29 septembre 2017

Visite ou Mémoires et confessions

Une fois encore, Manoel de Oliveira défia le temps. Bam. Phrase. En 2016, un an après la mort du cinéaste portugais, à l'âge de 106 ans, sort sur les écrans un film inédit, gardé secret, un testament filmé en 1982, par un vieil homme déjà, de 74 ans, à qui il ne restait que la bagatelle de 35 ans à vivre et 25 films à faire (il évoque à un moment le scénario de L'étrange affaire Angelica, qui ne sera tourné qu'en 2010, et que l'on retrouve par anticipation dans l'image choisie comme affiche pour Visite ou Mémoires et confessions). A cette époque, Oliveira doit vendre la maison familiale pour payer ses dettes, mais il décide de la filmer avant de la quitter, histoire de se raconter, à travers des récits de souvenirs qu'il nous fait lui-même, face caméra, entre deux projections de films d'archives familiales (sa femme, Maria Isabel, coupant des fleurs, par exemple) mais surtout au fil des déambulations de la caméra, rythmées par deux voix off, l'une masculine, l'autre féminine, dans les pièces désertes de la grande demeure, désertes mais non vides, chargées encore de meubles, de bibelots, de photographies, de toute une vie.





Ce sont ces lentes traversées de la maison de famille qui fascinent le plus. La caméra donne l'impression de nous révéler en vision subjective ce que découvrent les deux voix, deux voix sans corps (des nouveaux arrivants invisibles, flottant dans une maison abandonnée bien que toujours habitée par son ancien propriétaire, on n'est pas loin de l'ambiguïté des Autres), qui progressent de pièce en pièce et commentent la visite. Parfois, l'une ou l'autre de ces voix s'interrompt, croyant avoir entendu quelqu'un au rez-de-chaussée ou dans une pièce voisine. Cette troisième voix n'est autre que celle de Manoel de Oliveira lui-même, que nous retrouvons alors dans son bureau, entouré d'un projecteur, de livres et d'un portrait de la Joconde (figure clé, une dizaine d'années plus tard, de Val Abraham), et nous parlant aussi bien de ses enfants et de son épouse, à travers quelques anecdotes, que de ses rencontres et de ses goûts (il confesse sa préférence, au sein des cinéastes portugais, pour Paulo Rocha). De sorte que De Oliveira, dans ce drôle d'objet filmique à la 1ère personne, autobiographie par le prisme très parlant du lieu et des objets, hante sa propre maison et son propre film, comme s'il était déjà mort. Et nous de le retrouver vivant, avec 35 ans de retard, ou avec 35 ans d'avance sur lui, un ou deux ans déjà après sa disparition.


Visite ou Mémoires et confessions de Manoel de Oliveira avec lui-même (1982 - 2016)

24 septembre 2017

Terminator Genisys

Tout le monde est tombé à bras raccourcis sur ce film à sa sortie et je trouve ça un brin exagéré. Il est très mauvais, certes, mais beaucoup plus soutenable que le précédent opus de la saga, l'abject Terminator Renaissance. C'est nul à chier, il faut l'avouer, mais Terminator Genisys a quelque chose de léger et d'imbécile qui le rend plus sympathique que beaucoup d'autres blockbusters abominables actuels. On dirait presque qu'il ne se prend pas tout à fait au sérieux, qu'il a conscience de son triste état. En cela, il a un très léger parfum des années 90, cette époque révolue où les films à grand spectacle hollywoodiens n'étaient pas encore assommants de sérieux et n'oubliaient pas d'être cons. La prestation d'Arnold Schwarzenegger y est pour beaucoup, tant l'acteur est constamment dans l'autodérision, à côté de la plaque comme jamais. Dommage qu'il soit si mal entouré. Jai Courtney est peut-être le pire acteur de sa génération. Sa tête est mise à prix sur Il a osé. On ne compte plus les franchises qu'il a participé à fusiller à bout portant de par sa seule présence à l'écran. Après Die Hard 5, où il incarnait le détestable fils de John McClane, le voici donc en Kyle Reese, personnage-clé de la saga initiée par James Cameron. Quel carnage... Cet homme est si laid, si mauvais. On est à des années lumières du charisme de l'inoubliable Michael Biehn.




