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22 janvier 2023

Jeremiah Johnson

Revoir ce western c'est s'assurer un voyage vers de formidables contrées, un départ pour l'élégance et la majesté, une longue marche vers un spectacle peu commun, une ascension direction le royaume du monde sauvage, la grâce, le charme, la beauté tout simplement. Et ce pays porte un nom : Robert Redford. L'acteur est d'absolument tous les plans et les crève un par un pendant une heure trois quart. Dire que Bob Redford fut beau n'est guère nouveau, je vous l'accorde. Mais dans Jeremiah Johnson, c'est quelque chose. Comme dans quasiment tous ses autres films. Ce qui me fascine surtout c'est sa chevelure. L'acteur brave des températures inhumaines, à moins cinquante sous zéro, il affronte le blizzard, des torrents de pluie, la neige par avalanches, la faim et la soif, mais il ne quitte jamais une coiffure en tout point admirable. Ses cheveux sont épais, soyeux, toniques et brillants. Quel est son secret ? Peut-être la graisse de saumon ? Le foie de grizzli ? Je ne sais pas mais je veux le même régime alimentaire et surtout le même shampoing. Quelle tignasse de rêve ! 
 
 


 
Rien d'étonnant à ce que tous les personnages qui gravitent autour de lui, du vieux chasseur d'ours qui lui apprend à vivre seul en milieu hostile au gros couillon qu'il trouve enterré jusqu'au cou par les indiens en passant par les indiens eux-mêmes, sans oublier l'orphelin qu'il prend sous son aile et la squaw qu'on le force à épouser, tombent tous en pâmoison devant cette enflure et rêvent de le scalper.





Même quand il cède à un besoin de vengeance et devient la Nemesis de tous les indiens Crows de la région, qui lui tombent dessus l'un après l'autre, parfois à dix contre un, sans prévenir, interrompant sans ménagement un énième apéro mousse de notre bellâtre au bord d'un millième ruisseau, indiens qu'il massacre les uns après les autres, retournant à sa fourchette sitôt après en avoir occis un qui venait de lui sauter sur le râble en plein bol de cheerios, ou finissant tranquillement de s'essuyer avec une feuille de cactus après en avoir expédié un autre en enfer qui venait de jaillir d'une motte de neige alors qu'il faisait sa commission, recevant ça et là un coup de coutelas dans le creux des flancs, swissss, une flèche dans l'omoplate, flaaaaak, là un coup de tomahawk dans l'entrejambe, craaaaaaak, mais n'en ayant jamais rien à cirer et continuant à sauter de rivière glacée en piton rocheux, de fourré de ronces en talus rocailleux, tuant des Corbeaux à qui mieux mieux, eh bien même là sa coiffe est à tomber. 
 
 

 
Sa légende enfle, il devient le guerrier favori de ses pires ennemis, hante les bois et court les Rocheuses sans jamais crever malgré ses mille blessures mortelles, ses trois cent plaies ouvertes, sa couille abandonnée au fond d'un ravin et les douze mille litres de sang perdus, mais Redford Bob reste parfaitement bien coiffé. C'est le seul reproche que l'on peut faire au film de Pollack, par ailleurs si plaisant : ne pas avoir décoiffé sa star ni son film (avec, par exemple, un peu de la folie d'un Man in the Wilderness, sorti par Sarafian un an plus tôt) quand son héros éponyme devient tout autre, accède à une nouvelle dimension, de simple trappeur à Belphégor des contrées sauvages, de chasseur cueilleur à Bête du Gévaudan, de petit pionnier incarnant la grandeur du métissage et du multiculturalisme à Dame Blanche avec un max de chocolat fondu sur deux boules de vanille. 
 
 
A ce moment-là du film, la coiffure de Redford a pris son autonomie, plus resplendissante que jamais.

Ca méritait un petit coiffé-décoiffé, non ? un petit délire de scénariste ? Quelque fantaisie de mise en scène ? Pollack, ici à son meilleur, reste Pollack. D'un âne on ne fait pas un cheval de course. Un fier baudet tout de même à l'époque (dont il faudra un jour que j'évoque ici le second film, Propriété interdite, avec le même Redford et surtout l'immense Natalie Wood, film fort apprécié), et auteur jadis de quelques faits d'armes remarquables jusqu'aux Trois jours du Condor en 75. Filmographie qui mourra ensuite de sa belle mort, mais dont Jeremiah Johnson demeure un highlight sacrément bien coiffé.
 
