27 février 2012

The Artist

Très remarqué à Cannes, lauréat de trois prix aux Golden Globes, recouvert de BAFTA awards, sept au total, vainqueur des Césars avec six récompenses dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur, et grand gagnant des Oscars avec cinq statuettes dont celles du meilleur acteur et, encore une fois, du meilleur réalisateur et du meilleur film (une première pour un film français), The Artist est un film sans grand intérêt. Il y a bien quelques idées de ci de là, que la plupart des critiques ont relevées : celle de "faire entendre" par l'image quand Georges Valentin sourit soudain pour nous faire comprendre que le public de son film applaudit ; la scène du cauchemar, où le son surgit et s'avère plutôt bien exploité ; un joli plan où Dujardin verse un verre d'alcool sur son propre reflet à la surface d'un piano ; l'intertitre "Bang !" à la fin du film où l'onomatopée n'est pas celle qu'on croit. En dehors de ces idées certes bien pensées mais pas non plus incroyables, l'histoire, celle d'un acteur du muet viré de son grand studio hollywoodien lors du passage au cinéma parlant, est ni plus ni moins (façon de parler, c'est beaucoup moins que ça) celle du grand chef-d’œuvre de Stanley Donen et Gene Kelly Chantons sous la pluie, auquel Hazanavicius rend plus qu'hommage puisqu'il en reprend l'idée de départ et un certain nombre de séquences. Le scénario n'a donc rien d'original et le film s'avère de fait peu surprenant, d'autant qu'il stagne énormément et n'évolue guère. Et vu que les idées ne sont pas nombreuses, le film s'étale pour faire difficilement une heure et demi. Observer durant de très longues séquences un Dujardin déprimé, brûlant ses anciens films, voulant se suicider, buvant pour oublier et ainsi de suite devient très vite lassant.


John Goodman fait le geste "emblématique" du film, le geste fétiche du personnage de Dujardin et que l'acteur a reproduit douze mille fois sur tous les plateaux télé du monde et à chaque récompense reçue. Le chien vedette ou ce gimmick gestuel : autant de manières de marquer les esprits au fer rouge.

On s'ennuie devant ce film un peu trop sage qui manque cruellement de contenu. The Artist, qui serait laborieux à voir une seconde fois, a oublié d'être autre chose qu'un exercice de style bourré de références au passé, certes élégant, mais qui tourne finalement en rond sur pas grand chose. C'est une œuvre qui se tient à peu près grâce à son honnête réalisateur mais qui s'avère plutôt maigre, et on aimerait que le triste Thomas Langmann cesse de se traîner devant toutes les caméras pour se vanter d'avoir rendu ce film possible avec son argent, son carnet d'adresse et son audace extraordinaire : un film muet en noir et blanc, rendez-vous compte, quel exploit ! Pour trouver le noir et blanc faramineux en soi en 2011 il faut avoir une connaissance bien mince du cinéma d'auteur tel qu'il se pratique aujourd'hui. Et quand bien même c'est effectivement une tentative hors du commun, voire louable, pour un gros producteur de daubes comme Langmann, ça reste un film tout à fait classique et facile d'accès, qui ne déroutera jamais le grand public et dont l'éventuelle audace initiale, plaire au plus grand nombre sans couleurs et sans dialogues, est vivement contrebalancée par un récit conventionnel au possible.


Moi devant ce film.

On a pu lire ici et là que le film est important parce qu'il réapprend à vraiment "regarder" au cinéma au lieu de juste suivre bêtement une histoire, or The Artist est très très très narratif, il procède d'une narration littéraire et non "imagée". Le film est paradoxalement très bavard et donne vraiment l'impression de raconter avec des mots bien plus qu'avec des moyens proprement visuels. On aurait aimé qu'Hazanavicius ne se contente pas de trois idées sympathiques sur le concept du muet, qu'il s'efforce de fournir un vrai travail sur le sujet à l'aune de 83 ans de cinéma parlant. The Artist n'est pas un "vrai" film muet de l'époque, évidemment, mais il ne propose pas non plus une approche moderne (ou post-moderne) de l'art cinématographique via le réinvestissement d'une forme ancienne. La maigreur du propos et la faiblesse des moyens cinématographiques mis en œuvre sont peut-être un dommage collatéral de la vraisemblable humilité de l'auteur. Car il faut dire que la modestie dont ce dernier fait preuve dans son approche de l'histoire du cinéma le sauve. Voulant rendre hommage aux films du répertoire sans tomber dans la bouffonnerie grindhouse, Hazanavicius fait preuve d'une élégante sobriété sans laquelle on aurait largement pu taxer son film de stricte arnaque intellectuelle, et cette simplicité nous change pas mal de la tendance actuelle.

Bérénice Béjo : "Who's that girl ? That's the question on nobody's lips."

Le jeu des acteurs est lui aussi dans un entre-deux un peu bancal : nécessairement plus expressifs que dans un film "normal", rien ne se passe vraiment quand on les regarde, et on imagine très bien le même jeu d'acteur dans un film basique (on a déjà vu Dujardin mille fois plus cabotin qu'ici, du reste l'acteur se contente de rejouer ce qu'on l'a déjà vu jouer mille fois et que les Américains découvrent avec enthousiasme). Le nouveau Dieu des planches affirme en interview et avec entrain que ce film lui a permis de comprendre à quel point le langage du corps est important dans son métier. C'est bien de le découvrir maintenant. En ce qui nous concerne, nous n'avons rien appris que Chaplin, Lloyd ou Keaton ne nous avaient déjà prouvé il y a des lustres, et nous n'avons pas non plus découvert qu'un film doit se regarder et s'écouter avant d'être lu comme un simple scénario. A l'ouest que dalle de nouveau. L'exercice paraît d'autant plus vain que Dujardin, malgré ses douze récompenses dont un prix d'interprétation à Cannes et un Oscar du meilleur acteur à Hollywood, et malgré son imitation du chameau sur les plateaux américains, ne révolutionne pas franchement l'acting. De même, Hazanavicius n'utilise pas vraiment le muet pour mettre l'image toute-puissante sur un piédestal. En bref, l'exercice paraît bien vain, et s'il n'est pas médiocre pour autant on le trouvera rapidement lassant. Malgré les prouesses du dénommé Weinstein et de Miramax, qui à force de publicité et de bourrage de cranes avaient déjà fait sacrer Shakespeare in Love et d'autres films du même acabit, The Artist n'est certainement pas le meilleur film de l'année. On lui reconnaîtra le seul mérite d'être finalement moins misérable et plus original que la plupart des derniers lauréats de l'Oscar du meilleur film, et c'est déjà pas si mal.


The Artist de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin, Bérénice Béjo, John Goodman, Penelope Ann Miller, Malcom McDowell et James Cromwell (2011)

26 février 2012

Le Discours d'un Roi

Speech of a Lion King en VO, King of the speech au Québec. Ce film a éclaboussé l'année 2011. Et l'année 2010 aussi, car il était à cheval sur deux années, d'où l'expression "éclaboussé", car il en a vraiment foutu de partout. Colin Firth of Legend se retrouve dans le slip d'un Roi bègue, j'ai nommé Albert Liberty, Duke of York, et futur Georges VI, dit "Le Roi Bègue" (The Beggars banquet en anglais). Geoffrey Rush Hour joue son ortophoniste, Lionel Logue dit Jospin. Le Roi Colin Firth a toutes les chances de devenir roi d'Angleterre à la vieille de la Colin Firth World War, à condition qu'il apprenne à causer dans l'ordre et que son frère aîné (Guy Pearcé, le fantôme du cinéma mondial, toujours là où on l'attend pas trop), constipé depuis l'ingestion d'un cake au munster monster munch, continue de refuser à aller sur le trône. La femme du roi, Helena Bonnasse Carter, qui n'est pas du tout bonnasse en fait, le pousse au cul devant tout le monde pour aller rendre visite à l'oto-rhino, scène qu'on a tous vue ou vécue à la sortie d'école, quand une mère indigne a décidé de foutre la honte à son gamin devant tous les camarades. Tom Hooper, qu'on avait connu plus à l'aise aux manettes de Massacre à la tronçonneuse, réalise un film de pacotille en costumes où on est censé flipper, à la veille du plus grand bain de sang qu'ait connu le monde jusqu'alors, pour un pelé qui a les j'tons de lire un speech en public. Si on ne nous avait pas dit que le film se déroule en 1939, on en aurait instinctivement situé l'histoire au Moyen-âge, au temps des cathédrales et des gargouilles, tant le film est gelé, nimbé d'une atmosphère brumeuse digne de l'âge de glace, et tant il empeste la naphtaline.



