5 août 2022

Teddy

Il y a au moins deux raisons d'être indulgent envers Teddy. Primo, il s'agit quasiment du premier long métrage du jeune duo de cinéastes constitué par Ludovic et Zoran Boukherma, 29 ans, frères jumeaux sortis de l’École de la Cité qui avaient auparavant participé à un film collectif, Willy 1er, avec le reste de leur promo. Secundo, c'est une nouvelle excursion française dans les sombres contrées du cinéma de genre qui, d'ordinaire, ne lui réussissent guère. Il est donc encore de bon ton d'accueillir un tel film à bras ouverts, en faisant preuve de la plus grande mansuétude possible. Des films de genre français, il en sort pourtant pas mal chaque année, et certains sont même récompensés dans les plus prestigieux festivals, mais il semble tout de même de rigueur de saluer l'essai, d'être clément, et d'adresser à ses auteurs des félicitations sans valeur, comme s'il s'agissait, encore aujourd'hui, où le genre n'est plus méprisé mais au contraire très prisé, d'un acte courageux, osé, rare et précieux. Est-ce vraiment rendre service à ces cinéastes débutants et à leurs petits films loin d'être bons mais jamais complètement ratés ? Je coupe court à cette digression d'humeur et laisse la question en suspend, je ne suis qu'un blogueur ciné amateur, j'essaie de suivre le mouvement, de rentrer dans le moule et de m'adapter aux mœurs de la critique professionnelle...
 



Sorti au même moment que La Nuée, et désigné avec lui comme le symbole d'un renouveau pour l'horreur franchouillarde – d'après ce que j'avais remarqué à l'époque, le petit jeu critique consistait aussi à dire si l'on a préféré l'un à l'autre, moi je botte en touche –, Teddy fait également le pari du croisement des genres et des registres. Avec force ruptures de tons, les Boukherma mêlent eux aussi horreur et naturalisme social, ce qui est la similitude la plus évidente parmi les nombreuses partagées avec le premier long de Just Philippot. Pour résumer et pour faire simple : Teddy, c'est P'tit Quinquin, dans le sud de la France, qui se transforme un loup garou. L'humour absurde de la série de Bruno Dumont, dont on reprend les policiers hurluberlus, vient pimenter l'inévitable horreur métaphorique, loup garou oblige, mise au service d'une double chronique, sociale et adolescente, dans l'air du temps. Sur le papier, les intentions sont louables et j'ai d'abord été séduit par ce film qui démarre par quelques scènes plaisantes, où l'humour décalé fonctionne bel et bien, véhiculé par des énergumènes aussi gauches qu'amusants, à commencer par le personnage éponyme, campé avec conviction par Anthony Bajon dont la grosse bouille sympathique contraste ici avec son insolence juvénile. Malheureusement, les frères Boukherma peinent à donner du corps à un scénario qui ne surprend jamais, paraît bien trop programmatique, trop lisible dans ses intentions et, surtout, n'excelle dans aucun tableau. L'aspect social – on comprend que les frères Boukherma veulent parler d'exclusion ou, au moins, car le mot est fort, du déphasage d'une jeunesse déclassée et rejetée, impatiente et vindicative – paraît à la fois trop superficiel et trop évident, peut-être même un brin hypocrite vu que leur film se complaît en même temps dans le portrait cocasse d'une France profonde attardée et léthargique (bon, ce reproche est toutefois fort car on sent également poindre la tendresse portée sur ces rigolos provinciaux par les deux cinéastes). Quant à la métaphore adolescente et pubertaire, la transformation lycanthrope s'accompagnant notamment d'un appétit sexuel insatiable, d'une pilosité envahissante et d'une force physique incontrôlable, elle est hélas extrêmement rebattue. On a déjà vu ça des dizaines de fois dans le cinéma d'horreur qui, il est vrai, a plutôt tendance habituellement à choisir un protagoniste féminin, possédé, doté de pouvoirs surnaturels et tout le toutim.




J'ai donc fini par me désintéresser progressivement des mésaventures du pauvre Teddy, personnage central que l'on aurait aimé apprécier davantage, qui échoue à gagner une réelle épaisseur et dont le sort final m'a laissé totalement indifférent. Le film est même parvenu à m'ennuyer malgré sa courte durée. Quelques éclats d'horreur corporelle ont l'air disséminé avec régularité comme pour nous rappeler le toupet de cinéastes sous influence, mais elles sont toutes beaucoup trop convenues pour impressionner, créer un léger trouble ou la moindre image marquante. Ces scènes nous proposent elles aussi des situations que l'on a déjà bien trop subies ailleurs et auparavant, avec automutilation face au miroir au rendez-vous, et leur dimension symbolique est lourdingue et éculée. Dans son dernier acte, le film perd en légèreté et en humour ce qu'il gagne en sérieux et en horreur, échouant là encore à emporter mon adhésion. Je me souviendrai surtout du climax horrifique pour son étrange maladresse : notre intenable loup garou, paria déscolarisé revanchard, commet un ultime carnage lors d'une soirée organisée entre jeunes lycéens à la salle des fêtes du coin. Pour nous montrer l'étendue du massacre, les réalisateurs nous proposent une série de plans fixes et silencieux, assez gores et peu ragoûtants, où nous voyons des corps entassés les uns sur les autres, interrompus dans leur fuite en pleine panique, baignant dans ce sang que l'on retrouve aussi en grosses trainées sur les murs. Terrorisme et tueries de masse sont ainsi convoqués par les aventureux jumeaux Boukherma à travers une succession d'images très glauques qui provoqueront des réactions diverses chez les spectateurs, de la stupeur à la perplexité. En ce qui me concerne, j'aurais préféré me rappeler de leur première œuvre personnelle pour autre chose que sa triste inconséquence.
 
