30 juin 2015

Detective Dee 2 : La Légende du dragon des mers

à Josué Ba (dit Ibrahim) et Josette K. (dit Eugénie)

Dites donc je me demandais : y'a des fans de Tsui Hark parmi nous ? Parce que moi je tsuis pas fan du tout ! Hier j'ai vu ça au tsuinoche, et j'ai du mal à piger ce qui peut être non-moche dans un tel tsuinéma ! Je tsui peut-être complètement passé à côté d'un truc, et ce gars aurait plus d'une corde à son hark ? Après toutes ces scènes hideuses remplies de cascades et de jiu-jitsui, en sortant du ciné, ma meuf m'a dit : "Je t'ai tsuivi voir cette merde alors ce soir T-sui la vaisselle".


Detective Dee II : La Légende du Dragon des mers de Tsui Hark avec Mark Chao (2014)

27 juin 2015

Contes italiens

Après leur heureux retour, il y a trois ans, avec César doit mourir, les frères Taviani, aujourd’hui âgés de 83 et 85 ans, s’attaquent désormais au Décaméron de Boccace. Le titre original du film, Maraviglioso Boccaccio, littéralement « merveilleux Boccace », dit bien la volonté toute simple des frères de rendre un hommage au père de la prose italienne. D’aucuns diront que cet intitulé trahit en fin de compte un exercice sur table bien sage, la copie propre et anonymée de deux doctes admirateurs rendant une pieuse (on est loin - et peut-être au-dessus - de l'adaptation de Pasolini) révérence au maître. Il est désormais admis, dans les hautes sphères de la critique, que les Taviani font des « films de profs » (à prendre comme une stricte insulte). Mais préférons le titre français du film : Contes italiens. Car il n’est question, là-dedans, que de l’art de conter et de la beauté de cet art.


 


Boccace profita en somme de l'épidémie de peste noire qui ravageait l'Europe au milieu du 14ème siècle pour inventer la nouvelle. Le poète imagina, dans la Florence de 1348, la fuite d'un groupe de dix jeunes gens hors des frontières de la ville vers une campagne idyllique. Là, ils se donnent pour seule mission de se raconter des histoires afin de mieux supporter l'image persistante des cadavres dans les rues et les charniers. Les dix personnages doivent ainsi raconter, à tour de rôle, une histoire par jour pendant dix jours, chaque histoire répondant à une question posée la veille par le roi ou la reine du jour, le tout offrant à l’auteur l’occasion d’élaborer cent courts récits.




Les Taviani réduisent la compilation de Boccace à cinq contes. Six si l’on n’oublie le récit de la fuite de la funeste Florence par la troupe des futurs conteurs. Les cinq récits proposés par les rescapés, qui s’installent chaque jour en un lieu nouveau de leur havre de paix pour écouter drames et farces, sont d’abord, il faut bien le dire, captivants, qu'il soit question de la résurrection d'une pestiférée, d'un idiot convaincu d'être devenu invisible ou d'un pauvre amoureux languissant auprès de son ami faucon. Au surplus, à travers ces contes millénaires, les Taviani s'adressent à nous de façon très directe. La catastrophe de Florence est au fond la métaphore de n’importe quelle catastrophe, et le besoin de raconter des histoires et de s'en faire raconter, correctement si possible, en des temps où la fascination de l’apocalypse pèse et où les histoires peinent à être délivrées avec soin, est pour le moins parlant. 




Dans ce film, on fabrique des récits comme on fabrique du pain : en groupe, en se distribuant les rôles, en faisant appel à la mémoire collective et, en fin de compte, pour survivre. Les frères Taviani placent une scène boulangère en plein milieu du film, et insistent sur le geste, la main, le travail. Ils n’ont pas choisi de reprendre le modus operandi de l’affaire décameronesque tel que décrit par Boccace : ce principe selon lequel chaque jour le roi ou la reine temporairement désigné édicte la question à laquelle le conte du lendemain devra répondre, donnant une sorte de consigne au conteur suivant (procédé qui eût probablement intéressé un cinéaste comme Eric Rohmer, dont toute l’œuvre ou presque répond à une construction sérielle bâtie sur des grandes questions prenant la forme de proverbes, de questions, d’options ; à l’exception de quelques titres, comme Les Amours d’Astrée et de Céladon, auquel Contes italiens peut parfois vaguement faire penser). 




Mais ici, avant chaque récit, un instant précis du conte à venir surgit inopinément, sous la forme d’un plan comme extrait de son film et antéposé, échantillon de bande-annonce, avant-goût mystérieux intercalé par le montage parmi les scènes de la vie des conteurs dans leur campagne paradisiaque (quoique hantée par la mort proche - car ses habitants sont sans cesse rattrapés par le chagrin), comme si les histoires étaient en gestation, ou plutôt en fermentation, pour filer l'image, et travaillaient le conteur avant que son tour ne vienne (de sorte que la campagne est doublement hantée, par la mort à Florence et par les contes de résistance et de survie qui y sont dits). Les images resurgiront aussi après, car les contes de Boccace n’ont rien perdu de leur force et sont mis en scène avec une élégance tout à fait appréciable. Si les Taviani filment en professeurs ils savent encore, m'est avis, passionner leur ouailles pour leur beau sujet et donner envie de lire, toute affaire cessante, le Décaméron de Boccace.


