29 septembre 2018

Life : Origine inconnue

Sorti en avril 2017 quelques semaines avant Alien : Covenant et souvent présenté comme supérieur à l'énième méfait du vieux Ridley Scott, Life : Origine Inconnue est un nouveau film de monstre venu de l'espace. L'histoire est simple : des astronautes de la station spatiale internationale réceptionnent une sonde revenant de Mars. Celle-ci contient un micro-organisme a priori inoffensif qui est la première preuve tangible d'une vie extra-terrestre. D'abord accueilli par des hourras, cet organisme douchera rapidement les espoirs de toute l'équipe quand il révélera sa vraie nature : une belle saloperie, grossissant à vue d’œil et bien décidée à fumer tous les membres de l'équipage les uns après les autres, en commençant bien entendu par le black. C'est du jamais vu dans l'histoire du cinéma d'horreur et de science-fiction !




Disons-le tout net : Life est un film bête comme ses pieds qui cherche simplement à nous captiver pendant 1h30. L'oeuvre de Daniel Espinosa a la seule qualité de ne pas chercher à être autre chose, mais c'est aussi sa grosse limite, évidemment. Nous n'en garderons pas le moindre souvenir, malgré une ou deux scènes plutôt efficaces. Je pense surtout à la première confrontation entre Ryan Reynolds et la bestiole, devenue une pieuvre blanchâtre vicelarde, fatale à l'acteur. Cette scène est réussie pour deux raisons : le suspense y fonctionne assez bien et c'est toujours un vrai plaisir de voir Ryan Reynolds mourir (ici plutôt atrocement puisque l'alien lui entre dans le corps par la bouche pour mieux le faire vomir du sang et crever lentement de l'intérieur). A part ça, rien à signaler. Même le titre moisi est révélateur du manque d'inspiration criant qui caractérise le projet. La créature, point important de ce genre de films, n'est pas complètement ratée mais elle n'est pas marquante du tout ni particulièrement flippante, à l'image de tout l'ensemble.




Les personnages, bien qu'incarnés par des acteurs connus (Jake Gyllenhaal, Ryan Reynolds, Rebecca Ferguson, Fabrice Santoro), sont des pions sans âmes ni charisme, des fantômes minables auxquels on ne s'intéresse à aucun moment. Lesdits acteurs ont l'air très peu concerné, simplement là pour encaisser un chèque de paie sans trop d'effort. Jake Gyllenhaal, d'une fadeur terrible, a d'ailleurs avoué en interview qu'il avait accepté le rôle pour passer quelques semaines "en apesanteur" en compagnie de son vieil ami Ryan Reynolds "sans se prendre la tronche" (sic). D'ordinaire habitué aux rôles exigeants l'amenant régulièrement à perdre du poids et à appliquer les méthodes strictes de l'actor's studio, la vedette explique qu'il voulait se "vider [sa] tête pleine de merde" (sic). Des aveux qui en disent long de la part d'un acteur qui ne connaît pas la langue de bois...




Life se déroule presque toujours à gravité zéro, ce qui permet à ses stars de flotter autour d'une caméra qui navigue entre eux, explorant les recoins de la station spatiale, parfois lors de plans-séquences qui se veulent impressionnants mais qui n'ont rien de vraiment remarquables. On sent bien que l'ambition réelle de Daniel Espinosa est de signer le pendant horrifique du Gravity d'Alfonso Cuaron mais nous n'en avions pas besoin. Le film est si pauvre que quelques spectateurs désemparés ont échafaudé toute une théorie faisant de l'oeuvre d'Espinosa (qui, contrairement à ce que son nom laisse à penser, est un cinéaste suédois et non coréen) une sorte d'histoire originel expliquant la symbiote de Spider-Man 3. C'est dire s'ils étaient désireux de donner du corps à un scénario honteux et à un film terriblement famélique... Life serait tout juste un honnête téléfilm de deuxième partie de soirée, un dimanche soir, sur TF1, et je comprends la rage immense des honnêtes gens qui ont payé de leurs propres sous pour assister à ce triste spectacle sur grand écran.


Life : Origine Inconnue de Daniel Espinosa avec Jake Gyllenhaal, Rebecca Ferguson et Ryan Reynolds (2017)

26 septembre 2018

Mademoiselle de Joncquières

La première partie de Mademoiselle de Joncquières ressemble mieux à son auteur que la deuxième. On y retrouve la légèreté et le mouvement que l'on aime dans les films d'Emmanuel Mouret. Cette première partie, qui s'intéresse à la relation entre le Marquis des Arcis (Edouard Baer) et Madame de La Pommeraye (Cécile de France), est plus courte que la deuxième, dans laquelle se déploie la vengeance, toute une manigance machiavélique. Elle est plus courte mais il s'y passe plus de choses. Efficacité du scénario donc mais surtout grande habileté du metteur en scène et de ses comédiens. Il y est question d'une relation, de ses débuts et de sa fin : séduction, sentiments naissants, idylle, vie de ménage, doute, lassitude, rupture. Toute une histoire en une trentaine de minutes. Et l'intensité qui s'en dégage n'est que plus grande. Les personnages ont le temps, en quelques scènes pleines d'énergie, d'exister pleinement et de se faire aimer.




La séquence où le Marquis conduit Mme de La Pommeraye près d'un cours d'eau, accompagné de deux serviteurs qui transportent des chaises, dans le but d'élaborer une mise en scène des avantages de la vie amoureuse sur la solitude aux yeux de celle qu'il entend séduire, parvient à conjuguer en un rien de temps le rire et l'émotion. La sincérité des personnages est évidente. Le Marquis, au-delà de son petit spectacle de séducteur, se livre avec sincérité et touche à la poésie. La dame, loin de simplement céder face à l'audace ou à la verve, est profondément bouleversée et commence de croire en l'amour. Quelque chose se passe en eux et se passe devant nous, portée par la vérité des comédiens (puissante dans la scène terrible où le personnage de Cécile de France prêche le faux pour savoir le vrai des sentiments de son amant), mais aussi par la beauté de la langue parlée et la vivacité du montage, qui emporte, surprend et nous tient.




