30 avril 2019

La Mouche noire

On connaît tous cette histoire grâce au film culte de David Cronenberg. Un brillant scientifique met au point une machine servant à la téléportation. Lors d'un essai, une mouche tape l'incruste et ce qui devait s'imposer comme la plus belle invention de l'homme depuis la roue vire au fiasco complet. C'est à l'écrivain et agent secret français George Langelaan que l'on doit cette chic idée qui a donc fait l'objet de deux adaptations cinématographiques à succès. J'ai tardivement découvert la première, sortie en 1958 et réalisée par un tâcheron notoire en la personne de Kurt Neumann, réintitulée par chez nous La Mouche noire. Si ce premier film n'atteint jamais l'intensité dramaturgique de celui de Cronenberg et scotchera forcément moins le spectateur à son fauteuil, il vaut tout de même largement le coup d’œil et constitue peut-être un jalon dans le cinéma fantastique et de science fiction. Il nous propose en effet un traitement adulte de cette histoire pourtant, ma foi, assez rocambolesque. Nous sommes à la fin des fifties et l'on s'éloigne des châteaux gothiques, des décors anciens ou futuristes, des monstres géants ou des soucoupes volantes pour découvrir la maison très banale d'une petite famille qui l'est tout autant avec, en son sous-sol, le laboratoire d'un scientifique qui n'est guère un savant fou excentrique mais un père bien trop absorbé par sa tâche. Ainsi, mine de rien, le film de Neumann atteste d'une approche assez nouvelle pour l'époque, avec la mise en place d'un environnement des plus familiers et la recherche d'un certain réalisme, une démarche qui fait très bon ménage avec le charme suranné propre au cinéma de SF des années 50. En outre, le personnage le plus important et le plus fort du lot est une femme, l'épouse du scientifique campée avec conviction par Patricia Owens, un fait assez rare, me semble-t-il, à cette période.






Quand on voit ce film aujourd'hui, on est aussi très agréablement surpris par la manière délicate avec laquelle nous est progressivement amenée cette drôle d'histoire. La première scène intrigue immédiatement puisque l'on arrive d'emblée sur les lieux de ce qui ressemble à un crime sordide : lors de sa ronde, le veilleur de nuit d'une usine voit une femme prendre la fuite devant un corps écrasé par une énorme presse hydraulique. Bizarre bizarre... Suite à cela, il y a bien une demi heure d'exposition très plaisante avant que l'on entre pour de bon dans le vif du sujet. Durant cette première partie, on comprend notamment les liens qui unissent les différents personnages et donc tous les enjeux du scénario, présentés avec une clarté, une efficacité et une simplicité admirables. Le beau-frère d'une femme éplorée (la pauvre, elle vient d'aider son mari à moitié transformé en mouche à se donner la mort !) arrive à son chevet pour écouter son témoignage aux côtés d'un inspecteur qui devra juger de l'authenticité et de la crédibilité de son récit. Ce beau-frère, au rôle finalement très passif (jusqu'au final où il agit, un peu par hasard, en véritable héros), est incarné par Vincent Price, un acteur mythique du cinéma d'horreur, au flegme imperturbale et à la voix reconnaissable entre mille, que l'on est toujours heureux de retrouver. De par sa bienveillance infaillible et sa diligence extrême à l'égard de sa belle-sœur devenue veuve, on comprend qu'il éprouve pour elle des sentiments amoureux jusque-là contenus, il fera donc tout son possible pour l'aider. Le cœur du film, c'est-à-dire le récit des événements passés, raconté du point de vue de l'épouse du scientifique, prend donc la forme d'un long flashback, dans lequel nous rentrons avec volupté.






Au-delà de sa construction si patiente et intelligente, La Mouche noire réserve aussi quelques belles idées qui font encore et toujours leur petit effet. A la différence de David Cronenberg, dont la démarche est à rapprocher de celle également adoptée par John Carpenter pour cet autre remake-supérieur-à-l'original qui a marqué le cinéma d'horreur des années 80 et au-delà (à savoir, The Thing), Kurt Neumann mise pratiquement tout sur la suggestion. Notre scientifique passe presque tout le film le visage dissimulé derrière un drap noir et la main rangée dans la poche de son ample blouse. Les bruits de succion répugnants qu'il émet lorsqu'il dévore le contenu des plateaux repas que lui descend sa femme nous laissent imaginer son triste état. L'une des meilleures scènes est celle de la téléportation du chat : pas encore tout à fait au point, la machine fait tout simplement disparaître l'animal, volatilisé dans les limbes ou une dimension parallèle, nous ne pouvons que le supposer, puisque nous n'en entendons plus que des miaulements lointains qui ne manquent pas de nous glacer le sang... Là encore, par un simple motif sonore, Neumann parvient à susciter bien plus d'effroi que par n'importe quelle image choquante ou autre effet. On apprécie aussi cette unique image qui épouse la vue subjective, et donc kaléidoscopique, du savant : celui-ci regarde, impuissant, son épouse démultipliée pousser un cri d'horreur à la vue de sa tête de mouche, enfin révélée au spectateur par le contrechamp qui suit ce fort bel effet.