Contes italiens des frères Taviani avec  Riccardo Scamarcio, Kim Rossi Stuart, Paola Cortellesi, Vittoria Puccini et Jasmine Trinca (2015)

24 juin 2015

Il était temps

Richard Curtis est le grand spécialiste britannique des comédies romantiques qui font des ravages auprès de la gent féminine. On lui doit déjà Quatre mariages et Un enterrement, mais aussi Coup de foudre à Notting Hill et Love Actually, rien que ça. Richard Curtis, c'est donc quatre films et autant de succès, malgré un enterrement... Il a juré que ce nouveau film, il était temps, serait son tout dernier en tant que réalisateur. Avant sa retraite, sa route devait forcément croiser celle de Rachel McAdams, agréable actrice également spécialisée dans le domaine de la romcom, dont la filmographie est une liste longue comme le bras de titres à l'eau de rose tels The Notebook (Le Calepin), Hors du temps (What's Time ?) ou Je te promets (I Owe U). Le résultat de leur collision était donc très attendu au tournant et je suis là pour dresser le constat amiable !




Premier constat : la petite formule de Richard Curtis est toujours la même, il s'appuie sur une idée de départ plus ou moins accrocheuse, met en scène un couple inattendu, forcément "trop mignon", l'entoure d'une ribambelle de personnages secondaires pittoresques et saupoudre le tout d'une pincée d'humour british inoffensif. Ici, le jeune Tim apprend qu'il a le pouvoir de remonter dans le temps pour changer le cours de sa vie. Ce pouvoir lui vient de son père (Bill Nighy), qui le lui annonce le jour de son 21ème anniversaire, comme le veut la tradition, et lui avoue en avoir bien profité, dans un geste du poignet très équivoque. Pour immédiatement réduire le champ des possibles, Bill Nighy prévient son fils qu'il peut uniquement se déplacer dans des lieux et à des moments qu'il a déjà connus, et qu'il ne vaut mieux pas utiliser ce don pour toucher le pactole ou devenir célèbre. En revanche, aucune contre-indication de s'en servir pour pécho à tout-va...




Tim, grand romantique frustré et trahi pas un physique difficile, y voit donc un beau moyen pour enfin parvenir à ses fins avec cette blonde bien craspec (campée par l'australienne Margot Robbie) de passage, comme chaque année, dans le grand manoir familial pour les vacances d'été. Il doit tout de même s'y reprendre à plusieurs fois et cumuler quelques semaines de râteaux avant de trouver la bonne méthode et réaliser son rêve de gosse, ce qui nous vaut une introduction assez sympathique. Débarrassé de ce très lourd fardeau que constituait pour lui sa virginité, Tim se servira ensuite de son pouvoir magique pour conquérir celle dont il tombera éperdument amoureux deux mois plus tard, Mary (Rachel McAdams), une fan de Kate Moss croisée dans le noir d'un pub londonien qui organisait ce soir-là une nuit de speed dating aveugle...




Déjà, retenons le positif. C'est une bonne chose d'avoir choisi Domhnall Gleeson, fils de Brendan Gleeson et rouquin dégingandé au nez en trompette, dans le premier rôle. Il faut se le farcir, certes, mais ça nous change un peu de ces bellâtres ordinaires qui rendent quasi impossible toute volonté d'identification au public masculin. Rachel McAdams, plus habituée à avoir affaire à des stars aux muscles saillants et aux coupes impeccables comme Eric Bana, Ryan Gosling ou Channing Tatum, a d'ailleurs avoué avoir eu "un mal de chien" à reconnaître, chaque matin de tournage, son partenaire sur le plateau. Lors de certains dialogues, on peut même remarquer un léger décalage entre les regards des deux personnages, vous savez, ce petit couac que l'on constate trop souvent dans ces films de science-fiction où des acteurs, désorientés car évoluant déjà sur fond vert, doivent interagir avec des interlocuteurs créés de toutes pièces sur ordinateur et ne savent plus vers où se tourner (cas d'école : Star Wars : Episode 1 - Le Fantôme Menace, et toutes les scènes avec Yar-Yar Binks qui illustrent parfaitement ce problème récurrent dans le cinéma de divertissement moderne).




Malgré des acteurs assez charmants et une idée de scénario qui donne lieu à quelques passages plutôt plaisants au début du film, Il était temps tourne vite en rond, s'effondre progressivement et finit même par agacer. Plusieurs aspects de ce film farfelu m'ont gêné. On sent bien que Dick Curtis a été dépassé par son pitch. Il a voulu trop en faire et rien ne tient debout. Il aurait dû se contenter de nous montrer un vieux zonard s'y reprendre systématiquement à plusieurs fois avant de pécho. C'est assez ludique, ça pouvait bien remplir 1h30. Hélas, Curtis a tôt fait de se perdre dans des réflexions philosophiques de caniveau, à mille lieues de nos attentes devant un tel spectacle. Le pire étant cette longue digression totalement dispensable où, pour éviter à sa sœur un terrible accident de bagnole provoqué par l'infect beau-frère alcoolo, Tim décide de retourner dans le temps afin d'empêcher le mariage, oubliant au passage que sa petite fille Porky est née après les noces funèbres ! Cet aller-retour temporel a donc pour conséquence de sauver la vie de sa frangine, d'éradiquer tonton Scefo du cocon familial, mais aussi de transformer la fille de Tim en un petit mec ! Et Tim s'y fait... Il n'y voit aucun inconvénient. Alors certes, il tique un peu lors du premier changement de couche en découvrant le joystick miniature de son bambin. Mais en dehors de ça, rien à fiche. Que faut-il comprendre ? Mine de rien, Dick Curtis adresse un message odieux à tous les pédiatres et, plus grave encore, à tous les enfants de moins d'un an du monde entier, interchangeables.