Partant, et même si l'on préfèrera retenir ce très beau début qui contient déjà un commencement et une fin, il faut bien avouer que la deuxième partie du film, censée contenir le gros morceau, la vengeance, la manipulation ourdie par une Madame de La Pommeraye qui n'a rien à envier à Mme de Merteuil, retombe un peu. D'abord et principalement parce que tout est plus lent, attendu, comme déjà vu. Ensuite parce que les personnages s'estompent un peu au profit de la machination et de son évolution par gradation (on aurait aimé vivre un peu plus avec ce Marquis, avec cette Madame de blessée, avec cette demoiselle éponyme aussi, qui tarde à arriver et peine à exister). Enfin parce que le film esquisse une piste politique qu'il ne suit pas. Contrairement à la question des classes, traitée dans d'assez bonnes proportions (car l'on voit bien, à travers dialogues et situations, l'immonde mépris de ce petit monde de la noblesse pour pour tout ce qui n'en est pas), celle des sexes laisse une impression d'inachevé.




On pourrait éventuellement ne pas se sentir obligé d'en vouloir à un film sortant en 2018 de montrer un homme volage et inconstant, et des femmes sentimentales, trompées, vénales et amères, ou de s'achever en sauvant le bellâtre au cœur bon et en condamnant la mégère au cœur dur. Il faudrait pour cela s'en tenir à ce que le film est l'adaptation de Diderot et à la fidélité aux mœurs et aux vues d'un autre siècle. On pourrait. Mais ce n'est pas évident, l'adaptation étant par principe libre et par définition de son temps. Mais à cela on pourrait objecter qu'elle est aussi libre de ne pas se préoccuper de son temps. Sauf qu'Emmanuel Mouret, dans le contexte que l'on sait, ne cesse de prêter à son héroïne, Madame de La Pommeraye, des velléités féministes (elle préconise la vengeance et la solidarité féminine comme arme de correction des hommes), et que ces répliques, qui résonnent forcément plus que d'autres à l'oreille de spectateurs et spectatrices de 2018, sont alors en décalage avec ce que raconte ce film.




Car après tout le Marquis n'est pas un mauvais bougre (assez loin en cela d'un Vicomte de Valmont). Il se contente d'aimer des femmes, certes peu longtemps, mais sans leur faire d'autre mal que celui de ne plus les aimer, et de ne pas toujours oser le leur avouer. Il s'est lassé de Madame, un point c'est tout. Aussi n'y a-t-il que justice à ce que ledit Marquis, momentanément et injustement humilié, s'en aille, bon prince, jouir de la vie auprès de sa jeune épouse en ses terres, et que la vengeresse finisse seule et punie. Mais, par conséquent, les visions féministes avancées par Madame de La Pommeraye s'embourbent en des relents d'aigreur et de venin dans la bouche d'une femme excessive et malfaisante (y compris vis-à-vis d'autres femmes). Cet amalgame n'est pas des plus heureux. Disons qu'on s'est habitué à plus de finesse avec Emmanuel Mouret. Mais cela n'empêche pas le film d'en être pourvu par ailleurs, ainsi que d'élégance et de charme.


Mademoiselle de Joncquières d'Emmanuel Mouret avec Cécile de France et Edouard Baer (2018)

23 septembre 2018

La Nuit a dévoré le monde

Une affiche clinquante, un titre qui ne l'est pas moins : il y avait des raisons de craindre que l'emballage aguicheur de La Nuit a dévoré le monde ne dissimule un film décevant. Heureusement, il n'en est rien. Ce premier long métrage de Dominique Rocher, adaptation du roman fantastique français éponyme de Pit Agarmen, constitue même une très belle promesse quant à l'avenir de ce jeune réalisateur et, avec lui, du cinéma de genre hexagonal tout entier. Dominique Rocher met ici en scène Sam (joué par Anders Danielsen Lie, l'éternel camé d'Oslo 31 Août), un jeune homme qui se réveille dans un appartement sens dessus dessous le lendemain d'une fête dont il s'est soigneusement tenu à l'écart. Quittant enfin la pièce où il avait trouvé refuge loin de la cacophonie ambiante, il découvre au petit matin des murs maculés de sang, un immeuble saccagé, des rues dévastées, et toute une ville, Paris, infestée de zombies. Désespérément seul et isolé, Sam va essayer de survivre tant bien que mal...





A partir d'un pitch aussi minimaliste, le danger principal était de finir par ennuyer le spectateur, par perdre son attention, avec ce point de départ somme toute assez banal où il est question de survie en solitaire dans un décor restreint, un grand appartement parisien, avec la menace permanente des sempiternels zombies qui rôdent tout autour. C'est sans compter sur le talent évident d'un jeune cinéaste qui ne tombe jamais dans la facilité, refusant tout spectaculaire gratuit (pas de plan carte postale attendu sur un Paris désert et post-apocalyptique), ou la complaisance (les effets gores sont en arrière-plan, encore plus dérangeant ainsi). Il adopte une mise en scène limpide et sans chichis, où tout passe par le découpage et le cadrage, et peut aussi s'appuyer sur une très belle photographie. Dominique Rocher dit s'être inspiré de la méthode du grand Sidney Lumet, axée sur un thème et un personnage principal, décrite dans son fameux Making Movies, une référence de choix qui prouve que le réalisateur français a été à bonne école. Il suit donc au plus près son personnage, campé par un excellent acteur à la présence singulière et dont la transformation physique est subtile et bien pensée, tout au long du film.