 
 Jeremiah Johnson de Sydney Pollack avec Robert Redford, Will Geer et Allyn Ann McLerie (1972)

13 octobre 2017

Le Fantôme de Cat Dancing

Film peu connu de Richard C. Sarafian, The Man who Loved Cat Dancing est un western mais avant tout, comme son titre original le dit bien, un "film d'amour". La scène d'introduction nous plonge pourtant en plein dans le genre attendu, avec tous ses codes. Nous assistons au braquage d'un train de la malle-poste par une bande de malfrats, mais cette attaque a un témoin inattendu : Catherine Croker (Sarah Miles), une femme toute en toilette arpentant le désert seule, à cheval et sous un parapluie. Tombée au mauvais endroit au mauvais moment, la dame est aussitôt enlevée par les braqueurs, mais pourra compter sur Jay Grobart (Burt Reynolds), le chef de la troupe, pour la protéger de ses gros porcs d'acolytes qui la convoitent, et puis, par la même occasion, pour l'aider à échapper à un mariage calamiteux avec Willard Crocker (George Hamilton), un abruti machiste qui aura tôt fait de rejoindre le shérif et ses hommes à la poursuite de la joyeuse bande de fugitifs, moins pour retrouver sa femme, qu'il prévoit de battre sitôt qu'il l'aura reconquise, que pour faire tâter de son beau fusil rutilant aux ravisseurs.





Mais la scène d'introduction est peut-être la seule à s'inscrire à toute force dans les codes génériques du western. Le reste du film, auquel on peut reprocher une certaine longueur (je ne lui reproche rien), se concentre sur l'évolution des rapports entre les personnages, et notamment le rapprochement entre Jay et Catherine, personnages que Sarafian parvient à nous rendre très proches, qui se dessinent peu à peu sous nos yeux et tissent des liens émouvants. C'est d'ailleurs l'autre force de Sarafian avec ce film : tourner des scènes que l'on n'est pas prêt d'oublier.





Nous pensons par exemple à cette séquence où deux membres du gang, Dawes (Jack Warden, qui retrouve au casting Lee J. Cobb seize ans après 12 hommes en colère, ce dernier interprétant ici non pas le salaud de l'affaire, une fois n'est pas coutume, mais le shérif Lapchance, assez désabusé) et le jeune Billy (Bo Hopkins) se querellent, et où le premier finit par marteler le dos de son camarade de coups de poings, provoquant une longue agonie. Ou encore ce moment, à part dans le film, et génialement mis en scène, où les gars de la bande, réfugiés dans une cabane au sein d'un ancien campement de mineurs déserté, près d'un cours d'eau sombre et sous la lumière pâle de la lune, sont attaqués par des indiens, le tout s'achevant très vite dans un bain de sang silencieux.





La fin du film peut paraître un rien angélique, avec la visite du camp indien où Jay renoue avec son passé (Christine s'est peu à peu, et tout au long de leur périple, mutée en fantôme de son ancienne épouse indienne, à force de tresses et de visage foncé par un maquillage de terre), puis la résolution, à flanc de montagne enneigée, mais elle a le mérite de détonner et de finalement surprendre vis-à-vis des westerns crépusculaires (et autres films, de traque ou non), du Nouvel Hollywood. Cette histoire d'amour heureuse, mise en musique par John Williams, dépasse le genre et les attendus de son époque, et l'on se rappellera avec le sourire les répliques sèches et maladroites du taiseux Burt Reynolds, et le visage tartiné de boue d'une Sarah Miles s'aspergeant torse nu au bord de la rivière, définitivement débarrassée de son parapluie, de ses tenues guindées et de son corset marital, regagnant sa liberté de femme le fusil à la main.