Les différences avec le remake de Cronenberg sont légion et il serait fastidieux et inutile d'en faire l'énumération. L'une des principales est que la mouche et le scientifique ne fusionnent pas mais se mélangent et continuent à vivre séparément, collant ainsi de plus près à la nouvelle de Langelaan. Nous passons donc une bonne partie du film à la recherche d'une fameuse mouche à tête blanche, que le gamin aurait aperçue plus d'une fois dans la maison et en-dehors, et qui pourrait peut-être permettre à son papa de retrouver son état normal. Vain espoir... Si je parle de cette différence avec La Mouche de 1986, c'est parce qu'elle aboutit au point culminant dans l'horreur et la cruauté atteinte en 1958. Je fais évidemment allusion à la toute fin et à cette pure vision de cauchemar où nous découvrons une mouche à tête d'homme, captive d'une toile d'araignée et sur le point d'être dévorée, émettant des cris stridents et pitoyables mais à peine audibles, implorant pour qu'on lui vienne en aide. Ça fait froid dans le dos ! La Mouche noire se termine, si l'on peut dire, en beauté et fait bel et bien partie de ces véritables pépites du cinéma de SF des années 50, à même de procurer un plaisir sans équivalent aux amateurs du genre.


La Mouche noire (The Fly) de Kurt Neumann avec Patricia Owens, Vincent Price, David Hedison et Herbert Marshall (1958)

26 avril 2019

Le Grand bain

Nous accueillons un vieil habitué en la personne de Joe G. qui va nous faire part de son opinion sur le film de Lellouche :

Passons outre deux choses sans quoi on ne pourra pas commencer dignement la critique de ce film de zlop de bain (underpants flick). Premièrement, passons outre notre désamour pour les films de potes réalisés par l'un desdits potes qui sont des "stars", surtout quand Canet (le chantre français du genre) est de la partie, et que Lellouche (le chantre français de que. dalle.) est aux manettes. Oublions ça. Et puis oublions au passage que c'est un film sur la dépression et les connards parce que si on commence une critique de film en disant "encore un de ces films qui tournent autour de dépressifs qui sont des connards ou qui sont entourés de connards", on n'ira pas loin. L'époque veut, c'est-à-dire que des connards dépressifs en charge des scénarii, de la mise en scène et du financement d'une bonne partie du cinéma occidental veulent que nous bouffions à tous les rateliers de cet imaginaire moite comme un cul merdeux. Si ces gens ne cherchent sans doute pas, en nous montrant des gens qui se détestent et qui détestent les autres, à nous dire que la fin du monde est proche, quelque part ils nous poussent à l'espérer. Marre. Mais passons outre, faisons fi, laissons pisser, là n'est pas le sujet. Enfin si, le sujet du film c'est bien la dépression et les connards. Mais creusons un brin.




En mettant des lunettes noires un brin déformantes et avec beaucoup d'imagination, on pourrait penser que Le Grand Bain est un film sur le sport, et plus précisément un représentant de la sous-catégorie "partis de nulle part on va épater la gallerie", dans la lignée des Rasta Rockett, Rocky et autres The Karate Kid. C'est ainsi que l'on voit cette équipe de mecs plutôt quarante voire cinquantenaires bedonnants, dépressifs, connards, voire juste un peu cons sur les bords, menés par une entraîneuse alcoolique, finir par décrocher une médaille d'or mondiale grâce à une paraplégique et quelques male stunts bien gaulés pour sortir les panards de l'eau tout de même. Schéma classique avec des moments où rien ne va plus, mais finalement si, et à la fin on crie victoire devant le soleil couchant (levant ? je ne sais plus, peu importe). Et c'est là que je voudrais apporter une note de cynisme devant ces feel good moments si attendus. Ce qui me lourde avec ces films, et particulièrement avec celui-ci (qui est très mauvais), c'est combien ils charrient (le sachant ou ne le sachant pas) un imaginaire débectant qu'il va bien falloir qualifier de "capitaliste".




C'est toujours pareil : ces types sont des "ratés", qui cherchent à "réussir leur vie", en "accomplissant" quelque chose, qui va consister évidemment à "gagner" l'or, en battant d'autres types parce qu'ils se seront "dépassés"... Mais arrêtez un peu de nous casser les couilles enfin ! Ce dont Lellouche ne se rend même pas compte, c'est que c'est bien parce que ses personnages (= lui et ses potes) sont englués dans cet imaginaire-là qu'ils sont dépressifs... Et que leur seule échappatoire est forcément furtive, et qu'elle ne peut résider que dans la compétition en vue de la conquête éphémère d'une victoire inutile. Parce qu'une fois qu'on a gagné de l'or, on fait quoi ? On retourne à sa vie "de merde" ? Une fois qu'on a pris le temps de baiser triomphalement sa femme (pauvre Marina Foïs) ou de pérorer devant d'autres connards (pauvre Philippe Katerine), on va retourner à sa routine auto-alimentée de "gros naze". Et soit on cherchera à accumuler plus d'or, soit on finira par se tirer une balle. C'est la définition du capitalisme. Ces ignominiesques films de réussite (american way of flicks) font partie de l'arsenal avec lequel on convainc les gens de la nullité de leurs vies, avec force bons sentiments, force camaraderie (en général ce sont des buddy flicks) et force soft brainwashing. Ce qui me conduit à un doigt d'honneur final.