C'est d'ailleurs ce personnage un peu étrange et lunaire qui devient rapidement le grand centre d'intérêt du film : plus que nous demander ce que l'on ferait en pareilles circonstances, on en vient à s'interroger sur ce qui lui passe par la tête, éprouvant une sorte de fascination pour ses faits et gestes. Parfaitement introduit dès les premières minutes comme un homme taiseux, observateur, cérébral, Sam évolue dans un univers silencieux et coupé du monde qui lui siée finalement assez bien. Il souffre évidemment du manque de compagnie et se réfugie régulièrement dans des enregistrements audio qui sont la raison de sa présence initiale dans cet appartement puisqu'il venait les récupérer chez son ex. De vieilles cassettes à bande magnétique où nous entendons des gazouillis d'enfant, des sons de jouets électroniques, et qui deviennent progressivement la bande musicale d'un film à l'ambiance sonore particulière et très travaillée. Nous assisterons aussi à d'autres scènes étonnantes, des moments suspendus dans le temps, où l'imaginatif Sam invente de la musique à partir d'objets du quotidien devenus instruments et d'installations minutieuses confectionnées par ses soins qu'il anime en une danse fragile.





Sam ne cherche qu'à se protéger, qu'à mener sa petite vie. Habitué par les films de zombies bas de plafond et plus bourrins, on en vient à s'étonner de le voir, pourtant armé d'un fusil à pompe, claquer la porte aux nez de quelques assaillants agressifs plutôt que de leur tirer une balle dans la tête. Par son attitude plus peureuse et réfléchie, le personnage n'en devient que plus humain et crédible. C'est un détail mais cela compte énormément pour un tel film, et ce n'est qu'un des multiples éléments qui lui permettent de ressortir du lot et de se montrer nettement plus intelligent que la moyenne. Quand une survivante (Golshifteh Farahani) finit par rejoindre Sam, ce sont d'autres questions qui se posent à nous, mettant encore une fois en avant la profondeur psychologique que Dominique Rocher réussit à atteindre. Le réalisateur parvient également à créer une figure intéressante de zombie avec celui, pitoyable et impuissant, qu'incarne un Denis Lavant au regard si expressif, triste prisonnier de la cage d'ascenseur de l'immeuble et auditeur silencieux des pensées à voix haute de Sam. Alors certes, le film s'essouffle peut-être un peu dans sa deuxième moitié, mais il réussit toujours à intriguer et à étonner régulièrement. A n'en pas douter, La Nuit a dévoré le monde est une fort belle réussite pour le cinéma fantastique français et Dominique Rocher un cinéaste à suivre de très près. 


La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani et Denis Lavant (2018)

20 septembre 2018

Les Lyonnais

Regardez bien les toutes premières minutes de ce film et rappelez-vous que, pendant sa promotion, Olivier Marchal avait fièrement affirmé avoir voulu réaliser son Il était une fois en Amérique. Rien que ça. Le chef-d’œuvre de Sergio Leone n'avait, dit-il, jamais quitté son esprit pendant le tournage de son nouveau film. Gardez bien tout cela en tête et contentez-vous simplement de visionner le générique d'ouverture. Olivier Marchal a-t-il conscience que, dès ces premières minutes, ô combien ridicules, il se prive de son objectif et annihile toutes ses belles intentions ? Juste avant le générique, nous avons déjà droit à une petite introduction lamentable qui met en scène un Gérard Lanvin torse poil sur la terrasse de sa luxueuse villa avec vue sur la mer, débitant en voix off un discours pitoyable. "On espère à peu près tous la même chose... Que la vie soit belle et tranquille... Avoir une famille heureuse, une maison, des amis sur qui compter... Moi j'ai la chance d'avoir eu tout ça. Et plus encore." C'est aussitôt ce dernier mot prononcé que le générique déboule à l'écran avec fracas.




Sur une atroce musique rock de bas étage, nous voyons, dans un drôle de noir & blanc sépia particulièrement dégueulasse, un terrible enchaînement de petites scènes de violences urbaines, d'arrestations, de poursuites en DS, de fusillades et d'émeutes en tous genres, rythmées par un montage épileptique des plus insupportables. Le tout est accompagné d'effets visuels abominables, faits de halos lumineux et de flous déformants, dignes des pires clips musicaux des années 90. Ajouté à cela une impression artificielle de pellicule vieillie, rayée, sans doute pour nous rappeler que les images que nous voyons illustrent le passé très animé du malfrat incarné par le grotesque Gérard Lanvin. Dans ce générique, chaque acteur apparaît à l'écran en même temps que son nom, exactement comme dans les séries télé. Si l'on fait donc les comptes, ce générique parvient tout de même à condenser à lui seul tout ce qu'il y a de plus laid dans les clips, les séries télé et les films grindhouse ! Chapeau bas. Il fallait bien Olivier Marchal pour parvenir à ce petit miracle. Et puis si on est un peu maso, on peut même aller un peu plus loin que cette hideuse intro et entendre Gérard Lanvin poursuivre son affreux monologue. Tandis que nous sont montrées des petits extraits de son enfance, dans une image terne et grisâtre pour bien nous faire comprendre que c'est encore le passé, on entend donc Lanvin, prenant sa voix la plus rocailleuse possible, nous énoncer les trois règles d'or inculquées par son père pour réussir dans la vie : "Agir bien, parler peu, ne pas s'écarter de sa voie".




Un dicton célèbre dit "En visant la Lune, on décroche au moins les étoiles". Comment a donc fait Olivier Marchal pour finir dans la merde et nous pondre une telle saloperie ? Pour rapprocher son film du classique de Sergio Leone, il faut vraiment qu'il ait un gros grain et un sérieux problème de discernement. On imagine plutôt la dvdthèque de l'ex-flic ripoux remplie des plus mauvais polars et des plus idiots films d'action américains. Le Mesrine de Jean-François Richet, aussi minable soit-il, peut dormir tranquille, beaucoup continueront à le situer au sommet du "nouveau polar français". Olivier Marchal n'aurait quant à lui pas dû s'écarter de sa voie. Il aurait dû continuer à assurer les permanences et l'accueil d'un commissariat tranquille, où sa connerie à toute épreuve n'aurait pu avoir que peu d'incidence sur la vie de ses concitoyens. Encore que...