Le Fantôme de Cat Dancing de Richard C. Sarafian avec Burt Reynolds, Sarah Miles, Jack Warden, Lee J. Cobb, George Hamilton et Bo Hopkins (1973)

23 novembre 2014

Le Convoi

Le Convoi de Sam Peckinpah (à ne pas confondre avec les géniaux Le Convoi sauvage de Richard C. Sarafian, ou le Convoi de la peur de William Friedkin), suit le parcours de Rubber Duck, routier incarné par le magnifique Kris Kristofferson. Harcelé par un vieux flic hargneux et raciste, Lyle Wallace (génial Ernest Borgnine, proche ici du Vic Morrow de Dirty Mary, Crazy Larry), Rubber Duck, idole de la communauté des chauffeurs poids-lourds, trouve immédiatement du soutien auprès, d'abord, de quelques fidèles, tels Love Machine (Burt Young) ou Spider Mike (Franklyn Ajaye), puis très vite de toute une armée de camionneurs remontés. Le convoi du titre va alors prendre une dimension hallucinante, visible dans quelques plans où la colonne de camions s'étend à perte de vue sur les routes longilignes de la vieille Amérique. Et le flic revanchard comme ses collègues devront redoubler d'efforts pour parvenir à stopper cette marche en avant solidaire et entêtée.




En 1978, Sam Peckinpah, déjà gravement malade, tourne son avant-dernier film. Le cinéaste n’a pas perdu grand chose de son panache et de son talent. Il cède certes à la facilité avec cet énième recours forcé aux ralentis dilatés dans une scène de baston générale dans un bar, poussive quoique allégée par sa part de cartoon, et on le sent bien en roues libres sur sa table de montage dans la séquence tout en fondus et surimpressions où les camions et les bagnoles de police s'égarent dans la poussière sur un chemin de terre, mais le film n'en est pas moins solide.




Le plaisir qu'il y a à embarquer dans ce Convoi tient d'abord aux acteurs en présence : le Kris Kristofferson de Pat Garrett et Billy le kid, le Ernest Borgnine de La Horde Sauvage, mais aussi Seymour Cassel, fidèle de Cassavetes, ou ce bon vieux Burt Young. L'humour du film leur doit évidemment beaucoup. On se régale aussi du mélange des genres opéré par Peckinpah, qui mêle western et road movie - le second descendant en droite ligne du premier - avec brio, notamment dans la scène mémorable où Rubber Duck s'apprête à affronter le shérif Wallace, qui retient son ami noir prisonnier dans un petit bled du Texas. Après avoir quitté le convoi pour aller retrouver sa femme sur le point d'accoucher, Spider Mike s'est fait arrêter dans un État pas spécialement réputé pour sa tendresse envers les noirs, et le shérif local l'a évidemment passé à tabac comme un sauvage. Pour aller aider son ami, Rubber Duck a donc interrompu ses négociations avec le gouverneur Haskins (Seymour Cassel), prêt à parlementer avec ces satanés routiers soutenus à travers tout le pays par la population histoire de gagner quelques voix. Mais alors qu'il croyait y aller seul, ses camarades l'ont suivi, et Peckinpah filme le camion de Rubber Duck rejoint par une foule d'autre poids-lourds sur les starting blocks face à la petite bourgade texane dans un mexican stand-off qui oppose une troupe de semi-remorques, alignés sur l'asphalte tels les héros de La Horde sauvage s'avançant vers l'armée du général mexicain Mapache, et le pauvre Ernest Borgnine retranché dans son bastion. Pas de coups de feu dans ce duel, mais des camions lancés à toute berzingue sur les murs de la prison.




La part la plus intéressante de ce film tient dans ce qu'il fait la jonction entre le cinéma américain des années 70 et celui des années 80. Peckinpah ne se refait pas totalement, et son Convoy évoque le Vanishing Point de Richard C. Sarafian, avec son routier pourchassé qui devient un mythe grâce aux communications radio, sans parler de la gratuité initiale de l’opération lancée par les camionneurs (Duck lance un définitif : « Un convoi, c’est fait pour avancer ») et de sa récupération politique tardive tous azimuts (combat des noirs, conflit au Vietnam, etc.). Mais, deux ans avant son avènement, Peckinpah a déjà un pied dans la décennie suivante, dont l’avatar le plus visible est le look terrible que trimbale Ali McGraw, avec son bronzage forcé et sa permanente à la garçonne, la fameuse et horrible coupe « Starsky » des années 80. Ces années-là seront aussi celle d’un ringardisme achevé dont le film n’est pas exempt, et surtout celles des gros bras (comment défoncer une ville entière avec de gros bahuts). On trouve aussi la marque des 80s dans le happy end qui tache, là où n’importe quel film du Nouvel Hollywood des années 70, et surtout n’importe quel film de Peckinpah, se serait jusqu’alors conclu par la mort du héros, si possible dans une explosion inutile et tragique. C’est cet enjambement, d’une décennie l’autre, entre les mains d’un cinéaste presque fini mais encore à l’affût et toujours aussi enthousiasmant, qui fait tout le sel d’un film inégal mais véritablement généreux. Inégal tout de même, disons-le, parce que Peckinpah, à travers ce finale notamment, n'est pas tout à fait lui-même. Le cinéaste tournera son dernier film, Osterman week-end, cinq ans plus tard, en 1983, et si on y retrouve un Craig T. Nelson affublé de la moustache de Tom "Magnum" Selleck, il s'agit bien là d'un pur film du Nouvel Hollywood, testament d'un auteur des années 70 ayant achevé son œuvre dans une décennie définitivement pas faite pour lui.


