22 novembre 2023

Vincent doit mourir

Pauvre Karim Leklou. Du jour au lendemain, il devient la cible d'agressions gratuites. Celles-ci surviennent d'abord à son boulot, dans l'ambiance d'ordinaire feutrée de bureaux de graphistes aux larges baies vitrées, puis à l'extérieur, dans la rue, partout, n'importe quand, et se font de plus en plus systématiques dès qu'il croise trop longtemps le regard d'un autre. Obligé à se confiner, à se mettre au vert, à éviter tout contact, il réalise bientôt qu'il n'est pas le seul concerné par cette sorte d'épidémie de violence irrationnelle. C'est donc à partir d'une idée de départ aussi simple que se déploie le premier long métrage de Stéphan Castang, un film original et audacieux, mélangeant les tons et les genres avec un certain succès, qui mérite pleinement d'être salué. Les premières minutes sont parsemées de quelques situations assez loufoques où Stéphan Castang dépeint le monde du travail en quelques coups de crayons glaçants, mettant en avant son ineptie par l'emploi malicieux du néo-lexique propre à ce milieu. Toute la première partie du film est la plus réussie, on hésite alors entre l'effroi et l'amusement, on en sait encore le moins possible et on a cette impression tenace de nager en plein cauchemar, un effet accentué par l'absurdité déconcertante de certaines situations et l'atmosphère digne d'un thriller paranoïaque progressivement instaurée par le cinéaste.





Il n'est jamais simple de tenir la longueur à partir d'un concept si fort et Vincent doit mourir s'essouffle un peu quand il choisit une voie plus consensuelle, tirant vers la comédie romantique un brin déjantée voire carrément torturée, en plein contexte de crise de plus en plus globale. Cela coïncide avec l'entrée en scène du personnage campé par la pourtant irréprochable Vimala Pons, toute désignée dès qu'il s'agit de s'amouracher d'un Vincent bizarre quelques années après Vincent n'a pas d'écailles, autre curieux film de genre français signé Thomas Salvador. L'actrice circassienne aux choix souvent judicieux va ici former un duo d'infortune avec Karim Leklou, dont la solitude s'achève enfin, remplacée par une harmonie en dents de scie. À partir de là, Le pas du cinéaste débutant semble moins assuré, plus timoré et convenu, moins incisif aussi. On peut le regretter. Heureusement, grâce à un final plutôt impressionnant, le film retombe tout de même sur ses pattes et nous laisse sur un souvenir positif, celui d'une version française originale de ce qui peut surtout s'apparenter à un film de zombies. Surprenant dans le sens où nous avons en effet rarement autant eu la sensation d'être mis à la place de la victime, collant à la peau d'un Karim Leklou dont nous suivons au plus près tous les malheurs. L'acteur au physique ambivalent, un peu gauche et ramollo, est idéalement choisi pour un rôle qui semble avoir été écrit pour lui. Son allure singulière participe pour beaucoup à l'étrange humour burlesque présent en filigrane. Son regard de chien battu, régulièrement cadré au plus près, s'avère aussi parfait. Nous sommes très souvent placés sous tension, à redouter pour lui les éclats de violence irrationnels à venir, et ce tout particulièrement avant la bifurcation amoureuse du récit. Miroir à peine déformé d'une société malade, le film de Stéphan Castang nous rend cette violence proprement repoussante, sciemment répugnante. On grimace bel et bien lors d'une scène mémorable d'affrontement à mort dans une fosse sceptique, sans doute le meilleur moment du film. 



 
 
En dehors de ce terrible morceau de bravoure bien crado, on peut par ailleurs regretter que la mise en scène de Stéphan Castang ne soit pas plus inventive et savante pour générer la peur. Je repense par exemple à une scène a priori banale de discussion dans un bar où une menace commence à poindre à l'extérieur, menace que l'on pourrait deviner et voir s'approcher en arrière-plan mais qui est ici assez platement amenée, la caméra du réalisateur n'exploitant guère la profondeur du champ, trop aimantée par le visage de ses acteurs (il y a une situation quasi identique dans L'Antre de la folie de John Carpenter, pour un résultat à l'écran autrement plus marquant et efficace). L'œuvre de Stéphan Castang pourrait aussi vaguement évoquer It Follows (dont une suite, réunissant le même réalisateur et la même actrice vient d'ailleurs d'être annoncée, et je suis très curieux de voir ça !), s'il faisait preuve de la même habileté que David Robert Mitchell pour faire surgir le danger et l'inquiétude au milieu de la plus vaste banalité. Malgré ces petites faiblesses et la légère déception suscitée suite à son départ canon, Vincent doit mourir est tout de même très largement recommandable, notamment pour les amateurs du cinéma de genre, dont le manque d'enthousiasme m'étonne un peu, eux qui d'ordinaire s'emballent pour bien moins que ça.


