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9 juin 2024

The Killer

En 2023, David Fincher est fatigué. Au bout du rouleau, il cherche à retrouver l'essence du cinéma après l'expérience éreintante du tournage de Mank, réalisé dans l'ombre paternelle dont il essaie de se défaire depuis sa plus tendre enfance. Libéré du joug des studios, mais auréolé, comme les plus grands (Cuaron Scorsese, les frères Coen, Gastambide), de la pleine confiance de Nietflix, Fincher se relance. C'est sans aucune vision artistique, sinon celle de réaliser un bon film, que le pape de Los Angeles se remet le pied à l'étrier. Lors de vacances parisiennes, ses pas le guident vers un bdiste de quartier où il pioche au hasard, à l'aveugle, quitte à faire tomber tous les rayonnages et à provoquer les foudres du tenancier, qui n'aura pas reconnu le faciès rasé à blanc et blanchi à la chaux du grand manitou d'Hollywood devenu le seigneur des plateformes et la caution artistique des plus vils requins de la planète. Sa main molle, répandant des effluves appuyés et obsédants d'aftershave, tombe sur la tranche de Le Tueur, dont le titre ridicule ne le dissuade pas et lui rappelle même ses premières réussites : les thrillers qui ont fait de lui un lord du 7ème art. Le génie est en confiance. 
 
 
 
 
Dès le premier soir de lecture sous la couette, il envisage un storyboard scrupuleusement basé sur les planches de la bd. En éteignant la lumière, Fincher peine à trouver le sommeil, voit le film se dérouler dans le noir telle une aurore boréale fantasmatique, et sait de quoi sa matinée sera faite. C'est sans compter, en pleine nuit, sur un réveil brutal : David a trois idées qu'il griffonne à la lumière de son smartphone (son carnet de notes appartient désormais au passé). Il pense notamment au casting : Michael Fastbender lui vient en premier, qui acceptera très vite, n'ayant rien d'autre à faire cette année-là, et n'ayant surtout pas peur du tout des scénarios très lacunaires et inachevés (comme le prouve toute sa filmographie), à condition de pouvoir porter son bob sur l'affiche, puis suit le nom de Tilda Swinton, qui dira oui aussi par erreur de retour de mail, et Christopher Lee, qui préfère décéder que jouer dans le film.
 
 
 
 
Le résultat de tous ces flashs, c'est un film qui vous endort sur place. On en ressort comme d'un cours de 2ème semestre de philo, en Terminale, dispensé par Monsieur Vigoureux-Smith, le lundi matin de 8h à 12h, après lequel on espère que la semaine est finie alors que c'est encore le milieu du lundi. Qui a vu ce film jusqu'au bout, en dormant les yeux grands ouverts, peut se qualifier de "méditant". Habitués à voir plus de matière, les critiques sont sortis déçus de ce pensum ridicule et lénifiant lorgnant vers le déjà maigre quoique culte Samouraï (Le) de Jean-Paul Melville tout en rendant un hommage appuyé au film de chevet du cinéaste Fincher, cinéaste coprophage : Fight Club. On ne citera qu'une plume, particulièrement acerbe et inspirée à la fois : "C'est le son de Fincher qui s'enfonce la tête dans son propre cul, entend les grondements de ses gaz intestinaux et décide de les partager avec le monde", assassinat en règle signé Jacques-Jean Smicard dans sa notule facebook sur le film. On ne résiste pas à la tentation d'en citer quand même une autre, issue de cet article que vous lisez en ce moment et prélevée ci-après, dont on apprécie l'absurde originalité et le flair astucieux : "J'ai tapé Fincher et génie dans google, et tous les résultats de la recherche associée barraient le mot génie".
 
 
The Killer de David Fincher avec Michael Fastbenber et Tilda Swinton (2023)

23 avril 2021

The Empty Man

David Prior a commencé sa carrière à Hollywood du mauvais pied. Attiré depuis son plus jeune âge par le domaine de l'imaginaire et de l'étrange, lecteur précoce de Lovecraft et fan invétéré de la saga Alien, David Prior a connu sa première expérience sur un plateau de cinéma en 1997, devant la caméra hésitante de Jean-Pierre Jeunet. C'est en effet nul autre que David Prior qui, sous une impressionnante couche de maquillage et de latex, incarnait le monstre mi-alien mi-humain qui faisait un gros câlin à Sigourney Weaver dans la scène la plus embarrassante du film de Jeunet (avant de se faire sanibroyer et aspirer vers le vide intersidéral). De David Prior, nous ne devinions en réalité que les yeux, deux billes de jais pathétiques qui, dans leur reflet humide, exprimaient la plus profonde des tristesses et un mal-être terriblement communicatif. Le regard de David Prior, personne ne l'a oublié, bien que tout le monde se soit efforcé de l'effacer de sa mémoire de cinéphage. Ses yeux caves, emplis de désespoir, offraient une image saisissante rendue possible par une détresse bien réelle, non feinte, chez celui à qui on avait annoncé qu'il allait incarner le fils de Ripley. Prior, certes un peu naïf, avait endossé ce "rôle" de façon bénévole, s'imaginant qu'il était voué à reprendre le flambeau du personnage iconique inventé par Dan O'Bannon et Ronald Shusett dans d'éventuelles suites. Durant ses quelques jours de participation à Alien la Résurrection, il s'est donc montré particulièrement serviable en coulisse, un amour d'homme, se donnant à fond, croyant vivre un rêve éveillé. En réalité, personne d'autre n'avait accepté de passer une semaine gratis dans la loge exiguë et surchauffée de maquilleurs rustres et peu appliqués pour les besoins de l'une des pires scènes de l'histoire du cinéma. Tuyauté par un vieil ami surnommé le Tank, qui s'est également avéré être l'amant de sa femme, David Prior avait quant à lui accepté du tac o tac, emporté par son enthousiasme débordant pour la saga et sans lire une seule ligne d'un scénario de malheur dont aucune copie ne lui avait été fournie. Le retour à la réalité a été douloureux, vous imaginez bien...


