialogue est précieux et vaut pour son originalité et son authenticité. J'aime ce film dont chaque geste est délicat. J'aime ce film rare où rien n'est convenu, où le limpide côtoie le subtil, et qui rend à l'amour sa poésie.


Bright Star de Jane Campion avec Abbie Cornish, Ben Whishaw et Paul Schneider (2010)

12 commentaires:

  1. Il est sorti en salles il y a exactement un an, tiens.
    Je l'ai de côté depuis un fameux bout de temps, mais je compte bien le regarder bientôt.

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  2. J'ai lu ce beau papier en chantant Runaway, de Kanye West, très fort, par-dessus la musique, très fort, que j'ai mise pour faire chier ma voisine qui s'envoyait du Muse, très fort, par-dessus lequel elle chantait, fort. Ca ne m'a pas empêché de trouver ce papier beau et d'avoir envie de voir ce film, mais je tenais à le signaler car je trouve notre Epoque fantastique que l'on puisse chanter Kanye West tout en lisant sur le web un "papier" sur un film sur John Keats. Belle !

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  3. Chouette analyse de ce film. J'avais beaucoup aimé la leçon de piano. Là, clairement ça donne envie de le voir.

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  4. Absolument ! Très belle critique, j'ai moi-même été subjugué par ce film, encore plus APRES l'avoir vu que PENDANT. Il a tranquillement creusé son sillon dans mon esprit pendant une semaine ou deux et y laissé une des plus belles traces de 2010.

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  5. Idem pour moi. Depuis que je l'ai vu plusieurs séquences me reviennent régulièrement à l'esprit et me donnent déjà envie de le revoir.

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  6. Ouf y'a quelques vraies critiques......

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  7. C'est un très beau film oui, mais je pense qu'il m'a moins touché que toi/vous.

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  8. Je me sentais pas trop impliqué, pas trop "dedans". Pourtant y'a beaucoup de scènes magnifiques, des images sublimes, et le film est très beau ; mais j'étais assez détaché de ce qui se passait à l'écran. Du coup ça m'a pas fait beaucoup beaucoup d'effet, ou rarement, pas comme un film tel que Lady Chatterley par exemple.

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  9. C'est sûr que ce n'est pas du niveau de Lady Chatterley. En même temps y'a pas grand chose qui soit du niveau de Lady Chatterley. Mais ce film m'a effectivement beaucoup touché et impliqué, au-delà de sa beauté, pas forcément par un phénomène d'identification absolue aux personnages (même si certaines scènes me renvoient à certaines choses personnelles, et à de belles choses), mais plutôt par intérêt pour eux, que j'avais le désir de mieux connaître et de suivre plus longtemps. Mais j'entends ce que tu dis.

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  10. Voici ce que m'évoque Abbie Cornish :

    http://referentiel.nouvelobs.com/file/5171214.jpg

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  11. Quelques conseils pour pécho Abbie Cornish par Abbie Cornish himself !

    http://imagetwist.com/vao8tkybsq9q/13.jpg.html

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