Une autre scène m'a particulièrement contrarié : celle de la "première fois" entre Tim et Mary. Mécontent de sa performance sexuelle, vraisemblablement jugée un brin trop courte par sa compagne, Tim décide de retourner 47 secondes en arrière, pour se donner une nouvelle chance d'être un peu moins égoïste. Mais la deuxième fois n'est pas la bonne : un flatus vaginalis d'outre-tombe dont la durée anormalement longue dépasse à elle seule celle du premier coït met d'emblée tout le monde mal à l'aise. A refaire. La troisième tentative échoue de nouveau à cause d'un simple regard de Tim qualifié de "particulièrement flippant" par la jeune femme lors des préliminaires. Le quatrième essai est le bon. Des effets de montage hideux nous font comprendre que le rapport s'étend et s'étend encore, que plusieurs chapitres du Kama Sutra sont réécrits, réinventés, que les orgasmes, au pluriel, sont partagés, que les voisins sont conviés à la fête, simples spectateurs béats ou membres actifs des ébats, que les animaux de compagnie s'y mettent aussi, en rythme, dans un grand éloge inter-espèce à la Vie, tout ceci grâce à l'endurance et à la puissance perforatrice inouïe d'un homme fédérateur et plus déterminé que jamais. Que faut-il comprendre là encore ? Selon Dick Curtis, il faut donc pouvoir réaliser une perf' digne d'un acteur porno au zénith de sa carrière pour "assurer la première fois". C'est franchement pas jojo tout ça...




Il était temps est donc une grande déception pour l'amateur de romcom qui voulait assister à une conjugaison de savoir-faire entre un cinéaste et son actrice. Le vague intérêt du film réside étonnamment ailleurs : dans cette relation plutôt touchante entre le père et son con de fils, que Curtis ne fait qu'effleurer mais à laquelle ses acteurs réussissent à donner vie. C'est ce que l'on préférera retenir de ce film dont je ne me souviens plus.


Il était temps de Richard Curtis avec Domhnall Gleeson, Rachel McAdams, Bill Nighy, Margot Robbie et Tom Hollander (2013)

21 juin 2015

A Most Violent Year

à Papa B.

Dès le départ ça sent mauvais. La faute à ce bon vieux caca d'oie (filtre bleu, ou jaune, ou vert, ou autres couleurs désaturées, je n'en sais rien et je m'en fous) qui donne d'emblée au film ce look pseudo-rétro si surfait et si banal. Trois couleurs dans ce film, grand maximum : du beige, du jaune (principalement sublimé par le par-dessus jaune que porte le héros tout du long, cet incroyable par-doss qui lui vole quasiment la vedette) et du jaune foncé. J'en oublie peut-être une ou deux. Le noir, puisque c'est une couleur. Mais de toute manière elles se confondent toutes dans cette teinte vert-jaunâtre dégueulasse qui nous crie dessus "film noir d'époque classieux !", alors qu'on n'a rien demandé et qu'on aurait vite pigé. On sait dès les premières secondes qu'on va assister à un film noir néo-noir néo-classique noir très sérieux, sobre, sombre (pratiquement tourné dans le noir du coup), mais surtout long et chiant. Et c'est bien ça qu'on aura dans l'assiette. Un film de genre réchauffé, propre sur lui et absolument lénifiant. N'est pas James Gray qui veut, même si J. C. Chandor a l'air de faire des pieds et des mains pour lui ressembler.




C'est l'histoire d'un type en par-doss jaune, Abel (Oscar Isaac), qui a monté une boîte de transport de pétrole avec sa petite volonté de fer et qui s'apprête à racheter à des juifs un ancien chantier de livraison idéalement placé en bord de fleuve, histoire de faire grandir encore sa petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Mais il est emmerdé par un contrôle fiscal d'un côté, et par des concurrents mafieux qui volent ses camions à mains armées, ainsi que leur précieux chargement, de l'autre. Sans compter sur sa femme, Anna (Jessica Chastain), superficielle et menteuse, qui devrait l'aider mais n'est pas toujours très claire dans sa façon de gérer les finances de la boîte, ce qui pose d'autant plus problème que son mari revendique une parfaite droiture pour son entreprise. En parlant d'elle, être parvenu à rendre Jessica Chastain presque laide (malgré une ou deux scènes en décolleté qui raviront les fans les moins exigeants) n'est d'ailleurs pas le moindre des torts de J. C. Chandor. Et l'actrice n'y est certainement pour rien. Responsable ni de son look merdeux ni de la faiblesse du film. Pas plus qu'Oscar Isaac, qui fait son travail et qui mérite salaire, comme tout le monde. Non le problème est ailleurs, et il est multiple. Cette image affadie, appauvrie en couleurs, anesthésiée, est parfaitement symptomatique d'un film étriqué, monolithique, bien paresseux, incapable de surprendre son monde, incapable d'opérer le moindre virage pour décrocher ne serait-ce que temporairement d'un cahier des charges ultra programmé et imparable, infoutu de se libérer de sa ligne de conduite, ni dans sa mise en scène ni dans son scénario (signé Chandor aussi), et qui s'achève dans une scène finale plombée par une réplique et une image lourdes comme il s'en fait peu. 