 
Teddy de Zoran et Ludovic Boukherma avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludovic Torrent et Noémie Lvovsky (2021)

2 août 2022

X

J'aurais aimé ajouter à l'enthousiasme que suscite la dernière bobine horrifique de Ti West, ce réalisateur spécialisé dans le genre dont je suis la carrière avec bienveillance depuis 2009 et la sortie de son film breakthrough, The House of the Devil. Mais c'est peut-être justement parce que je connais tout le potentiel de ce cinéaste, et espère son éclatante confirmation depuis plus d'une décennie, que son dernier film m'a laissé plutôt déçu et frustré. Au point que je me mets à douter, à croire que ce type-là, au demeurant sympathique et bel et bien doué, avait donc déjà atteint, à l'époque, son plafond de verre personnel. Après nous avoir livré un film de fantômes pas désagréable mais dérisoire, un found footage raté malgré son sujet glaçant (le suicide collectif de Jonestown), puis un tout petit western sympatoche (dont on se souvient surtout du superbe chien qui accompagnait Ethan Hawke), Ti West nous propose donc un slasher postmoderne qui se place d'emblée dans l'ombre tutélaire du chef-d'œuvre de Tobe Hooper, nous laisse espérer le meilleur dès son plan d'ouverture assez génial et intriguant, mais s'avère au bout du compte beaucoup trop anecdotique malgré l'inspiration intermittente de sa mise en scène et l'originalité relative des thèmes abordés. L'action se déroule en 1979, nous suivons l'équipe de tournage d'un film porno qui a la chic idée de réaliser son nouveau projet dans la dépendance d'un vieux couple texan à la sexualité insatisfaite... Après une longue et lente exposition, procédé habituel d'un Ti West qui fait mine de s'intéresser davantage à ses personnages et ses acteurs que la plupart de ses confrères, les choses, évidemment, se gâtent et tournent au véritable bain de sang. 



 
 
L'entame soignée nous place longtemps dans l'expectative, nous met l'eau à la bouche mais, passée celle-ci, le film respecte à la lettre le programme si prévisible et pénible d'un slasher lambda, de ceux qui se produisaient à la chaîne dans les années 80. Les membres du casting se font donc zigouiller un à un, avec plus ou moins d'imagination, de cruauté et d'images-chocs lors de leurs mises à mort (un alligator s'invite même à la fête). Ne lésinant pas sur les effets gores, X révèle alors sa vraie et simple nature, surprend et intéresse de moins en moins. Il comblera facilement les aficionados, les autres, qui pourront légitimement le trouver assez chichiteux pour bien peu, moins. En outre, Ti West échoue à imposer une héroïne – l'inévitable dernière survivante du carnage – réellement digne d'intérêt, en dépit de la double implication d'une Mia Goth au charme étrange et de toutes les velléités de son scénario forceur : il nous réserve notamment une espèce de micro révélation finale artificielle concernant cette final girl que l'on devrait forcément retrouver dans d'éventuelles suites... En attendant, c'est un prequel que prépare d'ores et déjà Ti West en compagnie de son actrice vedette : il se déroulera cinquante ans plus tôt et nous narrera la vie passée de Pearl, la vieille dame du couple de psychopathes introduits ici. Des tueurs dont, pour une fois, les mobiles sont clairement définis et que Ti West prend soin de faire exister, en les filmant de près, en leur accordant du temps, en nous les montrant se débattre avec leurs démons et même faire l'amour explicitement – chose bien rare pour des personnes âgées au cinéma – sans que tout cela ne les rende marquants pour autant ! Ces vieux tout fripés sont des figures vaguement pathétiques et tourmentées qui n'ont guère la sombre aura de la famille de Leatherface et que l'on aura hélas sans doute tôt fait d'oublier. 



 
 
Âge et sexualité, décrépitude des corps et éphémérité de la beauté, sont des thèmes abordés ici de manière à la fois frontale et superficielle, tout comme la pornographie et les scènes de sexe qu'elle occasionne ne servent qu'à établir l'originalité du contexte d'un énième massacre et non à nourrir une véritable réflexion métadiscursive sur le cinéma d'horreur. Au passage, on peut s'interroger quant à la pertinence d'avoir fait jouer les deux vieux texans par des acteurs couverts de maquillage (c'était un passage obligé pour Mia Goth, qui joue donc à la fois l'héroïne sous héroïne aspirante star du porno et prête également ses traits, méconnaissables, à la vieille tueuse libidineuse). Leur vieillesse paraît si factice, fabriquée, fausse... Le côté subversif du scénario est finalement facile, seulement là pour la déco, ça sonne creux. Il est franchement dommage que l'impact de ce slasher soit en fin de course si rachitique, d'autant plus que l'on constate tout le long, à intervalles réguliers, le talent de cinéaste évident de Ti West. Il n'a pas peur de se placer dans la lignée de classiques (et des vrais – Psychose, Massacre à la tronçonneuse), nous concocte quelques plans géniaux, des idées de cadrages saisissantes, un montage judicieux, bref, tout plein de choses séduisantes et bien faites qui le placent mille coudées au-dessus de la mêlée et nous donnent très envie de nous emballer réellement pour son film. Hélas... Je soupçonne, j'accuse même Ti West, cinéaste-cinéphile doué mais paresseux, de ne réaliser que les films qu'il aurait aimé voir adolescent, entouré de sa bande de potes et de quelques bouteilles de mauvaise bière, et de s'empêcher de faire mieux. J'espère tout de même encore qu'il me contredira un jour.


X de Ti West avec Mia Goth, Jenna Ortega, Kid Cudi, Stephen Ure, Brittany Snow et Martin Henderson (2022)