27 juin 2023

Le Souffle de la tempête

Western aujourd'hui plutôt oublié, signé Alan J. Pakula, et qu'il faudrait ranger dans cette sous-catégorie des "westerns crépusculaires" si l'on pouvait encore formuler de tels énoncés sans grimacer, ce que je viens de faire. Tourné en 78, soit, pour le dire vite, à la fin de la décennie de la fin, pour le genre, Comes a horseman, bizarrement traduit Le Souffle de la tempête en France, raconte le conflit qui oppose, en 1945, Ella Connors (Jane Fonda), héritière d'un père rancher, désormais propriétaire terrienne à la tête de tout un cheptel qu'elle gère comme elle peut avec le vieux Dodger (Richard Farnsworth), à Jacob Ewing (Jason Robards), puissant propriétaire et éleveur voisin, qui voudrait racheter toutes les terres  alentour pour faire transhumer librement ses bestiaux. Entre eux s'immisce le horseman du titre, Frank Athearn (fringant James Caan), récemment acquéreur d'un lopin de terre cédé par Ella, qu'il entendait administrer avec un pote à lui qui, dès le début du film, se fait dessouder par un séide d'Ewing. Blessé, Frank trouve refuge chez Ella qui bientôt l'embauche (et plus, car affinités, bien qu'Ella, refroidie par la gent masculine, prenne son temps pour accorder sa confiance), les deux tourtereaux travaillant de concert et luttant contre les velléités de leur rival, Ewing/Robards donc, si vous suivez toujours, qui voudrait non seulement les terres, pour être tout-puissant en son royaume ou pour les revendre à des prospecteurs de firmes pétrolières venus faire sauter la terre pour trouver de l'or noir (entre les deux options, son cœur balance), mais aussi la fille (qu'il a déjà eue quand elle était toute jeune, et qu'il a trahie, ce gros dégueulasse, d'où la réticence d'Ella à céder quoi que ce soit de sa personne ou de ses biens).


Un repas normal avant les réseaux sociaux.

Après ce résumé de douze hectares, que dire de plus, sinon que les temps changent, comme chantait Bob, et qu'après tant de westerns où les "gentils" étaient de pauvres cultivateurs spoliés par de grands éleveurs et leurs infâmes cowboys prompts à user de la gâchette, c'est ici lesdits grands éleveurs qui, ayant gagné, sont spoliés par les géants du pétrole, qui ne veulent la terre ni pour l'ensemencer ni pour y faire courir leur bétail mais pour la faire sauter et la vider de son sang. Le film n'a rien d'assez exceptionnel pour marquer durablement les mémoires (cf. la première phrase de l'article), il présente même quelques potentielles faiblesses (le règlement de comptes final rappelle que Pakula n'était pas vraiment doué pour filmer les scènes d'action) mais il bénéficie d'un beau casting. A ce propos, justement, on peut apprécier la mise en place des relations entre les personnages de Jame Caan et Jane Fonda, cette dernière, forte et décidée, résistant longtemps à accepter de l'aide ou autre chose, puis les deux, ensemble, quand Ella finit par y aller, de résister, encore, mais à deux. Dur de les voir faire ça, résister, à l'écran, en 2023, en songeant qu'en 2022 James Caan est mort il fallait bien que cela arrive et qu'en mai 2023 Jane Fonda, jadis et encore tout récemment passionaria des causes perdues, activiste engagée à l'époque, on le sait, contre la guerre du Vietnam, puis contre celle en Irak, battante féministe, militante contre le changement climatique, profitait de son audience sur la scène du palais des festival à Cannes pour répéter 18 fois le nom d'une marque de cosmétique merdique dans son discours, en pure influenceuse sur le retour. Le souffle de la tempête, en 2023, se résume-t-il à un vieux rot morbide venu du fond des âges ?
 