La réplique en question évoque ce maudit "rêve américain", et elle aura suffi à fournir son charbon à la plupart des critiques à gaz, dont sans doute celle de Télérama citée sur l'affiche, ravies de nous apprendre que, dites donc tenez-vous bien, le rêve américain est et a toujours été un paravent tendu devant un royaume pourri jusqu'à la moelle, une gigantesque scène de crime... Édifiant. L'image qui conclut le film et veut frapper les esprits n'est pas moins explicite : c'est celle d'un laissé pour compte, un ancien chauffeur au service d'Abel, en cavale depuis qu'il a résisté à sa deuxième agression au volant d'un chargement, qui finit sans rien alors que son patron termine le film les mains pleines, et qui, tandis qu'Abel, sa femme et son avocat viennent de finaliser le rachat du terminal de livraison situé près du fleuve et admirent leur acquisition, les rejoint et se tire une balle dans la tête, balle qui ressort de son crâne pour aller percer, derrière lui, une cuve de pétrole. Et Chandor insiste bien sur cette cuve perforée dont s'échappe un filet d'or noir, tandis que tout autour du trou ont éclaté des gouttes de sang... Fine métaphore. Abel qui, tel son homonyme biblique, vient de (faire se) tuer son frère, un autre immigré parti de rien, comme lui, bouche alors le trou de la cuve avec un mouchoir : préserver le pétrole, sauver le pognon, plutôt que les hommes. Le message n'est pas du tout martelé sur nos crânes. Merci monsieur Chandor de bien veiller à ce que tout le monde ait pigé votre film, et de faciliter la tâche à vos exégètes. Pour parvenir jusqu'à cette fin pleine d'enseignements subtils, il faut se fader un film long, très long. Pendant toute la projo j'arrêtais pas de me répéter la phrase de Pialat : "C'est du cinéma que c'est pas la peine, c'est du cinéma que c'est pas la peine, c'est du cinéma.... ad libitum".


A Most Violent Year de J.C. Chandor avec Oscar Isaac et Jessica Chastain (2014)

16 juin 2015

Jupiter Ascending

Je me suis surpris à passer un bon moment devant le dernier film des "frères" Wachowski, Jupiter Ascending, space opera pur jus, assez froidement accueilli à sa sortie en début d'année. Peut-être étais-je dans un bon soir, peut-être avais-je tout particulièrement envie d'un film de ce genre-là et que les Wachowski sont tombés à pic. Le fait est que j'ai plutôt accroché à cette histoire qui apparaît comme une sorte de croisement entre Star Wars et Matrix, dans laquelle une jeune femme (Mila Kunis) voit sa morne vie totalement chamboulée quand elle apprend qu'elle fait partie d'une des familles les plus puissantes de l'Univers. Embarquée dans une folle aventure qui la mènera jusque dans les tréfonds de Jupiter, elle sera défendue par un homme-loup (Channing Tatum) dont elle tombera rapidement amoureuse. Et je n'irai pas plus loin dans la présentation du pitch, par peur de déjà refroidir la plupart d'entre vous !




Moi qui avais dû déclarer forfait devant Cloud Atlas, leur précédent opus, beaucoup mieux reçu il y a deux ans et auquel je suis à présent bien motivé à redonner une chance, je dois aujourd'hui reconnaître que, par les temps qui courent, les Wachowski sont des cinéastes à part, qui méritent pleinement d'être salués et défendus. Ces deux-là sont quasiment les seuls à encore proposer des blockbusters si ambitieux, généreux et originaux. Face à Jupiter Ascending, on ne doute jamais de leur sincérité et de la noblesse de leurs intentions. Leur film, un brin foutraque, a certes des défauts évidents, tutoie parfois le kitsch, et pourra sûrement en fatiguer plus d'un dans sa volonté d'en mettre plein la vue, notamment lors de scènes d'action toujours très lisibles mais un peu longuettes. Le scénario, assez fouillis, paraît étonnamment condensé sur deux heures, avec quelques ellipses et un montage un peu déconcertants en ces temps sombres où il est plutôt de coutume d'étaler ce genre d'histoires sur de longues et pénibles trilogies (quand ça n'est pas davantage...) pour s'assurer un maximum de recettes au box office. Cela ne m'étonnerait donc guère qu'un director's cut sorte bientôt en vidéo mais, en l'état, j'ai personnellement trouvé tout à fait compréhensible ce film assez osé que beaucoup se sont plu à traîner dans la boue.




Il faut reconnaître aux Wachowski une vraie inventivité visuelle et une certaine habileté pour la création d'un univers captivant, dont on a envie de mieux comprendre les rouages. Les acteurs aussi ont l'air de croire en ce qu'ils font, malgré le côté grotesque de leurs rôles et de certaines situations. Je pense par exemple à cette scène où Channing Tatum explique qu'il a davantage en commun avec un clébard qu'avec la charmante Mila Kunis. Cette dernière lui rétorque alors spontanément qu'il ne s'agit pas d'un grand problème parce qu'elle a toujours aimé les chiens, et cela donne lieu à un moment assez comique, où la touche d'humour fait d'autant plus plaisir dans le sens où il ne s'agit pas du second degré ou des références lourdaudes dont on nous abreuve ailleurs (notons toutefois un curieux passage ouvertement parodique, épinglant la bureaucratie extraterrestre et se terminant même par un cameo de Terry Gilliam). Eddie Redmayne, récemment récompensé d'un Oscar pour son interprétation de Stephen Hawking, campe ici un méchant plutôt convaincant, sa tronche assez flippante, dominée par une bouche étrangement gonflée, convient tout à fait au rôle.




Bien sûr, les moins friands de science-fiction auront un mal fou à supporter Jupiter Ascending, qui est un gros space opera comme il s'en produit finalement fort peu ; mais les amateurs ont tout intérêt à s'y risquer. Ils pourront peut-être, comme moi, y trouver un plaisir qu'ils n'avaient pas ressenti depuis longtemps devant un tel spectacle. Ils pourront aussi, et c'est plus probable, revenir sur cette page pour m'insulter. Je me sentirai alors encore plus seul, mais je suis prêt à assumer...