Jai Courtney est l'une des plaies les plus purulentes du cinéma d'action américain de ces dernières années. Sa vacuité totale laisse songeur. Il n'est tout simplement rien. Qu'il est difficile de s'intéresser à ses aventures, de l'écouter débiter platement des répliques minables, de le regarder déplacer son corps sans âme... Face à lui, Emilia Clarke, en Sarah Connor, ne s'en sort pas beaucoup mieux. La scène où elle se désape, le cinéaste préférant alors filmer son ombre chinoise sur un mur de briques, est d'un ridicule rarement atteint. Linda Hamilton avait du chien. Emilia Clarke pourrait servir de débouche chiotte. A part ça... Mais il y a bien pire en la personne de Jason Clarke (son propre frère !), qui incarne ici John Connor (son fils !) avant de dégénérer en une sorte de terminator ultime. Ce triste mec est censé prêté ses traits disgracieux au grand chef de la résistance ! Lui aussi, on ne compte plus les films qu'il gâche en étant là, avec sa sale tronche en biais et son air désagréable. Qu'il est pénible ! Terminator Genisys souffre donc d'un casting complètement raté, à quelques exceptions près : Lee Byung-Hun est plutôt crédible en T-1000, il reprend assez bien le flambeau de Robert Patrick, mais il ne fait vraiment que passer.




Ce cinquième épisode souffre aussi d'un scénario qui part totalement en couille une fois que notre petit trio constitué de Kyle Reese, Sarah Connor et Pop's (aka Schwarzy, le pauvre...) décide de retourner dans le futur. Après ça, c'est un grand n'importe quoi à faire chialer les plus naïfs qui espéraient encore retrouver quelque chose des deux premiers films. Plus grave encore, Terminator Genisys se distingue par une absence totale de scène d'action bien emballée. Les combats entre robots font franchement pitié, à commencer par le premier, celui opposant le vieux Schwarzy à sa version originale. Pour le reste, c'est un défilé d'explosions et d'accidents de la route en hideux CGI. Ce moment où une bagnole percute de plein fouet Kyle Reese et Sarah Connor, fraîchement débarqués à poil sur une autoroute et qui s'en sortent indemnes après un petit roulé-boulé sur le bitume, est peut-être le pire de l'ensemble. Malgré sa nullité absolue, l'oeuvre d'Alan Taylor (mais qui est ce type ?) a pourtant été adoubée par James Cameron himself, mais on ne sait pas si c'était par obligation contractuelle ou si le réalisateur de Titanic avait un flingue sur la tempe quand il a prononcé ses mots doux, immortalisés en gros caractères sur l'affiche.


Terminator Genisys d'Alan Taylor avec Emilia Clarke, Jason Clarke, Jai Courtney et Arnold Schwarzenegger (2015)

19 septembre 2017

Good Time

Les frères Safdie, dont je ne connaissais que les deux premiers longs métrages, reviennent en très grande forme avec Good Time qui, à coup sûr, leur permettra d'éclater enfin aux yeux d'un bien plus large public. "Bad trip survolté et jouissif", "expérience sensorielle", "hypnotique", tous ces qualificatifs grandiloquents ornent les affiches de leur nouveau film déjà remarqué au dernier Festival de Cannes. Pour une fois, tous ces termes sont complètement justifiés et décrivent avec justesse cette petite bombe qu'est Good Time. Le scénario génial de Joshua et Ben Safdie ne nous laisse pas une minute de répit, aucun temps mort. Si les deux frères n'inventent pas la poudre et proposent des situations que l'on a parfois déjà vues ailleurs, ils parviennent à les condenser en 1h40 qui passe à toute vitesse et conservent un ton unique, avec ce regard toujours très doux porté sur ces personnages de losers qu'ils mettent en scène. On passe tout le film collé aux basques de Connie (remarquable Robert Pattinson) qui, après un braquage foireux, s'embarque dans une folle nuit new-yorkaise à la recherche de son frère retardé (Ben Safdie, bluffant). Après un léger temps d'adaptation nécessaire pour s'acclimater à un rythme très rapide qui pourra d'abord passer pour hystérique tant ses personnages sont sans cesse en train de se gueuler dessus (Jennifer Jason Leigh surtout), c'est avec un rare plaisir que nous suivons les mésaventures de Connie, dont l'amour pour son frère l'amène à prendre tous les risques et à commettre l'impensable.