Les Lyonnais d'Olivier Marchal avec Gérard Lanvin, Tchéky Karyo, Daniel Duval et Valeria Cavalli (2011)

18 septembre 2018

Dheepan

Je l’ai vu. Je vous dis tout ça de mémoire parce que ça fait tout de même bien longtemps que je l'ai vu. Et je ne l'ai vu qu'une fois, pas fou ! La particularité d'Audiard, on ne peut pas lui enlever ça, c'est que quand on commence à regarder l'un de ses films plus de quelques minutes, on a du mal à en décrocher, on reste rifté sur l'écran, à subir avec dégoût et fascination les horreurs qu'il nous assène, les coups de pied au foie et les yeux au beurre noir "artistiques" qu'il produit par pur sadisme. Et on a le malheur de se souvenir d'images subreptices qui ancrent l'horreur et le désarroi d'avoir subi un tel film mais de toujours éprouver, malgré tout, de l'Amour pour le Septième art. C'est du masochisme, c'est du sadisme, c'est un cercle vicieux, c'est du Audiard !




Ça parle d’un Sri-lankais qui s'appelle Dheepan, d'où le titre du film, que tout le monde a mis beaucoup de temps à comprendre (on peut le reconnaître sans honte aujourd'hui, non ?). Dheepan erre dans un camp de réfugiés qu'il veut fuir et, pour ce faire, il dégote une dame et une fille de 10 ans qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam afin d'obtenir plus facilement l'asile. Parle nous de ces "combines" Jacques ! D'après toi il semblerait que l’Étranger est fourbe au point de s'inventer une famille pour profiter de nos minimas sociaux ? Ensuite, Dheepan atterrit dans une cité pourrie dans laquelle il parvient à fonceder toute une bande de kaïras car Dheepan est un ancien Tigre tamoul et qu'il est donc rompu aux méthodes de guérilla, combats de rue et autres luttes à mains nues face à tout type d'ennemi. Ces feignasses de kaïras, qui gagnent et dépensent mal l'argent du trafic de stupéfiants en ne foutant rien de leurs journées et en se grattant les couilles, n'ont AUCUNE CHANCE, MAIS AUCUNE CHANCE LES GARS




Bref, voici un film qui nous explique noir sur tippex qu’il y a des bons migrants, humbles et qui ne mouftent pas (quand bien même ils ont fait partie d'une organisation considérée comme terroriste par l'Union Européenne), ils acceptent la misère parce que c’est toujours mieux que leur pays d'origine, où il y a des tempêtes et des orages ; et il y a des mauvais migrants qui, souvent, ne sont pas des migrants mais leurs enfants et petits-enfants. C'est le discours classique des fachos pur jus. En tout cas, à la fin, Dheepan il en a fait sauter des caissons, il leur démonte la gueule, il les fait tous cramer dans un feu de joie qui n'est pas sans faire une allusion au symbole de la purification (mais la purification de quoi Jacques ? Précise ton propos !). Est-ce que j’ai bien compris son film ? Parce que perso je l’ai vu en lisant un livre sur les Lakotas et en faisant mes devoirs, donc... 




Dans cette horreur de film au discours plus que douteux, la vie de Dheepan en France est vue comme un Enfer, au mieux un purgatoire, dont il faut passer les multiples épreuves (administratives, policières, bastonnades avec jeunes des cités, voile obligatoire pour Mme Dheepan, métiers humiliants, misères quotidiennes...) pour mériter d'aller vers la Terre Promise, l'Angleterre, car tout va mieux là-bas, c'est bien connu. Tout cela souligné par une musique mielleuse digne d'un épilogue d'un épisode des Experts. Au moins dans Welcome, le jeune homme kurde avait une vraie raison de vouloir à tout prix traverser la Manche !




Pourquoi tout va mieux en Angleterre, Jacques ? Éclaire-nous la lanterne ! Moins de "jeunes des técis" ? Moins d'habitants issus de personnes issues de personnes issues du Maghreb ? Jusqu'à quand vont-ils être obligés de subir l'opprobre de la part de parvenus, d'enfants de la balle qui n'ont d'autres mérite que celui d'être issus des testicules d'un père plus ou moins doué avec les mots, ou de l'utérus d'une mère étoile de la comédie ? Il faudrait que tu précises ton propos, Jacques. Ou bien tu pourrais t'inscrire directement sur la liste du FN de ton quartier pour les prochaines municipales, on serait fixé. Encore mieux, libre à toi d'aller habiter en Angleterre avec ta famille et tes proches amis et de nous foutre la paix avec le cinéma et toute forme d'expression destinée à être diffusée au public. Garde ça pour le privé. Vraiment. STP.




Ce film a été récompensé de la Palme d'or du Festival de Cannes 2015. Le jury était alors composé de cette bande d'intellectuels : Joel et Ethan Coen, Rossy de Palma, Sophie Marceau, Sienna Miller, Rokia Traoré, Guillermo del Toro, Xavier Dolan et Jake Gyllenhaal.

LOL. 


Dheepan de Jacques Audiard avec Antonythasan Jesuthasan et Kalieaswari Srinivasan (2015)

15 septembre 2018

The Florida Project

Après s'être intéressé à des prostituées transgenres qui arpentaient les rues de Los Angeles dans l'excellent Tangerine, Sean Baker continue de mettre en lumière les marginaux et les laissés pour compte en filmant cette fois-ci les résidents d'un motel situé en périphérie du parc Disneyworld, en Floride. Plus précisément, le cinéaste colle aux baskets d'une bande de gosses livrés à eux-mêmes et surexcités qui commettent les 400 coups sous le regard du gérant des lieux, incarné par Willem Dafoe, seule star du casting. La joyeuse petite troupe est emmenée par Moonee, une fillette de 6 ans à l'énergie débordante dont la jeune maman peine de plus en plus à subvenir aux besoins, et notamment à payer son loyer... Au fil de leurs mésaventures, le groupe se délite et c'est sur le devenir de Moonee et de sa mère que l'on finira par se concentrer.