Vincent doit mourir de Stephan Castang avec Karim Leklou et Vimala Pons (2023)

15 novembre 2023

Past Lives – Nos vies d’avant

Voici donc le dernier phénomène du cinéma indé américain : Past Lives, le premier long métrage de la réalisatrice coréo-canadienne Celine Song, a fait sensation à Sundance, en janvier 2023. C'est une histoire d'amour toute simple, mais plutôt joliment racontée, en trois temps. C'est d'abord un amour d'enfance naissant, interrompu par les aléas de la vie : la famille de la petite fille, Nora, choisit d'émigrer aux États-Unis tandis que le garçon, Hae Sung, reste en Corée. Douze ans plus tard, ils se retrouvent, grâce à internet, et entretiennent sans se l'avouer une (very) long distance relationship, avant de choisir de faire une pause, d'une durée prévue d'un an, en raison de cet éloignement beaucoup trop important. Mais la vie suit son cours, chacun fait des rencontres, et c'est finalement douze ans après qu'ils se retrouveront de nouveau : ils ont à présent une trentaine d'années, et Hae Sung, fraîchement séparé de sa compagne, vient visiter New York et, surtout, revoir Nora, désormais écrivaine, installée dans East Village et quant à elle mariée... 




Longtemps, le film de Celine Song se laisse regarder poliment, toujours joliet, jamais lourd mais flirtant presque avec une certaine inconsistance. C'est que l'on a longtemps du mal à se passionner réellement pour les sentiments qu'éprouvent les deux personnages, à concevoir leur profondeur ou leur intensité, notamment lors de leurs échanges à distance, tant ceux-ci paraissent superficiels. Nous saisissons bien toutefois leur isolement, eux qui sont si souvent filmés dans des bulles, que ce soit les fenêtres Skype, les téléphériques coréens ou leurs petits studios. Le film parvient cependant à entretenir notre intérêt par ces ellipses qui le jalonnent et nous rendent forcément un peu curieux de découvrir comment vont évoluer les personnages et leur relation. La réalisatrice a aussi l'intelligence de ne pas s'éparpiller, elle se consacre exclusivement à ce couple contrarié par le temps et la distance, campé par deux acteurs, Greta Lee et Teo Yoo, plutôt agréables, dont la prise d'âge successive est très crédible. Jusqu'à ce qu'un troisième larron entre en scène...


 
 
A priori indésirable, apparenté aux parasites inévitables de toutes les romcoms hollywoodiennes à la noix, on le devine d'abord de loin : c'est un bellâtre brun qui vient contrecarrer tous nos petits plans ou au moins ralentir la formation définitive du couple attendu. Puis on le découvre de plus près et c'est là que l'on comprend avoir tout faux. Ce qui aurait pu définitivement plomber le film lui permet alors, étonnamment, de sortir du lot et de se démarquer du tout-venant du genre. Past Lives pourrait en effet être assez quelconque s'il n'était pas sauvé ou rehaussé in extremis par le personnage de l'époux américain campé par l'inoubliable pâtissier de First Cow, le bien-aimé John Magaro, qui n'a donc rien perdu de sa délicatesse. Mais si l'acteur apporte encore ici toute son élégance et sa douceur, c'est surtout la cinéaste qu'il faut saluer. Car Celine Song s'extirpe d'un piège inhérent à ce type de récits romantiques en faisant de l'habituel élément perturbateur celui qui va donner à son œuvre une sensibilité supplémentaire, en explicitant même ce problème très clairement. C'est une scène très simple de confession intime sur l'oreiller, dialogue fragile mais payant, entre cet homme à la voix fluette et tendre, loin du beau gosse de pacotille que l'on avait cru deviner à son apparition, et sa femme troublée par la situation, qui nous surprend par sa beauté sans fard. "Si nous étions les personnages d'une comédie romantique, je serais celui de trop" dit-il alors, mais beaucoup mieux que ça, pour résumé la chose. Le troisième larron existe et s'avère même précieux. 