David Prior, circa 2005
 
Mais tout n'est pas si noir en ce bas-monde et, comme il est d'usage de le dire, David Prior a tout de même eu un peu de chance dans son malheur. Son ineffaçable regard, si poignant et hideux, d'ersatz d'homme et d'alien avait tapé dans l’œil, et le bon, d'un autre grand fan de la fameuse saga de science-fiction. Un fan, lui aussi, remonté à bloc et contrarié à jamais par son expérience particulièrement douloureuse vécue durant la réalisation d'Alien 3. Cet homme-là, c'est évidemment David Fincher. Très secoué par la fin cruelle du film de Jeunet, qu'il déteste copieusement, Fincher a remué ciel et terre pour retrouver l'acteur, l'être humain, caché derrière le monstre. A qui appartenait donc cette paire d'yeux chargée d'une telle tristesse mais allumée de cette flamme de vie si ardente ? A l'évidence, à quelqu'un qui avait conscience de la mascarade dans laquelle il était mêlé malgré lui. Après des années de recherches, menées en parallèle à des tournages assurés par-dessus la jambe, vite fait mal fait (notamment pour Panic Room, où le cinéaste était plus occupé par son enquête personnelle que par son travail de metteur en scène), David Fincher a entendu, tout à fait par hasard, dans les couloirs d'un studio, un machiniste qui avait participé au tournage du quatrième Alien et évoquait, avec une nostalgie sincère et une once de pitié, les "si bons cafés préparés par cet assistant, aux yeux aussi noirs que ce café délicieux qu'il nous servait amoureusement". Cet assistant qui, lui a-t-on précisé ensuite, "avait fini humilié dans la peau de l'hybride final ignoble". Bingo ! David Fincher avait enfin retrouvé la trace de David Prior. Il ne lui restait plus qu'à mettre sur le coup toutes ses relations au FBI, tissées lors de la préparation de Se7en, pour dénicher ses précieuses coordonnées, un 06, un mail, une adresse postale, quelque chose.


David Fincher, seul dans l'Enfer des studios, sur le tournage d'Alien 3.
 
Cela n'a pas été si simple de remonter jusqu'au bon David Prior puisqu'il en existe 3862 rien qu'à Los Angeles. Et le FBI se montrait d'une aide particulièrement nonchalante pour celui qui les avait tant saoulé par son perfectionnisme et sa maniaquerie déplacés. Les recherches traînaient. C'est dans ce laps de temps, avec peut-être l'espoir de forcer ainsi le destin, pour réparer une anomalie, rendre un peu justice à celui qui était encore pour lui un estimable inconnu, que David Fincher est allé lui-même compléter la fiche IMDb du film de Jean-Pierre Jeunet, afin d'y mentionner le nom de David Prior dans le rôle de l'alien final. Une petite anecdote méconnue qui en dit toutefois très long sur la relation à venir entre Fincher et Prior. Et c'est encore le pur hasard qui devait leur permettre de se rencontrer enfin pour de bon. Durant les repérages effectués pour les besoins de Zodiac, David Fincher a simplement eu envie de tester ce troquet dont on lui avait maintes fois parlé, comme quoi on pouvait y boire le meilleur café d'Arlington Heights. L'air abattu du serveur, son dos voûté et, surtout, son regard reconnaissable entre mille sont alors apparus comme une révélation immense pour Fincher. Les deux hommes munis du même prénom et animés d'une même passion étaient enfin réunis ! C'était un beau matin de janvier 2005, au coin d'une rue de L.A., autour d'un café bien chaud, succulent, mais loin d'être aussi bon que tous ceux que Prior allait être amené à préparer sur les tournages des projets suivants de son nouvel ami et mentor.


David Prior (tourné) et David Fincher (pointilleux), sur le tournage de Gone Girl.

David Fincher avait fait la connaissance d'une âme sensible, fragile, blessée, en grande difficulté ; un vrai paumé, hébergé en établissement médico-social, sans attache ni famille, qui parvenait à susciter encore plus d'empathie que son maudit regard aperçu auparavant ne le laissait envisager. Touché en plein cœur, décelant chez cette personne qu'il avait tant recherchée une passion sans borne pour le septième art qui pourrait peut-être lui être utile, David Fincher a alors choisi de prendre sous son aile David Prior. C'est donc autant par charité que par calcul et opportunisme que Prior est devenu le protégé d'un Fincher pour une fois compatissant, très humain. Fincher a d'abord permis à Prior de réaliser ses propres courts métrages, en lui prêtant du vieux matériel qu'il n'utilisait plus, lui laissant libre accès à ses studios personnels. Le matériel était, selon les termes de Fincher, totalement dépassé, "fucking useless", mais il ne faut pas oublier que le papa de Benjamin Button a toujours eu un temps d'avance sur la technologie audiovisuelle. Prior était donc ravi, car il pouvait en réalité profiter d'un matos encore à la pointe, que beaucoup lui auraient envié. Il bénéficiait en outre des conseils avisés de son mentor, qui ne lui fermait jamais la porte, toujours désireux d'étaler sa science. Dans le même temps, Fincher invitait son padawan à réaliser des making of sur les tournages de ses propres films. Des expériences très enrichissantes. C'est ainsi que le nom de David Prior apparaît inévitablement dans les featurettes présents sur les dvds des films de Fincher depuis 2007. En plus d'une loyauté et d'une fidélité infaillibles, Fincher pouvait compter sur sa disponibilité, son professionnalisme et son souci permanent de bien faire. En outre, Prior répondait toujours présent quand il fallait brosser le réalisateur de Social Network dans le sens du poil, lui rappeler qu'il était le meilleur et n'avait pas d'équivalent sur cette terre, ce qui s'avérait parfois très utile face à des techniciens dubitatifs et éreintés qui ne comprenaient pas pourquoi la caméra devait forcément passer par l'anse de la tasse de café tenue par Brad Pitt. Pendant ce temps, d'ailleurs, le café incroyable de David Prior continuait de faire des émules et de voir sa réputation grandir. C'est sur le tournage de Millenium que David Prior a confectionné sa propre machine à café semi-automatique, une merveille d'ingénierie produisant le meilleur café du continent nord-américain. L'adaptation ratée du best-seller de Stieg Larsson aura au moins servi à ça !


David Fincher et David Prior sur le tournage du making of de Gone Girl sur le tournage de Gone Girl.

Parallèlement à ces tâches que l'on pourrait qualifier d'ingrates mais néanmoins fructueuses et instructives, David Prior continuait à travailler dans son coin, pour ses propres projets. Souvent des trucs complètement barrés que lui seul comprenait. C'est après des nuits et des nuits de dur labeur qu'en juillet 2008, Prior s'est présenté au domicile de Fincher en portant triomphalement une clé USB qui contenait la première œuvre dont il était assez satisfait pour oser la montrer à son guide. Il s'agissait d'un moyen métrage de 39 minutes sobrement intitulé AM1200, un thriller aussi mystérieux que minimaliste qui attestait d'un véritable talent de cinéaste. Le film ne menait nulle part, mais on s'y laissait prendre, on n'y comprenait strictement rien, mais on le suivait malgré tout, happé par la beauté des images, la qualité de la photographie et une atmosphère inquiétante à souhait. Fincher était sur le cul, Prior avait réussi son coup ! Plus tard, en aparté d'un interview pour la promotion de son pire film (sans doute Benjamin Button), Fincher a déclaré, pour mettre enfin en lumière le travail de son disciple : "En 40 petites minutes, David Prior montre pourquoi il est l'un des cinéastes les plus prometteurs que j'ai jamais vus. Les gens me demandent toujours comment faire pour obtenir une carte de visite à Hollywood. Eh bien, faites quelque chose comme ça, et essayez de faire à moitié aussi bien." Une bien jolie pub de la part de l'un des cinéastes les plus respectés (à tort) d'Hollywood ; trois phrases qui ont changé la vie du réalisateur en devenir, dont le statut passait immédiatement à "under the radar" sur le site de référence Metacritic. D'abord visible sur le compte Viméo de David Prior puis mis en ligne sur YouTube par un fan pirate, AM1200 allait finir par devenir le moyen métrage le plus populaire du début du siècle, rien de moins (il a même connu les honneurs d'une édition dvd spéciale).