La première heure du film nous baigne agréablement dans l'insouciance des enfants, elle est portée par leur énergie sans limite et rythmée par leurs facéties. On se régale de les voir filer à toute vitesse dans ces décors multicolores, déambuler devant ces bâtisses si kitschs qu'elles ont l'air sorti d'un jeu vidéo ou de s'être égarées à l'extérieur de Disneyworld. Devant la caméra joueuse, fluide et légère d'un Sean Baker qui a troqué ses iphones contre du 35mm, les gamins évoluent dans ce qui ressemble à s'y méprendre à un magasin de jouets géant à ciel ouvert, et ils y agissent comme tel, en s'amusant du matin au soir, quitte à enchaîner les conneries. Ils importunent les adultes, redoublent d'astuce pour récupérer quelques centimes, vont s'acheter des glaces, jamais plus d'une pour trois, épient les personnages haut en couleurs de leur motel et finissent souvent par traîner dans les pattes du gérant. On a l'impression de voir une sorte de Gremlins 3 au pays de Mickey ou, plutôt, juste à côté : les mioches n'ayant pas accès au fameux parc, faute d'argent, ils s'inventent des attractions de substitution, en toute liberté. Une visite aux quelques vaches broutant tranquillement la verdure du coin devient un tour au Safari, une incursion dans une vieille baraque abandonnée du quartier glauque est un ticket pour le Manoir Hanté. On continuerait volontiers à les regarder faire pendant des heures, à condition, évidemment, de supporter de tels sales gosses !





Mais un malaise pointe progressivement le bout de son nez et se fait de plus en plus pesant, à l'image du ciel de Floride, tour à tour traversé de part en part d'un arc-en-ciel féérique ou surchargé en nuages menaçants. On se met à craindre le pire pour ces enfants. L'inquiétude jusque-là diffuse et sous-jacente prend peu à peu les devants, et l'on se dit que le regard bienveillant et protecteur du gérant ne suffira pas à les tirer des problèmes qui les entourent, en particulier la petite Moonee, car sa mère en vient à faire n'importe quoi pour gagner quelques billets... Sean Baker évite encore une fois tout misérabilisme, toute complaisance, en choisissant de toujours filmer à hauteur d'enfant, avec cette distance qui les tient éloignés des soucis pourtant omniprésents des adultes et ressemble ici à de la pudeur. On retrouve cette façon si précieuse qu'a le réalisateur de ne porter aucun jugement sur les personnages borderline qu'il met en scène. On pourrait détester la jeune maman de Moonee, totalement irresponsable et incapable de s'occuper comme il faudrait de sa fille, mais ça n'est pas le cas. On la prend simplement pour ce qu'elle est et nous ne doutons jamais de l'amour qu'elle porte pour sa petite, encore plus prégnant lors des dernières scènes du film, particulièrement émouvantes.





Sean Baker joue très intelligemment des contrastes terribles qui donnent à son œuvre une ambiance singulière et la teintent d'une ironie amère. Des motels miteux portant des noms fantasmagoriques (Magic Castle, The Future...) aux enseignes de publicité immenses qui écrasent l'horizon en passant par les devantures de magasins ou de fast food exhubérantes, tout nous rappelle dans quel monde vivent les personnages et à quel point ils en sont éloignés. Le décor outrancier et les couleurs vives du rêve américain tranchent violemment avec la pauvreté des laissés pour compte et ne rendent que plus criante et cruelle la précarité de ces gens, condamnés à vivre au jour le jour, exclus et ignorés. C'est avec beaucoup de talent, en utilisant l'innocence et l'insouciance propres aux enfants, que Sean Baker nous montre cet envers si peu reluisant. Quand, à la fin du film, l'inévitable survient, que la séparation se fait inéluctable, on ne peut s'empêcher d'être réellement ému. D'abord par l'histoire personnelle de cette gamine aussi épuisante qu'attachante, et aussi par la situation globale dépeinte par le réalisateur. La jeune actrice, Brooklynn Kimberly Prince, est d'un naturel étonnant, à se demander comment le réalisateur a bien pu faire pour la diriger ainsi. Willem Dafoe livre lui aussi une prestation remarquable, tout en sobriété. Il est à la fois bourru, tendre et inquiet. Il fallait un acteur de cette trempe et de ce charisme pour parvenir à cela. Il ajoute encore une belle ligne à sa riche filmographie tandis que Sean Baker continue, de son côté, à dessiner une filmographie cohérente, prenant au fil des films de l'importance dans le paysage du cinéma indépendant américain. 


The Florida Project de Sean Baker avec Brooklynn Kimberly Prince, Willem Dafoe, Bria Vinaite, Valeria Cotto, Christopher Rivera et Caleb Landry Jones (2017)

11 septembre 2018

L'île nue

Grand prix au festival de Moscou en 1961, L'île nue offrit une reconnaissance très attendue à Kaneto Shindō, qui fut d'abord scénariste (de Mizoguchi entre autres, auquel il rendit plusieurs fois hommages, ou de Naruse), avant de passer à la réalisation en 1951. Sorte de tentative désespérée, de quitte ou double financier après plusieurs échecs publics, L'île nue, tourné sans moyens, avec seulement deux véritables comédiens, Taiji Tonoyama, qui accepta de n'être payé qu'en cas de succès, et Nobuko Otowa, épouse et actrice fétiche du cinéaste (qui tourna dans 41 de ses films !), est un petit miracle, non seulement parce qu'il permit in extremis à Kaneto Shindō de poursuivre sa carrière (avec par exemple le fameux Onibaba, en 1964), mais parce qu'il s'agit d'un film magnifique, peut-être unique en son genre.