Le Grand bain de Gilles Lellouche avec Guillaume Canet, Philippe Katerine, Virginie Efira, Marina Foïs (2018)

23 avril 2019

Fleuve noir

Amateurs de polars aux scénarios fous flirtant avec le grand n'importe quoi, ruez-vous donc sur le dernier film d'Erick Zonca. Le réalisateur de La Vie rêvée des anges ne sort pas de son hibernation pour rien, lui qui signe seulement son quatrième film en l'espace de vingt ans. Il adapte cette fois-ci un roman de l'écrivain israélien Dror Mishani intitulé Une Disparition inquiétante, et s'appuie sur un casting étonnant : Vincent Cassel et Romain Duris se partagent l'affiche tandis que Sandrine Kiberlain, Charles Berling, Hafsia Herzi et Élodie Bouchez complètent la distribution. La preuve que, malgré la sale réputation du cinéaste, jugé trop autoritaire sur les plateaux, et la médiocrité totale de son précédent long métrage, Julia, on se bouscule encore pour participer à ses films... Les grands mystères de la vie...





Fleuve noir est également un must see pour ceux qui aiment assister au spectacle tantôt pathétique tantôt réjouissant d'acteurs en roues libres et aux abois. Affublé d'un look dégueulasse, Vincent Cassel en fait vraiment des caisses dans un rôle de vieux flic alcoolo initialement prévu pour Gérard Depardieu. C'est une vraie épave, on dirait presque l'incarnation du Gros dégueulasse de Reiser ! Cassel enquête sur la disparition du gamin de Sandrine Kiberlain, un ado qui habitait avec sa mère et sa sœur handicapée dans la barre d'immeuble d'un quartier populaire de banlieue parisienne. Très vite, Cassel suspecte le voisin et ancien prof particulier du gosse, à savoir Romain Duris, un drôle de type qui se mêle d'un peu trop près aux recherches et qui a franchement l'air louche. Car Romain Duris aussi se lâche complètement, il nous propose un jeu très maniéré qui pourrait donner des envies de meurtres aux moins tolérants mais qui, par miracle, apporte ici un grain de folie inattendu, une petite touche comique bienvenue. L'acteur fétiche de Klapisch s'en sort infiniment mieux que Vincent Cassel, qui fait la plupart du temps pitié dans ce rôle de vieux flic ravagé et ridicule.





Il faut dire que Zonca n'épargne pas son acteur vedette et lui donne à jouer des scènes que tout homme sensé et respectueux de lui-même n'aurait pas accepté de tourner. Vincent Cassel a quelques grands moments de solitude lorsqu'il doit s'occuper de son couillon de fils dealer de drogue et quand on le voit seul, chez lui, enchaîner les verres de whisky et lécher une photographie de son ex-femme... En plus, ces scènes très gênantes auraient vraiment pu être évitées, tout le versant du scénario consacré à ce personnage de flic minable ne faisant qu'allonger un film à l'intrigue centrale déjà bien suffisamment gratinée. On en a rien à fiche de son fils débile ! Non, s'il y a bien qu'une seule personne à saluer dans Fleuve Noir, c'est Romain Duris. Croyez-moi ou non, ça peut être étrange à lire, je peux comprendre que cela puisse choquer, mais c'est sincère : si je croisais l'acteur au hasard d'une rue, je lui enverrai une grande tape amicale dans le dos en lui disant "T'es énorme dans Fleuve noir !".





Avec son histoire qui part dans tous les sens, à la merci des agissements imprévisibles de ses deux personnages principaux complètement cintrés, Erick Zonca parvient aisément à nous captiver. Mais c'est un bien modeste exploit, car à côté de ça, le réalisateur échoue à tous les niveaux. Il ne développe aucune atmosphère particulière, alors que le cadre de son polar s'y prêtait assez bien (la barre d'immeuble où vit l'ado recherché et les bois qui la jouxtent, propices aux rencontres, ne sont pas exploités comme ils auraient pu l'être). On sent bien que Zonca a voulu nous livrer un polar noir, sordide, glauque, malsain. Il l'est, en effet, mais de la façon la plus terre-à-terre possible, comme peut l'être une émission de télé racoleuse. Nous ne sommes pas saisis par les enjeux du film, seulement hébétés par les agissements des différents énergumènes pitoyables qui le peuplent. Quand le fin mot nous est dévoilé, on est à peine atteint par la détresse de cette femme campée par Sandy Kiberlain et par l'horreur qu'elle nous révèle platement. Seul Romain Duris ressort grandi d'un tel film, après une conclusion qu'il illumine de nouveau de sa douce folie. Un curieux ratage, donc, qui appelle tout de même à une certaine bienveillance car c'est osé. Après avoir pondu sa merde décennale, Zonca peut à présent retourner dans sa tanière. A+ !