 
Le Souffle de la tempête d'Alan J. Pakula avec Jane Fonda, James Caan, Jason Robards et Richard Farnsworth (1978)

21 juin 2023

L'Été du démon

Sait-on ce que sont devenus les trois gosses qui ont participé à ce film ? Comment ont-ils grandi et s'ils s'en sont sortis ? Car il y a là de quoi être traumatisé pour la vie... Hiroki Iwase, Miyuki Yoshizawa et Jun Ishii incarnent respectivement Riichi, Yoshiko et Shōichi, trois enfants en bas âge abandonnés du jour au lendemain par leur mère, trop démunie pour s'occuper d'eux. Elle les laisse d'autorité à leur père, un imprimeur en faillite dont elle était la maîtresse. La femme de celui-ci, à la poigne de fer et au caractère impitoyable, voit d'un très mauvais œil l'arrivée des trois gamins et convainc le père de s'en débarrasser... Le seul pitch de ce film à de quoi glacer les sangs. Quoi de plus terrible, en effet, qu'une telle histoire d'abandon ? Quoi de pire que des parents qui s'en prennent à leurs enfants ? Le film de Yoshitarō Nomura, adapté d'une nouvelle de Seichō Matsumoto, est une sacrée épreuve pour les âmes sensibles et je vais ici forcément en révéler la teneur.
 
 

 
 
Il y a donc là-dedans des scènes très dures, même pour le spectateur aguerri ou qui sait à peu près à quoi s'attendre. Yoshitarō Nomura n'est pourtant guère à blâmer, il nous montre tout cela en restant à la bonne distance, assez froidement, sans jamais tomber dans le sordide ou le malsain, en visant plutôt le réalisme. C'est cette histoire qui est tout bonnement horrible. Il est rare, voire désormais totalement impossible, d'être confronté à cela, et de voir un enfant se faire ainsi malmener par un adulte, quand il est par exemple forcé à se taire ou à manger, au point que l'on se demande comment cela a pu être géré par l'équipe sur le tournage ! Le plus âgé des trois enfants a tout juste cinq ou six ans, le plus jeune est encore quasiment bébé, et c'est lui qui subit le plus... Peut-être est-ce parce que le réalisateur ne pouvait pas expliquer clairement le scénario du film à ses très jeunes acteurs, ou préférait même le leur cacher, que leur jeu est parfois approximatif, trop mécanique, comme absent. J'ose en tout cas l'espérer. Je note cependant que Hiroki Iwase, l'aîné, devient très juste à la toute fin, quand son personnage n'est plus qu'une boule de rage, d'amertume et d'incompréhension et qu'il regarde son père avec les yeux noirs, à jamais vidés de l'amour paternel espéré, lors de cette ultime confrontation qui finit de nous terrasser. Du côté des adultes, dans un rôle impossible, Ken Ogata, le mauvais père, s'en tire très bien et parvient presque à rendre son personnage touchant et humain. Shima Iwashita, la "belle-mère", qui pourrait être le démon du titre ou incarner l'un des pires personnages jamais inventés, réussit également à être crédible, à ne pas en faire trop.
 
 

 
 
Alors certes, les réactions des personnages sont parfois peu crédibles ou difficilement compréhensibles. Comment une mère peut-elle abandonner ainsi ses enfants ? Comment le garçon peut-il continuer à suivre son père et pourquoi ne réclame-t-il pas davantage sa frangine après la disparition de celle-ci ? Pourquoi les deux enfants apparaissent si peu perturbés suite à la mort de leur petit frère ? Et, surtout, comment un père peut-il en venir à cela ? Autant de questions que l'on se pose inévitablement et qui limitent sans doute la portée du film, expliquant peut-être pourquoi il n'est pas plus connu aujourd'hui. Mais ce n'est pas l'essentiel ici. Car malgré son réalisme et sa frontalité, L’Été du démon s'apparente à un conte, un conte particulièrement cruel, où la cohérence n'est pas primordiale. C'est au niveau psychologique que le film opère et qu'il est particulièrement dur. En dépit de son titre français peu inspiré, l'apparentant à un film d'horreur de bas étage, L'Été du démon est un drame terrible, qui prend son temps pour mieux nous laisser abasourdis et c'est bien après le mot fin que l'on mesure sa force émotionnelle.