Dans un film sonore mais sans paroles (on entendra seulement des cris, des rires, des larmes et des chants), le cinéaste japonais filme une minuscule île, située dans la province d'Hiroshima, où vit une petite famille de paysans : un homme, une femme et leurs deux garçons âgés d'une dizaine d'années. Nous sommes immédiatement plongés dans leur routine quotidienne, faite d'allers et retours en barque depuis l'île jusqu'au village voisin, où les deux paysans déposent leur fils aîné pour la journée d'école et remplissent des seaux d'eau qu'ils ramènent en barque au pied de leur île, puis transportent péniblement à flanc de falaise jusqu'aux cultures, sur le sommet de l'îlot sec, avant de redescendre pour recommencer, encore et encore, l'un laissant parfois la barque à l'autre pour s'occuper d'arroser, un à un, chaque plant de leurs cultures.





C'est avant tout les gestes de ces deux Sisyphes paysans que s'attache à enregistrer la caméra de Kaneto Shindō, gestes répétitifs, précis, millimétrés, patients, que les deux comédiens ont appris avant le tournage (la façon dont on conduit une barque à la godille, dont on porte des seaux d'eau en équilibre sur le dos, dont on pose ses sandales sur le chemin pour ne pas être déséquilibré, la manière dont on arrose chaque pousse, dont on fauche les blés ou manie le fléau). Le montage, litanie poétique tressant des plans tous plus splendides les uns que les autres, parvient non seulement à restituer des durées mais, créant un rythme entraînant soutenu par le mémorable et sublime thème musical du film, parvient systématiquement à déjouer l'éventuel ennui du spectateur, qui voit systématiquement ses craintes s'évanouir : à chaque fois que l'on se dit qu'un aller-retour supplémentaire sera de trop, le cinéaste le sait et impose un virage à son récit.





Au déroulé journalier de cette vie de famille et de labeur, où chacun semble à ce point savoir ce qu'il a à faire qu'il est inutile de parler (les enfants et les parents sont d'une parfaite synchronicité, pour les repas comme pour le bain, pour les trajets vers l'école comme pour les séances de pêche), et où le moindre accroc dans la partition est une faute grave (la femme, épuisée, trébuche et perd le contenu d'un seau d'eau, ce qui lui vaudra une gifle monumentale, et immonde, de son mari), se superpose la routine des saisons, puisque la grande structure du film se découpe en fonction. Aux pénibles semailles succède quelques mois plus tard la récolte, puis la vente et l'excursion en ville, avec repas au restaurant et promenade en funiculaire. Si bien que L'île nue, avec ce regard porté sur le geste et le rythme paysan d'un autre temps, organisé au fil de l'année, finit par évoquer le Farrebique de Georges Rouquier.





Mais c'est sans compter sur l'irruption du drame, qui vient enrayer la mécanique du sacerdoce, sans prévenir, sans raison (ce qui suit en révèle le secret). L'un des enfants tombe malade et, le temps (décidément premier rôle de ce film) pour le père d'aller dénicher un médecin par monts et par vaux, courant à perdre haleine à travers rues et à travers champs, l'enfant meurt. Pour la première fois, ce n'est pas la barque des parents qui fait route vers la ville, c'est un bateau à vapeur qui rejoint l'île, transportant toute l'école venue rendre hommage au camarade de classe. Peu après, le personnage de la mère, bouleversant, craque, et dans un geste terrible et magnifique, renverse un seau puis arrache les plants du sol, du ventre de la terre, sous le regard compréhensif du mari, qui très vite reprend son outil, recommence son geste, continue, suivi par la mère, qui se remet au travail, et continue à cultiver une terre qui n'attend pas, qui ne s'arrête pas.


L'île nue de Kaneto Shindō, avec Nobuko Otowa et Taiji Tonoyama (1961)

8 septembre 2018

Ghostland

Pascal Laugier doit adorer filmer des jeunes femmes défigurées. C'est ce à quoi il consacrait déjà entièrement son film breakthrough, l'infâme Martyrs, que les actrices Morjana Alaoui et Mylène Jampanoï traversaient la tête tuméfiée, en sang, le corps meurtri, victimes de la torture qu'elles subissaient pour les besoins d'une secte de fous dangereux, désireux de percer le secret de ce qui survient au moment de la mort. C'était surtout là un bon prétexte pour nous livrer un torture porn à la française des plus dégueulasses dont le sérieux, la brutalité et la violence visuelle ont beaucoup plu aux amateurs. Ghostland, le quatrième long métrage de Pascal Laugier, a semble-t-il été celui de la consécration. Presse et spectateurs conquis, le cinéaste a également récolté pas moins de trois récompenses au Festival de Gérardmer, dont le Grand Prix. Fort de ce constat, j'étais moi-même prêt à donner une nouvelle chance à ce réalisateur spécialisé dans l'horreur.




Depuis Martyrs, Laugier n'a pourtant pas bougé d'un iota. Il fait encore et toujours dans la surenchère horrifique, dans la violence exacerbée et dans l'accumulation à outrance de scènes choc. Son scénario organisé façon poupées russes en a sans doute dupé plus d'un, il est pourtant au service d'un même déluge d'immondices et son potentiel métadiscursif paraît bien mal exploité. Ne prenant guère son temps à poser ses personnages, il est totalement impossible de ressentir la moindre empathie pour ces pauvres pantins en proie aux pires sévices psychologiques et physiques. Crime, viol, pédophilie, violence gratuite, fétichisme, torture psychologique, folie... tout y passe. Laugier accumule les horreurs comme s'ils s'agissait d'un concours, comme s'il prétendait au triste prix du film le plus horrible jamais tourné, cela sans provoquer le moindre effet autre que le simple dégoût à la vue des visages ensanglantés, déformés et gonflés de jeunes actrices malmenées du début à la fin dans des scènes qui s'enchaînent comme les coups d'un marteau-piqueur manipulé par un dangereux maniaque.