 
 
Du trio que l'on découvre dès l'intelligente et ludique introduction du film, où, tandis que la caméra recule, la voix off de l'écrivaine s'interroge sur le rôle de chacun dans ce que l'on pourrait imaginer être un triangle amoureux, cet époux respectueux et aimant est finalement celui qui nous touche le plus. Pour sa finesse inattendue et sa légèreté bienfaitrice, et surtout le fait qu'il constitue une bonne surprise venue du cinéma indépendant américain adoubé à Sundance et pourtant a priori redouté, Past Lives rappelle à notre bon souvenir Minari, d'un autre cinéaste d'origine coréenne œuvrant en Amérique qui puisait dans ses propres souvenirs d'enfance pour nous parler d'identité et de déracinement. En dépit de sa pudeur parfois trop calculée (je pense à la toute fin, touchante mais convenue), l'œuvre de Celine Song est donc une petite réussite notable, dont nous retenons les nombreux et beaux plans larges, sublimant New York, dans lesquels nous voyons nos amoureux contrariés se retrouver et échanger, comme autant d'invitations à se perdre avec eux dans nos dérives sentimentales, à habiter un film où l'on se sent finalement plutôt bien.


Past Lives – Nos vies d'avant de Celine Song avec Greta Lee, Teo Yoo et John Magaro (2023)

25 octobre 2023

The Refrigerator

Un beau soir, en allant machinalement jeter un coup d’œil dans son frigidaire pour mesurer l'étendue de ses maigres richesses, Nicholas Jacobs, jeune scénariste new-yorkais sans le sou, a dû malencontreusement se refermer la porte sur les doigts. Un déclic s'est alors produit. Quelque chose a provoqué une vive décharge électrique le long de son nerf optique pour aller titiller les quelques neurones cachés dans son lobe pariétal gauche. Nicholas Jacobs venait d'avoir une idée, la première depuis des lustres ! Il prit soudainement conscience du potentiel horrifique de ce banal appareil électroménager, le réfrigérateur, qui n'avait encore jamais été exploité jusque-là. C'est ainsi qu'a germé l'idée de départ du film The Refrigerator sorti directement en vidéo en l'an de grâce 1991, peu de temps après la chute du mur de Berlin et la mort tragique de mon chat Leviathan, puis diffusé trois ans plus tard sur Canal +, à l'époque où la programmation de cette chaîne avait encore du sens. Même pas âgé de 10 ans mais déjà à l'affut des bonnes bobines horrifiques, j'ai découvert ce film en état de stupeur, au coin du feu, un beau matin d'hiver, aux côtés de mon père cinéphile littéralement fasciné par le titre et le pitch. Faute de pouvoir vous proposer une véritable analyse poussée de ce film qui fut décisif dans ma vie de cinéphage, je vais tout de même partager avec vous ce qu'il m'en... reste. Allusion ici à la superbe tagline de l'affiche : "No survivors. Only leftovers", "Pas de survivants. Seulement des restes", un jeu de mots brillant.


 
 
Il me semble que l'histoire débutait du mieux possible, sous le soleil, à la campagne. Un jeune couple en pleine idylle nous était présenté, une blonde (Julia McNeal) et un tocard lambda (Dave Simonds). Pour mieux monter crescendo dans l'horreur, il fallait sans doute commencer par nous exposer ce tableau parfait. Puis nos deux zigotos partaient s'installer pour New York, leur bourse modique leur permettant seulement de louer un petit appartement dans un quartier craignos de la ville. Un T1bis crado qu'ils étaient curieusement les seuls à convoiter dans une zone peu fréquentable où le marché immobilier demeure néanmoins tendu. Un appart' sordide présenté comme meublé sur la petite annonce et qui a en réalité pour seul ameublement un réfrigérateur. Un énorme frigo, d'au moins 350L, qui trône au milieu de la cuisine-salle à manger... La star du film a un look des plus communs. Le bon vieux frigo de mamie, un peu rouillé sur les coins mais toujours fonctionnel, aux poignets métalliques peu avenantes et encombrantes. Il ne s'en fait plus des comme ça aujourd'hui, on a arrêté, même les frigidaires au style "vintage" sont mieux pensés que ça. Nicholas Jacobs insiste ici sur la familiarité de cet objet qui, a priori, n'a strictement rien de particulier ; un frigo comme un autre, laid, blanc jaunâtre, imposant et très proéminent compte tenu de la petitesse du logement, mais indispensable et somme toute très pratique.