On aimerait presque que le film s'apaise parfois, qu'il nous laisse souffler et qu'il prenne le temps de tirer pleinement partie du potentiel cinégénique des décors étonnants dans lesquels son personnage principal finit par se retrouver. Je repense tout particulièrement à ce passage terrible dans un parc d'attraction aux lumières chatoyantes, dont Connie et un abruti ramassé par erreur fouillent les recoins dans l'espoir d'y retrouver une sacro-sainte bouteille d'acide ou un sac rempli de dollars. Pratiquement toujours filmé au plus près de son acteur vedette, Good Time semble alors passer à côté de belles images, au profit d'une énergie constante, systématiquement relancée par des rebondissements et des bifurcations imprévisibles. Plutôt que de nous impressionner le temps d'une scène mémorable ou de nous ébahir face à leurs trouvailles visuelles, les frères Safdie s'affairent à nous laisser une sensation globale, à nous noyer dans une atmosphère unique, à nous faire vivre au plus près la fiévreuse épopée de leur personnage. Cette nuit sous acide est également accompagnée d'une bande-son au diapason signée Oneohtrix Point Never, aka Daniel Lopatin, un autre artiste new-yorkais bien décidé à capturer, lui aussi, une ambiance propre à la Grosse Pomme. Sa musique électronique anxiogène et la réalisation caméra portée des Safdie nous placent en immersion totale, en apnée.





Alors que leur idée de départ présentait ce risque, le scénario haletant des Safdie parvient rapidement à s'éloigner de la mode fatigante des films à pitchs forts se déroulant sur un temps très court mais retombant comme un soufflé. Nous sommes scotchés du début à la fin, parfois même abasourdis par la puissance formidable de ce récit qui paraît nous surprendre continuellement sans faire d'effort, en se déroulant naturellement sous nos yeux médusés. En outre, les Safdie n'oublient pas d'être drôles et on a particulièrement apprécié cette petite parenthèse sous forme de flashback qui nous raconte comment l'un des personnages de paumés a atterri dans cette galère. On sort de cette folle course en avant pratiquement essoufflé, avec la certitude de n'avoir rien vu de tel depuis un fameux bail. Nous saurons dans quelques temps ce qu'il restera de Good Time, si le film parvient à marquer durablement les esprits et à dépasser la simple expérience cinématographique pure mais, en attendant, on aurait presque envie d'y retourner ! A l'évidence, on tient là l'un des meilleurs films américains de l'année, et l'on vous recommande chaudement d'aller le vivre sur grand écran.


Good Time de Joshua et Ben Safdie avec Robert Pattinson, Ben Safdie et Barkhad Abdi (2017)

15 septembre 2017

Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc

Possiblement très rude à encaisser, le dernier film de Bruno Dumont m'a finalement emporté. C'est peut-être mon goût pour la légende de Jeanne d'Arc (étant d'extrême droite), pour les enfants (étant poursuivi par les autorités), et pour le heavy metal (étant un fan de Radiohead de la 1ère heure) qui aident, mais je dois bien dire que Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc, film musical osé s'il en est, et variation pour le moins originale sur un mythe toujours fascinant, malgré ses récupérations tous azimuts, est en fin de compte un film très fort. Il y a des moments, des éléments, qui peuvent faire grincer des dents ou scier les nerfs, disons-le, comme quand Sainte Marguerite, Sainte Catherine et Saint-Michel dansent suspendus dans les airs sur une chorégraphie twist, ou quand l'oncle de Jeanne fait de la tectonic au fond de la chaumière. Mais combien de plans sublimes par ailleurs ? Et quelle beauté se dégage de ce paysage unique (dunes, moutons, ruisseau), de ce ciel bleu, et au milieu le beau visage de la petite Jeannette, ses yeux en amandes qui nous fixent en disant Péguy, ses grandes dents de devant quand elle chante avec emphase et maladresse, ses pieds qui battent le sable ou sont jetés en arrière, ses cheveux secoués de haut en bas.