L'un des films de chevet de Pascal Laugier doit être Massacre à la tronçonneuse. Mais on recommande au réalisateur de lire les textes de Jean-Baptiste Thoret consacré au chef-d’œuvre de Tobe Hooper. Peut-être comprendra-t-il alors tout ce qui le différencie de son cinéma. Peut-être devrait-il aussi revoir encore son modèle pour se rendre compte que le regretté cinéaste américain laissait pratiquement tout à la suggestion et qu'il portait un regard troublant sur les "monstres" qu'il mettait en scène. Un autre cinéaste adulé par Pascal Laudier doit être John Carpenter, puisqu'il en parle à longueur d'interviews et qu'il ne manque jamais de lui adresser quelques clins d’œil plus ou moins discrets. Or, il n'existe pas deux cinéastes plus différents... C'est bien là la seule chose qui me trouble dans le cinéma de Pascal Laugier. Comment peut-on avoir de telles références et produire des films qui leur sont si opposés dans le fond comme dans la forme ? Précisons toutefois que Laugier cite aussi Rob Zombie, dont il place ici le nom dans la bouche d'un des personnages, commentant le décor dans lequel il débarque, et il est vrai que les deux réalisateurs sont infiniment plus proches.




D'emblée, Pascal Laugier présente également son film comme une sorte d'hommage très appuyé à Howard Philips Lovecraft. Le portrait le plus connu de l'écrivain américain apparaît ainsi à l'image dans un effet digne de Powerpoint accompagné d'une citation élogieuse du personnage principal, une jeune fille qui se rêve auteur de romans d'épouvante et salue là son grand maître. Le cinéaste nous présente ensuite très rapidement une petite famille constitué d'une maman (Mylène Farmer) et de ses deux filles. Dès leur première nuit dans une maison dont elles viennent d'hériter, tout bascule : deux intrus débarquent pour commettre un carnage terrible qui les traumatisera à vie. Un colosse débile et gigantesque accompagné d'une espèce de sorcière brune filiforme s'introduisent dans la demeure pour violer et tuer. Le film se concentrera ensuite sur le calvaire de la plus jeune des deux filles, entre rêve et réalité...




Comme vous pouvez le constater, il n'y a rien de lovecraftien dans le scénario sorti tout droit du cerveau malade de Pascal Laugier. Il serait même complètement inutile et vain d'approfondir la comparaison, de chercher des correspondances. Le style putassier et racoleur du cinéaste est à des années lumières de la plume inspirée du promeneur de Providence qui, en outre, apparaît ici à l'écran campé par un acteur grimé de façon franchement ridicule. Non, le style de Laugier est davantage à rapprocher de Rob Zombie, dont il reprend la photographie crado et colorée, et des plus lourdingues séries télé, dont il épouse le même rythme frénétique qui finit par méchamment taper sur le système. Quant à son histoire, elle convoque plutôt les plus tristes et sordides faits divers, camouflée par une mise en abyme dont on a tôt fait de comprendre le mécanisme puéril.




Vous l'aurez compris, mon second rendez-vous avec le cinéma de Pascal Laugier s'est soldé par un échec cuisant dont personne n'est ressorti grandi. Le type m'a mis au tapis. A partir de l'heure de jeu, après avoir bien pigé où il voulait en venir, subi une énième scène dégueu et dû supporter la vue de ces visages maltraités, j'ai fini par me désintéresser totalement du film et par renouer avec le mépris complet que j'éprouve envers son auteur. Cocorico, la France a donc elle aussi son Rob Zombie. Il est encore plus atteint que son modèle américain, et il n'y a vraiment pas de quoi s'en réjouir. Laugier participe très activement à enfoncer le cinéma d'horreur hexagonal dans une vaine barbare qui ne lui réussit pas. Ghostland est un vrai supplice qui salit les quelques auteurs respectables dans la lignée desquels il prétend s'inscrire. On ne m'y reprendra plus.


Ghostland de Pascal Laugier avec Crystal Reed, Anastasia Phillips, Emilia Jones et Taylor Hickson (2018)

6 septembre 2018

Printemps tardif

Pour qui ne se lasse pas des nombreux films de Yasujirō Ozu, aux titres très similaires et portés par la même bande d'acteurs, évoquant les relations familiales au milieu du 20ème siècle dans un Japon tiraillé entre le poids de la tradition et l'essor vers la modernité, et pour qui même éprouve une immense joie à la découverte de chaque film du cinéaste, la rétrospective en dix films proposée par de nombreuses salles cet été fut une bénédiction. J'ai pu donc découvrir ce Printemps tardif de 1949, dont la beauté tient évidemment à l'art de Yasujirō Ozu, et à l'immense sensibilité dont il fit preuve tout au long de sa carrière, posant sur ses personnages un regard d'une grande humanité, quitte à critiquer à travers certains d'entre eux les mœurs de son temps, mais aussi à la simplicité et à l'originalité de son scénario. Si la jeune Noriko (Setsuko Hara) refuse de se marier et de laisser son père veuf Shukichi (Chishū Ryū) vivre seul, ce n'est pas seulement parce qu'elle redoute les effets de cet abandon sur la santé de ce dernier, c'est aussi, comme elle tente de le lui confesser à plusieurs reprises, finissant par y parvenir dans une scène bouleversante, parce qu'elle est réellement et tout simplement heureuse de vivre à ses côtés et qu'elle n'est pas sûre de mener une vie plus épanouissante auprès d'un autre.




Il faudra que le père et la fille fassent un ultime voyage ensemble, à Kyoto, que soit raconté le possible bonheur succédant aux premières années difficiles d'un mariage forcé, et il faudra que le père promette de se remarier, pour que sa fille, Noriko, consente à son tour au mariage. Mais sous ses dehors d'homme serein, heureux, confiant et convaincu de devoir marier sa fille pour son bien et pour faire les choses comme il faut, le père, à la perspective de plus en plus concrète du mariage approchant, vacille sur ses bases. Ce qui donne non seulement un très beau dialogue entre lui, le père, Shukichi, et son vieil ami (quant à lui remarié à une jeunette), où il est dit la cruauté de ce rôle de parent qui consiste à élever une enfant pour que, à peine devenue la femme que l'on espérait, elle se marie à un autre (les deux vieux n'oublient quand même pas qu'ils étaient bien heureux d'en épouser, eux aussi, des femmes accomplies), mais aussi cette séquence finale, où l'on se surprend à pleurer devant un homme seul qui pèle une pomme.