 
 
L'intelligence de Nomura est de nous raconter son histoire avec la plus grande simplicité et une sorte de détachement malaisant, de la déplier méthodiquement, à un rythme très égal. Formellement, le cinéaste touche-à-tout au 89 longs métrages ne nous propose rien d'extraordinaire, quoique quelques plans restent en tête. Sa mise en scène est la plupart du temps très discrète mais toujours précise et réfléchie. Sort clairement du lot la scène de l'abandon de la petite fille, amenée au sommet de la tour de Tokyo par son père pour y observer la ville aux jumelles tandis qu'il se dérobe. Le dernier regard lancé par la petite fille à son père, avant que la porte de l'ascenseur ne se referme sur lui ; le visage du père quand il descend la tour puis sa façon de jeter des coups d’œil derrière son épaule tandis qu'il s'éloigne... Ces images-là ne sont pas près de me quitter. Tout comme ces plans du père, de dos, au bord de la falaise et face au soleil couchant, tenant son fils endormi dans ses bras, prêt à le lâcher. De quoi marquer durablement les esprits. La mélodie entêtante qui constitue la musique du film, déclinaisons de la berceuse d'une boîte à musique du plus petit des enfants, ne nous quitte pas, elle non plus. Oui, il y a bien quelque chose de démoniaque dans ce film.


L'Été du démon de Yoshitarō Nomura avec Hiroki Iwase, Miyuki Yoshizawa, Jun Ishii, Ken Ogata et Shima Iwashita (1978)

14 juin 2023

Godland

Dans la lignée du Jauja de l'argentin Lisandro Alonso en 2014, qui marchait dans les pas d'un officier danois débarqué en Terre de Feu avec sa fille, obligé de quitter son poste pour retrouver cette dernière, partie avec un soldat, Godland, d'Hlynur Pálmason, réinvente le parcours d'un prêtre danois parti pour l'Islande avec un ami, à la fin du 19ème siècle, pour y bâtir une église et prendre en photo la population locale. Dans les deux films, des danois exilés sont aux prises avec les éléments d'un pays étranger et hostile qu'ils arpentent dans l'adversité, marchant vers une forme de rédemption, et les deux présentent peu ou prou le même aspect : cette image presque carrée, bords légèrement arrondis, faisant la part belle aux couleurs des paysages dans des cadres très travaillés et dans de longs plans contemplatifs. On pourrait presque ajouter à la liste La Légende du Roi Crabe, des italiens Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, sorti en 2021, qui mettait en scène un rebelle coupable de meurtre contraint de s'exiler en Argentine et de se convertir chercheur d'or. Même type d'image (simplement moins carrée chez les italiens), même genre de film. Problème : les trois films ont le même défaut. Ah les images sont belles, les paysages sont magnifiques, la promesse d'aventure est là, mais au final, on s'emmerde pas mal.

 




Il me semble que Godland est cependant au-dessus de ses deux prédécesseurs (dont j'ai dû aller relire les résumés pour les pitcher ci-dessus, car je ne me souvenais de pratiquement rien). Mais il n'échappe pas à la malédiction de cette trilogie officieuse : le film dure 2h30, et les sublimes décors d'Islande, magnifiés par des plans souvent bien foutus, rien à dire là-dessus, ne suffisent pas à tout à fait à nous les faire encaisser sans broncher. Le principal souci de nos metteurs en scène esthètes venus d'Argentine, d'Italie et d'Islande, c'est qu'ils aiment à nous servir de beaux tableaux mais oublient de nous fournir un vrai scénario. 
 
 


 
L'auteur de Godland nous apprend, au début de son film, s'être inspiré de six photographies datant des débuts du médium exhumées quelque part en Islande pour essayer d'imaginer leur origine. Mais on se retrouve avec un prêtre déboussolé par son voyage, certes pénible, à dos de cheval dans les montagnes islandaises, bouleversé par la mort de son seul ami (venu jouer les traducteurs entre lui et les islandais — dommage, c'était le seul personnage sympathique du film, et leur amitié le seul point d'achoppement émotionnel pour nous, or le type meurt bêtement quasiment tout de suite), puis impliqué, avec plus ou moins de bonheur, dans la vie de la localité qu'il doit administrer au nom de Dieu, et où il trouve l'amour (mais il faut vraiment s'accrocher pour le déceler, et pour comprendre la fille qui s'en ressent pour lui), avant d'être rattrapé par ses démons et que son Dieu ne vienne lui tirer la queue.