Dumont peut irriter mais il vise juste la plupart du temps, par exemple dans sa façon d'annuler constamment le décalage initial. La fillette dit la poésie de Péguy, soit des répliques qu'aucun enfant ne pourrait déballer, mais elle le fait comme une enfant joue réellement, en classe par exemple, du théâtre, avec, entre deux hésitations, une sincérité décuplée. Ce que l'on voit à l'image, c'est à la fois la conviction, la force de caractère, la trempe de la future Jeanne d'Arc, et le doute, la fragilité, la maladresse d'une enfant qui n'est pas encore une légende, qui est humaine. Les autres comédiens aussi jouent comme ils peuvent, dansent parfois mal, chantent souvent faux, charriant dans le film, avec la bénédiction de Dumont, tout ce qu'ils sont dans la vie, mais cela contribue à l'impression de voir un monde, avec ses ruptures, ses contradictions, son mélange brusque de ridicule et de sublime, à travers toutes ces formes ambiguës (la transe des deux fillettes qui marchent sur le sable comme Linda Blair dans les escaliers de L'Exorciste, le headbanging de Jeanne et des sœurs Gervaise, qui tend la prière vers l'incantation démoniaque), et ces échos entre le monde récent et celui du Moyen Âge (les doigts en V penchés devant les yeux à la Thurman et Travolta comme les mouvements tectonic prennent une autre dimension déplacés dans un sous-bois ou dans une chaumière de paysans du XVème siècle et rapportés à la fable mystique fondatrice).




La première partie est clairement, à mon sens, la plus réussie, parce que Jeanne y est une enfant de huit ans (Lise Leplat Prudhomme, avant d'apparaître adolescente sous les traits de Jeanne Voisin), et que Dumont parvient à faire un film d'enfance, c'est-à-dire un huis-clos où les personnages tournent en rond, semblent sortir de nulle part, où la fillette est chez elle dans l'écrin minuscule que forment les dunes, parmi les moutons qui bêlent entre deux adresses au ciel, perdant la notion du temps, parlant, chantant (de manière affectée, comme une petite fille imite mal sa chanteuse préférée devant son miroir ; et ce chant-là est plus acceptable de la petite Lise que de la plus adulte Jeanne Voisin), et dansant seule, répétant la même litanie, celle de Péguy, en boucle dans une sorte d'éternelle journée dilatée. Et pourtant on ne s'ennuie pas (c'est parfois le cas dans la deuxième partie), parce que l'enfant est extrêmement présente et sincère, dès sa première apparition, parce que Dumont filme chaque geste avec la même intensité et parce que les plus infimes décrochages sont violents (ne serait-ce que le changement de coiffure de Jeannette après l'apparition des anges). Ainsi, de la même façon qu'un ruisseau vaut pour la Meuse, une chose toute petite, une pièce de village, un spectacle de fin d'année, est en même temps immense (Péguy, l'éveil d'une héroïne, Dieu). La chute de cheval, à la fin, ne gâche rien.


Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc de Bruno Dumont avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin, Lucile Gauthier (2018)

7 septembre 2017

Jeepers Creepers 2

Jeepers Creepers 2 est l'exemple typique d'une suite qui pue du bec. On pourrait croire qu'un tâcheron s'est chargé de l'affaire, mais c'est bel et bien Victor Salva himself qui a remis le couvert. Quelle déception ! Si les moyens et le budget semblent supérieurs, cette suite se révèle d'une tristesse inouïe et incomparable à l'original. On peut tout de même saluer Victor Salva, sans doute conscient que l’effet de surprise n’agirait plus, pour ne pas avoir essayé de refaire exactement la même chose. Ainsi, le creeper apparaît à l’écran dès la première scène du film, de loin la meilleure. Une scène d’introduction bien emballée où le creeper se déguise en épouvantail pour surprendre un enfant dans un champ de maïs et s’envoler avec lui. Tout cela devant les yeux du papa (Ray Wise, à cran), impuissant, qui aura par la suite très envie de se venger. On nous apprend ensuite, par quelques lignes, que le creeper est alors en activité depuis 22 jours (si vous avez bien suivi le premier épisode, vous savez que le monstre ne bosse que 23 jours tous les 23 ans... peinard). Pour fêter la quille, il décide donc de s’offrir un bus rempli de jeunes basketteurs comme casse-croûte.




Si mes souvenirs sont bons, cette suite pénible s'inscrit dans la continuité du premier épisode, l'action se déroule seulement quelques jours plus tard. Apparemment, Victor Salva a dû commettre un petit oubli car, étant donné l'état de la végétation, on n'a pas du tout l’air d’être au printemps. Bref. Le film est extrêmement prévisible, les personnages sont tous très énervants et l'ensemble est donc très ennuyeux. Dans la troupe de jeunes connards pris d'assaut par le creeper, on retrouvera encore une imbuvable medium : une jeune fille qui aura régulièrement des visions de la bête. Bien pratique, parce que cela lui permettra de tout raconter aux spectateurs qui, manque de bol, ont loupé le premier film, et surtout, aux autres ados qui, évidemment, la croiront sur parole. Dans le bus, l'atmosphère va vite se vicier : les ados débiles finiront par s’opposer et s’engueuler sans arrêt. Tout cela aboutit à quelques moments purement insupportables.