Le Convoi de Sam Peckinpah avec Kris Kristofferson, Ali MacGraw, Burt Young, Ernest Borgnine et Seymour Cassel (1978)

12 février 2013

Le Convoi sauvage (Man in the Wilderness)

Le titre original (Man in the wilderness) et le titre français (Le convoi sauvage) de ce chef-d’œuvre méconnu de Richard C. Sarafian sorti en 1971, si on les réunit, recomposent l'image globale d'un film fracturé en deux pratiquement dès le départ. Le cinéaste nous embarque au beau milieu d'une expédition de trappeurs pour le moins improbable (mais inspirée d'une histoire vraie) dans le nord-ouest américain des années 1820. Ayant fait le plein de peaux de castors valant leur pesant d'or, les hommes du capitaine Henry (interprété par le grand cinéaste John Huston) se dirigent vers le fleuve Missouri en tirant un bateau monté sur roues à travers les terres à l'aide d'un attelage de 22 mules. Lors d'une halte, Zachary Bass (Richard Harris), membre de l'équipage et favori du capitaine, est attaqué par un ours qui le met en pièces. Le capitaine Henry commande à deux de ses hommes de veiller sur son protégé aux portes de la mort jusqu'à ce qu'il trépasse puis de l'enterrer pendant que lui et le reste du convoi poursuivront leur route. S'il n'est pas mort au petit matin, qu'ils l'achèvent. Mais Zach Bass n'a pas l'air de vouloir y passer et ses deux fossoyeurs attitrés, effrayés par l'approche de quelques indiens, le laissent en l'état. Petit à petit, le mourant recouvre ses forces et se remet sur pattes, au point de se lancer vaille que vaille à la poursuite de ceux qui l'ont abandonné.




Autant dire que si nous sommes bien dans un western avec cette chevauchée sans pareille de chasseurs en manteaux à franges confrontés à une Amérique du nord montagneuse, enneigée et hostile, peuplée de bêtes sauvages et d'indiens, c'est à un western bien particulier et complètement hybride que nous avons affaire. Le film s'ouvre en indiquant qu'il se base (très librement en réalité) sur des faits réels mais prend immédiatement l'aspect d'un conte sidérant. Les premiers plans, où le convoi tumultueux et le bateau roulant qu'il charrie à grand bruit sur une musique géniale de Johnny Harris se distinguent lentement derrière des broussailles dans un paysage séculaire, donnent le ton en nous plaçant immédiatement devant une sorte de chimère mécanique, pure apparition jaillissant de nulle part dans un no man's land propice à l'irruption du fabuleux.




Le Convoi sauvage prend très vite l'aspect d'une légende, avec l'ancrage dans un fond de vérité historique et l'extrapolation mythologique que cela implique. Cette dualité est à l’œuvre durant tout le film (même si rien n'y est binaire ou simpliste, comme nous le confirmera la fin du récit), au point que l'histoire se scinde en deux. D'un côté le film prend la forme d'un survival, où Richard Harris se reconstruit petit à petit pour rattraper ses anciens camarades et se venger, et de l'autre celle d'une épopée homérique. La partie la plus importante de l'histoire, le titre original ne s'y était pas trompé, concerne le personnage de Zachary Bass qui, parallèlement au voyage de l'énorme véhicule monstrueux et composite du capitaine Henry, digne d'une créature féérique, va lui-même se transformer en chimère organique, mi-homme mi-bête. Après s'être fait déchiqueter par un grizzli, Zach sauve sa peau en pêchant le crabe à la main et en cueillant des baies, il se recouvre de feuilles pour que l'odeur de son sang n'attire pas les prédateurs, dispute la viande d'un bison agonisant - qu'il dévorera crue - à des loups sauvages, et n'hésite pas à chasser le léopard afin d'en utiliser la peau comme vêtement.