Le grand truc de Tom Hooper, c'est le décadrage, et ça dure déjà depuis deux films au moins (son premier film, The Damned United, était un film sur le foot, et aucun tir n'était cadré). Il décadre à mort, il s'auto-décadre à qui mieux mieux, chaque plan de son foutu film est décadré. C'est-à-dire que chaque image du film laisse un espace vide d'un côté ou de l'autre de l'acteur filmé, et c'est la tapisserie qui en profite. Les anglais en général, les vieillardes et leur goût de chiotte en particulier, seront ravis. Le décadrage est un outil cinématographique qui, utilisé avec parcimonie, en tout cas avec sensibilité, peut produire du sens et créer un sentiment ou un autre chez le spectateur quand le cinéaste est inspiré. Mais, à foison, jusqu'à la lie, dans les cordes, exploité jusqu'à plus soif et dans absolument chaque plan d'un film qui en contient pas mal, sans que cet outil esthétique n'ait d'autre implication qu'une stupide quête de style de la part de son auteur ou qu'une maigre signification simpliste liée à la sensation d'écrasement éprouvée par le Roi Firth, qui ne parvient pas à "cadrer" son langage, le décadrage devient un misérable tic à rapprocher des pires vols de colombes au ralenti de John Woo, du cul de bouteille vissé à l'objectif de Jeunet, des plans obliques de De Palma, de l'effet bullet-time de Guy Ritchie, des plans fumés de Malick, des ralentis sur les culs de japs de Wong Kar-Wai, de la caméra portée tremblotante de Von Trier, du travelling qui croit nous faire croire que la caméra passe à travers les anses de carafes du pauvre Fincher et ainsi de suite.



Les décadrages insupportables signés Hooper ont fait illusion dans ce film historique de grand-père calibré pour les foules, qui auront l'impression d'apprendre l'histoire à travers une anecdote croustillante sans trop se faire chier. Le grand public qui a adoré Le Discours d'un roi s'est quand même fait un petit peu chier devant le film, mais en apprenant l'histoire normal de se faire un petit peu chier, voila ce que les gens se sont dit, ça fait quasiment plaisir au gros con de base de s'être partiellement fait chier devant ce film, c'est sa bonne action de l'année, c'est son fait d'armes à la pause-café au boulot, pour pavaner devant les collègues en disant : "Ce week-end je suis allé voir au cinéma King's Speech, sur grand écran, je connaissais pas cette histoire, on en apprend beaucoup, la petite histoire dans la grande, ça fait frissonner". C'est pour ça entre autres que ce film a fait la razzia sur les Oscars. Meilleur acteur, puisqu'il bégaye, et Dieu sait que Colin Firth s'est fait des couilles en or avec ce film ; meilleur décor, puisque comme vous pouvez le voir sur l'image ci-dessus c'est le peintre Pollock qui s'y est collé ; meilleur scénario puisqu'on "en apprend beaucoup" ; meilleur réalisateur puisque Tom Hooper a une patte forcément originale avec ses décadrages merdiques ; meilleur film enfin, du coup, CQFD. Les Oscars ont encore frappé.


Le Discours d'un roi de Tom Hooper avec Colin Firth, Helena Bonham Carter, Geoffrey Rush et Guy Pearce (2011)

25 février 2012

Le Patient Anglais

A côté de ce classique du dimanche soir signé Anthony Minghella et adoré de tous nos parents qui se l'enfilent sans se plaindre à chaque rediffusion télévisée, une fois par semaine, le pourtant presque écœurant Out of Africa passerait presque pour un modèle de sobriété et de distinction. English Patient bat le film de Pollack à plates coutures en termes de trophées et de renommée puisque feu Anthony Minghella (l'un des deux seuls Anthony cinéastes de l'Histoire du cinéma, avec Anthony Mann, l'écart entre les deux étant digne de celui qui sépare Sam Mendes et Sam Peckinpah) rafla deux Golden Globe et pas moins de neuf statuettes aux Oscars, neuf ! Ce qui le plaça au pied du podium hollywoodien où trône encore aujourd'hui Ben-Hur, récemment rejoint par Le Retour du roi et Titanic. Faut dire que ce gigantesque succès de pacotille synonyme de grosse manne à pognon était télé-guidé par la machine Minghella, et machine est le mot juste puisque l'homme, mort prématurément en 2008, ne réalisa qu'une poignée d'autres films du même calibre, des tragédies romantiques pour gonzesses vouées à faire main basse sur toutes les récompenses, dont Retour à Cold Mountain, une autre Rolls-Royce des cérémonies qui ne rencontra pas son public : 7 nominations aux Oscars, 8 aux Golden Globes, et seulement deux prix d'interprétation pour Renée Zellweger dans le pire second rôle de sa vie, alors qu'à ses côtés Kidman et Portman se disputaient les slips des quelques spectateurs mâles du film, dont votre humble serviteur, tiraillé entre le passé et le présent dans un grand écart douloureux pour les bijoux de famille. La machine Minghella s'était sans doute un peu enrayée après avoir brillé de mille feux dans Le Patient Anglais, un modèle quasi limite du genre : tout est réuni dans ce film pour faire chialer le monde. Tout c'est d'abord une mise en scène d'une platitude absolue et d'un académisme obtus qui met un point d'honneur à ne surtout jamais tenter quoi que ce soit pour ne pas déranger le confort de ces messieurs dames. La seule tentative formelle tient dans un fondu enchaîné qui confond les dunes de sable du désert vues du ciel et les plis du drap qui recouvre le corps souffreteux d'un personnage condamné à une mort lente par un accident d'avion dans le désert en question, personnage dont la troisième jambe intacte, et désormais plus vivante que lui, a valeur d'Everest saillant au milieu des dunettes que ses guiboles sans vie forment sous le plaid filmé avec amour par Minghella.




Tout c'est aussi et donc surtout un récit calibré au nanomètre pour épater la bourgeoise. Je vais essayer de vous faire un résumé de l'histoire, accrochez-vous à votre fauteuil et tâchez de ne pas fermer l’œil. La première scène du film nous montre un avion sur le point de s'écraser dans le désert. Le pilote (Ralph Fiennes, à l'époque au sommet des charts en Angleterre après sa performance entre autres dans La Liste de Schindler, et dont ce rôle chez Minghella fut le chant du cygne, vu qu'il se croûta ensuite lamentablement) essaie de s'extraire de l'appareil tant bien que mal au risque de se faire cramer le sommet du bulbe par les flammes que crache le moteur en feu de son zinc et de se retrouver avec une banane flambée à la place du crâne pour le restant de ses jours. Nous le retrouvons ensuite dans un camp de blessés, brûlé au dernier degré et agonisant (les flammèches embrasant ses cheveux secs se seront répandues comme un feu de paille sur l'ensemble de son habeas corpus). Il apprend alors à un infirmier qu'un certain officier, sur lequel on l'interrogeait, est mort, tué par un éclat d'obus, ce qui ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde puisque Juliette Binoche, elle aussi infirmière dans le camp, fond en larmes au second plan en apprenant la nouvelle du décès de son fiancé. "J'ai dit un truc qu'il fallait pas ?", demande Fiennes, complètement dans les choux sur son plummard. Dans la séquence suivante la même infirmière éplorée, la belle Binoche, fait partie du convoi voué à déplacer les grands brûlés en lieu sûr quand elle aperçoit par hasard une amie à elle, assise à l'arrière d'une jeep sur le point de dépasser le cametard qui la transporte elle et les blessés (dont Fiennes, à prononcer "Fiénès", lequel fait décidément peine à voir, carbonisé de la tronche aux pieds). Binoche et son amie discutent cinq bonnes minutes pour fêter leurs retrouvailles tandis que les chauffeurs du camion et de la jeep se lancent des regards exaspérés en essayant de rouler à la même vitesse pour ne pas déranger la conversation, comportement assez improbable en temps de guerre mais soit. Binoche rend un bracelet en or à sa copine, qui le lui avait gentiment prêté... Puis la jeep accélère car son conducteur en a ras-le-bol, doublant le camion et traçant à fond la caisse sur la route avant d'exploser sur une mine 200 mètres plus loin. Binoche, qui a vu toute la scène, saute du camion en marche, court en hurlant vers ce qui n'est plus qu'un volant bouillant planté au milieu d'un cratère, et retrouve sur le bas-côté le fameux bracelet en or intact, dont la propriétaire s'est volatilisée sous l'impact de l'explosion, littéralement atomisée. Tout n'est donc pas perdu, mais Binoche l'a mauvaise et en conclut que les gens qui l'aiment sont condamnés à mourir très vite et de préférence dans un grand "BOUM !"