AM1200 ou la revanche de David Prior, sélectionné et primé dans les festivals du monde entier.

Les années ont passé et les rapports entre Fincher et Prior n'ont guère changé, à quelques menus détails administratifs près : le premier est désormais le curateur renforcé du second dont il était auparavant le tuteur. Un allègement de la mesure de protection qui devait permettre plus d'autonomie à Prior dans la gestion de ses propres biens et de ses droits de propriété intellectuelle. Malgré quelques déboires sentimentaux, David Prior a continué de nourrir d'ambitieux projets. Et, fin 2016, à la veille de l'achat de la Fox par Disney, Prior s'est pointé dans des locaux pratiquement vides pour demander le financement de son dernier scénario, un pavé illisible de 666 pages inspiré d'un comic book qui l'avait longtemps empêché de dormir, au titre énigmatique : The Empty Man. S'aventurant à pousser la porte d'une pièce plongée dans l'obscurité, Prior est alors tombé sur un homme seul et ravagé, un producteur jadis omnipotent qui venait tout juste de ranger son revolver dans le tiroir de son bureau. Après avoir baratiné son pauvre auditeur pendant un long moment, lui racontant qu'il tenait-là une histoire terrible qui s'inscrivait de plein pied dans l'horreur cosmique chère à H.P. Lovecraft, mêlant allègrement et audacieusement les genres du fantastique et du polar, David Prior a réussi à obtenir un feu vert complet, le final cut et un budget tout à fait satisfaisant. Sans le savoir, il avait aussi rappelé à ce producteur de la Fox, au bord du gouffre et à quelques secondes de commettre l'irréparable, que l'air était sans doute plus respirable ailleurs, qu'une échappatoire était encore possible, que la vie valait peut-être le coup d'être vécue. Paradoxalement, The Empty Man venait de remplir un être à la dérive d'un nouveau souffle de vie... Le film devait être le dernier projet produit par la Fox, un film de genre bizarre et débordant d'une ambition mal maîtrisée, comme il ne s'en fait quasiment plus de ce côté-ci de l'Atlantique. Une anomalie, à laquelle je vais désormais m'intéresser (il était temps).

 

 
Bouthan, 1995. Deux couples d'amis font une randonnée en haute montagne quand l'un d'eux est attiré par un étrange bruit de flûte à l'origine inconnue. Comme envoûté par ce son curieux qu'il est le seul à entendre, le randonneur fonce droit devant lui et chute dans une crevasse au bout de quelques pas. En panique, les autres vont aussitôt le secourir et le retrouvent indemne, assis en tailleur au centre d'une grotte, silencieux, imperturbable, comme médusé par un immense squelette, qui semble humain et rappelle certains croquis de H. R. Giger, gisant devant lui. Ses amis l'ignorent, les spectateurs commencent déjà à s'en douter : le pauvre gars vient de voir son esprit vidé puis possédé par une entité millénaire et innommable. Il est devenu l'homme vide du titre, le réceptacle et transmetteur d'un esprit maléfique sans âge capable de commander son monde, de dicter à n'importe quel quidam de commettre les pires atrocités, gratuitement, sans raison, comme pour rappeler à l'homme son inimportance et le confronter aux mystères insondables qui l'entourent... Ce prologue d'un quart d'heure situé dans les contreforts de l'Himalaya suscite à la fois méfiance et curiosité. Il est très ambitieux mais déjà trop long, esthétiquement soigné mais infesté de personnages inintéressants au possible, l'histoire entamée surprend mais paraît d'emblée très absurde. En fin de compte, cette introduction annonce totalement la couleur de ce qui nous attend. Le titre apparaît, avec une lettre manquante (le "P", ourquoi ?), uis nous nous retrouvons rojetés quelques années lus tard, aux States, où un ancien olicier, travaillant désormais dans un magasin de matériel de surveillance et d'autodéfense, mène une enquête suite à la dis arition inex liquée d'une jeune fille qui lui était roche. Avant de s'envoler dans la nature, celle-ci a eu le temps d'écrire, au sang, sur les murs de la salle de bains "The empty man made me do it". Une phrase que l'on retrouvera sur d'autres lieux, théâtres de disparitions inquiétantes et irrésolues, avec toutefois quelques variantes selon le niveau grammatical des victimes présumées : "Emptyman did dat", "Da empty man just wanna have fun", ou encore le plus interrogateur "Is the glass full or half empty, man ?" qui s'avèrera non lié aux autres cas.

 

 
Menace indicible et immémoriale, humanité dépassée, sans défense, remise à sa place insignifiante dans l'univers... C'est assez réducteur mais les éléments de base sont vaguement là : on peut donc effectivement parler d'horreur cosmique, comme l'avait promis Prior à la Fox, et ce, dès l'introduction, très lointainement apparentée à celle d'Alien, qui tente à l'évidence de convoquer ce grand frisson, ce vertige quasi addictif produit par Lovecraft dans la plupart de ses écrits. Précisons cependant que cette association n'est pas vraiment un très bel hommage fait à l'écrivain de Providence tant plusieurs mondes séparent les œuvres en question... Après son ouverture à moitié prometteuse, le premier long métrage de David Prior prend des allures de thriller surnaturel bouffant un peu à tous les râteliers. Cela pourrait ne pas être une mauvaise chose du tout si le mix fonctionnait mieux que ça. Sont ainsi notamment convoqués les codes habituels du slasher puisque l'on décline ici le mythe, surtout véhiculé par des memes internet, du Slender Man, cette espèce de croque-mitaine mystérieux qui prend l'allure d'une ombre filiforme et menaçante en arrière-plan de photographies de toutes les époques et de tous les coins du monde. Le film flirte aussi plus d'une fois avec la j-horror, invitant ses fantômes urbains, chevelus, mal fringués, et ses adolescents errants, destinés à être les premières victimes d'une malédiction ancestrale. On dérive également peu à peu vers l'horreur sectaire, le scénar empruntant grosso modo la même trajectoire que le Kill List de Ben Wheatley (paix à son âme) avec, au programme : organisation secrète, gourou illuminé, sombre sermon, rites païens et... arroseur arrosé. Enfin, on tient là un film policier, où l'on suit de près la procédure et l'investigation d'un ex-flic, personnage principal des plus bateau campé par un James Badge Dale plutôt convaincant qui a bien la tronche de l'emploi. Des recherches menées à grands coups de plans de coupe répétés sur des écrans d'ordinateur surfant sur Wikipédia, de vieilles brochures de journaux, et autres documents du même genre qui, c'est assez rare pour être signalé, sont pour une fois assez joliment filmés. 