Jupiter Ascending (Jupiter : le destin de l'Univers) d'Andy Wachowski et Lana Wachowski avec Mila Kunis, Channing Tatum, Sean Bean et Eddie Redmayne (2015)

14 juin 2015

Phone Game

L'affiche de ce film ne nous évoque rien de bien agréable, à cause de sa tagline : "Raccroche et tu es mort". C'est ce que nous disent nos compagnes à chaque fois qu'on les a au bout du fil... Pourtant, ce poster symbolise une heure et quart de pur bonheur. Une heure et quart en compagnie de Colin Farrell in a glass case of emotion. L'acteur est pris au piège d'une cabine téléphonique. La caméra est coincée entre ses sourcils de dingue et le combiné. A l'autre bout de la ligne, pointant sans relâche le canon scié de son fusil à lunette sur Farrell, un acteur dont la voix commençait à peine à être reconnaissable, alors qu'elle est aujourd'hui une signature, au point que quiconque découvre le film de nos jours saura dès le départ qui incarne le vilain : Jack Bauer. Mais ça n'a finalement que peu d'importance tant le suspense et la tension instaurés par Joel Schumacher reposent sur un pitch minimaliste dont on mesure aujourd'hui toute l'importance dans l'histoire des scripts à Hollywood. 


Le regard du type qui se dit : "Putain il vise pas trop maaaaal..."

Combien de films découlent en droite lignée de Phone Game ? On peut penser à Buried, à Locke, à Frozen, à Wrecked et tant d'autres, qui s'appuient tous sur une unité de mot, de lieu, de temps et d'action réduite au maximum pour un suspense d'autant plus grand et des rebondissements forcément percutants. Combien d'acteurs s'inspirent par ailleurs du jeu de sourcils de Colin Farrell ? En 2002, à l'aube d'internet, alors que minitels et fax se disputent encore le bureau de papa, Joel Schumacher a déjà flairé tous les changements à venir dans le domaine des communications, actant tout simplement la mort de la cabine téléphonique en tant que telle et de tout ce qui est filaire en général. Une anecdote assez connue raconte que durant la promotion de ce film, à un journaliste malicieux et encore sous le choc de la projection qui lui demandait : "Comment voyez-vous le futur Monsieur Schumacher ?", le cinéaste répondit en pointant tous les recoins de la pièce du bout d'un index giratoire : "Tu vois tous ces fils qui traînassent par terre ? Bientôt y'en aura plus". 


Le visionnaire, entre deux éclairs de génie.

Artiste visionnaire, Schumacher n'en est pas moins un bras cassé, un facho affirmé et depuis peu un taulard dont on attend la sortie de coma après une chute en rollers lors d'un séjour de villégiature dans le sud de la France, plus précisément à Rouffiac-d'Aude, où nous avons nous-mêmes de la famille. Toujours dans les bons coups, notre clébard, Baltasar Kormákur, au volant de son pick-up, pris dans son élan, n'a pas freiné à temps et a heurté Joel (avec ce bruit que fait un bouchon de champagne qui saute) tandis que le cinéaste sortait chercher son journal. On est donc aux premières loges de ce drame, pour lequel nous éprouvons tout de même une once de culpabilité. Ne laissez pas conduire vos clebs, même quand ils semblent savoir piloter. Rassurez-vous, notre Baltasar fait ses nuits, pas troublé le moins du monde.


Phone Game de Joel Schumacher avec Colin Farrell, Kathie Holmes, Rada Mitchell et Kiefer Sutherland (2002)

9 juin 2015

Valentin Valentin

Faut-il trouver du charme à Marie Gillain, dont Pascal Thomas, après d'autres, révèle toute la beauté très full frontalement (c'est bien sa seule façon d'honorer l'actrice, à laquelle il offre un rôle de nymphomane adultère hystérique pitoyable), pour rester planté face à ce déplorable film, Valentin Valentin, whodunit sauce comédie dépourvu de toutes les qualités potentielles des deux genres qu'il réunit (pas facile, certes, mais certains y sont parvenus : Hitchcock avec The Trouble with Harry, ah bah oui, ok, de suite, Hitchcock, voilà, bah oui, mais si). Dans la foulée du Grand appartement, film de 2006 où Pascal Thomas réservait plus ou moins le même traitement (en tout cas en termes d'hommage frontal) à Laetitia Casta qu'à Gillain aujourd'hui, le cinéaste situe ses marivaudages dans un immeuble parisien toutes portes ouvertes où l'on chante, danse, s'aime, se déchire et vit de petites aventures pseudo-sympathiques. P. Thomas semble chercher un lointain patronage chez Rohmer et Truffaut (qui s'en foutent pas mal), pour finalement atterrir dans le sillage d'un bon vieux vaudeville nanardesque du type A gauche en sortant de l'ascenseur.




Le film est insignifiant. Mais on ne prend pleinement conscience de l'étendue de la catastrophe que constitue le sens de l'écriture de Pascal Thomas qu'à la fin du programme. Que je vous explique. On apprend en préambule que Valentin (Vincent Rottiers), personnage central de l'affaire - jeune rentier fade et sans qualités supposé irrésistible et que toutes les femmes du film vont se disputer à mort - a été assassiné. Mais qui l'a tué ? Who dun it (en anglais) ? On s'en fout royal. Toujours est-il qu'après un long retour en arrière, nous finirons par être enfin débarrassés de ce personnage si transparent que le titre martèle son nom comme pour le faire exister, et qu'alors les suspects seront nombreux à se disputer l'honneur de l'avoir flingué.