 
 
Par peur de nous ennuyer et se rappelant peut-être qu'il est aux manettes non pas d'un film d'auteur singulier mais d'une série b fauchée qui doit aller droit au but pour satisfaire son audience impatiente, Nicholas Jacobs accélère le rythme une fois le déménagement du couple effectué et n'entretient aucune sorte de suspense quant aux intentions de l'appareil maléfique. Celui-ci est possédé par une force démoniaque à l'instar de l'adolescente de L'Exorciste et de François Cluzet dans pratiquement tous ses derniers films. D'abord alerté par des aliments qui ressortaient un peu trop saignants ou un poil congelés, notre couple voit sa vie de plus en plus parasitée par l'horreur qu'ils alimentent au quotidien. En proie à de vilains cauchemars, ils apprennent que les locataires se sont succédé à vitesse grand V dans cet appartement putride, comme s'ils en avaient été chassés... Puis Nicholas Jacobs lâche progressivement les chevaux et des accidents se multiplient dans la cuisine-salle à manger, de plus en plus sanguinolents. Le refrigerator diffuse son influence malsaine et, en outre, rechigne à accomplir sa mission de base : garder la bouffe au frais. C'est donc d'abord le réparateur qui voit son bras se faire happer par la machine, celle-ci l'engloutit brutalement dans une scène restée gravée dans ma mémoire. Il faut entendre ce sosie d'Ice Cube se débattre pitoyablement et pousser des cris affolés tandis que le frigo s'en prend à lui. La scène est terrible et m'avait scotché sur place ! On doit pouvoir imaginer sans souci les techniciens occupés à tirer les ficelles hors champs, mais à l'époque, l'illusion était parfaite. 



 
Très belle idée de Nicholas Jacobs : les victimes du frigo réapparaissent ensuite en miniature sous la forme de restes, de petits plats mitonnés a priori appétissants mais bien dégoûtants quand on zieute de plus près la nature exacte des aliments. L'astuce de l'auteur-réalisateur est aussi d'entretenir le trouble via ces visions cauchemardesques : s'agit-il d'hallucinations provoquées par le réfrigérateur ou celui-ci est-il réellement capable de transformer ses victimes en bœuf bourguignon ? Autre idée sympathique de Nick Jacobs, et sans doute très pratique pour remplir le cahier des charges : le Refrigerator a un effet aphrodisiaque irrésistible sur tous ceux qui s'aventurent dans son rayon d'influence. On copule sauvagement et l'on prend son pied comme jamais contre lui, ce qui offre quelques scènes érotiques dignes d'un téléfilm du dimanche soir d'M6, un peu plus tordu que d'hab... Mon padre était amusé et moi, peut-être un peu gêné. Le meilleur moment du film, d'après mes trop vagues souvenirs, est ce final terrible lors duquel le Mal se répand sans limite dans l'appart : tous les ustensiles électroménagers se rebellent contre les occupants des lieux. Jacobs nous sert alors une sorte de clip gore de La Complainte du progrès de Boris Vian, une scène d'anthologie qui m'avait véritablement saisi à la gorge. Après ça, on ne regarde plus jamais de la même manière ses outils ménagers du quotidien, en particulier le robot mixeur, ici très vorace, il contribue en grande partie au carnage ultime. Les murs de la cuisine sont repeints en rouge.



 
Dernier souvenir du film, celui du tout dernier plan. Peut-être en guise de clin d’œil à l'excellent et sous-estimé Christine de John Carpenter, où la célèbre Plymouth terminait à la casse au milieu d'autres vieilles carrosseries de bagnoles compactées, The Refrigerator nous quitte sous la grisaille, à la décharge sordide du coin, pour nous offrir un dernier frisson similaire. Alors que le frigo a été en partie broyé et compressé, sa porte s'ouvre au bout d'un lent travelling avant qui fait froid dans le dos... Quand j'étais gosse, j'accordais une grande importance aux conclusions des films d'horreur : celle-ci m'avait pleinement satisfait. Contrairement à moi, l'hebdomadaire TV Guide s'est montré très cruel et impitoyable avec Nicholas Jacobs à la sortie du film, en ne lui accordant aucune étoile sur quatre possibles. Je vous traduis les dernières phrases de leur injuste et cruelle critique : "Peut-être que les intentions n'étaient pas de nous faire rire ou d'avoir des frissons – c'est une parodie, après tout. Peut-être Jacobs voulait-il simplement faire une allégorie sur le mal inhérent à la domesticité. Si tel était le cas, cela aurait pu être fait de nombreuses autres façons. Son Refrigerator est une sombre merde pure." Je n'ai pour ma part jamais pu revoir ce film depuis ma tendre enfance, mais je préfère à vrai dire en conserver ce si doux souvenir... 
 