 
 
Sans surprise, on pense très facilement au cinéma de Fincher, puisque Prior filme un peu de la même façon, mais plus sobrement, et cherche visiblement à insuffler une ambiance similaire aux titres les plus connus de son modèle. La parenté est toutefois suffisamment superficielle pour ne pas agacer. Le résultat à l'écran n'est jamais désagréable à l’œil, David Prior priorise la forme au fond, c'est un esthète, c'est évident. Dommage qu'il n'ait pas encore toute sa tête... Son premier long est beaucoup trop lent, inconsistant et nébuleux pour réellement accrocher. Notons également que le cinéaste tente peut-être d'apporter une dimension philosophique à son œuvre en nous montrant ostensiblement le fronton d'un lycée du nom de Jacques Derrida, ce qui ne suffit pas : ce plan n'a pas d'autre intérêt que de nous montrer que son auteur a de saines lectures. En fin de compte, toutes ces références, ces sous-genres, ces influences, mélangés pendant près de 2h30, font de The Empty Man un gloubi-boulga audacieux, oui, qui a son petit charme, certes, (ce qui suffit, si l'on en croit Wikipédia, à ce que le film jouisse d'un cult following – déjà !), mais qui est très très loin d'être réellement réussi. Trop pris par le développement pénible du très pénible Mank, David Fincher n'était guère là pour prodiguer ses conseils, et personne d'autre n'était dispo pour contrecarrer les petits plans d'un David Prior trop isolé et sûr de ses effets. The Empty Man est l’œuvre d'un homme sans doute sympathique et plein de bonnes intentions, mais livré à lui-même. Un film trop ambitieux, un peu fou, vraisemblablement issu d'un esprit pas encore très en ordre, en roues libres, qu'un ultime twist finit par rendre complètement incohérent et absurde. Une jolie promesse non tenue. Espérons que David Prior fera mieux, je continuerai à garder un œil sur sa carrière. En tout cas, si David Fincher a vu The Empty Man et qu'il continue de défendre son cher poulain dans les médias, il est bien plus qu'un mandataire judiciaire de renom, c'est un véritable ami ! 
 
 
The Empty Man de David Prior avec James Badge Dale (2020)

16 mars 2021

Mank

Le film dure 2h15 ou 15h2 ? Y'a un truc pas clair... En tout cas pour nous le temps ressenti c'est bien la moitié d'une journée qu'un malfrat nous aurait forcés à passer ligotés dans une cave insalubre uniformément grisâtre dont on distinguerait mal les contours architecturaux et la profondeur réelle... Où sommes-nous projetés ? Dans le sous-sol du monde ? Un lieu très net (8K) mais indiscernable à la fois, composé d'anti-matière et d'une surcharge de neutrons arrêtés dans leur course par le maître des clés et du temps en cette dimension perdue, le maniac cop David Fincher. On ne s'était pas autant fait chier depuis notre dernière leçon de Code, ou lors du mariage de ce cousin éloigné où Tonton Scefo a fini par faire basculer la longue table du vin d'honneur – non pas qu'il était fait, l'alcool pour une fois n'y était pour rien, il est simplement tombé raide de sommeil, du sommeil du juste –, la faisant basculer vers lui et transformant tous les tacos et verres de rouge en projectiles de catapulte, et bientôt en un tapis merdeux et pimenté projeté sur la robe de la mariée façon Jackson Pollock dans un remake sordide de Carrie au bal du diable
 
 
Nous devant Mank, à la recherche d'un peu de lumière et de chaleur

C'est difficile d'enchaîner après ça. D'autant que cette soirée de mariage est un paradoxe en soi, étant donné que l'ennui prodigieux éprouvé pendant toute la cérémonie a précisément abouti à un feu d'artifice de tacos bell qui a transformé ladite soirée en une merveille qu'un photographe méticuleux a su immortaliser dans un album de famille plus proche du Nécronomicon que d'un catalogue photobox lambda. Mais revenons au film. On a parlé de la grisaille générale, mais que dire des mentions "Extérieur jour" inscrites à l'écran au début de chaque scène, qui nous rappellent qu'on est devant un biopic sur un scénariste à la manque, ou de ces cigarette burns qui rythment les séquences avec une régularité de métronome (certains pourront se toucher l'entrejambe en calculant le perfectionnisme légendaire de notre sinistre Fincher, qui a dû s'emmerder à les caser toutes les tant de minutes, équivalant à la durée des bobines de pellicule de l'époque, alors que son film est un renoncement au cinéma sur fond vert dégueulasse pensé pour être vu sur des écrans de smartphones).
 
 
Nous après Mank, bien décidés à profiter de la vie
 
Fincher est un malade. C'est acquis. Et bizarrement c'est mis à son crédit, c'est une médaille à son revers, c'est une couronne sur son crâne lustré à mort d'addict au Head&Shoulders. Vous avez vraiment cru qu'on a réussi à envoyer un robot sur Mars ? Que dalle, le petit Persévérance à roulettes est juste allé faire un ride sur le crâne désertique et morne de David Fincher, où il y a aussi peu de vie et d'enthousiasme que sur les collines martiennes... Le visage de Mars ? Juste quelques pellicules 36mm parmi la toison clairsemée d'un cinéaste trop attaché à la propreté pour être honnête. On connaît tous des gens chez qui, dès que la porte est passée, on se fait fusiller du regard si on ne retire pas fissa ses deux pompes : chez Fincher, à peine arrivé sur le seuil de son manoir maudit, il faut retirer ses godasses, ses soquettes, rester une demi-heure dans un pédiluve blindé de Garra rufa morts de faim et modifiés génétiquement par les laboratoires Pfizer pour résister à la javel et au chlore, quand il ne demande pas tout simplement à ses hôtes de se retrousser la peau des pieds pour ne pas faire de traces sur son carrelage. 
 
 


Or, quand ce type un brin psychorigide demande à son actrice (Amanda Seyfried, à ne pas confondre avec Emma Stone ou avec un quelconque poisson-chat) de rejouer la même scène muette 200 fois, flinguant le calendrier de tournage pour toute une semaine et se torchant allègrement avec le code du travail (et pour Fincher c'est un minimum, il flingue un code civil de papier cul à chaque fois qu'il en coule un), tout le monde applaudit, trouve ça merveilleux, parle de "perfectionnisme", de "souci du détail", de "rigueur folle", de "passion de la précision", alors qu'on a affaire à un simple taré. Normalement, ça se termine aux prudhommes, les mains liées par un collier de serrage serflex tiré jusqu'au sang par un flic qui a payé son abonnement Netflix pour se vider le bulbe après une journée à briser des tibias de Gilets Jaunes, et qui n'a vu que le premier quart d'heure de Mank mais qui a passé le reste du film à essayer de taser son écran pour mettre un peu d'électricité dans tout ça et voir quelques images en technicolor. 
 