Fleuve noir d'Erick Zonca avec Romain Duris, Vincent Cassel, Sandrine Kiberlain et Charles Berling (2018)

16 avril 2019

La Colère d'un homme patient

Voici donc l'un des derniers lauréats du Goya du Meilleur Film, l'équivalent pour l'Espagne des Oscar et autres César. Des récompenses qui ne signifient donc pas grand chose et ce n'est malheureusement pas le premier long métrage de Raúl Arévalo, primé en 2017, qui va nous faire changer d'avis. La Colère d'un Homme Patient n'est pas un mauvais film en soi, mais s'il s'agit bel et bien de ce qui est sorti de mieux, de l'autre côté des Pyrénées, cette année-là, alors le cinéma espagnol doit traverser une période bien sombre de son histoire. Mais revenons à nos moutons et à cet homme si patient et colérique... Le scénario à la fois simple et tordu de Raúl Arévalo avait le potentiel pour donner lieu à un très solide thriller, à une sorte de western contemporain sec et efficace. Hélas, trop d'emphase, trop de petites manières inutiles, font de ce film tout de même captivant un objet assez prétentieux et lourd, qui paraît péter plus haut que son cul et échoue à emporter réellement l'adhésion. Le titre "la colère d'un homme patient" doit être traduit par "la vengeance est un plat qui se mange froid", super froid : huit ans d'attente. Pour faire court, un homme attend la sortie de prison d'un autre pour mettre la main sur la bande qui a tué sa femme et son beau-père lors d'un banal braquage. L'homme du titre s'immisce patiemment dans l'entourage du prisonnier durant son absence, séduit sa femme et devient un habitué du bar de son frère, puis l'attend sagement à la sortie de taule pour l'embarquer dans une cavale meurtrière à travers l'Espagne, à la recherche de ses complices.




Raúl Arévalo semble s'affairer, dans la première et trop longue partie de son film (pourtant court, 90 minutes au compteur), à dissimuler la simplicité de son scénario, à le rendre vainement opaque. On a donc droit à 20 premières minutes d'exposition pénibles où il faut faire preuve de presque autant de patience que le personnage principal. Le film est découpé en petits chapitres aux titres minimalistes "Le Bar / Ana, etc", et se pare d'un voile de mystère tout à fait superflu. Quand la cavale commence enfin, on reprend un peu flot, et certaines scènes s'avèrent assez haletantes. La violence, filmée sans complaisance et généralement tenue hors champ, est toute intériorisée, elle semble suinter de chaque homme, toujours menaçante, nourrissant une ambiance très lourde. Peut-être influencé par NWR et sa trilogie Pusher, Raúl Arévalo choisit un style très réaliste, il colle aux dos de son acteur, pour nous placer au plus près de ses agissements. Devant la caméra, Antonio de la Torre est irréprochable, tout en souffrance et en rage contenues. Quand le scénario a fini de révéler ses maigres secrets, avec un twist pas bête pour conclure, on en vient à regretter que Raúl Arévalo n'ait pas choisi une façon plus humble de le tourner. Il serait alors peut-être passé à côté des récompenses en carton mais il aurait sans doute gagné notre estime et ceux des amateurs de films de genre.


La Colère d'un homme patient de Raúl Arévalo avec Antonio de la Torre, Ruth Diaz et Luis Callejo (2017)

14 avril 2019

Boy Erased

Boy Erased est le deuxième long métrage en tant que réalisateur de l'australien Joel Edgerton, un acteur à la filmographie très inégale révélé par le bon polar de son compatriote David Michôd, Animal Kingdom, qui a depuis fait ses classes chez Jeff Nichols en étant, manque de bol, à l'affiche de ses deux plus mauvais films (Loving et Midnight Special, que l'on essaye encore de chasser de nos esprits). On peut toutefois être à pire école et Joel Edgerton entend bien, avec ce nouveau film, nous démontrer ses aptitudes de cinéaste et tout son sérieux. Il s'attaque pour cela à un sujet grave : les thérapies de réorientation sexuelle, en adaptant les mémoires de Garrard Conley. A dix-neuf ans, celui-ci a été envoyé dans un centre de conversion par ses parents, baptistes pratiquants, qui voyaient d'un assez mauvais œil les préférences naturelles de leur gamin.




Pour adapter cette histoire vraie, Joel Edgerton ne pend pas trop de risque, en choisissant d'emblée d'épouser le point de vue du gosse, et ne fait pas dans la dentelle, en multipliant les effets parfois lourdingues pour susciter notre émotion (ralentis et travellings insistants, accompagnement musical bien trop omniprésent et pénible...). On sent que le type s'applique du mieux qu'il peut et qu'il cherche à signer un mélo véritablement poignant, au message fort. Il atteste de son implication totale dans le projet en s'octroyant en outre le pire rôle du lot puisque l'acteur-réalisateur incarne également, avec toute la solennité que cela implique, le thérapeute en chef du centre de conversion, un salopard aux méthodes absurdes qui se prend pour sergent-instructeur de pacotille et un gourou illuminé. Côté mise en scène : quelques autres auraient fait mieux, beaucoup auraient fait pire, et il y a deux trois petits moments où Edgerton sait se montrer plus délicat. On peut tout de même se demander si la construction chronologique alambiquée de son film apporte réellement quelque chose...