Pourquoi pas la marâtre qui règne sur la petite famille de chinois de l'autre côté de la rue, mafieux clandestins qui ont transformé un bouge en plantation de bambous et qui retiennent prisonnière une petite jeune fille innocente, elle aussi éprise de Valentin et prête à foutre les voiles avec lui. Pourquoi pas Freddy (Louis-Do de Lencquesaing), le mari trompé et sanguin de Claudia (Marie Gillain), qui a déjà filé quelques beignes au bellâtre éponyme pour calmer ses ardeurs. Pourquoi pas Claudia (Gillain donc) elle-même qui, rejetée par un amant las de se faire tabasser pour ses beaux yeux, a juré de se venger de lui. Pourquoi pas Marilou Berry, la voisine de Valentin, folle amoureuse de lui et (forcément) jalouse de Gillain. Bref, on s'en fout je vous dis. Le coupable sera confondu à la fin du film et on s'en foutra encore plus une fois découvert. Mais avant cela, l'enquête est lancée, et l'un des meurtriers potentiels n'est autre que Roger, aka François Morel, l'ex-Deschien qui semble avoir acheté sa filmographie sur le 3615 code kinenveut.




Qui joue-t-il dans ce film ? Il joue Roger, jardinier de profession, mari de la femme de ménage de Valentin, et pédophile à ses heures perdues. On le devine, d'abord, dans un dialogue d'une finesse inouïe, où le personnage reproche à sa femme d'avoir des formes, de mesurer plus d'1m20 et d'être majeure. Puis plusieurs scènes nous le présentent sur son lieu de travail (le jardin public où Valentin sera bientôt retrouvé mort), planqué derrière les buissons pour reluquer et photographier les fillettes du collège voisin en plein cours de sport. Plus tard, dans une scène qui peut vous sécher une carrière bien assise (sachant que la filmographie de Morel est une chute libre sans fin), on voit notre Roger en train d'imprimer les photos faites dans le parc, chez lui, sur son imprimante perso, flinguant tout son lot de cartouches Epson SX400 à 30 euros le lot. Morel joue cette scène comme s'il était encore coincé dans un épisode des Deschiens. Il se frotte le visage contre les photos imprimées sur papier A4, en murmurant des horreurs proférées sur le ton de la mégère qui parle à son toutou en le caressant de la tête aux pattes, le tout la main dans le froc. La représentation du pédophile-type a de quoi laisser songeur.




Et comme il est surpris dans sa private session par Valentin (qui, entre parenthèses, est certes un bon samaritain prêt à épouser la petite chinoise d'en face pour qu'elle obtienne des papiers, mais ne signalera à personne le comportement un rien douteux du psychopathe pédophile qui vit à côté de chez lui), Roger devient (pour le spectateur donc, mais aussi pour la police, qui a retrouvé le téléphone portable du jardinier dans le parc, non loin du macchabée) un suspect de premier choix. Sauf qu'il n'y est pour rien, et c'est une voix-off qui nous l'apprend (celle du narrateur de l'histoire, un autre voisin, heureux de servir la soupe), et qui nous l'apprend en ces termes : "Roger ne fut pas condamné pour ses rêveries de promeneur solitaire". Heureux d'apprendre que ce brave type, qui photographiait à leur insu des adolescentes pour s'astiquer sur les photos volées, s'en tire sain et sauf. Ouf ! Mais quid de l'association opérée dans les termes par notre cher Pascal Thomas entre les réflexions de Rousseau et les passions d'un jardinier planqué derrière des arbres pour se branler sur des gosses en short ? Cette phrase m'a définitivement scié en deux.


Valentin Valentin de Pascal Thomas avec Vincent Rottiers, Marie Gillain, Marilou Berry, Louis-do de Lencquesaing et François Morel (2015)

7 juin 2015

Stuck

Ce film de Stuart Gordon s'inspire d'un fait divers macabre et cocasse survenu à Fort Worth, Texas, en 2001. Une histoire terrible que l'affiche ci-contre a judicieusement choisi de résumer via cette fausse couverture de journal intrigante. Après avoir heurté un sans-abri avec sa bagnole, une jeune infirmière n'a rien trouvé de mieux à faire que de laisser la victime telle quelle, encastrée dans son pare-brise, l'abandonnant à l'agonie dans son garage ! Croyez-le ou non, à partir de ce point de départ pourtant assez limité, Stuart Gordon accouche d'un film pas mal du tout. Sérieusement. Ce pitch donne lieu à une sorte de thriller particulièrement efficace où l'on retrouve quelques éléments horrifiques et gores (ça reste un film de Stuart Gordon, à qui l'on doit Re-Animator, que je n'avais pas trouvé si fameux malgré son statut de film culte, et bien d'autres titres du même genre) mêlés à cet humour noir très cher au cinéaste et habilement maîtrisé ici puisqu'il participe à nous faire éprouver un large panel d'émotions pour tous les personnages plus ou moins débiles en présence, lors des situations rocambolesques qu'ils traversent.




Mena Suvari est parfaitement choisie dans le rôle de cette énorme cruche inconsciente et dépassée par les événements, elle qui a tout à fait la tronche de l'emploi. L'éternel regard de chien battu de Stephen Rea, qui m'avait déjà conquis dans Citizen X, est lui aussi idéal pour ce rôle de pauvre clodo, laissé pour compte, laissé pour mort. Il y a bien quelques petits détails pas trop crédibles ou incohérents, sur la fin notamment, mais tout cela reste toujours très plaisant à suivre. Et le ton satirique du film, qui n'est guère pesant mais bel et bien présent, lui permet d'être un peu plus qu'une petite série b bien sympatoche. Avec ce dénouement, qui fait intervenir une famille d'immigrés exclus, eux aussi, de la société, venant en aide au SDF très mal en point, je dirai même que Stuck prend des allures de brûlot social particulièrement féroce. Un véritable pamphlet. Ken Loach peut aller se rhabiller... Et à la fois, le film de Stuart Gordon ne perd jamais de vue ce qui est à l'évidence son principal objectif, nous divertir et nous scotcher devant l'écran, face à une histoire complètement folle et absurde. Stuck est donc avant tout un thriller très tendu ; le meilleur film de Stuart Gordon que j'ai vu, et j'en ai pas vu tant que ça !