 

 
 
Au tribunal, Fincher aura bien du mal à se dédouaner, mais il mentira pendant des plombes, car c'est un menteur, il l'a prouvé en fomentant un tissu de mensonges plus gros que lui à propos de la genèse du script de Citizen Kane (œuvre dont cinq secondes prises au hasard dépassent tout ce qu'il a fait et fera dans sa vie). Un mensonge répété pendant plus de deux heures en noir et blanc, avec un sérieux de pape et des acteurs déblatérant des dialogues mortels, n'est pas une vérité. Préférez la version avec Liev <3 Schreiber.


  
 
Mank de David Fincher avec Gary Veryoldman et Amanda Seyfried (2020)

15 août 2018

Le Grand Jeu

Molly's Game est le premier long métrage réalisé par Aaron Sorkin, scénariste multi récompensé pour des films aussi marquants que Steve Jobs, The Social Network ou Le Stratège et des séries télévisées (A la Maison Blanche, The Newsroom, etc). La particularité des œuvres de Sorkin est d'être particulièrement bavardes : il nous assomme de longs dialogues et autres monologues interminables qui essaient vainement de nous donner l'impression que l'on a affaire à quelque chose de terriblement intelligent. Son premier film en tant que réalisateur n'échappe pas à la règle, il est tout ce que l'on pouvait redouter. Son unique intérêt réside en la beauté tapageuse de son actrice principale, notre idole Jessica Chastain, que l'on préfère toutefois plus naturelle, moins "bimbo". Les dialogues sans fin signés Aaron Sorkin ont en outre le fâcheux défaut d'engendrer des lignes et des lignes de sous-titres qui dissimulent les décolletés vertigineux de la star.





Jessica Chastain est Molly Bloom, une self made woman (un de ces personnages que passionnent tant Aaron Sorkin) qui a réussi à faire fortune en devenant organisatrice de parties de poker aux mises astronomiques. Le film nous retrace son parcours à l'heure où elle doit se défendre face aux accusations, aidée par un avocat habitué à relever de tels défis. Dès les premières secondes, Jessica Chastain nous martèle sur un débit mitraillette un texte imbitable fait de citations lourdingues, de formules toutes faites et de soi-disant bons mots qui tombent souvent à plat. Pris de court, on a bien du mal à se passionner pour ce qu'elle nous raconte et on peine aussi à y croire (Jessica Chastain, championne de ski de bosses ?...). Revient alors à notre esprit la première scène mortelle du Social Network de David Fincher dans laquelle un Jesse Eisenberg inarrêtable inondait Rooney Mara et le spectateur avec elle d'un flot de paroles abominable, une introduction qui avait déjà eu pour effet de nous mettre K.O. d'entrée.





Côté mise en scène, Aaron Sorkin paraît là aussi avoir peur du vide. Se prenant pour Scorsese, il vise le rythme à tout prix, par un montage très rapide, sans temps mort, qu'il doit imaginer dynamique et fun. Il nous explique le poker par des petits schémas explicatifs pathétiques qui apparaissent à l'écran comme dans un mauvais tuto Youtube. Il s'avère bien incapable de développer la moindre tension pour un jeu qui, à vrai dire, ne l'intéresse pas. Sorkin déploie en fin de compte un style très télévisuel, on se croirait devant l'épisode beaucoup trop long (140 minutes !) d'une série américaine moisie. Les acteurs participent à ce triste effet : aux côtés d'une Jessica Chastain irréprochable bien que peu étonnante dans un de ces rôles de femme de caractère auxquels elle est désormais abonnée, les hommes ne font pas du tout le poids.





Roulant des mécaniques du début à la fin, Idris Elba agace dans le rôle de l'avocat prestigieux de Molly Bloom. Il doit tenir tête à sa cliente pugnace lors de joutes verbales épuisantes où les deux se répondent du tac au tac dans de pénibles concours de répartie, chacun s'échinant à avoir le dernier mot. Mais le plus ridicule dans cette affaire est certainement le pauvre Kevin Costner que l'on était pourtant heureux de retrouver au casting d'un film de cette "envergure" (notez les guillemets). L'acteur sur le retour n'a pas hérité d'un rôle facile puisqu'il campe le père insupportable de Molly Bloom, un daron exécrable qui, le repas du soir venu, demande très solennellement à ses enfants "Alors, vous avez appris quoi à l'école aujourd'hui ?". On a juste envie de lui péter au nez... La réconciliation finale entre lui et sa fille, supposée atteindre un sommet d'émotion si l'on en croit la bande son sursignifiante qui l'accompagne, est d'une nullité absolue. Elle a pour seul effet de nous mettre une nouvelle fois face à l'indigence extrême d'Aaron Sorkin. Ce type-là ne doit pas avoir la même conception du cinéma que nous. Il nous donne envie de nous replonger dans l'âge d'or du cinéma muet et d'éviter soigneusement à l'avenir toutes les saloperies dans lesquelles il sera impliqué. Un dernier mot à l'attention de Michael Cera : tu ne nous avais pas manqué. 


Le Grand Jeu (Molly's Game) d'Aaron Sorkin avec Jessica Chastain, Idris Elba et Kevin Costner (2018)

10 mai 2018

Game Night

Jason Bateman et Rachel McAdams forment un couple accro aux jeux et à l'esprit de compétition terriblement bien affûté dans Game Night. Ils organisent tous les vendredis des soirées jeux et y invitent quelques couples d'amis. Jeux de plateau, d'adresse, de mimes, de rôles, tout y passe dans une joyeuse ambiance. Un beau soir, le frère plein aux as de Jason Bateman leur propose un jeu de rôles grandeur nature, une murder party qui consistera à retrouver les personnes qui l'ont enlevé. Evidemment, rien ne se passe tout à fait comme prévu et la petite bande se retrouve impliquée dans une sordide affaire... Version comique de The Game de David Fincher, dans lequel un Michael Douglas à cran devait supporter le scénario machiavélique inventé par son petit frère Sean Penn, Game Night joue également sur le malentendu possible entre le jeu de rôles et la réalité. Ici, c'est surtout l'occasion d'aligner les gags et les vannes et, si l'on se tord rarement de rire, on regarde tout cela plutôt amusé. Car le film est ludique et vraiment bien rythmé, on ne s'ennuie pas. Tous les personnages apportent leur petit lot de drôlerie et aucun n'est méprisable comme c'est trop souvent le cas dans les comédies actuelles.