Dégoûtée par sa destinée, elle décide de se retirer dans un monastère en Toscane et garde Ralph Fiennes à ses côtés, qui est par ailleurs devenu amnésique après s'être extirpé de son avion thermostat 6, petit détail que j'avais omis de rappeler. Anthony Minghella n'a cessé d'affirmer en interview au moment de la sortie du film que le Comte László Almásy (Ralph Fiennes) a réellement existé, "c'est une histoire vraie !" clamait le cinéaste par monts et par vaux, même s'il ajoutait ensuite que la chronologie des événements, la liaison avec Katharine (Kristin Scott Thomas) et ses conséquences ainsi que tous les autres événements du script relèvent de la pure fiction nécessaire à la narration. Binoche s'occupe donc du blessé amnésique, véritable merguez humaine, tout en cavalant à droite à gauche comme une surexcitée. En parallèle à ça, Ralph Fiennes (prononcez-le comme bon vous semble car ce patronyme est jugé imprononçable par son porteur lui-même) recouvre lentement la mémoire, et le film est alors envahi de longs flash-backs, au point qu'on se retrouve face à deux films emboîtés l'un dans l'autre. On a deux histoires pour le prix d'une ! Avant de cuire dans son cockpit, Fiennes était le bel homme que l'on sait et il courtisait sans en avoir l'air une femme mariée sous les traits distingués de Kristin Scott Thomas, l'éternelle aristo du Commonwealth. Lors d'un trek dans le désert, on voit Fiennes (ne le prononcez pas) bâcher la jeune femme avec un sang froid de bad boy genre renard du désert intrépide typique, de quoi faire chavirer la belle comtesse, séchée en apparence par le soleil aride du désert maghrébin mais détrempée en réalité par les assauts du beau ténébreux. Quand elle lui pose une simple question, Fiennes le taciturne qu'il ne faut pas faire chier répond qu'il a fait le même voyage en bagnole avec un touareg quinze jours plus tôt sans que ni lui ni son passager ne prononcent un traitre mot en 5 heures de trajet, et de conclure : "c'était le plus beau jour de ma vie". Scott Thomas s'en prend plein la gueule pour pas un rond, au propre comme au figuré, littéralement tabassée par un vent de sable tapageur elle se fait en prime remettre en place dès qu'elle ouvre la bouche, elle n'a pas droit à un regard de la part de son interlocuteur focalisé sur la route (je rappelle qu'ils sont dans le désert, où il n'y a pas de route) à part quand, lors d'une pause bien méritée, elle se trouve de dos, penchée en avant... son guide britannique la considère tantôt comme une sous-merde tantôt comme un récipient : elle est amoureuse.




S'ensuit une scène clé du film. La voiture de tête du trekking est pilotée par un raciste notoire qui n'arrête pas de claquer dans ses doigts pour que l'arabe transformé en petit sablé assis sur le toit inconfortable de sa bagnole se penche sur le côté du véhicule et lui cause par la fenêtre, sans doute pour lui indiquer la "route". A chaque fois que le pauvre arabe s'exécute le fumier qui est au volant lui jette une cacahuète dans la bouche que l'autre chope difficilement au vol avant de retourner se percher sur le véhicule. Le conducteur, qui se veut un véritable enculé du quotidien, espère en foutre plein la vue à Fiennes, assis à ses côtés, qui a quitté la caisse occupée par Scott Thomas car elle le saoulait trop et pour se faire encore plus aimer d'elle. Mais à la troisième cacahuète, l'arabe glisse et se casse la gueule du toit, tombant à flanc de dune dans un précipice où le conducteur le suit par réflexe (ou pour l'achever en lui roulant dessus ?), lançant son 4x4 à la renverse dans un banc de sable. Le conducteur du véhicule suivant croit à un soudain changement de direction, un raccourci à travers sable, et fonce à son tour faire des tonneaux dans le sable, le tout sur la musique de Gabriel Yared. Bref on se retrouve avec deux véhicules enlisés sur trois et il faut que la dernière voiture fasse demi-tour pour aller chercher du secours auprès de l'époux de Scott Thomas, resté en ville. Les émissaires montent à bord du dernier tout-terrain fonctionnel, y compris notre charmante touriste déjà emballée et pesée par son guide anglo-saxon, qui s'installe à la place du mort. Mais au démarrage les pneus patinent et le bolide manque de rester tanqué dans le sable. Scott Thomas abandonne sa place de bon cœur pour camper pendant deux jours sous un soleil de plomb aux côtés de son bellâtre. Aussitôt la dame descendue de voiture, celle-ci démarre sans difficulté. Les 34 kilos que pèse l'actrice empêchaient l'automobile remplie à ras-bord d'une demi douzaine de sherpas de s'élancer convenablement. Passons. Si vous avez lu jusque là vous pouvez affirmer que vous avez "vu" ce film.



La nuit tombe et Scott Thomas la regarde tomber, assise en tailleur sur une dune. Fiennes la rejoint et lui conseille de se radiner dans une des deux bagnoles immobilisées. Mais madame "regarde les étoiles en désordre" (sic.), "J'essaie de les ranger" dit-elle à un Ralph Fiennes à deux doigts de péter les plombs. Ce renard de Tunis qui semble avoir roulé sa bosse dans tous les océans de sécheresse de l'Afrique du Nord lui montre alors une tempête de sable qui se lève à trente mètres de leur campement de fortune. Après en avoir pris plein la tronche, les deux tourtereaux ensablés de pied en cap se calfeutrent dans leur voiture embourbée et regardent les vagues déchaînées de poussière s'abattre contre les vitres de la carlingue. Fiennes, tout en caressant les cheveux de sa blonde, se lance alors dans un interminable laïus sur les différents types de vent qui sévissent dans le désert. Car non content d'être un baroudeur de Kebili et de Rabat, notre anglais est cultivé. Il lit aussi Kipling et tient un journal dans lequel il évoque Scott Thomas sans la nommer comme une femme "dont les vêtements flottent" (sic...). Quand sa compagne de déroute tombe sur ces pages secrètes elle en fond dans sa culotte, toute cette poésie, tout cet amour, ça la finit littéralement. Ils sont toujours coincés dans la voiture par la terrible tempête quand Fiennes poursuit sa leçon de climatologie en causant d'une antique armée d'arabes qu'on avait levée pour affronter un vent considéré comme particulièrement redoutable et Scott Thomas s'endort net, le sourire tout de même figé sur la face et une main posée sur la braguette de son somnifère. Au petit matin, les deux futurs amants se réveillent en catastrophe pour constater qu'ils ont raté le passage de leurs sauveteurs. Après cette contrariété ils se décident à déterrer l'autre bagnole, complètement recouverte de sable, dont les passagers sont en train de mourir étouffés.




Retour au présent : Binoche, la Toscane, l'abbaye de Santa Anna in Camprena, le gros lardon fumé cloué au lit etc. Quoique, la peau du visage de Fiennes a déjà meilleure allure. L'homme semble se régénérer lentement, naturellement, Binoche est la Malicia de son Wolverine (private joke pour les tarés de comics !), elle qui bute tout ce qu'elle touche et lui qui retrouve ses facultés sans broncher. En tout cas nos deux larrons vont bien. Binoche lit Kipling à Fiennes qui n'écoute que d'une oreille (car il ne lui en reste plus qu'une). Et puis un nouveau venu se pointe. Un Australien patibulaire incarné par Willem Dafoe. Binoche étant également australienne dans le film, le courant passe immédiatement entre eux et Dafoe est convié à partager les murs des deux héros. Mais ce type est louche, il a un secret. Il s'en prend rapidement à Fiennes auprès de Binoche en ces termes : "Je sais quelque chose que vous ne savez pas sur ce soi-disant english pashient...". A partir de là l'intrus va s'acharner à questionner Fiennes sur son passé obscur et pousser le convalescent à se rappeler l'intégralité de son histoire oubliée. J'ignorais qu'il suffisait aux amnésiques d'un type curieux un peu insistant pour revoir leur passé dans les moindres détails, mais soit. En tout cas c'est ce que parvient à faire Fiennes, poussé à cela par un Willem Dafoe ganté de mitaines noires qui n'a de cesse de laisser pianoter ses huit doigts sur tous les meubles de la pièce en faisant les cent pas autour du plumard du grand brûlé. Le blessé alité n'en peut plus de voir l'autre lui tourner autour en faisant des moulinés avec les bras pour mieux faire mater ses mains amputées de leurs pouces et il finit par lui demander ce qui est arrivé à ses crayons. Mais on ne saura la réponse que plus tard. Je place là un suspense identique à celui placé par Anthony Mandela, j'espère que vous kiffez !