Heureusement, Joel Edgerton peut s'appuyer sur des acteurs d'exception, à commencer par le couple de parents tout à fait crédible que forment Nicole Kidman et Russell Crowe. La première fait le taff, comme souvent, avec un acting haute précision qui laisse encore pantois. On sent que chaque micro détail est calculé au millimètre : une discrète variation d'intonation par-ci, un léger haussement de sourcils par-là, et ce regard qui reste fixe et intense malgré les larmes inondant ses yeux lors de cette scène-clé où elle affirme son soutien à son garçon... Cela pourrait être un poil énervant, mais c'est si bien rôdé qu'il n'y a rien à dire, on s'incline. Nicole Kidman a désormais une drôle de tronche, certes, mais elle n'a, à l'évidence, rien perdu de son talent. Une nomination à l'Oscar n'aurait pas été volée (quoique sa présence dans le navrant Aquaman annihile tout le reste).




Mais s'il y en a un qui crève littéralement l'écran, c'est bien Russell Crowe, en père à la ramasse, au ventre bedonnant, pasteur baptiste de son état, qui ne parvient pas à encaisser l'homosexualité de son fils. Le pauvre, il n'aura jamais de petit-fils biologique... Russell Crowe est énorme là-dedans. Dans tous les sens du terme. Il est très gros et il est très bon. Ce n'est pas l'acteur qui a pris des kilos pour le rôle, mais l'inverse. Il nous rappelle le grand comédien qu'il peut être quand il le veut bien. Lui aussi aurait mérité quelques récompenses. Là encore, tout est savamment calculé, mais c'est peut-être moins ostentatoire que chez sa partenaire à l'écran. C'est un vrai récital. Chaque scène où apparaît la star sort naturellement du lot. Le film monte d'un cran dès qu'il est dans le cadre. Un phénomène !




Au milieu de ces deux légendes, on aurait presque tendance à oublier la prestation du jeune Lucas Hedges dans le rôle principal du garçon effacé, mais celui-ci, très sobre, s'en tire avec les honneurs. A noter également la présence dans un rôle très secondaire de Xavier Dolan, qui répond toujours à l'appel quand on lui propose de jouer un homo devant la caméra d'un cinéaste beau-gosse. Il n'y a rien de particulier à dire sur sa performance mais je me devais de la relever pour préserver ma crédibilité de blogueur ciné, alerte et à l'affût. Tout comme je me dois à présent de clore ce trop long papelard avec une conclusion rapide et efficace. Je dirai donc que si Joel Edgerton a encore de gros progrès à faire en tant que cinéaste, il sait déjà s'entourer, car ses acteurs sauvent son film de la médiocrité.


Boy Erased de Joel Edgerton avec Lucas Hedges, Nicole Kidman et Russell Crowe (2019)

9 avril 2019

Free Solo

Réalisé par l'alpiniste amateur Jimmy Chin et sa compagne Elizabeth Chai Vasarhelyi, Free Solo fait le buzz et jouit d'une visibilité exceptionnelle pour un documentaire après avoir obtenu une douzaine de récompenses, parmi lesquelles l'Oscar et le BAFTA du meilleur docu. Il nous propose de suivre le grimpeur Alex Honnold dans l'accomplissement de sa grande idée fixe : escalader El Capitan en solo intégral, c'est-à-dire sans corde ni aucune sorte de sécurité. Pour information, El Capitan est une impressionnante paroi verticale rocheuse de plus de 900 mètres située dans la vallée de Yosemite, en Californie, et bien connue dans le petit monde de l'escalade. Il faut donc être un sacré timbré pour avoir la lubie de gravir ce gros rocher à mains nues, en solitaire, au risque d'y laisser sa vie. En bon amateur de films de montagne et de sensations fortes, j'ai lancé ce film avec une certaine excitation. Et je suis encore une fois tombé de bien haut...




Ce documentaire à la noix est d'une vacuité atterrante et dure bien une heure de trop (pour 1h40 au total). On se serait bien passé de tous ces moments pénibles où l'on voit Alex Honnold bouffer à même la casserole et à la spatule ses plats vegans chelous dans son van pourri, converser avec sa petite-amie débile pour essayer de comprendre ses états d'âme pathétiques, éructer des banalités face à un par-terre de collégiens au moins aussi abrutis que lui ou encore s'émerveiller, avec ses compères, de ce si grand caillou californien. Soit dit en passant, El Capitan est forcément "la plus grande paroi du monde" dans "la plus belle vallée du monde" pour tous ces américains ignares et méprisables qui l'affirment sur un ton péremptoire, persuadés que leur territoire recèle toutes les merveilles de notre galaxie...