On avait rarement vu Jason Bateman aussi agréable au cinéma, dans un rôle pourtant très simple auquel il apporte quelques petits détails comiques. Mais la vraie attraction du film est sa compagne à l'écran, la délicieuse Rachel McAdams, toujours aussi ravissante et très régulièrement drôle. L'actrice canadienne devrait plus souvent jouer dans des comédies légères de ce genre, ça lui va bien ! Jason Bateman et elle incarnent un couple plutôt attachant. Les autres personnages aussi sont assez plaisants, en particulier le crétin de base qui a toujours un temps de retard (chouette scène de soudoiement par l'argent). Mais le personnage le plus réussi du lot est clairement leur voisin flic campé par l'étonnant Jesse Plemons : un type assez flippant, qui observe de près l'activité d'un couple qui, auparavant, l'invitait à ses soirées et l'a mis de côté depuis que sa femme l'a quitté. Il a une façon de parler, très lente et sérieuse, qui prête à rire et l'acteur ne dévie jamais de cette ligne, chacune de ses apparitions apporte un vrai plus. Les réalisateurs l'ont d'ailleurs bien compris puisqu'ils consacrent entièrement à son personnage le générique final.




Alors certes, on peut regretter une ou deux scènes d'action un brin trop longues auxquelles la deuxième partie laisse une place trop importante (le début est plus réussi). On pourrait aussi rappeler amicalement au scénariste qu'il ne suffit pas d'enchaîner les références cinématographiques dans les dialogues pour faire mouche : bien que certains clins d’œil et namedropping soient effectivement bien vus et plutôt marrants, quelques uns sont trop forcés et n'ont pas l'effet escompté. Mais ces défauts ne suffisent pas à entamer le petit plaisir ressenti devant ce sympathique spectacle qui nous réserve quelques situations cocasses, que l'on aurait parfois souhaité voir être poussées encore plus loin. Le film de Jonathan Goldstein et John Francis Daley vaut donc bien mieux que son hideuse affiche. Le genre de petit film dont on attend rien du tout et qui s'avère divertissant et sympathique, porté par des acteurs qui, eux aussi, ont l'air de bien s'amuser. Une bonne surprise.


Game Night de Jonathan Goldstein et John Francis Daley avec Rachel McAdams, Jason Bateman, Jesse Plemons et Kyle Chandler (2018)

27 janvier 2015

Bilan 2014


Chaque année, nous faisons partie des derniers blogueurs ciné à livrer leur verdict sur l'année cinématographique passée. Chaque année, nous invoquons de nouvelles excuses ; cette fois-ci, nous attendions d'avoir vu Dracula Untold avant de boucler nos classements. En janvier 2011, c'est à reculons que nous nous étions soumis pour la première fois à cet exercice ; pas préparés, nous avions à peine été capables de fournir un malheureux top 5 chacun. En janvier 2012, c'est à reculons que nous nous étions adonnés pour la deuxième fois à cette pratique désormais incontournable et, pour la franchir, nous avions eu la chic idée d'unir nos forces, lors d'une froide après-midi d'hiver, autour d'un kefta-chocolat auch, passée à rédiger ensemble et sans effort une fine analyse de l'an de grâce cinématographique 2011, accompagnée du top officiel de QT, livré un exclusivité. En janvier 2013, rebelotte : kefta, chocolat, et c'était plié. Mais, déjà, l'écriture se  faisait plus laborieuse, la difficulté de l'exercice nous rattrapait et l'année suivante, cette "session" où la rédaction du top annuel était seule à l'ordre du jour, se transformait en un épinglage en règle d'un film de Rob Reiner que nous gardions depuis trop longtemps en travers de la gorge. C'est donc séparément, sans ardeur, que nous avions écrit puis regroupé nos grifouilles, surtout satisfaits de se débarrasser de ce fardeau régulier. Aujourd'hui, alors que des kilomètres nous séparent, nous avons choisi de faire plus court et, après des années de tergiversations, nous allons pour la première fois vous proposer un top commun, réunissant donc nos films préférés de 2014 en un seul et même classement de 20 titres. Une décision prise face à la si grande similarité de nos tops respectifs, et malgré la présence, un peu embêtante pour l'un d'entre nous, du Gone Girl de David Fincher. Voici donc notre top 2014 :



http://ilaose.blogspot.com/2014/02/tonnerre.html
 

http://ilaose.blogspot.com/2014/07/bird-people.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/04/night-moves.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/05/the-battery.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/04/aimer-boire-et-chanter.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/03/her.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/12/mister-babadook.html

 


1/ Under the Skin
2/ Tonnerre
3/ Deux jours, une nuit
4/ Bird People
5/ Night Moves
6/ The Battery
7/ Aimer, boire et chanter
8/ Her
9/ Mister Babadook
10/ Sils Maria
11/ Still the Water
12/ Les Bruits de Recife
15/ Sunhi
16/ P'tit Quinquin
18/ Boyhood


Il aura été assez difficile cette année d'établir un ordre précis, surtout en tête de classement. Aucun film ne s'est véritablement et très nettement détaché à nos yeux. Au lieu d'un élu écrasant, trônant seul et de façon incontestable sur l'année, on perçoit plutôt, couronnant le tout, un lot de très beaux films avec leurs petits défauts, des œuvres pour le moins différentes mais ô combien estimables. Puisqu'il en faut une, la première place revient à Under the Skin du surdoué Jonathan Glazer, peut-être le film le plus surprenant, le plus remuant, le plus ambitieux, qui sait, de l'année. Nous ne l'avons pas encore critiqué dans ces pages mais il a suscité une longue et foisonnante conversation entre tous les membres de la rédaction, trop longue et trop foisonnante sans doute pour que l'un d'entre nous trouve le courage de s'y attaquer dans un article. Pourtant le cœur y est.


Kleber Mendonça Filho, retenez ce nom, il aura une Palme un jour ! Les Bruits de Recife, son "soap opera filmé par Carpenter" est déjà une belle proposition de cinéma et, surtout, une sacrée promesse.

Deux autres films de notre top 10 n'ont pas généré de bafouilles sur ce blog, à commencer par l'excellent film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, œuvre profondément bouleversante, aussi galvaudé que soit ce mot. Comme d'autres grands films de cette année (ceux de Pascale Ferran ou de Spike Jonze, par exemple), celui des Dardenne prend notre époque à bras-le-corps (avec une triste mais évidente justesse, n'en déplaise à certains critiques pourtant habitués à mieux, qui lui ont reproché de s'arranger avec la vérité et n'ont que prouvé leur terrible méconnaissance de ladite vérité, celle du monde contemporain en général et de l'entreprise en particulier), et hausse à un niveau encore jamais atteint le cinéma des frères aux pieds palmés venus tout droit des Awires, mot compte automatiquement double au Scrabble. Tout compte double avec les Dardenne : ils sont deux, ils ont deux Palmes, l'histoire de leur dernier film se déroule sur deux jours, et ils possèdent bien deux paires de couilles grosses comme des marmites.


Le petit Ellar Coltrane zieute la même chose que nous : ce petit téton qui pointe sous le débardeur de sa mère.