 
The Refigerator (L'Attaque du frigo tueur) de Nicholas Jacobs avec Linda McNeal, Dave Simonds et Angel Caban (1991)

11 octobre 2023

The Cursed

L'histoire de la Bête du Gévaudan me fascine depuis mon plus jeune âge. Plus exactement depuis ce maudit soir où feue ma grand-mère me l'a racontée avec peut-être un peu trop de conviction et de talent. J'ai pas mal lu sur le sujet, je me suis rendu plusieurs fois sur les lieux, j'ai confronté toutes les hypothèses existantes, j'ai versé une larme devant la daube de Christophe Gans. Bref, cette histoire me tient à cœur, alors quand j'ai lu que ce film-là en proposait une nouvelle relecture, j'ai foncé les yeux fermés... Droit dans le mur, comme d'habitude. Mais j'éprouve bien moins d'animosité pour une telle œuvre, aussi anodine soit-elle, que pour un gros truc survendu. Sean Ellis ne cherche pas à mal faire, c'est évident, il est animé de bonnes intentions, il aborde le sujet avec sérieux et un certain classicisme dans la forme. On a presque envie d'y croire, avant de décrocher progressivement face à la prévisibilité et au manque d'originalité du projet, que symbolisent des personnages ennuyeux au possible campés par des acteurs fatigués (Boyd Holbrook, Kelly Reilly), et la redondance de scènes de cauchemars franchement pénibles. 




Le mythe du Gévaudan est donc ici remixé avec quelques ingrédients classiques du folklore entourant la figure du loup-garou. Toutes les idées ne sont pas mauvaises et le film contient notamment une scène d'autopsie qui surprend par sa dégueulasserie. Globalement, hélas, Sean Ellis n'est pas aidé par des CGI franchement pas jojo et une photographie grisâtre comme on en a beaucoup trop vu ces derniers temps. C'est qu'il ne faudrait pas oublier que l'action se déroule dans la campagne française au XIXe siècle... Le scénario nous propose enfin une nouvelle théorie sur la fameuse Bête (attention au spoiler – je préviens au cas où deux ou trois pelés s'aventureraient encore par ici). La Bête du Gévaudan, c'était donc encore un sale coup des gitans ! Un de leurs maudits sorts. Le genre qu'ils jettent sur ta famille et ce pour plusieurs générations si tu as le malheur de les éjecter un poil violemment d'un terrain ne leur appartenant évidemment pas et sur lequel ils ont pris leurs aises. Je sais pas vous, mais moi, j'élimine direct cette théorie de ma longue liste des possibles et retourne à mes recherches.


The Cursed de Sean Ellis avec Boyd Holbrook, Kelly Reilly et Amelia Crouch (2023)

4 octobre 2023

Bowling Saturne

Si, un beau soir, Patricia Mazuy vous propose un bowling, acceptez l'invitation, tentez le coup, vous ne serez pas déçus du voyage. Cette dame-là saura vous surprendre et vous scotcher. En tout cas, moi, je l'ai été : accroché, décontenancé, surpris par un film dont je ne savais pas grand chose et qui a su me cueillir en beauté. Âmes sensibles, méfiez-vous tout de même, on y trouve l'une des plus terribles scènes de l'année cinématographique 2022. Certes, je n'ai pas encore tout vu (d'où l'absence de top de notre part ces deux dernières années : on prend le temps de tout voir, strictement toutes les productions filmées annuelles au niveau mondial, afin de vous proposer un top sensé, et c'est assez prenant...), mais il y a donc au cœur de ce film une longue scène d'une violence inouïe. Elle est d'autant plus marquante qu'il s'agit d'abord d'une étreinte plutôt sensuelle qui glisse doucement vers un horrible féminicide, filmé sans complaisance mais de manière assez frontale par notre féroce cinéaste. Ça fout un coup, je vous préviens, on n'est jamais vraiment préparé à voir ça.


 
 
Bowling Saturne est un film sombre et cassé en deux avec, au beau milieu, une ellipse. Patricia Mazuy se penche sur une fratrie déchirée dont on devine aisément le lourd passé sans qu'elle ait à forcer le trait. Les personnages principaux, campés par deux acteurs irréprochables, sont donc deux frères, un flic ambitieux à l'existence que l'on imagine bien carrée (Arieh Worthalter) et un marginal, mystérieux, qui vit de kébabs et de petits boulots (Achille Reggiani). La première partie, la plus intrigante et déconcertante, s'intéresse à ce dernier, au frère refoulé, celui que le père, tout fraîchement décédé, n'a pas reconnu. Pour resserrer les liens et lui donner une chance de se remettre sur le droit chemin, l'autre, le flic, lui offre la gérance de ce bowling familial qui sert également de repaire aux chasseurs de la région, cette bande de vieux types peu fréquentables dont leur défunt père était le regretté leader. J'invite à présent ce qui n'ont pas vu le film à ne pas lire la suite...