Sauf qu'on se fout pas mal de ce prêtre et de tous les pauvres gens qui lui tournent autour. Ce qui n'est pas sans poser un frein quand il s'agit d'adhérer au film et de s'y plaire. C'était du reste le même ennui mêlé d'indifférence qui s'était saisi de moi devant Jauja et La Légende du Roi Crabe, malgré beaucoup de bonne volonté. On n'enlèvera pas à Hlynur Pálmason d'avoir réalisé quelques jolis plans (j'aurais pu en citer beaucoup d'autres pour décorer cet article), même s'il abuse un peu des travellings latéraux et des panoramiques à 360°. Rien de vraiment poseur non plus, contrairement à ce qu'on avait pu renifler chez Lisandro Alonso. S'il rechigne à filmer les corps et peine à filmer les choses (à part quelques tentatives au début, sur la mousse gorgée d'eau où Ragnar fait son yoga), Pálmason parvient tout de même à créer des plages de temps (faut dire qu'il le prend, son temps) qui ne sont pas là que pour se regarder passer mais qui, loin de toute élévation, posent la matière de ces paysages millénaires, prise dans sa durée (en particulier celle des saisons, des intempéries et de leurs lumières, et dans celle-ci le temps du pourrissement des corps), en opposition à toute transcendance.
 
 


 
Néanmoins, prenant pour personnage un passionné de photographie, et posant d'emblée son film comme inspiré d'images retrouvées, on aurait aimé que cet art prenne un peu plus de place, là encore, dans le scénario (même si une scène cruciale du film se déroule lors d'une prise photographique qui tourne mal). Les belles images que nous offre le cinéaste islandais relèvent plutôt de l'aquarelle, et c'est un compliment, quand les couleurs des rivières et des montagnes ruissellent, dans la première partie du film (quand ce dernier s'arrête de marcher, le prêtre étant arrivé, il perd beaucoup de son charme, comme le prêtre lui-même d'ailleurs, qui se rase la barbe à ce moment et ne ressemble plus à rien, alors que l'acteur, Elliott Crosset Hove, sur l'affiche, fait presque illusion, on croirait un petit frère de Roy Scheider là-dessus ma parole : en réalité, pas du tout), et notamment dans ce plan, juste après la mort et l'ensevelissement de l'ami du prêtre, où la pluie mouille l'objectif de la caméra (truc en général assez agaçant au cinéma) et semble diluer les couleurs, dans ce que l'on pourrait qualifier de "plan en pleurs", si l'on voulait faire l'honneur à Hlynur Pálmason d'un élan de poésie (si, si) que son film appelle mais ne mérite peut-être pas totalement.
 
 
Godland de Hlynur Pálmason avec Elliott Crosset Hove, Victoria Carmen Sonne et Ingvar Eggert Sigurðsson (2022)

11 juin 2023

Grand Prix

Friand des films de ce que l'on pourrait appeler l'âge d'or de John Frankenheimer, qui correspond quasiment à toutes les années 60, convaincu et séduit par le savoir-faire de ce cinéaste atypique, aux inspirations délicieuses et aux expérimentations osées, dont il faisait alors étalage, j'étais très curieux de découvrir enfin Grand Prix, le premier film d'une telle envergure entièrement consacré au monde de la Formule 1, sorti en 1966, soit quelques années avant Le Mans, piloté par l'as du volant Steve McQueen, et bien longtemps avant le sympathique Rush de Ron Howard et le moins prenant Ford versus Ferrari (aka Le Mans 66) de James Mangold. Réunion de quelques grandes vedettes multinationales de cette époque (Yves Montand, James Garner et Toshirō Mifune, côté mecs ; Eva Marie Saint, Jessica Walter et Françoise Hardy, côté meufs), Grand Prix dure trois bonnes heures et présentent, pour faire simple, deux profils : l'un très avantageux, l'autre beaucoup moins... Du bon, il y a toutes les scènes de course, tout simplement. Par bonheur, elles doivent tout de même bien constituer 40%, si ce n'est un peu plus, de la durée totale, ce qui fait déjà beaucoup et nous permet de tenir sans souci. Du mauvais côté, il y a... tout le reste ! Tout ce qui se déroule hors piste, loin des bolides, et se consacre principalement à la peinture psychologique rudimentaires et aux pénibles déboires sentimentaux de nos pilotes hors pair.