L'autre "lauréat" de notre bilan qui ne figure pas encore parmi les 1040 titres (toujours bon à rappeler) de notre index, c'est Sils Maria, de l'ami Olivier Assayas, qui fêtait ses 60 ans hier (bon anniv Ounivié !). Ce film à double visage, qui puise dans toute une histoire du cinéma au risque de manquer de surprises, mais se révèle par ailleurs d'une rare maîtrise et permet à son auteur de renouer avec les sommets, trouve une place logique et somme toute assez confortable à mi-chemin de notre grand classement commun. Les autres films ? Inutile d'en dire plus, nous les avons pour la plupart critiqués (cliquez sur les liens, y'a de l'hypertexte à tous les étages sur ce blog à la pointe). Mais ne tardons plus et passons directement à l'essentiel, autrement dit à vos classements, le top et le flop de nos chers lecteurs :



http://ilaose.blogspot.com/2014/03/12-years-slave_4.html


Même si nous avons chaque année beaucoup de titres en commun, c'est la première fois que nous partageons le même n°1 que vous, et nous en sommes ravis. Under the Skin, pour le coup, domine votre classement de la tête et des épaules. L'écart qui le sépare des suivants est vertigineux. Pour le reste, le classement a somme toute bien fière allure et, si cette phrase a le moindre sens, nous pouvons dire que nous ne sommes pas peu fiers de nos lecteurs.

Autant d'ailleurs pour votre Top que pour votre Flop, qui réunit une belle envolée d'oies galeuses sur lesquelles, pour une bonne partie, nous avons tiré à feu nourri cette année (à commencer par vos trois vainqueurs, 12 Years a Slave, Lucy et Maps to the Stars, mais aussi l'inévitable Gilliam qui obtient un zéro pointé pour son archi-naze Zero Theorem). Autant d'oiseaux de mauvais augure que nous sommes ravis de voir s'éloigner pitoyablement vers les rivages de l'opprobre avec des tonnes de plomb dans l'aile. Un seul film nous semble injustement mitraillé, le très clivant Her de Spike Jonze, qui arrive 7ème de ce par ailleurs très juste flop infamant et 10ème de votre glorieux top (exploit déjà réalisé par David Cronenberg avec Cosmopolis en 2012 et par Harmony Korine avec Spring Breakers en 2013).

On remarque, statistiquement parlant, et on en terminera sur cette analyse, que le flop contient six titres de films en un seul mot. Six sur dix ! Après un petit calcul nous pouvons assurer que cela représente 60% des suffrages. Hasard ou coïncidence ? Claude Lelouch hésite en clignant des paupières comme un dingue, mais une chose est sûre, c'est que les films dont le titre tient en un mot sont manifestement plus menacés d'être à chier et de finir épinglés sur le mur de la tehon en fin d'année. Ceci expliquerait peut-être la présence forcée de Her dans le flop, malgré ses indéniables qualités. Et aurait pu justifier que Nymphomaniac y finisse aussi, qui le mérite, du coup, objectivement. Ceci est, quoi qu'il en soit, un sérieux avertissement lancé aux cinéastes qui s'apprêtent à sortir un film en 2015.


 A coup sûr, l'une des tronches marquantes de l'année 2014.

Que dire pour conclure ? Sinon merci. Cette année encore, vous avez été nombreux à participer aux votes, et nous tenons à vous remercier. Notamment Fabrice Guedon (aussitôt rebaptisé, au vu de son top tonitruant, Fabrice Guedin), Sylvain Métafiot (notre ptit, ptit, ptit, ptit métafillot), Pierre Guilho (qui a toujours du mal à établir son top de fin d'année, la faute à une persistance rétinienne de malade qui fait que les images des films de l'an passé sont encore imprimées dans sa tronche) Olivier Père (et Dieu sait que nous vous engageons à régler votre pas sur le pas de notre Père), Hamsterjovial (nous aimerions que ces jours où il est en verve et nous lâche quelques uns de ces commentaires dont il a le secret soient des jours sans fin), Le Ciné-Club de Caen (des années que nous envoyons nos souscriptions sous forme de chèques et toujours pas reçu le moindre programme, ça tourne au moins ?), Gondebaud (qui cette année nous a un peu fait faux bon de gaud), Thibault et Olivier (nos dirlo photo travelo), Édouard Sivière (qu'on attendait au tournant sur Night Moves - Nage Nocturne en VF - cette année), Max L. Ipsum (dit "Max l'Opossum" sur Senscritique.com), Camille Larbey (dont le top est tout à fait zarbey), Céline P. (que nous remercions pour les triples glaucomes dus à l'ancienne présentation de son, au demeurant, très chouette blog), le dr. Orlof (accro à la piquouse, et qui ne nous en a donc pas trop voulu d'avoir loupé son giga anniversaire cette année, une patte ce doc, bon anniv ! on est dans les temps ?), Inisfree (c'est quand que tu payes ta tournée ?!), Guillaume A. (la ramasse sur le flop, comme d'hab), Josette K. (notre chef machino, à gauche, sous le lien, sur la photo), Émilien (qui n'a pu voir que les films qui passaient dans le quartier chinetoque de Paname...), Jean-Pascal Mattéi (qui n'a pas mattéi grand chose cette année, si ce n'est son pote Taddéi), Asketoner (littéralement "demandez-le à elle", donc vous gênez pas), Fred MJG (quand se décidera-t-elle a changer de boîte mail ? Pour la 3ème fois, on ne reçoit pas tes messages !), Kevin Watrin (il a changé la première lettre de son nom, ça a changé sa vie), Victor Coulon (& the gang), Tepepa (test), Semmelweis (si vous pouviez nous en ramener un ou deux de votre prochain séjour en Suisse ? paraît que ça porte la chkoumoune !), Nolan (le changement de nom, ça suit son cours ?), Rick et Pick (mais aussi leurs acolytes Colégrame, Bour et Bour et Ratatam), Mathieu Ash (tes souhaits), Magenta Prod (frère de Pascal ? On espère pas...), et d'autres, nous avons sûrement oublié des noms, que leurs porteurs se manifestent gentiment et nous pardonnent, ou se taisent à jamais.


On espère à présent que l'année 2015 sera faite de moments de grâce, comme ceux qui parsèment le beau Still the Water de Naomi Kawase.

Mais remercions aussi nos collaborateurs fidèles de cette année, à commencer par celui qui, pour la première fois, a maté des films, déjà, puis a chaussé ses lunettes et pris la plume, nous avons nommé Vincent, routier cinéphile en direct de Salamanque (où il est connu comme le loup blanc sous le surnom de Piso 2C), mais aussi les vieux routards : Poulpard, jamais avare en racontards, Joe G. et ses multiples avatars, qui ne perd pas une occasion de foutre tout le monde mal à l'aise, Nônon Cocouan, juge et parti dans cette affaire, toujours prodigue en coups de latte pour ses têtes de turcs favorites, et puis Simon, le "darron", fan de Dominique A.(bus de voix aigüe est dangereux pour la santé) et dénicheur de gros coups invétéré (mais après coup).