 
 
C'est donc dans un contexte provincial assez singulier que Patricia Mazuy situe son œuvre atypique dont la première moitié est le glaçant portrait d'un psychopathe pur et dur. On erre avec ce type, au plus près de lui, on comprend d'abord grosso modo de quoi est faite son existence et on éprouve presque de l'empathie pour lui. Jusqu'à ce que l'on découvre, sidéré, de quoi il est capable, tout fait alors sens, la cinéaste nous ayant plutôt finement mis sur la voie. Après cette étude de personnage inaugurale qui nous laisse KO dès le premier round (j'insiste un peu trop, peut-être, mais on s'en est fadé des portraits de serial killers plus ou moins naturalistes et se voulant marquant, suffisamment pour dire que celui-ci est, dans son genre, particulièrement réussi), il y a donc une ellipse, puis le film vire au policier, au thriller, à l'enquête, devient a priori plus balisé, en se focalisant davantage sur le frère flic. Avec cette rupture nette, Bowling Saturne se renouvelle, maintient notre intérêt, conserve une ambiance déconcertante, retourne régulièrement plonger dans la lumière rougeâtre et glauque dudit bowling, jusqu'à une conclusion assez nihiliste qui s'y déroule, où la tension monte progressivement. Tout cela à peine gâché par quelques couacs regrettables...


 
 
Car oui, la dernière copie de Patricia Mazuy n'est de nouveau pas sans bavure et porte bien sa curieuse signature. En effet, ce qu'il y a d'étonnant dans ce film, tout le long, c'est que la réalisatrice mêle grande habileté et étonnante maladresse ; l'intelligence globale d'un scénario qui brasse des sujets très actuels avec une certaine acuité et un côté provocateur bienvenu est ainsi régulièrement contredite par de grosses ficelles surprenantes, qui minent un peu le suspense, voire des situations flirtant avec un léger ridicule. Je regrette d'abord quelques fausses notes évidentes qu'il est incompréhensible de tolérer dans une telle composition, des incohérences étonnantes dans le scénario d'un tel film policier. Je repense par exemple à ce moment, vers la fin, où le frère-tueur trouve le portable du frère-flic posé sur le bar de son bowling : il lit, peinard, ses sms puis répond le plus naturellement du monde quand ça sonne. Le portable pro d'un flic, sans aucun système de verrouillage donc... Peu étonnant, en réalité, que ce con de flic soit suspendu s'il est aussi peu rigoureux ! Le seul téléphone que je connaisse qui n'a pas de verrouillage, c'est le mien, car je suis trop flemmard et j'ai confiance en la Vie, mais je sais que c'est un sacré risque... Ça me joue d'ailleurs souvent des tours lors de mes week-ends avec mes neveux, qui en profitent pour me faire des blagues pas toujours d'un goût très heureux (il y a quelques POV dont je me serais bien passé, une ou deux photos mises en fond d'écran qui ont failli me coûter mon boulot...). Enfin bref, ce n'est pas gravissime, mais c'est bête, et quand ça survient lors du climax d'un film de cet acabit, c'est encore plus dommage, ça fait tiquer, on sort temporairement du film au plus mauvais moment. Autre aspect plutôt raté : la relation entre le frère-flic et la militante écolo (Y Lan Lucas), à laquelle on croit assez peu, qui est en outre fondée sur des échanges de café un brin risibles...


 
 
Malgré ces quelques bémols, qui participent peut-être paradoxalement à la plutôt charmante bizarrerie d'un film qui semble volontairement louche et bancal, je tiens à saluer le travail courageux, si ce n'est d'orfèvre, de cette drôle de cinéaste qu'est décidément Patricia Mazuy. Il est rare d'être ainsi secoué par un film français de ce genre-là, c'est vrai : on ne croise pas des thrillers de cette trempe tous les quatre matins. Et l'on peut déplorer qu'il soit resté si peu longtemps à l'affiche et n'ait pas eu le succès escompté. Peut-être n'y avait-il pas la place, la même année, pour ce film et La Nuit du 12, autre thriller costaud, plus abouti, mieux fignolé, qui brasse quelques thèmes durs similaires, en s'en saisissant également sans détour, et qui, lui, a pu rencontrer son public, remporter des trophées, avec le couronnement mérité du grand Moll. Allez savoir... Le titre de celui-ci, énigmatique à souhait, est pourtant pas mal et bien supérieur. Peut-être pas assez parlant non plus (pour info, c'est juste le nom du bowling)... Moi j'aurais vendu ce film-là comme le nouveau Se7en, un truc comme ça, à grand renfort de visuels inquiétants ou mystérieux (je me serais servi à balle du gros chien noir qui en impose, tiens !), de bandes-annonces racoleuses en veux-tu en voilà, en allant chercher tous les amoureux du cinéma de genre, quitte à faire des déçus, quitte à faire de la publicité complètement mensongère. On nous a bien fait avaler que La French était notre French Connection, ou Les Lyonnais le Heat français. La prochaine fois, Patricia, pense à oim pour promouvoir ton film !