 
 
Dès le générique, qui nous saisit par le colbac, on sait que l'inspiration de John Frankenheimer était bel et bien au rendez-vous quand il s'agissait de mettre en boîte les courses de F1. Secondé par le génie du célèbre Saul Bass, le talent du cinéaste fait des premières minutes de Grand Prix un pur délice visuel et auditif, un vrai régal pour les sens, au pouvoir de fascination indéniable et toujours intact. Cette introduction, d'un bon quart d'heure, se déroule lors du fameux prix de Monaco, elle nous place d'emblée sur les pistes et plante efficacement les différents protagonistes par le biais d'interventions de chacun d'eux en voix off lors de petites parenthèses successives efficaces. Comme à sa bonne habitude, le cinéaste n'est pas avare en effets divers et variés, pleinement mis au service de l'action et de l'intensité. Il y va fort mais ça n'est pas gratuit ni vain car cela provoque véritablement l'effet escompté. Split screens en veux-tu en voilà, caméras embarquées dans le cockpit ou sur la carrosserie dérisoire des engins, à ras du bitume, vues aériennes bluffantes de maîtrise, aux mouvements gracieux, brefs inserts répétés et parfois boostés par des zooms, j'en passe et des meilleurs : tout est là pour nous immerger à fond dans l'ambiance de la course et, surtout, nous donner une impression de vitesse incroyable car bien réelle. John Frankenheimer n'étant pas du genre à tricher là-dessus, il n'a pas souhaité trafiquer la vitesse de l'image en post-production et cela se voit : rien n'est du chiqué. Pour renforcer cette impression si palpable, les images sont évidemment accompagnées du son des moteurs, mis à rude épreuve, rutilants, et qui, de près puis de loin, amplifiés par les ruelles de la ville ou assourdis par la côte ouverte sur la mer, composent une drôle d'harmonie. Bref, on y est, on a là ce qu'on était venu chercher. Toutes les autres courses seront du même acabit et constitueront de grands moments d'action pure. Le réalisateur s'y fait plaisir, flirtant presque avec une sorte d'abstraction en poussant si loin le bouchon du bruit et de la vitesse.



 
Les choses se gâtent donc dès que le film s'éloigne des pistes. Heureusement, le charisme des actrices et des acteurs fait à peu près passer la pilule, mais nous avons quand même droit à pas mal de scènes à l'intérêt très relatif et aux enjeux proches du triste feuilleton télé. On a du mal à se passionner pour le vague à l'âme d'Yves Montand qui, en pleine crise existentielle et bien qu'il soit déjà marié, s'éprend pour la journaliste américaine incarnée par Eva Marie Saint. On se fiche pas mal du pilote américain, très individualiste et aux méthodes parfois douteuses, campé par un bien fade James Garner, qui finit par signer chez l'écurie nippone par pur opportunisme. On éprouve presque un brin de mépris pour le pilote italien, macho notoire et caricature facile qui finit par lasser également la belle Françoise Hardy. Et l'on aimerait davantage se sentir concerné par les envies de revanches et de reconquêtes, amoureuses, fraternelles et sportives, du pilote britannique (Briand Bedford), dont la trajectoire est pourtant la plus singulière du lot. Là-dedans, les femmes sont trop souvent réduites à un rôle accessoire, de faire-valoir, et n'ont qu'une personnalité bien mince, généralement obnubilées par les héros qu'elles suivent malgré leurs vies toujours en danger. C'est sans doute Jessica Walter qui sort du lot, pour sa beauté fragile et son regard émouvant : il parviendrait presque à transmettre ce que le scénario ne véhicule pas vraiment. Par ailleurs, on peut s'étonner que le film ne développe pas vraiment de rivalité entre les pilotes mais insiste plutôt sur cette espèce de fraternité bien masculine les reliant tous. Sur ce point-là, Grand Prix paraît un peu daté, bien qu'il semble dans le même temps dépeindre sans ambage la terrible vacuité des courses (les morts sont nombreuses et parfois d'une étonnante brutalité). Là-dessus aussi, le film a la bonne idée de nous quitter sur un ultime plan réussi, nous laissant un goût amer : on repense forcément à toutes ces morts inutiles quand James Garner, songeur et abattu, se promène d'un pas lourd sur la ligne de départ d'une piste vide, les bruits des moteurs pourtant absents à l'image envahissants s'arrêtant soudainement pour laisser toute place aux pensées mitigées du personnage et du spectateur, en bout de course.
 