Merci à tous d'avoir participé à ce bilan 2014 et, d'une manière ou d'une autre, à la vie de ce blog, que nous espérons encore longue en votre compagnie.

12 octobre 2014

Gone Girl

Même si j'essaierai de dévoiler le moins possible de l'intrigue particulièrement retorse du nouvel opus de David Fincher, je conseille d'emblée de passer leur chemin à ceux qui comptent le voir bientôt et désirent se réserver un maximum de surprises. Pour ma part, j'ignorais totalement où le cinéaste allait me mener et c'était très bien comme ça, cela m'a permis de passer un chouette moment. Je savais simplement que Ben Affleck allait se retrouver dans la tourmente suite à la mystérieuse disparition de sa femme, incarnée par Rosamund Pike. C'est tout. Et c'est bien tout ce que nous dépeint tranquillement la première partie du film durant laquelle Ben Affleck, mari infidèle que toutes les preuves accablent, se retrouve progressivement pris dans l'étau. Une première partie prenant son temps, un peu longue, mais nécessaire pour nous faire mordre à l'hameçon avant que la mécanique perverse ne se mette en marche...




Je diviserai en effet ce long métrage (2h25 au compteur) en deux grandes parties, légèrement déséquilibrées mais bien distinctes : le début, autrement dit la première partie, assez courte mais qui paraît longue, puis tout le reste, c'est-à-dire la deuxième partie, nettement plus longue mais qui paraît courte, dont je situe le début, le commencement, à partir du moment où la disparue refait surface. C'est là que le film prend une nouvelle tournure, une autre dimension, que sa construction s'alambique, se disjoint, tout en restant parfaitement limpide et cohérente. Il y a pourtant bien un moment charnière délicat où David Fincher joue avec le feu et où j'ai failli perdre pied. Ce passage durant lequel Rosamund Pike, en voix off, nous éclaire considérablement le script et change radicalement notre perception des événements passés. C'est bien l'un des seuls moments où notre as de la caméra tombe un peu dans la facilité, à coups de monologues et de flashbacks explicatifs, procédés assez maladroits mais bien pratiques pour se dépêtrer d'une scénario tordu au possible.




Gone Girl trouve ensuite son agréable rythme de croisière et réussit à surprendre très régulièrement, gardant toujours un léger temps d'avance sur nous. On se laisse ainsi manipuler et prendre au jeu avec un plaisir évident. Deux personnages évoluent alors en parallèle, l'un, en solitaire, lancé dans sa folie effrayante et entièrement calculée, l'autre, très entouré, guidé par sa volonté tenace et tout aussi réfléchie de se défendre coûte que coûte. Deux trajectoires qui parviennent à intéresser tout autant. On rigole même à l'occasion, surtout dans la dernière partie (car oui, on pourrait aussi scinder tout ça en trois, avec un ultime chapitre correspondant au retour au bercail de la disparue...), où le grotesque de la situation paraît totalement assumé. On nage alors en plein délire, comme lors de cette scène d'interrogatoire improvisé à l'hôpital, dominée par l'actrice fraîchement réapparue, intouchable, sur son nuage. 




David Fincher s'amuse et nous avec lui. Il délaisse les effets de style outranciers et souvent agaçants de ses précédents films pour une mise en scène élégante et fluide, ne se lâchant que le temps d'une scène de meurtre particulièrement gore et graphique, bien de son cru, qui intervient dans ce qui pourrait être considéré comme une sous-partie au sein de la deuxième partie (dans le cadre de ma théorie des deux grandes parties uniques). Le générique d'ouverture, d'une sobriété et d'une simplicité rares pour un Fincher, annonce bien le style. La bande originale signée par l'habituel duo Trent Reznor et Atticus Ross ne gâche rien à la fête, elle contribue grandement à donner au film son atmosphère détachée de la réalité, aérienne, survolant des bulles déconnectées de notre monde, habitées par des égos improbables. Le savoir-faire de David Fincher permet de nous faire avaler un scénario compliqué, écrit par un malade complet sans doute très malheureux en ménage. Gone Girl trouve également son salut dans une ironie et un cynisme sous-jacents qui permettent d'accepter le comportement et le caractère tout à fait invraisemblables de personnages empêtrés dans leurs nombreuses contradictions, leur narcissisme sans limite et leur désir souverain de sauver les apparences, car il n'y a bien que ça qui compte désormais, les apparences. 




Et quand je parle de personnages invraisemblables, je fais bien sûr surtout allusion à celui campé par la blonde Rosamund Pike qui entre directement au Panthéon des plus grandes timbrées jamais filmées. L'actrice, qui n'avait jusqu'alors pas prouvé grand chose et s'était le plus souvent contentée de promener sa beauté lisse et glacée devant la caméra, est vraiment remarquable dans ce rôle impossible qu'elle participe à teinter d'un humour mordant par ses expressions chafouines et son charme ambivalent. Un personnage qui risque de longtemps lui coller à la peau... Car s'il y a bien une image qui reste en mémoire, c'est celle de son regard indéchiffrable, à la fois doux, menaçant, fragile et supérieur. Troublant. Quant à l'inénarrable Ben Affleck, dont on pouvait légitimement se demander s'il était à même de porter un tel projet, l'inertie terrible qu'il dégage dans la première partie agace d'abord, avant de totalement faire sens avec son personnage de léger tocard, d'homme piégé, dépassé par les événements et, finalement, infantilisé, prisonnier, coincé. Flasque, nonchalant, indécis, atone, comme à son habitude, l'acteur, qui dit s'être inspiré du cas Michael Peterson, assure malgré tout, son jeu ne donne pas l'impression d'être très travaillé tant son aura naturel est parfaitement exploité. Ben Affleck apparaît idéalement choisi et trouve peut-être son plus grand rôle. Big up !




Sans rentrer dans une analyse approfondie du regard que porte notre ami Fincher sur l'amour, le mariage, les médias, ou que sais-je, sans resituer précisément le film dans sa filmographie pour mieux en souligner les nombreux liens et récurrences thématiques (je tiens tout de même à reconnaître que j'ai été sensible à la présence, en guise de clin d’œil réconciliateur, du fameux chat roux d'Alien, que le réalisateur avait injustement évincé de sa suite par pure insolence juvénile, provoquant la colère des fans), je dirai simplement que Gone Girl est un thriller haut de gamme, jubilatoire, maîtrisé et bien fichu, comme on en voit, hélas, trop rarement. Il s'agit sans doute du meilleur film de son auteur. A vrai dire, l'un des seuls qui m'ait pas foutu à cran !


Gone Girl de David Fincher avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Kim Dickens, Carrie Coon, Neil Patrick Harris, Tyler Perry et Patrick Fugit (2014)