Stuck de Stuart Gordon avec Mena Suvari et Stephen Rea (2007)

2 juin 2015

Mad Max : Fury Road

Difficile d’aller voir un tel film sans craindre que l'incroyable ramdam qu’il a suscité n’influence, en bien ou en mal, l’opinion qu’on en aura. La louange unanime crée des attentes parfois cruelles pour celui qui la reçoit. On a lu et relu, en boucle, les mêmes superlatifs, à propos de ce Mad Max : Fury Road, que beaucoup n’ont pas hésité à ériger en « film du siècle » ou ont affublé de tant d'autres titres honorifiques plus ou moins débiles. Mais au final, sans donner raison à ceux qui en font l’œuvre la plus importante de l’histoire récente du cinéma (ce serait tout de même à pleurer), le film s’avère résister à la pluie de compliments démesurés qui s'est abattue sur lui, et parvient même à en mériter pleinement quelques uns, les plus raisonnables, qui vantent ses grands mérites de strict film d’action. 




Mad Max : Fury Road est (sans véritable difficulté, concédons-le) le meilleur épisode de la saga de George Miller (et, au tout début du film, on peut encore en douter, craignant par exemple que Miller, poussant d’un cran sa vieille lubie de filmer des catcheurs hystériques, réalise le film de beauf absolu que semblait annoncer la présence du guitar hero metalleux au sein du convoi de routards menés par Immortan Joe, le méchant de l’affaire). Pourquoi cet épisode 4 ratatine-t-il les trois autres ? Pour une raison simple, qui est que le cinéaste australien s’était placé, avec son premier Mad Max, sous l'égide du dieu Vitesse, et avec le second, Mad Max : le défi, sous le patronage de sainte-Action (nous ne reparlerons pas du troisième, Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre, placé sous le sceau de l’infamie), et que sur ces deux terrains, fers de lance de son cinéma (Miller n’a, au fond, peut-être jamais visé que ces deux objectifs : filmer courses-poursuites, fusillades et explosions à toute vitesse, au point de délaisser tout le reste), le père de Mad Max vient d’atteindre des sommets. Les siens, au moins, mais sans doute plus que ça car, disons-le après d’autres, ce film semble avoir passé une vitesse, voire un petit paquet de vitesses en termes de cinéma d'action, et a mis une dizaine de longueurs dans la vue à l'immense majorité de ses concurrents passés et présents.




Mad Max : Fury Road va très, très vite, tout en restant parfaitement lisible et assez solidement construit, mieux, sans jamais filer mal au crâne ni donner envie de sauter du train en marche, contrairement à la grande majorité des blockbusters contemporains qui essaient péniblement de fuser et sont pourtant des escargots par rapport à celui-ci. Miller, dans le programmatique premier volet de sa série chérie, misait beaucoup sur les effets d’accélération du défilement de la bande, notamment dans ces plans filmés en caméra embarquée à ras du bitume et à toute allure. Ses tentatives d’accélérer l’image, dans le deuxième épisode pourtant supérieur, ne furent pas du meilleur goût (rappelons, entre autres, ces scènes dignes des premiers films du cinématographe où les figurants semblaient courir en marchant). Il renoue d’ailleurs avec ces effets dans le prologue de son nouveau bébé, de manière un poil plus habile visuellement, mais guère plus heureuse. Mais dès que le titre du film est apparu, après la capture de Max et après sa vaine tentative d’évasion dans les coursives du bastion d'Immortan Joe, Miller abandonne cette avance rapide artificielle au profit d’une véritable accélération, de celles qui passent par le montage (même s'il joue encore de ses vieux effets ponctuellement, qui, couplés à des zooms furieux, ne constituent pas les plus beaux moments du film mais contribuent, périodiquement, à pousser son rythme). Et le résultat est assez fascinant.




Il faut en revanche, c’est admis, s'en tenir à la vitesse et à l'action, qui constituent 95% du film au bas mot, et fermer les yeux sur le reste. Dès que Miller coupe le moteur, on se rend compte, une fois de plus, qu'il est incapable de filmer autre chose (les scènes plus calmes, les pauses dans la course, où Max, interprété par un Tom Hardy fort limité, discute avec sa partenaire, Furiosa, beaucoup mieux servie par Charlize Theron, sur une tonalité mélodramatique, sans parler de la scène où Furiosa s’en va hurler, à genoux, dans le désert, la mort des siennes, ces scènes relèvent soit du grotesque soit… du grotesque). Mais ce ne sont bien que 5% du film, en comptant large. Et pour la plus grosse part du gâteau, il n’y a pas à dire, George Miller sait y faire. C'est probablement son seul talent mais il le tient, ou plutôt le tient enfin. Le film fout effectivement un gros coup de pression au tout Hollywood en parvenant à atteindre un rythme de croisière fulgurant sans se crasher en cours de route.