 
Grand Prix de John Frankenheimer avec James Garner, Yves Montand, Jessica Walter, Toshirō Mifune et Eva Marie Saint (1966)

4 juin 2023

Mourir peut attendre

Mourir peut attendre, ouais. Après avoir paumé presque trois heures devant cette merde, j'espère bien que clamser peut encore patienter un brin. Car de mon côté j'ai fait un sacré effort pour tenir jusqu'au bout des dernières aventures de Daniel Craig en James Bond. Oui, parce qu'il claque à la fin. Spoiler. Il se fait exploser, plus précisément. C'est supposé être poignant, j'imagine... Il sauve une dernière fois le monde mais ne peut quitter cette île au large de nulle part, qui renferme un virus dévastateur pour la planète, avant qu'elle ne soit bombardée à sa demande expresse. Un dernier coup de talkie walkie à Léa Seydoux, son ultime romance, et puis s'en va. Avant cela, il aura eu le temps de piger qu'il était daron en rencontrant donc la fille de Seydoux : elle a les mêmes mirettes que lui et elle est dotée du même sang froid en situation extrême (m'est avis qu'une petite séance chez un spécialiste des enfants, histoire de détecter si elle n'est pas atteinte de sévères troubles psy, ne serait pas farfelue...). 
 
 
Meilleur moment du film : quand il réalise qu'il est daron.
 
À part ça, eh bien on encaisse des scènes d'action relous et prévisibles, emballées sans imagination, dont strictement aucune ne sort du lot, malgré ces petits efforts parfois bien visibles (ce mini plan-séquence dérisoire, passage désormais obligé, quand Bond flingue des PNJ lambda en montant des escaliers... génial). Derrière la caméra, ça pourrait être Sam Mendes, Cary Fukunaga, Antoine Kombouaré ou Marc Forster, on n'y verrait que du feu, c'est du pareil au même. On ne craint jamais rien pour Bond puisqu'il semble bénéficier d'un bouclier balistique invisible. Il est d'une nonchalance absolue et d'une terrible lenteur, mais il s'en fout, ses ennemis sont de purs nullards. À leur tête, Rami Balek, dans le rôle du grand vilain, évidemment défiguré (ici, quand on est moche, on est méchant), fait tout son possible (c'est-à-dire pas grand chose), mais il n'a rien à faire, on comprend que dalle à ses motivations en dépit du sempiternel monologue ridicule où il révèle un peu sa psychologie déviante. On suit tout ça mollement, maintenu éveillé par les généreux kit kat balls mis à disposition, en comprenant à peine un scénar torché par une équipe de guignols peu motivés. Jamais secoué par des poursuites interminables où Bond a toujours un véhicule qui permet de faire voltiger ceux qui s'y frottent de trop près et, en prime, ne savent manifestement pas conduire. Pas non plus emballé par cette brève excursion à Cuba où notre agent fait équipe avec une Ana de Armas aux tétons bien scotchés à une robe très ouverte. Encore moins intéressé par une trop longue séquence finale dans un décor pitoyable et sans aucune tension. Bref, on attend que la chasse soit tirée une bonne fois pour toute et on est presque soulagé pour Daniel Craig qu'il soit libéré d'un tel fardeau (je plaisante, je m'en tape de cet acteur pourrave 😂). James Bond will tout de même return, nous apprend le générique final, comme à son habitude. Non mais sans déconner, quelle interminable saga à la con !


Mourir peut attendre de Cary Fukunaga avec Daniel Craig, Rami Malek et Léa Seydoux (2021)