Difficile de ne pas penser à Essential Killing en voyant le film aujourd'hui, mais le héros de Sarafian emprunte finalement une trajectoire contraire à celle du personnage de Skolimowski, même si dans les deux cas il s'agit pour l'homme d'opposer résistance à la fatalité et de préserver coûte que coûte une part d'humanité. Le taliban joué par Vincent Gallo, peu à peu condamné à sombrer, est poussé dans ses derniers retranchements et dans ses plus bas instincts bestiaux par des circonstances sans issue, en dépit de l'insoumission farouche de sa conscience d'homme. Zachary quant à lui retrouve peu à peu forme humaine lorsqu'il réapprend à faire du feu et à se tenir debout, quand il se recouvre de peaux de bêtes et reprend la route. Il reste pourtant double jusqu'à la dernière scène : humain parce que mu dans son épreuve par le souvenir de sa femme et de son fils, la première moitié du film étant rythmée par des flashbacks sur la vie de Zach, comme dans le film de Skolimowski, visions oniriques auxquelles s'ajoute une scène d'hallucination (qui contribue d'ailleurs à installer la dimension merveilleuse du récit) dans laquelle le héros se projette parmi les siens, et cette part d'humanité du héros rejaillit d'un bloc lorsqu'il est bouleversé de voir une femme indienne accoucher seule au milieu de la forêt dans l'une des plus belles séquences du film ; mais bestial encore en tant qu'il reste obsédé par sa haine et sa volonté de vengeance.




De l'autre côté du film progresse le convoi pour le moins exceptionnel du capitaine Henry. Et c'est par là que le film s'écarte encore davantage des codes du genre pour aller flirter avec ceux du fantastique, voire du film d'horreur (les aventures de Zach, barbare carnassier survivant dans une lointaine Amérique du XIXème siècle sauvage et enneigée, ne sont pas sans faire écho au Vorace (1999) d'Antonia Bird). Le capitaine Henry est en quelque sorte un Fitzcarraldo américain. Obsédé par l'idée de faire voyager un bateau hors de l'eau, il ne se démène pas pour l'amour de l'art, comme son homologue européen dans le film de Werner Herzog, mais pour l'amour de l'or.




Et au phonographe de Klaus Kinski se substitue le canon de John Huston, placé à la proue de son navire sur roues. Avec son long manteau bleu-noir et son haut-de-forme tordu et cabossé, perché par tous les temps sur le pont de son bateau, le solitaire capitaine Henry évoque une figure de conte tragique. Plus encore dans cette scène remarquable - où l'on pense à Carpenter en croyant retrouver l'ambiance et l'univers de The Fog dans le décor de The Thing - où lui et l'un de ses hommes croient voir apparaître le fantôme de Zachary Bass dans la brume, venu se venger de leur affront.




Fantôme, Zachary Bass l'est plutôt deux fois qu'une. Revenu d'entre les morts grâce, qui sait, aux formules chamaniques proférées par quelque indien sur son corps sans forces, il est aussi le fantôme de l'Amérique elle-même. Littéralement sorti de terre, né une seconde fois de l'eau des rivières américaines et de la viande de ses créatures ancestrales, il se confond désormais avec les natifs et n'a plus rien à voir avec les trappeurs qu'il fréquentait dans sa première vie, ces pilleurs et chercheurs d'or sans scrupules défiant les lois de la nature jusqu'à l'absurde avec leur bateau traversant la lande. Quand les hommes du convoi arrivent enfin à destination, le fleuve qu'ils voulaient atteindre est desséché, et le capitaine Henry de dire "On arrive trop tard", comme si les trappeurs avides, chassant les bêtes pour leur fourrure et détruisant les ressources des premiers habitants de ces terres pour l'amour de l'or, avaient déjà pompé les dernières ressources naturelles locales au point d'avoir asséché jusqu'aux fleuves du pays.