Le padre revanchard du gamin tué en guise d'amuse-gueule viendra finalement en aide aux joueurs de baskets et finira bien sûr par prendre le dessus sur cette enflure de creeper, je ne me souviens plus trop comment. Ce dont je me souviens très bien, en revanche, c'est de cette scène finale d'un ridicule à toute épreuve, où l'on découvre que le papa, devenu vieux, attend le réveil de la bestiole, qu'il a gardée bien au chaud chez lui, clouée au mur, les ailes dépliées, en train d'hiberner. Une bande d’ados vient alors rendre visite au vieillard qui, malin, a transformé sa baraque en un musée dédié au creeper à l'entrée payante. Les ados demandent alors au père "Depuis quand il est là, tout cloué ?", et celui-ci leur répond tranquillement, en zieutant sa montre gousset, "Oh, ça fait bientôt 23 piges..." ; un autre ado au physique disgracieux s’interroge "Vous avez l'air de le chécker de près, comme si vous le surveilliez ?", et au vieux de dire, avec un air de défi risible "Je me prépare à l’affronter, dans 3-4 jours, je vais lui foutre une rouste terrible dès qu'il ouvrira l’œil". Bref, une suite à oublier, mais dont on retient tout de même quelques bonnes répliques (dans le doublage québécois) et un moment assez crado : celui où le creeper, quasiment décapité par son ennemi, remplace sa tronche par celle d'un ado fraîchement digéré : la tête atroce du gosse remonte de l'estomac de la bête pour lui former une nouvelle ganache. Ça, c'est une chic idée !




Aujourd'hui, nous n'attendons plus grand chose d'un troisième opus, mais nous y jetterons à coup sûr un œil curieux avec l'espoir, tout de même bien présent, que Victor Salva parvienne à renouer avec la qualité d'un premier film qui, mine de rien, a su marquer une certaine génération de spectateurs, oubliant rarement de le citer quand il s'agit d'énoncer leurs films d'horreur préférés.


Jeepers Creepers 2 de Victor Salva avec Ray Wise, Jonathan Breck, Garikayi Mutambirwa et Eric Nenninger (2003)

4 septembre 2017

Jeepers Creepers

Produit par Francis Ford Coppola, écrit et réalisé par Victor Salva, Jeepers Creepers premier du nom a connu un succès surprenant lors de sa sortie en salles, il y a 16 ans, rapportant plus de 60 millions de dollars alors qu’il n’en avait coûté même pas le quart. En plus de cet argument commercial, le film se terminait par une fin très ouverte, il était donc inévitable qu’une suite soit rapidement mise en route. Deux ans plus tard, en 2003, Jeepers Creepers 2 a également connu un certain succès en se remboursant sans difficulté. Les rumeurs les plus folles ont depuis circulé autour d'un troisième épisode, les plus alléchantes l'annonçant comme un western apocalyptique futuriste mettant en scène une horde de creepers. Ce n'est finalement qu'en 2017 que Victor Salva a donné une suite aux aventures de son monstre, pour un épisode dont l'action se déroulera en réalité entre les deux premiers films. Le cinéaste parviendra-t-il à trouver un nouveau souffle après un deuxième volet pas vraiment glorieux ? Nous en aurons donc bientôt la réponse, mais en attendant, revenons plutôt aux origines...




Jeepers Creepers était effectivement une assez bonne surprise pour l'amateur de cinéma d'horreur, un film qui apparaissait comme très rafraîchissant à une époque où sortaient principalement des slashers post-Scream tous aussi minables les uns que les autres. La bobine horrifique de Victor Salva a l'inestimable mérite de commencer sur les chapeaux de roue. Deux jeunes, frère et sœur, traversent en bagnole un coin paumé du sud des États-Unis en direction de leur foyer parental quand un camion à l’aspect peu rassurant se met à leur poursuite. Après les avoir gentiment bousculés à coup de pare-chocs, l'étrange chauffeur continue sa route. Mais, quelques kilomètres plus loin, les deux jeunes retrouvent le véhicule garé près d’une église abandonnée, son mystérieux conducteur, simple silhouette menaçante, en déchargeant le sordide contenu...