Le portrait psychologique qui nous est proposé ici est d'une affligeante pauvreté. En gros, Alex Honnold a toujours manqué d'affection, sa mère acariâtre ne lui a jamais dit "I love U" et son père, disparu prématurément, était autiste Asperger (il l'est sans doute lui aussi). Il est donc bien naturel qu'il aille jouer sa vie au quotidien, en faisant peu de cas de son entourage, à commencer par sa blonde au sourire colgate qui s'étonne de ne pas être plus importante qu'une falaise. Alex Honnold est un drôle de mec, certes, il n'y a qu'à voir son regard de psychotique et ses paluches gigantesques, mais le duo de réalisateurs ne parvient jamais à le rendre un tant soit peu intéressant. On en vient à penser que ce type-là est désespérément à la recherche de reconnaissance, d'admiration, et qu'il a choisi l'une des façons les plus absurdes qui soient pour y parvenir. Il finira bien un jour par tomber et ses quelques fans pourront alors revoir ce documentaire les larmes aux yeux, en se disant "On va pas se mentir, ça lui pendait au nez quand même". Une fort belle histoire en somme...




Rythmé comme un vulgaire programme télé propice aux coupures pubs, ce documentaire est en outre beaucoup trop platement filmé. Derrière la soi-disant prouesse technique, régulièrement invoquée, qu'impliquait le tournage, Free Solo est dénué de vraie idée de mise en scène. Pour nous faire piger la hauteur vertigineuse d'El Capitan, Chai Vasarhelyi et Chin n'ont rien trouvé de mieux que d'avoir recours à des petites animations pourries qui nous indiquent les distances ou l'altitude, avec un tracé des voies possibles. Des collégiens devant préparer un exposé powerpoint sur cette particularité géologique auraient la même idée. On repense alors à la façon si simple et pourtant si belle qu'avait Werner Herzog de filmer la montagne dans son sublime Gasherbrum... Inutile de préciser que le couple de vidéastes se montre ici incapable de saisir la beauté des paysages qui s'offrent à eux. El Capitan est à n'en pas douter un site exceptionnel, mais ne comptez pas sur Jimmy Chin pour vous donner l'impression d'y être. Ainsi, en plus d'échouer à nous rendre intéressante la personnalité de ce grimpeur suicidaire, ce documentaire ne parvient pas vraiment, par son indigence formelle déguisée, à nous faire réaliser l'extraordinaire difficulté de sa tâche.




Seule la petite partie où nous voyons (enfin !) Alex Honnold réaliser son exploit s'avère plutôt efficace et captivante. Et encore, cela aurait été fichtrement mieux sans la musique lourdingue de Marco Beltrami et ces foutus va-et-vient vers l'équipe de tournage restée en contrebas qui suit l'avancée du grimpeur depuis des moniteurs et se chie littéralement dessus. Ils en font des caisses, surjouant leurs tics d'anxiété, se couvrant les yeux dans la crainte d'assister à une chute mortelle que le spectateur espère vainement, et nous gratifiant de quelques commentaires fatigants pendant que l'autre couillon assure les doigts dans le nez et fait passer Spider-Man pour un guignol. A quoi bon essayer d'entretenir le suspense de cette manière ? Si le film est sorti, on se doute bien qu'ils n'ont aucune mort sur la conscience et qu'Alex Honnold a réussi son coup... Alors oui, ce type est un extra-terrestre, l'un des meilleurs grimpeurs en solo intégral du monde (encore en vie en tout cas), et on lui souhaite que ça lui soit vraiment utile un jour. Mais il ne faut pas confondre l'énormité de l'exploit relaté ici avec la qualité somme toute très relative de ce documentaire sensationnaliste de bas étage qui, en fin de compte, se loupe dans les grandes largeurs. On aurait dû remettre un César au reportage putride de TF1 sur l'épopée des Bleus en Russie, cela n'aurait pas été beaucoup plus ridicule. 


Free Solo de Jimmy Chin et Elizabeth Chai Vasarhelyi avec Alex Honnold et une falaise (2018)

7 avril 2019

Ticks

Si vous pensez, comme moi, que les tiques sont les pires bestioles que l'on peut croiser sur cette planète, alors ce film est fait pour vous. Je l'ai vu enfant mais certaines images resteront gravées à jamais ! Ticks nous propose de suivre le séjour à la campagne d'une bande de jeunes des cités partis au grand air, encadrés par deux animateurs un peu dans le gaz. Une fois arrivés, ils découvrent non loin de leur campement la ferme particulièrement crado d'un cultivateur de marijuana complètement perché qui, pour booster ses plantations, fait quelques expérimentations dans son labo, y allant franco sur les stéroïdes ! Maladroits et curieux comme pas deux, les jeunes foutent le bazar dans son entrepôt et brisent malencontreusement l'un des récipients de stéroïdes dont le contenu se répand sur un nid de tiques ! Des tiques d'une taille impressionnante et d'une voracité au moins égale vont alors s'attaquer à tous les êtres vivants de la zone, à commencer par un superbe border-collie nommé Bullet-Proof, qui n'y était pour RIEN...


Bullet-Proof, en plein bonheur avant sa rencontre avec une de ces horribles TICKS

Bullet-Proof, quelques minutes plus tard, a rendu son corps à la science...