Dans un nouveau flash-back langoureux, Kristin Scott Thomas lave les cheveux de Ralph Fiennes (comme Bob Redford lavait ceux de Meryl Streep, Le Patient Anglais et Out of Africa, ces deux terribles fresques mélodramatiques à Oscars, ont décidément bien des points communs), puis elle le rejoint dans son bain, ce qui donne l'occasion à l'actrice de se montrer entièrement nue pour ne pas complètement perdre les spectateurs mâles qui regardent le film aux côtés de leurs épouses et concubines en pointant discrètement leur index sous leur nez en direction de l'écran pour transformer mentalement la romance à l'eau de rose de Minghella en shoot'em up à la première personne. Fiennes demande à sa dulcinée ce qu'elle aime dans la vie (erreur de débutant) et elle lui répond en vrac : "La vie, les fleurs, le chocolat, la musique de merde, le shopping, l'eye-liner, les roses... la vie quoi !". Puis elle lui retourne la question, à laquelle il répond : "Le silence, le désert et ta mère" (sic. semper tyrannis), et elle enchaîne en lui demandant ce qu'il n'aime pas (les meufs et leurs questions...). Alors le séducteur répond de façon plus ou moins habile (très maladroit ou échaudé par les devinettes de sa conquête) qu'il n'aime pas s'attacher, ni en voiture ni en amour, et qu'il vaut mieux pour elle qu'elle tire un trait sur le mariage. Scott Thomas en laisse tomber son savon, repousse la tête de Fiennes jusqu'alors scotchée à ses nibards et sort du bain, vexée semble-t-il. Mais un peu plus tard, alors qu'elle est en train de servir des plats dans une cantine de soldats à Pienza (Italie), Ralph Fiennes vient retrouver sa maîtresse et lui demande discrétos de simuler un malaise pour le rejoindre dans la cave. Elle s'exécute et s'ensuit une scène d'amour torride et gluante entre ces deux amants illégitimes. Juste après la fin du coït, accompli debout à même une poutre qui s'en souviendra toujours, Fiennes s'escape juste avant que le mari de la jeune femme la rejoigne, lui avoue qu'il adore quand elle sue comme ça. Puis cet époux naïf embrasse sa belle et s'étonne de son odeur d'amande douce et de tajine aux pruneaux. Voilà qui nous rencarde sur l'eau de toilette pas très virile de Fiennes ou sur l'odeur de son liquide séminal après ingestion d'un gros couscous royal, si on opte pour une interprétation plus flatteuse mais moins glamrock ; et voici surtout qui fout Scott Thomas drôlement dans la merde. Plutôt que de prétexter qu'elle a récemment changé de déodorant ou qu'elle s'est un peu lâchée sur les keftas de la cantine, elle fronce les sourcils, écarte son époux naturellement suspicieux d'un coup de coude et s'éclipse sans mot dire. Évidemment le mari cocu a tout pigé et il passera ensuite toute une (longue...) séquence assis dans sa voiture à regarder la façade d'un hôtel où Scott Thomas déballe encore ses pectoraux au pieu avec un Fiennes tout fou. Si vous avez tout lu jusqu'ici vous êtes un gros malade.




Dans l'autre récit, celui au présent, Binoche s'est isolée dans une ramification du monastère et joue du piano sur un instrument désaccordé, penché à la verticale suite à un bombardement. Un cri se fait entendre : "Arrête, arrête tout, chawarma !". C'est Saïd de Lost qui rapplique, enrubanné car de confession Sikh, et qui implore Binoche d'arrêter sa musique car selon lui les allemands adorent piéger les pianos, et parce qu'en outre elle joue "comme une merde" (sic. encore). Notre nouvel invité est un expert en déminage. Binoche le rassure : "Ca fait deux plombes que je me fous en l'air sur ce claveçin et rien n'a sauté". Mais Saïd jette tout de même un œil sous la queue du piano, coup d’œil rapide vu que l'instrument est complètement retourné sur lui-même, pour découvrir ce qui doit être une bombe : "Voyez...". Binoche rétorque alors avec un sourire : "C'est peut-être parce que je jouais du Bach que ça n'a pas explosé". Saïd la fusille du regard. "Je dis ça parce que Bach est Allemand...", ajoute Binoche. "Je sais, j'ai beau être black je connais Bach, c'est pas drôle pour autant", conclut le démineur avec un regard glaçant. Binoche vient de se faire torcher, un homme lui a rabattu son claque-merde, conséquence ? Je vous le donne en mille : elle est folle amoureuse. Plus tard elle passera des plombes à la fenêtre, à mater le démineur Sikh s'affairant dans le jardin, et Fiennes n'aura de cesse de lui dire : "Allez, va te le faire, tu peux te faire qui tu veux ! Va te le faire !". Elle suit son conseil et va ouvrir les hostilités en allant conseiller à Saïd de laver ses longs cheveux noirs et soyeux non pas avec de l'huile de moteur mais avec de l'huile d'olive (véridique), profitant de lui donner ce conseil pour le mater torse poil en pleines ablutions. Puis elle finira par coucher avec lui après une séance de haute voltige. En effet Saïd l'emmène dans la grand salle du monastère, lui noue une corde autour du ventre, puis l'envoie en l'air grâce à un astucieux système de poulies pour la faire valdinguer aux quatre coins de l'édifice avec une torche à la main, lui permettant de regarder les peintures murales tout en chopant la chiasse. Et pendant ce temps la guerre fait rage... Suite à ça Binoche tombe dans les bras de Saïd et ils s'envoient en l'air pour de bon, ce qui permet à l'actrice de montrer un sein afin de maintenir la concentration des spectateurs hommes en transe. A ce propos je me demande encore comment Juliette Binoche a pu recevoir l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour ce film, même si je l'adore sincèrement. Dans ce film elle ne fait strictement rien à part s'ébahir la plupart du temps pour des conneries et fondre en larmes dès que ça se présente...



Dans un énième flash-back, Fiennes se retrouve seul dans le désert (je passe pas mal d'épisodes, vous m'en voudrez pas ?) quand l'avion de son ami et rival (l'époux de Scott Thomas), approche pour lui venir en aide. Mais au lieu de se poser en douceur, le mari jaloux et revanchard lance son appareil en piqué sur Fiennes pour le tuer et en finir avec sa propre existence trahie. Sauf que, et nous ne le découvrons qu'en même temps que Fiennes (qui a donc échappé au crash grâce à quelques pas chassés sur le côté), le cocu avait prévu d'embarquer Scott Thomas dans son crime et suicide, la femme volage, l'infidèle impie, également présente à bord du planeur. Fiennes découvre que le mari est mort mais que sa bien-aimée vit encore. Le crash a été terrible, d'une violence inouïe (imaginez un avion qui s'écrase à pic et à pleine vitesse sur une butte de terre sèche, dites-vous que le film déborde de fric et que tout ça est suffisamment bien fait pour nous suggérer la violence du choc, dont même Robert Patrick sortirait en lambeaux), mais Scott Thomas apparaît à peine un peu débraillée sur le siège avant de l'appareil, les lunettes de travers. On nous dit cependant qu'elle est grièvement blessée et Fiennes décide de la transporter vers un abri. Sur le trajet en direction d'une caverne tout à fait appropriée, Scott Thomas lui dit qu'elle l'a toujours aimé et Fiennes explose en sanglots. Finalement il la dépose dans une grotte en lui laissant du papier, détail qui peut sembler scabreux mais au moins Fiennes est-il un homme prévenant. Il lui abandonne aussi un crayon et une lampe torche. Puis une fois mise à l'abri, il lui jure de ne jamais l'abandonner et ment aussitôt en partant chercher du secours à trois jours de marche dans le désert le plus total (même si les scènes ont en réalité été tournées aux oasis de Chebika et Midès, mais laissons ce goof de côté). On le voit crapahuter à bout de forces et le montage alterné nous dévoile la fin de Scott Thomas, dont la torche n'a plus de piles. Arrivé à bon port, Fiennes demande à un officier de lui prêter sa voiture, de la morphine et un médecin pour aller sauver sa femme qui clamse dans une caverne au fond du désert. L'officier commence à faire chier en lui demandant ses papiers d'identité. Fiennes ne les a pas sur lui, tu m'étonnes ! On lui demande son nom. Il répond : "Salazny". L'autre répète "Schwarzy ?" et lui demande d'épeler. Fiennes le chope par le col et s'apprête à lui casser la gueule quand un soldat lui met un coup de crosse sur la nuque. Il se réveille dans une jeep battant la campagne, menotté, demande ce qu'il fout là et l'officier lui répond qu'il va en taule, "Sale fritz !". Fiennes proteste qu'il est anglais et, pour l'heure, peu patient, mais l'officier rétorque : "Salazny von Bismarck c'est Anglais peut-être ? Fous fous foutez de ma gueule ?" (dans la VF). Puis notre héros malmené se retrouve dans un train de prisonniers en direction de Benghazi. Prétextant une envie de pisser il tue son garde et saute du train. Boitant et suffocant, le voila reparti pour la ville le long des rails, poussant un hurlement de désespoir qui résonne dans tout le désert filmé en plan d'ensemble par un Minghella un poil zélé, appuyé par un ingé son au rabais. L'incompréhension irritante de l'officier, l'angoisse du temps perdu dans une course contre la montre entre la vie et la mort, l'injustice ulcérante subie par le héros et sa femme impuissante, tout est là pour nous pourrir la vie.