Bowling Saturne de Patricia Mazuy avec Arieh Worthalter, Achille Reggiani, Y Lan Lucas et Leïla Muse (2022)

27 septembre 2023

La Machine à explorer le temps

On lave son linge sale en famille chez les Wells ! Dans ce film sorti en 2002 qui écœura unanimement la critique et le public, le petit Simon Wells s'en prenait sans vergogne à l’œuvre incontournable de son arrière grand-père, le si délicieusement nommé Herbert George. En choisissant de régler ses problèmes de famille sur pelloche et écran géant, pour mieux les jeter à la face du monde dans le cadre d'une psychanalyse d'envergure internationale, l'attitude de Simon Wells se rapproche clairement de celle d'une Maiwenn le Besco. C'est elle qui, dans son premier film intitulé Pardonnez-moi, filmait caméra au poing un Pascal Greggory moribond, dans le rôle de son paternel, qu'elle accusait de tous les maux. En plus d'avoir voté Sarko, elle lui reprochait principalement d'avoir abusé de sa frêle personne alors qu'elle n'avait même pas encore atteint la puberté... Sordide histoire, que le cinéma payait au prix fort.
 
 
Simon West, dans la machine inventée par son arrière-grand-père
 
Pour en revenir à La Machine à me faire paumer mon temps, la question que l'on se pose ici est la suivante : qu'a donc fait grampa' Herbert George pour mériter ça ? La question est en effet laissée en suspens car on nage ici dans le domaine de l'implicite puisque Simon Wells choisit une voie plus insidieuse que Maiwenn et se contente tout simplement d'assassiner le bouquin d'HG (prononcez "Ei-ch'-Jay" pour les intimes ou encore "Hèrbère" pour les fans allemands). Il ridiculise l'histoire de son bisaïeul, bien aidé par un Jeremy Irons survolté dans la peau de l'Über-Morlock, le chef des Morlocks qui martyrisent les petits Eloi (nota bene : il y avait justement un petit blond nommé Eloi dans ma classe de sixième, Eloi Lachuer, et coïncidence, c'était aussi le souffre-douleur de la classe je tiens à vous préciser que je n'ai pas participé à l’hallali, je faisais profil bas parce que j'étais relativement bien positionné sur la liste des souffres-douleur alternatifs). Bref, le film est très très mauvais et depuis, Simon Wells s'est spécialisé dans le film d'animation en participant notamment à Madagascar, Souris City et Gang bang de requins. Je pense que ça en dit long. A ce piètre film, préférez la version de 1960 signée George Pal qui, elle, rendait un bel hommage à l’œuvre cinégénique de Wells. 
 
 
Après les succès de Vorace et Memento, Guy Pearce enchaînait les mauvais choix
 
De mon côté, j'appellerai mes deux gosses Herbert et George, non pas en l'honneur de l'écrivain anglais ou pour réparer l'erreur commise par Simon Wells, non non, seulement parce que je trouve ces deux prénoms d'une classe folle ! Mon frère a prévu d'appeler ses gosses Matt et Damon quel que soit leur sexe ! Il est à deux doigts de réaliser ce rêve, il ne lui manque qu'une femme consentante.
 
 
La Machine à explorer le temps de Simon Wells avec Guy Pearce et Jeremy Irons (2002)

20 septembre 2023

Robot & Frank

Dans un futur proche, un vieil homme vit seul dans une belle baraque en bois. Son quotidien est fait d'aller-retour à la bibliothèque pour baver sur la plastique encore bien conservée de Susan Sarandon, de petites promenades en plein air au milieu de la chaussée pour gêner la circulation et de visites chez l'antiquaire du coin pour commettre quelques larcins sans conséquence. Car ce vieil homme est apparemment cleptomane, un cleptomane qui perd peu à peu la boule. Alzheimer pointe le bout de son nez. Son fils lui amène donc un robot qui l'aidera dans les petits gestes du quotidien et donnera du sens à sa triste vie. D'abord imposé au vieux pour lui éviter un placement prématuré en EHPAD, le robot va progressivement se faire une place dans le cœur du vieil homme et, surtout, trouver une utilité fort appréciable et plutôt étonnante pour celui qui s'avérera être un ancien gentleman cambrioleur qui a passé une bonne partie de sa vie en cabane. 