Mais je me trouve presque dur. Car en réalité, et quitte à me trouver presque doux, je dois dire que Miller réussit un peu plus que cela, et que ses réussites supplémentaires pourraient passer pour dérisoires mais sont capitales quand on connaît un peu l'oiseau pour s'être tapé et retapé les trois premiers films de sa franchise. D’abord, Mad Max : Fury Road compte deux scènes particulièrement réussies et dont la réussite ne tient pas qu’à la création et au maintient improbable d’un rythme hallucinant. D'une part, la séquence de la tempête de sable, où Miller joue sur une altération des couleurs et sur une invasion du noir et blanc assez frappante, donnant l’impression que le film lui-même subit, dans son tissu, les assauts cataclysmiques d’un cyclone sorti de nulle part. Et c'est bien l'effet que nous fait ce nouveau Mad Max, film émergé d'on ne sait où, qui déboule en trombes, foutraque, puissant et, pour ses rivaux, assez destructeur. D'autre part, la séquence étonnante des marécages, cette étendue spongieuse parcourue d’étranges échassiers humains, où, une nouvelle fois, Miller change soudain de teinte, et de registre, plongeant le film dans une nuit bleue assez somptueuse, tandis que le convoi des fuyards s’attache à un arbre solitaire et que retentit le Dies Irae du Requiem de Verdi.




Et puis, pour la première fois dans sa série, le cinéaste façonne un personnage principal assez consistant. Je ne parle pas de Max, qui n’a, faut-il croire, jamais intéressé Miller. Tom Hardy lui donne encore moins de poids que Mel Gibson en son temps, qui n’avait déjà pratiquement rien à jouer mais le faisait somme toute mieux (et pourtant...). Je parle évidemment de Furiosa. Miller met clairement (et assez lourdement) en scène la passation de pouvoir, laissant son (soit-disant Mad) Max sur le bas-côté, au sol, littéralement largué, au profit du personnage féminin de son film (on ne fera pas tout un fromage sur Mad Max 4 grand film féministe… féministe, le film l’est un peu, et l’est pas mal comparé à quelques grosses machines Marvel, mais si ce film est un grand film féministe, le féminisme a de beaux jours devant lui). Et la transmission de témoin s’organise jusque dans le titre, si l’on se permet d’entendre « Fury Road » comme « La route de Furiosa ». Assez solidement interprétée par Charlize Theron, la susnommée Furiosa en impose davantage que son covoitureur mâle, et c’est rien de le dire. C’est une première pour la saga, qui avait connu quelques personnages secondaires sympathiques (notre critique du deuxième opus leur faisait la part belle) mais finalement peu présents (au contraire ici, d'ailleurs, d'un personnage secondaire assez intéressant en la personne de Nux, interprété par Nicholas Hoult, un war boy d’Immortan Joe pris à parti dans l’équipée sauvage de Furiosa), et dont le héros masculin éponyme n’avait jamais su nous gagner à sa cause (laquelle au juste ?).




Je suis peut-être injuste aussi quand je précise que l’on peut apprécier le spectacle (on y est en plein, Miller lance même des feux d'artifice à intervalles réguliers !) à condition de fermer les yeux sur tout ce qui n’est pas action et vitesse pure. Il faut, je ne le redis pas, faire le mort devant les quelques scènes voulues émouvantes de l’affaire. Mais en termes d'idées de scénario, le film n'est peut-être pas si plat et commun qu’il n’y paraît. Mettons le mot « idées » au singulier, pour ne pas avoir l’air d’en faire des tonnes. Je retiens celle (et mieux vaut avoir vu le film avant de lire ce qui suit, pas que la révélation soit capitale mais on pourrait m'en vouloir à mort et attenter à ma vie, donc je me couvre un max) qu'ont les personnages (le mérite en est attribué à Max, que Miller ne pouvait pas laisser dans le caniveau sans lui avoir offert de penser au moins une fois dans sa vie) de retourner sur leurs pas, d'arrêter la fuite en avant vers probablement rien et de revenir dans la citadelle initiale, celle que gouvernait jusqu’ici le despote Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne, méchant du 1er volet, mais peu importe... ici dans le rôle du tyran putanier et doctrinaire pratiquant une politique d’austérité à l’égard de la nouvelle denrée rare - après le fuel, l’eau, plus banal, certes… - du monde post-apocalyptique de Miller), pour essayer de la dérober à son leader et de la révolutionner de l'intérieur, de la rendre meilleure (parabole de ce que Miller fait avec sa propre saga, bien sûr, qu’il reboote et hausse effectivement d’un ou de plusieurs tons, chose assez rare pour être soulignée), bref cette idée somme toute assez simple qui veut que l'herbe ne sera que très peu vraisemblablement plus verte ailleurs (encore qu'elle le sera forcément vu que d'herbe il n'y a point dans le désert où se déroule le film), et qu'il serait temps d'essayer d’agir là où l'on crèche plutôt que de foncer vers un éden illusoire (ou aussi imbitable que celui de Mad Max troisième du nom). (Phrase un peu longue non ?). Voilà une assez belle idée au fond, qui me donnerait presque envie de rapprocher le film, dans sa tentative d’appréhender les angoisses eschatologiques contemporaines et d’y répondre, de se coltiner le sujet de la responsabilité du guide et de l'engagement personnel, de ces films qui, ces dernières années, l’ont fait d’une toute autre manière. En vrac, La Dernière piste, Habemus Papam, Take Shelter ou 4h44 dernier jour sur terre. Mais j’ai bien peur, là, après avoir peut-être injustement limité le film à sa grande qualité « dynamique », de le hisser à des considérations auxquelles lui-même ne prétend pas férocement.


Mad Max : Fury Road de George Miller avec Tom Hardy, Charlize Theron, Nicholas Hoult et Hugh Keays-Byrne (2015)