Finalement retourné en ville, Fiennes est vexé qu'on l'ait pris pour un Allemand et il s'en va donc pactiser avec l'ennemi. Moyennant quelques informations de premier ordre, les "fritz" lui donnent de l'essence pour qu'il puisse retourner vers sa femme en avion (l'un des moyens de transport mis en avant par le film, aux côtés du 4x4 et de la bicyclette). C'est à cause de ces informations échangées avec les allemands que Willem Dafoe, qui était un associé du mari de Scott Thomas et un espion australien infiltré dans les rangs de la Wermarcht, est fait prisonnier et torturé par un officier nazi surmené. D'où la perte de ses précieux pouces, et d'où sa colère à l'encontre de Fiennes qu'il prenait pour un collabo. Bref, Fiennes retourne dans la grotte au milieu du désert, retrouve sa femme morte, s'allonge près d'elle, lui caresse les cheveux, puis la porte hors de la caverne en hurlant sa peine, le visage baigné de larmes. Retour au présent. J'abrège un peu. Saïd est appelé pour désamorcer un obus tombé sans éclater près d'un pont, il est sur la bête quand un convoi de tanks américains débarque à toute berzingue pour fêter la fin de la guerre : on est en 1945 et les Allemands viennent de capituler. Mais les vibrations des chars sont sur le point de faire sauter l'énorme bombe sur laquelle Saïd a le cul vissé. Après un long suspense, ce dernier coupe un fil au hasard et il est sauvé alors qu'on s'attendait tous à ce qu'il y passe, puisque Binoche venait de (diablement) le toucher et s'apprêtait à le rejoindre sur son vélo, et aussi parce que c'est l'arabe du film. Mais nous avons passé trop de temps avec ce personnage pour le voir mourir si atrocement désatomisé par une explosion à bout portant, et l'iniquité d'une mort survenant dans la minute suivant l'annonce de la capitulation serait trop insupportable au spectateur déjà frustré par les malheurs à répétition que subissent tous les personnages. Chez Minghella et tous ceux de son espèce, il faut raison garder et spectateur ménager. La guerre est finie, tout le monde est content. Binoche, Saïd et Dafoe mettent Fiennes sur un brancard et lui font faire dix fois le tour de la fontaine en bas du monastère, réduisant probablement son espérance de vie déjà brève de moitié. Saïd aura juste le temps de voir mourir l'un de ses meilleurs amis (quant à lui inconnu du public, rassurez-vous), parti planter le drapeau américain sur la tête d'une statue au milieu de la place du village voisin avant de se faire déchiqueter par une mine posée là avec malice par un Allemand vicieux et sans doute précog. Après quoi le démineur Sikh s'en va sur sa moto, laissant Binoche livrée à elle-même et livrée à un nouvel éclat de larmes... Cette dernière reste auprès de Fiennes qui n'en a plus que pour quelques minutes, agonisant suite au tour de manège improvisé autour de la fontaine pour fêter la fin des hostilités, et elle lui lit les derniers mots écrits par Scott Thomas sur son journal avant de mourir, ce qui a pour résultat immédiat de propulser Fiennes dans l'au-delà. De nouveau triste mais souriante, Binoche est appelée par Dafoe qui quitte le monastère vers Florence à bord d'une voiture pilotée par une belle italienne sur laquelle il semble avoir des vues. Binoche regarde le soleil d'Italie, assise sur le siège arrière de la jeep, affichant un sourire aussi mélancolique que comblé. Fin. Rideau. Neuf Oscars dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur film. O_O


Le Patient Anglais d'Anthony Minghella, avec Juliette Binoche, Ralph Fiennes, Kristin Scott Thomas, Willem Dafoe et Naveen Andrews (1996)

24 février 2012

Gladiator

C'est de ce film qu'est tirée l'une de nos devises : "Mon nom est Rémusat, commandant en chef des armées du nord, coloc officiel du général des légions Félix, fidèle serviteur du vrai empereur Marc Aurèle. Père d'un fils assassiné, époux d'une femme assassinée et j'aurai ma vengeance dans cette vie ou dans l'autre !" Cette phrase, Russell Crowe la répète au moins quatre fois dans le film, dont une fois en s'emmêlant les pinceaux avec la réplique célèbre des Visiteurs : "Je suis Godefroy de Montmirail dit "Le Hardi", ptit ptit ptit ptit fillot d'Apremont et de Papincourt, et j'aurai ma vengeance, dans cette vie ou dans l'autre". Il fallait bien Russell Crowe pour que ça passe inaperçu et pour que ça débouche sur un Oscar du meilleur acteur. Crowe, après Hanks, réalisa le doublé en obtenant le même prix l'année suivante pour son interprétation d'un golio né avec une calculette dans le front en tête d'affiche d'Un Homme d'exception, devenant pour un bref moment le maître du tout Hollywood, et pour toujours l'acteur number one from Australia, avant de sombrer dans l'alcool et de se faire remarquer par quelques écarts de conduite (de concours de cuites remportés à la chaîne en coups de têtes dans des interlocuteurs sélectionnés au hasard).




Face à lui Joaquin Phoenix avait su se rendre détestable auprès de pas mal de fans de ciné et autres historiens tatillons qui le trouvèrent légèrement caricatural (comme tous les personnages du film ceci dit) dans son interprétation d'un Commode gay un peu cabotin. Le comédien est revenu de loin en devenant par la suite un acteur majeur de sa génération, comme quoi tout est possible. Pour le reste les miettes du vieux Richard Harris assuraient la caution grand péplum digne de ce nom, et Djimon Hounsoun la caution gros biscotos reluisants façon fondant au chocolat.




Gladiator résumé en quelques mots c'est quoi ? C'est une histoire de vengeance dans la Rome Antique, avec des scènes de grandes batailles en Germanie et de combats rapprochés au cœur de l'arène dans la lignée de Braveheart, qui auront par la suite largement été pompées par Peter Jackson pour sa trilogie de l'anneau, autant de films sacrés par l'Oscar du meilleur métrage. C'est aussi une épopée historique qui pose son cul graisseux sur l'Histoire malgré une armada de spécialistes employés à ne rien foutre par un producteur zélé mais fêlé, un film entrecoupé de nombreux flash-backs boursouflés sur le meurtre de la femme de Maximus Décimus Merdicus avec filtre orange et musique emphatique, mais encore par des plans déformés sur le ciel et ses nuages passés en accéléré, autant de fautes de goût pour un Ridley Scott en quête d'identité visuelle.




Car ce film fut aussi le grand retour de Ridley Scott, qui sortait de quelques années de galère et qui pour fêter son come-back fut ravi de foutre dedans ses concurrents aux Oscars, et notamment Steven Soderbergh, nommé deux fois cette année-là, pour Traffic et Erin Brokovich, seule contre tous. Soderberg l'était bel et bien, seul contre tous, et à l'époque il n'y avait que 5 films nominés dans chaque catégorie, autant dire qu'avec deux films en lice et avec Le Chocolat et Tigre et dragon en face, Soderbergh était venu sûr de lui, avec un parchemin long comme le bras dans la poche à déplier devant une foule entièrement acquise à sa cause. Son seul adversaire était Scott et le vieux n'avait qu'un seul film sous le coude, un péplum qui plus est, autant dire que nous n'étions pas nombreux, à l'orée des années 2000, à miser sur le grand retour du péplum (qui allait bel et bien avoir lieu, marqué par la sortie de saloperies telles que Troy, ou Alexandre). Et pourtant...




Ridley Scott a reçu son Oscar des mains d'un Sam Mendès lauréat l'année précédente et vert de rage de lâcher son bien. En allant chercher son prix, Ridley Scott, qui s'était assis tout au fond de la salle, persuadé de perdre et progressant plus que jamais dans son carnet de sudoku, a dû bousculer tout le monde et faire lever les gens de leurs sièges pour passer devant eux difficilement, y compris Soderbergh, sur lequel il aurait lâché un pet tout droit venu de la Rome Antique et des invasions barbares selon de nombreux témoins. Au cas où, quand même, car il est malicieux, Ridley Scott s'était peint les deux majeurs en doré, comme la fameuse statuette, et il les a tendus tous les deux à Soderbergh dans un moment de télé qui a foutu mal à l'aise toute la salle, même Philippe Dana, l'éternel abonné aux voix-off des cérémonies et aux pires "oops" des tapis rouges.


Gladiator de Ridley Scott avec Russell Crowe, Joaquin Phoenix, Richard Harris, Djimmon Hounsou et Connie Nielsen (1999)

23 février 2012

Démineurs

Puisque du point de vue du scénario, du discours, du "message" (appelons ça comme on voudra), Kathryn Bigelow ne m'a pas dit grand chose, je vais commencer par parler de la mise en scène, de la forme, qui, et d'autant plus pour porter un sujet pareil, fait discours en soi. Et quand on regarde la forme (dont on sait absolument tout dès les premiers plans, et qui ne montrera jamais rien d'autre), on ne peut qu'être atterré devant une telle pauvreté esthétique. Ce film est horriblement mal filmé. Non pas parce que la caméra bouge sans arrêt au lieu d'être posée sur son pied. On peut faire ce qu'on veut d'une caméra du moment que ça fait sens et qu'on en tire quelque chose d'intéressant, quelque chose de beau, de pertinent. Mais l'esthétique série télé colportée au cinéma, avec ce que ça implique de nervosité sans but, d'énergie sans maîtrise, de mise en scène sans conscience, n'a rien d'une victoire.



