4 février 2016

Everest

Avant de se lancer, une petite préparation physique s'imposait. On a maté pas mal de films sur des montagnes plus basses. D'abord, le film de vacances de tonton Scefo sur l'ascension de la dune du Pylat, la plus haute dune d'Europe. Tranquille ! On a enchaîné avec La Sanction de Clint Eastwood. 3970m : un petit Clint, un Clint mineur. Puis nous avons revu le sublime documentaire de Werner Herzog, Gasherbrum, la montagne lumineuse, sur l'alpiniste Reinhold Messner, un habitué des sommets dépassant les 8000 mètres. Dans le genre, difficile de trouver mieux. Après ça, nous étions fin prêts pour le Everest de Baltasar Kormákur, que nous attendions de pied ferme, en tant qu'amateurs de films de montagne (rappelez-vous nos articles sur K2 et Face Nord). 




Comment parler d'Everest sans revenir, même brièvement, sur la promo assez osée menée tambour battant par les studios d'Universal. Nous faisons évidemment allusion à ce tremblement de terre au Népal au moment de la sortie du film. Une opération marketing assez catastrophique... Mais nous ne pouvons pas en vouloir au réalisateur, ce sont les studios qui ont organisé ça. N'ayons pas peur des mots, c'était une opération ratée. Notre éthique indiscutable de blogueur ciné nous permettra néanmoins de dissocier l'oeuvre de ce fait divers et de juger le film pour ce qu'il est : une belle merde.




Très vite, Batlasar Kormákur ne s'avère pas à la hauteur du projet. De l'Everest, nous ne saurons rien. Où est-il situé ? Comment est-il apparu ? Pourquoi a-t-il grandi si vite ? Pourquoi s'est-il arrêté à 8848 mètres ? Comment le grimper au mieux ? Quel est le pique-nique à conseiller pour le jour J ? Toutes ces questions resteront malheureusement sans réponse. Ce film ne s'adresse ni aux scientifiques ni aux curieux, simplement aux amateurs de daubes. C'est tout juste si les grimpeurs justifieront leur idée fixe, gravir le colosse, par un laconique "Parce qu'il est là !" prononcé dans un éclat de rire général. Édifiant ! Plus con, tu meurs.




Le film de Baltasar Kormákur est l'adaptation du récit Tragédie à l'Everest (Into Thin Air: Death from Above on the World's Roof - A Personal Account of the Mt. Everest Disaster) de Jon Krakauer, publié en novembre 1997. Rappel des faits : depuis le milieu des années 90, l'Everest est, comme ma sœur, la cible des assauts répétés de dizaines et dizaines de pseudo et simili grimpeurs qui rêvent d'ajouter leurs noms à la liste, de plus en plus longue, de ceux qui ont réussi l'exploit d'atteindre le toit du monde et d'y redescendre sain et sauf. Deux expéditions faisant fi du mauvais temps décident de tenter le coup au même moment. Leur destinée tragique refroidira les ardeurs des alpinistes et marquera la fin de cette période de folie commerciale autour du plus haut sommet du monde aux flancs jonchés de détritus. 




Une quinzaine de mecs, au moins, part à l'aventure, la fleur au fusil. Comme Baltasar Kormákur est bien incapable de créer des personnages attachants, il a cru bon de s'entourer d'une panoplie d'acteurs aux tronches plus ou moins bien connues, pensant bêtement que cela suffirait à emporter l'adhésion des spectateurs. Jason Clarke, déjà entr'aperçu dans des films de sinistre mémoire, est le fade leader du gang. C'est un alpiniste chevronné qui a déjà conquis la bête plus d'une fois mais dont l'altruisme le mènera à sa perte. Josh Brolin incarne, comme à son habitude, le gros connard pas fin venu du Texas. Avec sa grosse gueule enfarinée, on aura vite envie de le voir glisser et sortir du cadre à tout jamais. Il s'en tirera bien amoché, incapable de prendre sa femme dans ses bras, couvert de bobos. Sam Worthington endosse le rôle le plus ridicule : celui du mec toujours dans les environs, au pied de l'Everest, qui regarde, la main vissée sur le front, l'air inquiet, où en sont les autres, prêt à agir en cas de souci. On le préférait sans ses guiboles dans Avorton...




Parmi toute cette bande d'acteurs, un seul retire véritablement son épingle du jeu et repart grandi de cette triste expérience : Jake Gyllenhaal. Pourquoi ? Parce qu'il est le seul à avoir réellement effectué la montée, et cela se voit ! Acteur total, héritier direct de l'école Schatzberg, que l'on a déjà vu perdre tous ses kilos superflus et se raser le crâne pour d'autres rôles, Jake Gyllenhaal a insisté pour être filmé dans les conditions du réel. Il est d'ailleurs le seul à mater du bon côté sur l'affiche. Nous éprouvons presque du respect pour son personnage que nous sommes déçus de voir mourir lentement de froid. Quant aux femmes : Robin Wright et Keira Knightley se contentent d'attendre près du téléphone, des nouvelles de leurs maris, les yeux humides, la voix tremblante. Disons-le tout net : Everest obtiendrait un résultat négatif au fameux test de Bechdel-Wallace. 




Est-ce normal de rire à la mort de chacun des personnages ? Est-ce normal de ne strictement jamais ressentir le moindre frisson, le moindre risque, le moindre vertige ? Everest révèle toutes les limites du talent et des compétences de Baltasar Kormákur. Son film ne fait aucun effet. Aucune tension dramatique. Aucun suspense. Aucune émotion, une fois le sommet foulé du pied par quelques uns de ces crétins dont la passion nous paraît bien étrangère. Et ne comptez pas sur Kormákur pour rendre la montagne cinégénique. Il n'y a même pas de beaux paysages à regarder. Et quand débarque la tempête fatale, nous avons droit à des effets numériques d'une laideur peu commune, c'est une merde grisâtre et lisse qui envahit l'écran mollement. Everest est raté sur toute la ligne et vient seulement nous rappeler qu'à Hollywood, les cinéastes capables de torcher des films efficaces sont désormais de plus en plus rares... 


Everest de Baltasar Kormákur avec Jason Clarke, Jake Gyllenhaal, Keira Knightley, Robin Wright Penn, Sam Worthington et Josh Brolin (2015)

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