Comme vous pouvez le constater, Jeepers Creepers s'appuie sur un pitch très basique mais efficace. La poursuite camion-voiture introductive fait immanquablement penser au génial Duel de Steven Spielberg, on peut même parler d'un hommage bref mais appuyé. Cette entame installe parfaitement l’ambiance, le film démarre fort, sur un rythme et une intensité qui nous accrochent immédiatement. Victor Salva s'y avère assez inspiré. Certains plans sont très réussis, celui où l’on voit pour la première fois la silhouette inquiétante du Creeper (le monstre, donc), près de l’église, est même assez marquant. Les acteurs ne sont pas vraiment irritants comme peuvent souvent l'être les jeunes zonards qui se retrouvent dans ce genre de rôles. Justin Long, dont la grande tronche a depuis fini par lasser (il était particulièrement pénible dans Die Hard 4 et Drag me to hell), est tout à fait supportable. Face à cette première demi-heure, nous comprenons tout à fait l’excellente réputation du film et nous nous imaginons tenir une petite perle.




Hélas, le film ne poursuit pas tout à fait sur le même ton et on peut véritablement le découper en deux parties, la première s’arrête aux alentours de l’heure de film lorsque l’identité réelle du méchant nous est pleinement dévoilée. Le reste est bien plus banal mais réserve toutefois quelques bons moments. Ainsi, on découvrira que l’apparence du monstre est particulièrement soignée : le "creeper" se distingue aisément des autres bestioles du cinéma fantastique, il a même une certaine classe grâce à ses deux ailes de chauves souris et son chapeau de cow-boy. Mais Victor Salva aurait mieux fait de nimber sa créature d'un voile plus épais de mystère. Un personnage exaspérant, celui d'une voyante ancestrale, finit par faire son apparition pour nous donner plus de détails sur la créature. On apprend alors que le creeper est une très ancienne saloperie qui, tous les 23 ans (pourquoi pas 25 ? allez lui demander) doit refaire surface au printemps et pendant 23 jours pour perpétuer des crimes affreux afin de se régénérer.




Bien que présent dans les entrailles de la Terre depuis la nuit des temps, le creeper a pour chanson préférée "Jeepers Creepers" de Johnny Mercer, sortie en 1938. On en déduit donc que, cette année-là, le monstre a dû sortir spécialement de sa planque pour aller se procurer ce vinyle et un tourne-disque. Cette chanson agréable ne sert en réalité qu'à donner parfois une petite touche ironique au film puisque son air entraînant et joyeux contraste toujours avec le contexte dans lequel il se fait entendre. Une scène coupée, issue de mon imagination, nous montre également le creeper s'envoyer le morceau et tortiller du cul dans sa cave... Bien que tout cet attirail légendaire soit somme toute très accessoire, le creeper est un monstre tout de même assez réussi de par sa dimension sexuelle assez malsaine. Ce n'est certes pas la première fois que l'on insiste autant là-dessus dans un film d'horreur de ce genre, mais je précise ici que le creeper, finalement peu intéressé par les nénettes, s'en prend exclusivement à des jeunes garçons, dont il hume les vêtements avec frénésie pour mieux retrouver leur trace...




On pardonne aisément les explications balourdes sur l'origine de la bête, et on salue plutôt la volonté de Victor Salva d'inventer un nouveau croque-mitaine. On lui en veut davantage d'avoir salopé la fin de son film. Dans son final laborieux, celui-ci perd en crédibilité et se transforme en un classique affrontement entre un monstre belliqueux et de jeunes gens pris pour cibles. Tout cela reste très regardable mais très pauvre en originalité et, plus grave encore, en frisson. Le film a cependant l’immense avantage de se conclure sur une bonne note. Le dernier plan, très gore et osé, vient rappeler au spectateur qu’il a tout de même passé un bon moment, malgré une deuxième partie qui ne peut que décevoir après l’excellent début. Si on fait le bilan, Jeepers Creepers demeure donc un film d’horreur honnête, que l'on redécouvre encore avec un certain plaisir.


Jeepers Creepers de Victor Salva avec Justin Long, Gina Philips et Jonathan Breck (2001)