24H Chrono aura fait beaucoup, beaucoup de mal. Donner l'Oscar de la meilleure réalisation à Démineurs, c'est une mauvaise blague. N'importe qui aurait pu réaliser à l'identique ce piètre film, n'importe quel yes man hollywoodien nourri aux séries TV les plus bêtes. Le pire c'est que cette réalisation se veut très réaliste, elle est censée donner une caution "reportage" au film. C'est raté. Les reportages sont faits pour la télévision, or c'est le dernier endroit, chantre de l'académisme et de la fadesse, où l'on connaisse encore tant soit peu l'existence du vieux cahier des charges qui dit ce qu'il ne faut pas faire : ne pas zoomer, ne pas faire de panoramique à contre-sens, ne pas laisser un mètre de vide au-dessus de la tête des gens, ne pas couper les corps aux articulations, ne pas trembler, etc. : toutes "erreurs" que Bigelow accumule à qui mieux mieux. Donc la mise en scène de série, et celle de Démineurs, ne font pas appel au reportage journalistique mais à l'amateurisme. Les images comme celles-là que l'on a pu voir aux informations télévisées étaient des images d'amateurs, filmées avec de petites caméras dv ou avec des téléphones portables. C'est les vidéos du 11 septembre, qui zooment à se faire péter l'objectif, c'est les vidéos d'événements violents prisent sur le vif par des anonymes à Bagdad ou Tel Aviv et partout ailleurs où ça sent le sapin. Un amateur qui filme sans savoir filmer réalise précisément ces plans-là : il tremble, il décadre, ou cadre tout simplement mal, il bouge dans tous les sens au point que l'on ne sache jamais précisément ce que l'on voit ni où l'on se trouve, il déconstruit l'espace en ne respectant pas les règles élémentaires consistant entre autres à ne pas pas "croiser" les points de vue, il va à droite puis à gauche et de nouveau à droite et nous fout la gerbe, et il zoome tant qu'il peut, en permanence. C'est grosso modo la liste des premiers interdits que se voit dresser quiconque apprend à filmer. Donc la série télé et désormais le cinéma (déjà depuis un petit moment, mais les films précédents qui adoptaient ce système n'avaient pas reçu une pluie d'oscars), tendent clairement vers l'amateurisme, vers un "non-savoir filmer". C'est quand même parlant dit comme ça. Évidemment c'est l'effet recherché : donner l'impression de voir des images d'amateurs prises sur le vif, sauf que d'une part nous n'irions pas au cinéma pour voir les vraies images d'amateurs prises sur le vif dans les coins chauds du globe, et sauf que d'autre part la place accordée dans le film aux résidents irakiens, ceux qui sont supposés filmer ce type d'images en témoins amateurs, est paradoxalement ridicule, ou puante.


Ce procédé de filmage pourrait peut-être devenir intéressant si Hollywood allait jusqu'au bout de sa volonté. Car l'autre point commun à tout filmeur amateur, peut-être le plus important, c'est le plan-séquence. Godard l'a dit plusieurs fois et nous l'avons tous constaté maintes fois : l'amateur ne coupe pas. Il filme longtemps, il fait des plans très longs (qui n'a pas cru crever devant un film de famille, de mariage ou d'anniversaire réalisé par Tonton Scefo, dont on se demande en regardant la vidéo si lui-même n'est pas mort le front collé à l’œilleton de sa caméra pendant le tournage ?) L'amateur ne fait pas de montage, ou alors par le mouvement violent de la caméra : sans ne jamais couper il change de plan par un balayage brutal et indigeste. Le champ-contrechamp amateur c'est un panoramique nul et lourd passant d'un interlocuteur à l'autre, de Pépé Jésus à Mémé Cazès, en manquant de décapiter le petit Kevin, qui passait entre les deux à ce moment-là et auquel Tonton Scefo file un coup de pied au cul sans couper l'enregistrement de sa caméra, ce qui nous vaut un décrochage du plan vers le fameux cul de Tata Angèle, une seconde de grâce dans un film de famille morbide. S'il ne coupe jamais, c'est peut-être parce que l'amateur n'a qu'une caméra, c'est peut-être parce qu'il ne veut pas risquer de perdre une miette de ce qui se passe devant lui (rien du tout le plus souvent, sauf pour les vidéos qui finissent aux actualités, et là effectivement pas question de rater le second avion qui pourrait arriver vers la seconde tour, quitte à ce que le zoom gâche tout), ou peut-être est-ce parce qu'il ne sait pas filmer et ne sait pas qu'il faut couper et qu'on fera plutôt 20 plans qu'un seul qui dure 45 minutes et qui transforme la salle-à-manger de tata ou, désormais, la salle de cinoche, en immense sac à gerbe pour tous les spectateurs ? Ou peut-être, pour faire dans la poésie, est-ce parce qu'il est absorbé dans sa double-vision, hypnotisé et ne pouvant plus couper... Mon cul ! Cependant une certaine "vérité" du temps éprouvé peut parfois passer dans ce non-concept du plan séquence...



Bref, si Hollywood allait au bout de sa lubie, Démineurs serait tourné en longs plans séquences, presque sans coupures. Ce serait plus intéressant, et ce serait quand même gerbant, parce que ce serait lourd et mal fait, comme un film amateur (personne n'a jamais envie de regarder ces films-là, c'est toujours une plaie et on prie pour avoir une crise d'appendicite quand Tonton Scefo la ramène avec sa vidéo pourrie), mais une autre vérité se dégagerait peut-être du résultat. Ce n'est qu'une hypothèse. Plus vraisemblablement tout le monde se ferait chier, alors que là on regarde, embarqués de force par un montage frénétique, parce qu'on attend que le type explose, sensas ! spectaculaire ! On passe le film pris à la gorge par ce suspense-là : va-t-il arriver, le deuxième avion ? Vont-ils sauter du haut de la tour ? Va-t-il se faire déchiqueter par sa mine, ou pas ? Vont-ils réussir à exploser le visage des terroristes à 3km de distance avec leur énorme calibre oui ou non ? Les seuls films amateurs que l'on regarde avec intérêt sont ceux où on attend le truc bien affreux qui va inévitablement se produire (quid des films porno amateurs en POV). L'intérêt du film de Bigelow peut se résumer à ça. C'est donc très, très maigre, en plus d'être très, très lourd. Et même si c'était pas le cas, et même si on pourrait peut-être me contredire sur l'attente du spectateur, n'empêche qu'un cinéma qui tend vers l'amateurisme le plus incapable et qu'on sacre sur l'autel de la mise en scène, c'est déjà suffisamment triste comme ça pour s'en plaindre.



Je passerai sur les attentes déjouées par la réalisatrice, qui fait appel à Full Metal Jacket avec la séquence des soldats qui se défoulent en se frappant après avoir vécu une lente expérience de tir au pigeon sur leurs camarades, ou à Voyage au bout de l'enfer avec les trois tempéraments différents plongés dans la folie de la guerre (idée beaucoup plus riche chez Cimino, mais les deux films ne sont de toute façon même pas comparables). Je passerai aussi sur la triste idée de faire apparaître deux "stars" de cinéma pour aussitôt les faire tuer (laissant place à un acteur insupportable qui m'a rappelé les pires Port-de-Boucains avec sa grosse tête ronde d'idiot et ses muscles saillants), le programme étant de nous laisser entendre qu'il n'y a pas de star en Irak et que ce film-là, c'est pas du "cinéma", ça on l'avait compris en trois secondes en regardant les premiers plans hideux et presque insupportables, qui zooment et dézooment et décadrent presque davantage que dans les séries qui ont "inventé" le procédé. C'est peut-être du cinéma, mais pas du beau, et c'est pas les deux ou trois plans stylisés qui viennent faire une entorse au style caméra portée de Bigelow - notamment un plan affreux sur une cartouche qui tombe joliment au ralenti, imagerie également vue et revue dans des films vraiment pas glorieux du style Dominos ou Lord of War - qui vont nous faire croire que c'est du beau cinéma. Non c'est bel et bien de la série télé, d'ailleurs le film est comme scindé en épisodes (un par mine, en gros) et se répète sans arrêt. Comme dans toute bonne série bien manufacturée on a droit aux trois "tempéraments" bien figés et finement calibrés, trois personnages cliché faciles à cerner et dénués de toute complexité : le noir sage et gentil, le faiblard traumatisé et le héros tête-brulée insupportable qui se veut bien entendu un démineur de génie. Face à eux, comme toujours, une pincée de misérabilisme pathos incarné par le petit irakien surnommé "Beckham", étendard du bon irakien comme il en est du bon sauvage, en mode enfant innocent justifiant à lui tout seul la présence de l'armée américaine sur place et destiné à préserver le film de toute attaque idéologique... Rajoutez un zeste d'humour pas drôle et un poil de psychologique guerrière désuète et la recette est complète.