Voici donc le pitch de Ticks, une série b sanglante également distribuée sous les titres Infested et Ticks Attacks ! (dont on aime la sonorité). Cet horror flick est signé Tony Randel, à qui l'on devait déjà la première suite bien dégueu d'Hellraiser. Un type qui s'y connaît quand il s'agit de filmer des corps en souffrance et des effets gores artisanaux. On peut ranger ce Ticks dans la catégorie des "films de monstre", sous-catégorie "films où les monstres sont nombreux et de taille modeste" (mais d'une taille tout de même très impressionnante pour une saloperie de tique), un sous-genre en pleine ébullition dans les années 80-90 suite au succès de Gremlins, Critters et quelques autres comme ça. La grande qualité de Ticks, modeste direct-to-video, est d'avoir exploité à fond le potentiel horrifique d'une bestiole déjà ignoble dans la vie de tous les jours.


Surnommé Tranber, le cultivateur de marijuana est l'élément perturbateur de ce film

Tony Randel a réalisé ses prises de vues dans son propre salon

Grossissez une tique en multipliant sa taille par cent, mille, voire plus, et vous obtenez un monstre aussi répugnant qu'agressif et tenace. L'idée est simple mais efficace. Pourquoi de telles saloperies se baladent-elles dans la nature ? Là est la question. A quoi servent-elles ? On se le demande. Quel est leur intérêt pour l'écosystème ? Pour moi, il est nul, à part trimbaler les pires saloperies et répandre ainsi le Mal... Mais Tony Randel et sa bande ont vu là un prétexte en or massif pour leur scénario de malheur et je suis à peu près sûr de ne pas être le seul à avoir été marqué par cette horreur de film, que j'ai vu à l'évidence beaucoup trop tôt (6 ans)...


Certaines scènes rappellent inévitablement l'Aliens de James Cameron...

Une tique sort triomphante de son oeuf dégueu

A l'époque, je guettais de près la moindre diffusion d'un film d'horreur et Canal + proposait parfois des thèmes assez inventifs qui permettaient de belles découvertes. Quelques esprits avisés étaient encore à la programmation de la chaîne cryptée et Ticks avait été diffusé dans le cadre d'un cycle propice à réveiller toutes les phobies, consacré à ces cons d'insectes, qui était également constitué de The Nest (sur des cafards vicieux, que j'ai hélas loupé) et Les Insectes de feu (à propos de blattes pyromanes, dont je vous parlerai un autre jour). Le plus affreux du lot est Ticks, haut la main. Il faut dire qu'il se consacre au pire insecte qui soit... A côté, le plus connu Arachnophobie passe pour un film Disney (ce qu'il est d'ailleurs bel et bien !).


Un gros bobo...

Ces tiques ne font pas dans le détail

Tony Randel nous offre quelques visions purement dégueulasses avec ces tiques qui ont la fâcheuse habitude se ramper sous la peau de leurs pauvres victimes et de leur grimper tout le long du corps. Avant de clamser, celles-ci ont tout loisir de voir, impuissantes, une sorte de grosse boule leur monter sur la jambe, quand il n'y en a pas plusieurs sur le coup. Il arrive même qu'elles parviennent à grimper jusqu'à la tête... C'est atroce, vraiment. Ça se fait pas. Le cultivateur de beuh, dont la tronche est déjà naturellement déformée (normal, c'est un paysan) et qui est à la source de toutes ces emmerdes, finit par se tirer une balle dans le caisson pour essayer d'éliminer cette énorme tique sous sa joue... Rien que d'y repenser, ça m'fout des frissons !



Carlton est en bien mauvaise posture...

Parmi les jeunes pris pour cible, on retrouve un dénommé "Panic", l'un des éléments les plus difficiles à gérer de toute la troupe. Son sobriquet lui va à ravir puisqu'il est particulièrement agité et fout tous les autres en PLS, obligeant les deux animateurs à rester sur le qui-vive en permanence. Avant que les tiques ne se pointent, la principale menace, c'est bien lui ! "Panic" est incarné par Alfonso Ribeiro, le Carlton du Prince de Bel-Air, une série que je regardais alors assidûment ! Autant dire que c'était pour moi assez compliqué à comprendre, lui qui dans cette série incarne un fils-à-papa tout ce qu'il y a de plus inoffensif, et se retrouve ici dans la peau de la terreur du quartier. L'acteur est un surdoué, il est également très convaincant en "Panic".


Le pire est encore à venir

Les maquilleurs et autres spécialistes des effets spéciaux ont accompli un travail d'orfèvre

La présence de ce visage familier dans Ticks avait un effet encore plus pervers sur l'enfant innocent que j'étais alors. Certes, Alfonso Ribeiro était bluffant dans ce rôle à contre-emploi, quittant Bel-Air pour le Mirail, mais moi, je voyais tout de même le pauvre Carlton Banks se faire attaquer de toutes parts par ces saloperies rampantes et voraces. Le niveau de cruauté atteint par ces images était donc inédit... Quelle choc ! D'autant plus que Tony Randel n'y allait pas mollo sur les effets sanguinolents, bien aidé par tout son staff, c'était encore le bon temps où ceux-ci étaient faits de manière artisanale et donc infiniment plus crédibles et dégoûtants que les CGI actuels, si propres et si lisses. Les images qui illustrent cet article ne vous donnent qu'un timide aperçu...