 
 
Première surprise : Angela Frank est un mec, c'est Frank Langella, qui joue donc Frank, le vieux type physiquement très en forme mais mentalement à la traîne. Autre surprise, à la vingtième minute, le film prend la tournure inattendue d'un heist movie (ou caper movie) croisé avec un buddy movie décapant où le duo de braqueurs est donc constitué d'un vieillard sénile et d'un robot servile ; un virage bienvenu qui donne un second souffle à ce long métrage d'abord très long. Frank décide donc de faire de son robot un voleur de grand chemin, son assistant personnel dans tout ce qui concerne les larcins, les vols à la tire, les forçage de coffres, les crochetages de serrures et compagnie. Malgré ses agissements borderline, le robot de ce film met un point d'honneur à respecter les fameuses lois de la robotique inventées par Isaac Asimov. Il fait donc le boulot proprement.


 
 
On pense d'abord que leur plan est de voler les bouquins de la bibliothèque avant que ceux-ci ne soient numérisés et disparaissent définitivement. On croit que le grand-père est un amoureux des livres, mais on a tout faux ! Lors du casse, le robot demande naïvement "Tu veux que je chipe quoi ? Jane Eyre ? Don Quichotte ? Et si c'était vrai ?", et le vieux lui répond "Prends le meilleur rapport poids/valeur pour pas t'encombrer, ça finira de toute façon sur eBay". En réalité, Frank est un braqueur de banque sans remord qui fait croire qu'il est gâteux, auquel on file un putain de robot dont il se sert pour préparer un putain de casse bien plus important. La bibliothèque n'est qu'un coup d'essai. Prochaine étape : le cambriolage de l'immense villa du salopard qui rôde autour de Susan Sarandon.


 
 
Ça y'est, vous savez presque tout de ce petit film inoffensif qui vous réservera une dernière surprise, un twist final qui n'ajoute toutefois aucune valeur ajoutée à l'ensemble. Ce que nous avons aimé dans Robot and Frank, c'est avant tout sa durée : 1h19 sans le générique de fin, que l'on coupe toujours immédiatement (on signale cependant que celui-ci nous propose un rapide documentaire du style "C'est pas sorcier" sur les avancées de la robotique en 2012, des images qui ont pour effet de nous glacer le sang et de nous prévenir des dérives futures). On a aussi aimé ces courtes scènes, hélas trop rares, où le robot part, à sa façon, à la découverte de son foyer d'adoption et fait connaissance avec son propriétaire fatigué. Ce dernier met du temps à apprécier la compagnie du robot mais finit par lui confier tous ses secrets et par le tenir en plus haute estime que ses propres enfants (incarnés par James Marsden, hideux mais parfois presque drôle dans le rôle du fils toujours à bout, et Liv Tyler, dont la tronche liftée et botoxée la fait de plus en plus ressembler à une vieille star du porno). 


 
 
Dans sa nouvelle maison, le robot se met très rapidement à l'aise. Il flashe d'entrée sur la machine à café, une magnifique Nespresso chromée aux couleurs chatoyantes qu'il emporte souvent avec lui dans un coin sombre pour quelques acrobaties mécaniques. Chaque mouvement du robot est accompagné par un bruit de sifflement, ce qui a pour effet de bousiller la bande sonore de ce film par ailleurs étonnamment silencieux. On ne compte plus le nombre de fois où on surprend le robot se gratter le cul, et quid de cette scène où Frank se plaint de l'odeur qui se dégage du tas de ferraille en se servant d'une de ses grosses paluches comme d'un éventail salvateur. Le robot est effectivement campé par un type d'1m60 planqué dans un costume, un pauvre gars qui devait beaucoup suer et qui a accepté de souffrir considérablement pour le rôle. On salue le courage de cet acteur non-crédité au générique et on apprécie le choix du réalisateur d'avoir su refuser la facilité, c'est-à-dire les effets spéciaux numériques. 


 
 
On peut se prendre de sympathie pour les deux protagonistes atypiques de ce film, mais on regrettera quand même sa lenteur extrême et toutes ces occasions manquées de faire davantage d'humour. Robot & Frank n'est jamais sorti au cinéma, mais il s'est taillé au fil des ans une bonne réputation chez les vieillards fans de robotique. Une niche comme une autre.


Robot & Frank de Jake Schreier avec Frank Langella, Susan Sarandon, James Marsden, Liv Tyler et Peter Sasgaard (2013)