Quand on lit les critiques dire et répéter que la série télé Américaine est devenue plus cool que le cinéma, et que ce dernier devrait s'en inspirer, on pleure, et deux fois plus si ça doit donner Démineurs. Je passerai aussi sur la petite phrase placée en exergue qui trouve son écho dans le dernier plan et qui veut affirmer que la guerre serait une drogue, sujet qui n'est jamais réellement traité dans le gros du film, lequel apparaît du coup comme un long hors-sujet. Je passerai sur la lourdeur patriotique du scénario qui montre quand même les soldats Américains comme de doux anges (à part l'officier qui laisse mourir un Irakien blessé, 10 secondes dans le film), de braves martyrs qui ont la peur au ventre, qui n'ouvrent jamais le feu sur l'autochtone même quand il présente tous les dangers, et qui ne veulent que sauver les enfants de leurs ennemis... Je passerai sur le message politique douteux qui glisse quand le héros dit à sa femme (autre "star" banalisée, reléguée au statut de figurante, star toute relative puisqu'issue de la série télé Lost, j'ai nommé Evangeline Lilly) qu'il veut retourner sur le champ de bataille parce qu'ils manquent de bons et courageux soldats là-bas, le film résumant l'occupation Américaine du sol Irakien à de bons américains quasi-suicidaires partis risqués leur vie pour épargner la population civile... Je passerai sur les clichés et la pauvreté psychologique qui caractérisent tous les personnages. Je passerai sur la facilité des longues discussions de la fin (le sergent noir qui nous fait une leçon d'hédonisme dans la bagnole, le héros blanc qui entretient toute une causerie avec son fils âgé de trois semaines), et des ressorts dramatiques (le supermarché, la société de consommation, le confort des conquérants, et mon cul sur la commode). Je passerai sur toutes ces conneries et sur le reste. Bigelow ouvre son film sans générique, sans titre, sans musique, comme pour nous mettre immédiatement dans le bain, pour nous plonger dans la vérité d'une guerre sans stars et sans strass, mais dans le dernier plan son goût pour un cinéma de merde la rattrape in extremis quand elle filme son anti-héros traumatisé mais héros quand même, en costar trois pièces de sauveur d'arabes, de roi du monde, et qu'explose une musique de film d'action de seconde zone qui achève le film par une imagerie de clip, de bande-annonce, tout simplement désolante. Le plus triste reste donc bel et bien la mise en scène, qui mêle l'amateurisme indigent à l'imagerie hollywoodienne spectaculaire la plus crasse pour un résultat misérable, qui se voudrait énergique et réaliste et qui n'est que tristement chaotique, la tension narrative est complètement perdue au profit d'une simple mise sous tension de la rétine du spectateur prête à éclater, on ne peut même pas parler de faux-raccords, c'est simplement du n'importe quoi, un film aussi nul que mal fait, le meilleur film de 2010 selon l'illustre Académie des Oscars ©.


Démineurs de Kathryn Bigelow avec Jeremy Renner, Anthony Mackie, Guy Pearce, Ralph Fiennes, David Morse et Evangeline Lilly (2009)

22 février 2012

Out of Africa

On ne rappelle jamais assez le sous-titre français de Ouste of Africa : "Souvenirs d'Afrique". Comme quoi le film paysagiste s'annonce un brin. Ce film il faut l'avoir vu. C'est un instant classic de nos mémés, de nos mamans, et de nos tantes. Pas de nos filles en revanche, qui préféreront Robert Pattinson à Robert Redford, comme quoi, les jours s'en vont, rien ne demeure. Pourtant c'est un des films phares de Redford, car c'est un Pollack-Redford et y'en a pas tant que ça ! Ils en ont fait quoi ? Deux ? Peu importe. Toujours est-il qu'ils sont amis et que ce film-là c'est celui qui les réunit le mieux. La preuve, c'est que Redford a conquis le monde avec un rôle à peine écrit, et qu'on sent l'amour que le cinéaste porte à son comédien dans chaque plan qui le met en valeur. Pollack est tellement subjugué par les traits virils, symétriques et ténébreux du blond platine le plus célèbre d'Hollywood qu'il en a oublié de lui écrire un rôle. Qui est Redford dans ce film ? Un chasseur. Autant que mon tonton Alain, bucco-rhodanien de souche et qui a déménagé dans l'Aveyron il y a une dizaine d'années pour y trouver un véritable Battlefield Earth (c'est le nom qu'il a donné à son lieu-dit), afin d'y chasser le sanglier et autres gibiers à quatre pattes. N'ayant rien tiré depuis dix piges, il s'entraîne sur les chats du voisin. Dieu sait que jamais je n'arriverais à torcher un film de deux heures sur mon tonton, que j'adore au demeurant. Pourtant j'aurais le titre : "Bowling for Rieupeyroux". Bref, dans ce film le personnage de Redford manque de relief. A ce titre, la quatrième de jaquette de mon dvd en dit plus long sur son personnage que les 154 min. env. que dure le film : "aventurier idéaliste". Concrètement on se retrouve à l'image avec un type pas très bavard, qui comprend les noirs, qui séduit les femmes par son côté taciturne (qu'elles prennent pour de la sagesse et de l'assurance), et qui a besoin, tous les week-ends, après avoir trempé son biscuit cinq jours durant dans des demoiselles de tous morphotypes, de se faire un petit safari en tête à tête avec son fusil. C'est pour ça qu'il n'a pas envie de s'attacher à une femme, quand bien même il serait amoureux d'elle.


Dans ce film Robert Redford pète amoureusement au visage de Meryl Streep

Et c'est là qu'entre en scène Meryl Streep. Pour le tocard d'aujourd'hui, cette grande actrice, actuellement à l'affiche de La Dame de fer, c'est une vieillarde qui brigue tous les oscars en jouant dans des films chiants en costume cravate. Quid de Julia & Julia, de Mamma Mia !, ou du Diable s'habille en Prada. Mais n'oublions pas qu'avant ça elle s'intéressait au cinéma. On se rappelle de son rôle de biche dans The Deer Hunter, ou de sa voix de Blue Mecha dans AI Intelligence Artificielle. Bon ok elle a fait que dalle à part le Cimino et un Woody Allen. Certains sauveront aussi Kramer contre Kramer ou le très mièvre Sur la route de Madison, mais sans déconner ça fait pas lourd. Pourtant j'avoue, je l'aime bien. Elle incarne ici une aristo Danoise légèrement colonialiste et délestée d'une bonne partie de son blé par ses amants qui, après une déception amoureuse, se marie avec un type qu'elle n'aime pas et le suit en Afrique où elle monte une grande ferme. Affaiblie par la syphilis, qu'elle contracte grâce à son époux putanier, et désolée quand son médecin lui apprend qu'elle ne pourra jamais avoir d'enfant, elle tombe néanmoins dans les bras de Bob Redford qui, bien que fou amoureux d'elle, refuse la vie à deux pour mieux s'adonner à sa passion pour les safaris, Firefox et Netscape. A la toute fin du film, que je vous spoile ni une ni deux, elle apprend par texto que son amant idéal est mort au cours d'une chasse. Tout est là pour nous ruiner, même la jaquette, qui est sans merci. Mais Meryl Streep porte Out of Africa sur son dos et c'est un semi-remorque de bons sentiments, de cheveux au vent, de musique enivrante et de jolis plans sur des paysages de rêve, le tout filmé dans un académisme forcené. A tel point que quand on regarde le film avec le commentaire audio du réalisateur, on entend seulement Sidney Govou énumérant les valeurs de plan qu'il a enchaînées dans son film : gros plan, plan moyen, plan d'ensemble, plan amerloc, tout y passe. De toute façon Pollack on s'en rappelle surtout pour son caméo dans Fauteuils d'orchestres, où il formait un duo de fou avec Valérie Lemercier, duo qu'on aurait aimé retrouver dans mille autres buddy movies. Mais pour en revenir à Meryl Streep, il faut bien dire qu'elle fait son taff dans ce film et qu'elle le fait bien. C'est non seulement une bonne actrice mais une sacrée belle femme, n'en déplaise aux fans de Megan Fox et de Lindsay Lohan.


Puis il lui lave amoureusement sa tignasse...

Out of Africa est le seul film (ex-aequo avec Adèle Blanc-Sec) qui soit basé sur 5 romans différents : "Ouste of Africa", "Shadows on the grass", "Letters from Princesse Erika", "Peter Schmeichel : the life of a goalkeeper" et "Silence Will Smith". A chaque fois qu'on relit le quatrième de couverture du dvd, on a l'impression de redécouvrir l'histoire de ce film qui fut pendant longtemps le premier fournisseur de fonds d'écran de Windows et qui a le mérite de nous faire voyager gratis. Si j'étais Doc Gyneco, enfin médecin quoi, je mettrais ce film en boucle dans ma salle d'attente. C'est et ça restera le film le plus long de l'histoire du cinéma, pas dans les faits, mais dans le ressenti.