L'une des rares images non traumatisantes du film

Que ne ferait-on pas pour refiler sa tique à quelqu'un d'autre...

Ticks fait également partie de ces séries b qui ont le bon goût de se terminer par un ultime plan terrible et sans équivoque, ne laissant rien augurer de bon pour l'avenir. Ici, c'est un énorme nid à tiques qui tombe mollement de l'arrière du van de la petite colonie enfin rentrée de son excursion sanglante (en plus petit nombre, certes...), ce qui nous promet évidemment un Ticks 2 se déroulant en pleine T-ci ! Je l'attends toujours... Une nouvelle promesse non tenue pour les quartiers défavorisés !


Ticks de Tony Randel avec Alfonso Ribeiro et Seth Green (1993)

2 avril 2019

Les Veuves

J'y ai cru pendant une bonne heure, puis Steve McQueen et son scénario trop tordu ont fini par me paumer complètement. On retrouve Gillian Flynn, l'auteure de Gone Girl, à l'écriture, et cela se sent. Le pitch de départ est pourtant accrocheur et a priori propice à un polar solide : des veuves de braqueurs tués lors de leur dernier méfait décident de s'allier pour un cambriolage et ainsi régler leurs dettes. Le scénario dévoile progressivement tous ses contours et se veut en réalité très ambitieux. Vers le milieu du film, survient un rebondissement assez énorme qui ne manque pas de nous retourner, mais il se produit au détriment de la cohérence générale et de notre possibilité de croire aux agissements des différents protagonistes... Quand on fait le bilan, on constate aussi qu'il y a de gros courants d'air dans le script si bien huilé de Gillian Flynn.




Fort de ses Oscars emmagasinés pour Twelve Years a Slave et d'une reconnaissance critique déjà acquise, Steve McQueen ne se contente pas d'un simple polar, il tient à jouer sur plusieurs tableaux : le film féministe tout à fait dans l'air du temps et le thriller politique qui dénonce, branché corruption et bavure policière. Au bout du compte, le cinéaste ne choisit pas vraiment de point de vue, dilue trop son récit et échoue malheureusement sur tous les fronts. Son polar manque de pep's et de clarté pour nous scotcher à notre fauteuil. Son propos est un peu trop simpliste pour nous bousculer (en gros, "tous pourris !" nous dit McQueen, d'un côté comme de l'autre). Et ses personnages sont trop voués à être des pantins pathétiques au service d'une intrigue retors pour qu'ils puissent un tant soit peu nous toucher.




C'est bien dommage car il y a quelques idées de mise en scène qui viennent nous rappeler que Steve McQueen peut parfois être un cinéaste inspiré, même quand il s'aventure dans un registre inhabituel pour lui comme l'action. Il choisit alors d'adopter un style assez sec, insistant sur la soudaineté de la violence, sa fugacité, son côté presque accidentelle, et il réussit à produire son petit effet, notamment lors des cambriolages qui ouvrent et concluent le film. Parmi ses inspirations, on retient surtout ce plan-séquence assez ostentatoire mais intelligent et lourd de sens, qui fait suite au discours démago du candidat en campagne donné à la lisière d'un quartier pauvre et délaissé de Chicago. La caméra est littéralement vissée à l'avant de la berline du candidat regagnant ses pénates, elle commence par nous montrer les quartiers pauvres de la ville avant, quelques dizaines de mètres plus loin, d'opérer un simple panoramique pour nous révéler que nous sommes désormais dans les quartiers huppés, là où se trouve son QG, une immense baraque bien chic.




Notons que les actrices sont irréprochables et auraient pu dégager une belle alchimie, mention spéciale à l'élégante Elizabeth Debicki. Hélas, Steve McQueen, trop occupé à mettre en image cette histoire trop compliquée, n'exploite pas suffisamment leur potentiel et nous finissons par regretter de les voir si peu interagir entre elles et agir ensemble. Il y a aussi quelques grands numéros d'acteurs, comme Colin Farrell, infect mais crédible en politicard aux dents qui rayent le parquet, et aussi le grand Robert Duvall, saisissant dans le rôle de son père, un vieux briscard peu fréquentable mais pragmatique et habitué aux manigances politiques. Reconnaissons aussi que Steve McQueen fait preuve d'une certaine humilité en bouclant tout ça en un peu plus de deux heures quand bien d'autres auraient profité d'un tel scénar pour livrer une bobine dépassant allègrement les trois plombes. Mais c'est là un bien maigre compliment, qui permet à peine de relativiser le temps perdu devant ce film pas affreux, certes, mais un peu raté.


Les Veuves de Steve McQueen avec Viola Davis, Elizabeth Debicki, Colin Farrell, Michelle Rodriguez et Liam Neeson (2018)