La dimension politique et humaniste de ce film hétéroclite magistral apparaît ainsi en guise de conclusion, quand la dualité de Zachary Bass est résolue et sa trajectoire accomplie, une fois la leçon des indiens apprise, qui veulent vivre dans et avec la nature plutôt que la soumettre à une avidité déraisonnable et élever leurs fils plutôt que les abandonner pour partir en quête d'un empire dérisoire ou pour assouvir une soif d'aventure - ou de vengeance - sans lendemain. Au point que l'ex-trappeur devient quasiment le fils spirituel du chef indien qui l'a épargné et peut-être guéri quand il était à demi enseveli dans sa tombe, Richard Harris arborant à la fin du film des traces de suie noire sous les yeux et des tresses dans les cheveux. De sa seconde naissance à la fin de ce périple, Zachary Bass a progressé vers la sagesse pour redevenir humain, renoncer à sa soif de vengeance et se rappeler sa condition de père.




A travers l'odyssée de Zachary Bass sur des monts brumeux et glacés, le film fait aussi penser à Jeremiah Johnson, même si Sarafian revendiquait un aspect beaucoup moins hollywoodien, qui valut cependant au film de Sydney Pollack, sorti presque en même temps et par le même studio, d'être préféré au moment crucial du financement de la promotion. C'est sans doute en partie pour cela que Le convoi sauvage est un film finalement si peu connu. C'est pourtant une œuvre superbe, que les éditions Wild Side Videos ont eu la belle idée de rééditer en doublon avec The Man Who Loved Cat Dancing (Le Fantôme de Cat Dancing en Français, encore une histoire de spectres donc, et de fantôme indien qui plus est), autre western de Richard C. Sarafian réalisé en 1973 avec Burt Reynolds et Sarah Miles, plus étroitement lié au genre même s'il s'agit d'une magnifique histoire d'amour autant que d'un western. Deux films à découvrir ou à redécouvrir sans tarder, à commencer vous l'aurez compris par Le Convoi Sauvage, véritable merveille de western, qui s'éloigne du genre pour mieux le sublimer et qui, s'il a été injustement mis de côté pendant des années, n'est pas près d'être oublié par ceux qui voudront bien lui redonner une chance.


Le convoi sauvage (Man in the Wilderness) de Richard C. Sarafian avec Richard Harris, John Huston, Henry Wilcoxon, Percy Herbert et Dennis Waterman (1971)

15 août 2008

Vanishing Point

Lancé à fond les ballons depuis Denver et ignorant tous les principes fondamentaux du code de la route, un homme au volant d'une magnifique Dodge Challenger blanche s'est donné pour but de livrer le véhicule à San Francisco en moins de 15 heures. Tous les flics de chaque état qu'il traverse se lancent à sa poursuite.

Bien maigre synopsis, me direz-vous. Le début du film m'a en effet déconcerté, puisque je craignais qu'il s'agisse seulement d'une poursuite en bagnole d'une heure et demie. Or, j'ai beau apprécié les poursuites, surtout quand elles sont si bien filmées et si bien accompagnées musicalement, cela ne suffit tout de même pas à me tenir en haleine très longtemps. Heureusement, le film ne tarde pas trop à s'épaissir et à gagner de l'intérêt. On en apprend davantage sur le passé mouvementé du personnage principal et on devine les raisons de ses agissements absurdes. Il devient peu à peu l'égal d'un héros, une sorte de symbole pour la contre-culture américaine de ces années 70, soutenu par les hippies qu'il rencontre sur la route et guidé dans sa course par un animateur radio aveugle et noir. Il traverse également une série d'épisodes comique et émouvant, quand il se fait braquer par un couple d'auto-stoppeurs homosexuels et quand un vieillard solitaire lui vient en aide alors qu'il est perdu en plein désert.



Vanishing Point prend finalement des allures de film existentiel, indissociable de son époque, et il rappelle en ce sens des œuvres comme Easy Rider de Dennis Hopper ou encore le mémorable Macadam à Deux Voies de Monte Hellman. Ce genre de films où de jeunes gens décident, envers et contre tout, d'être totalement maîtres de leurs destins, animés par un vif désir de liberté mêlé à un profond désespoir, dans l'Amérique du début des années 70. Il s'agit également d'un film culte, dont le statut n'est pas volé.


Vanishing Point de Richard C. Sarafian avec Barry Newman et Cleavont Little (1971)