Out of Africa de Sidney Pollack avec Meryl Streep et Robert Redford (1985)

21 février 2012

Collision

Je me demande parfois si je suis normal. En effet, quand j'ai vu ce film au cinéma, il y a près de 7 ans, l'ensemble des gens dans la salle avait l'air extrêmement satisfait. Je m'en souviens comme si c'était hier, cela m'avait particulièrement choqué. Une fois la séance terminée, un homme brun âgé d'une quarantaine d'année avait même levé les poings au ciel en signe de victoire. Véridique ! Pour ma part, je me rappelle avoir baissé la tête en signe de dépit. Je souhaitais quitter la salle le plus vite possible ; mais, cinéma d'arts et essais oblige, les lumières prirent leur temps pour se rallumer, uniquement une fois le générique terminé, et je ne tenais pas à gâcher ce moment de plaisir intense à mon voisin qui semblait si heureux et qui prenait littéralement son pied. Il me fallut donc patienter, en encaissant cette musique de fin très cliché, un peu comme les trois quarts des situations de ce film choral d'une lourdeur sans nom.




Malgré un nombre de stars impressionnant à l'affiche, le film se noie. Je vous énumère les acteurs : Don Cheadle (entr'aperçu dans Hotel Rwanda), Jennifer Esposito (un hymne aux bienfaits du métissage), Matt Dillon (abonné aux rôles de connards pas malins et qui devrait se poser des questions), Ryan Phillippe (deux "p", deux "l" répète-t-il toujours à longueurs d'interview tout en lâchant deux caisses façon mitraillette et en mimant un oiseau qui décolle), Sandra Bullock (dans un rôle très difficile qui a dû souvent lui faire dire "What the fuck am I doing here ??") et d'autres comme Brendan Fraser (peu crédible mais qui s'en sort dans son rôle de procureur libéral) ou Thandie Newton (qui, dans la vraie vie, a nommé son premier enfant Ripley Scott, en forme de double hommage très appuyé au papa d'Alien). Les scènes-choc s'enchaînent jusqu'à ne plus rien provoquer chez le spectateur ; surtout qu'à la fin, ou disons la dernière demi heure de ce film si long, elles sont toutes au ralenti ! J'avais vraiment l'impression de regarder une pub EDF-GDF, sans oublier la bande-son omniprésente, composée essentiellement de chants plaintifs où une femme vraisemblablement très malheureuse ne s'exprime que par des "Ooooooh-oooouuuhh-yèèè". Cela doit être la même bonne femme triste qui a signé tous les ignobles jingles pubs de France Télévision, vous savez, ceux que l'on peut seulement entendre en milieu d'après-midi et qui nous flinguent la journée. Affreux.




Ce chassé-croisé de destins comme Hollywood en raffole finit donc par ennuyer copieusement, par agacer sévèrement, ou par faire rire franchement, quand on décide, dans un réflexe d'auto-défense salvateur, de prendre tout ça au second degré. Bien sûr, quand on rigole à la mort d'un personnage, on peut se poser des questions quant à la qualité de ce film, où la psychologie est traitée à "coups de haches", comme le dit mon paternel, à tel point qu'on a la sensation de regarder la pire des séries télé. Il faut revoir cette scène où Sandra Bullock, se trimballant dans son immense baraque en chaussette, le téléphone vissé à l'oreille, glisse honteusement dans l'escalier et manque de se briser la nuque. Ce passage atteint un sommet de ridicule ! Pas grand chose à reprocher aux acteurs finalement, je préfère tout mettre sur le dos de Paul Haggis, qui signait là son premier film après avoir été le scénariste attitré de Clint Eastwood. Pour la subtilité, Paul, il faudra repasser. Ton film est une enclume ! Tout ça pèse des tonnes ! Et dire que certaines critiques, à l'époque, avaient parlé d'"un parfait mélange de Magnolia et Short Cuts"... Pauvre Altman, il a dû prendre un coup de vieux, et il n'y avait aucune raison d'insulter si cruellement le jeune Paul Thomas Anderson. Télérama avait raison !




Élevé au rang de film faisant partie des "meilleurs de tous les temps" par les votes parfois très difficilement compréhensibles du site IMDb, Collision s'avère au final être une arnaque totale et une fausse alerte pour moi qui, à l'époque, espérais réellement quelque chose de bon. Jeune et innocent, j'y allais vraiment avec les meilleures intentions et les plus grands espoirs. Il faut dire que le film passait pour une vraie pépite fraîchement remise au goût du jour. Il avait été auréolé de l'Oscar suprême, à la surprise générale, et il était même ressorti en salles outre-Atlantique spécialement pour concourir à cette prestigieuse cérémonie. La preuve que celle-ci n'est qu'une vaste blague, des ententes et des arrangements entre les studios les plus puissants. Avec du recul, Collision apparaît comme l'infâme porte-drapeau de ce cinéma américain post 11-septembre qui cherche à nous dépeindre une société cloisonnée et qui se veut lourdement réconciliateur, dépassant les clivages à coups de bazooka et de scènes larmoyantes indigestes. Avec ce cocktail explosif dont il avait trouvé l'odieuse formule, Paul Haggis signait là des débuts en fanfare derrière les caméras. Depuis, le réalisateur canadien n'a jamais su renouer avec le succès et j'en suis ravi. Il s'est perdu Dans la vallée d'Elah, réquisitoire contre la guerre encore une fois très lourdaud, puis il a tourné le remake d'un thriller français efficace, Pour elle, en le rendant long et chiant. Deux mots qui résument très bien ce qu'était déjà Collision. A fuir.


Collision de Paul Haggis avec Don Cheadle, Thandie Newton, Sandra Bullock, Jennifer Esposito, Matt Dillon, Brendan Fraser, Terrence Howard, Ryan Philippe et Michael Peña (2005)

20 février 2012

Shakespeare in Love

Il faut à tout prix prononcer "Shakespeare in lave", le "o" devient un "a" phonétiquement, c'est primordial pour bien dire ce titre : "Shakespeare in lave". Ce film est l'exemple-type du lauréat de l'Oscar du meilleur film, en tout cas depuis quelques décennies, c'est-à-dire, pour ne pas y aller par quatre chemins, que c'est un vieux mélo, une machine hollywoodienne qui a fait du bruit à sa sortie et que personne ne veut jamais revoir tellement que c'est pourri. Le réalisateur s'est condamné à mort tout seul en réalisant trois ans après Le Capitaine Corelli avec un Nicolas Cage en sur-régime, une sorte de Patient Anglais en pire, et depuis cet homme-là, John Madden, l'homme aux 7 Oscars volés, vivote en tournant un film invisible par-ci par-là. Mais pour en revenir à Shakespeare in Lave, c'est typiquement le lauréat empoisonné qui a mis la planète cinéma de mauvais poil au lendemain de sa victoire, une journée noire pour la cinéphilie mondiale. En face de lui, le très contesté et très contestable La Vie est belle de Benguigui, aujourd'hui complètement oublié, La Ligne rouge du sage Malick et surtout l'indéboulonnable Steven Spielby avec Il faut sauver le soldat Ryan, le film qu'il a tourné en même temps qu'Amistad, Jurassic Park, La Liste de Schindler et A.I.. Les Oscars ont cet art-là de déjouer les attentes pour mieux conserver de leur magie. Les ricains sont doués pour ça, y'a pas à dire. Sauf que le lendemain tout le monde se demandait combien de kilos de merde les jurés avaient dans chaque œil pour frapper à ce point à côté de la cible (le mal est fait au moment des nominations, le ver est déjà la pomme, mais de là à se planter deux fois aussi magistralement ?).


Y'en a un des deux qui s'est pas fringué comme il fallait... Et ne vous laissez pas berner par la photo, c'est uniquement pour faire chier l'autre.

L'acteur Joseph Fiennes, qui incarne un Shakespeare littéralement in love et schlinguant les œstrogènes, a retrouvé son chien crucifié dans son jardin trois jours après la cérémonie. Accusant d'abord son frère Ralph suite à des querelles familiales (Joseph aurait vexé Ralph en nommant son chien Ralph, du prénom de son frère donc, prétextant que c'était bien lui qui avait un prénom de chien et non l'inverse, on ne veut pas savoir la suite), il a ensuite examiné le cadavre de son chien de plus près pour découvrir autour du cou de la bête un nouveau collier à pendentif en forme de statuette dorée. Il sombra ensuite et de façon assez logique dans l'alcool, comme Russell Crowe après Gladiator, mais le charme en moins (car contrairement à Maximus il perdait tous les concours de cuites auquel il participait, finissant systématiquement le froc sur les chevilles et la tête plongée dans les chiottes). Gwyneth Paltrow quant à elle ne fut pas embêtée, étant particulièrement charmante, et filleule de Spielberg de surcroît, celui qui a droit de vie et de mort sur Los Angeles. Comme quoi la famille Spielby ne repart jamais tout à fait les mains vides des Oscars ! Toujours est-il que l'académie s'était une fois de plus plantée en beauté, comme après avoir sacré Rocky l'année où Network et Taxi Driver étaient nommés. Partant vaguement en biberine depuis le milieu des années 80 et complètement en couilles depuis le début des années 2000, les Oscars sont devenus une vaste fumisterie qui chaque année consacre un gros film en contreplaqué, et il n'y a aucune raison pour que cela cesse...


Shakespeare in Love de John Madden avec Gwyneth Paltrow et Joseph Fiennes (1998)