Printemps tardif de Yasujiro Ozu avec Setsuko Hara et Chishū Ryū (1949)

4 septembre 2018

Mission : Impossible - Fallout

Dans cette suite directe de Mission Impossible : Rogue Nation, l'équipe menée par Ethan Hunt court après des boules de plutonium qu'une société anarchiste menace de faire sauter sous le prétexte qu'une "grande souffrance amène une grande paix" et que "plus grande est la souffrance, plus grande est la paix" (c'est la phrase que l'on entend le plus souvent dans le film, je l'ai donc retenue, c'est elle qui justifie tous les méfaits des méchants, dont on a d'ailleurs tôt fait de deviner l'identité réelle). Ce nouvel épisode a l'avantage de ne se consacrer qu'à une seule intrigue, il ne cherche guère à imbriquer plusieurs mini-aventures les unes dans les autres, ce qui est déjà mieux que le précédent. A partir du moment où l'on a compris que Tom Cruise et sa bande sont à la recherche de ces boules maudites qu'ils ont connement laissé filer dès la première scène, on peut voir venir et passer une séance pas si désagréable que ça.




Avec les Mission Impossible, c'est toujours le même problème : on ne sait pas quelle échelle de valeur utiliser ni à quoi l'on peut se référer pour les juger. Car il est tout de même nécessaire de relativiser ce que l'on vient de voir, d'abord pour essayer de comprendre l'engouement autour de la saga pilotée par Tom Cruise sans avoir envie de se pendre. En effet, si l'on va voir ces films en cinéphile naïf qui espère passer un vrai bon moment de cinoche, on peut en ressortir avec une boule au ventre terrible. Non, les Mission Impossible gagnent énormément à être confrontés aux autres productions du moment et du même genre. Face aux blockbusters US actuels, ce nouvel opus est encore une fois un cran au-dessus du lot. Fallout vaut mieux que la plupart des gros films d'action hollywoodiens du moment, il y a peu de doute là-dessus. Si Tom Cruise a des milliards de défauts et surtout un melon incroyable qui se manifeste par le besoin irrépressible de faire de lui un surhomme infaillible, il lui reste encore suffisamment de neurones pour ne pas transformer sa franchise personnelle en une déchetterie à ciel ouvert comme Die Hard ou d'autres saloperies du même acabit, souvent saccagées par leur propre vedette devenue sénile (ex : Bruce Willis).




A côté d'une saga comme Fast & Furious, les Mission : Impossible passeraient presque pour des films d'intellectuels destinés aux spectateurs exigeants... Et si l'on pense à une saga encore plus similaire comme James Bond, Tom Cruise remporte le duel haut la main, puisque c'est là encore beaucoup moins con. Pas (trop) de machisme bas de plafond ici. Ethan Hunt, comme cela est d'ailleurs souligné dans cet épisode, n'a connu que deux femmes qui ont réellement compté dans sa vie : Julia (la fraîchement liftée Michelle Monaghan) et Isla (l'agréable Rebecca Ferguson). Bien qu'il soit au moins aussi irrésistible pour la gent féminine que son alter égo des services secrets britanniques, Ethan Hunt ne s'amuse pas à répandre son sperme aux quatre coins du globe ni à compléter son tableau de chasse impressionnant à chaque nouvel épisode. C'est déjà ça. Pas de "Mission Impossible Girl" comme on parle de "James Bond Girl", même si une starlette comme Léa Seydoux peut avoir tenu sensiblement le même rôle dans les deux franchises. Pas de fétichisme pour les belles bagnoles non plus. Tom Cruise est bien sûr un as du volant mais il se fout pas mal de ce qu'il conduit, il est capable de semer n'importe qui en pilotant et manœuvrant n'importe quoi, en laissant lui aussi des épaves derrière lui mais en préservant autant que possible les centres historiques des plus belles villes du globes (007 devrait en prendre de la graine).




Et si l'on ouvre encore davantage l'éventail comparatif, un Mission : Impossible sera toujours plus supportable, à mes yeux, qu'un film de super-héros comme il en sort à la chaîne depuis près de 20 ans, quand bien même le personnage campé par Tom Cruise n'a pas grand chose à envier à ces tocards indestructibles en spandex. Enfin, si l'on compare ce Fallout aux autres titres de la saga, il ne s'agit clairement pas du pire. Il se tient bien mieux que Rogue Nation, qui était très laborieux, mais s'avère moins amusant et léger qu'un Ghost Protocol, qui reste sans doute mon "préféré". Notez que je ne me suis pas amusé à les revoir tous pour établir un classement définitif, une fois suffit. Notez aussi l'emploi des guillemets pour rappeler l'amour tout relatif que je porte à cette série dont, au fond, je me contrefous royalement. Je fais simplement là mon travail de blogueur ciné. Je me suis rendu au multiplexe comme on va à l'usine, j'ai pointé, et je n'y serais jamais allé si des amateurs moins regardant ne m'y avaient pas amicalement convié.




Ce M:I-6 est l'occasion de constater que Tom Cruise a semble-t-il définitivement abandonné l'idée de confier la réalisation de chaque chapitre de sa saga fétiche à un cinéaste différent, un vrai, à la patte reconnaissable. Il préfère désormais faire ça avec son faiseur attitré, le docile Christopher McQuarrie, déjà impliqué dans sept films de la star, en tant que réalisateur, scénariste ou producteur. McQuarrie n'a aucun style particulier, il travaille plutôt proprement, il n'est pas moins doué qu'un autre pour filmer une course-poursuite dans les rues de Paris (qui ne marquera en rien l'histoire des courses-poursuites au cinéma), il est un peu plus inspiré quand il s'agit d'une scène de baston dans les teuchios du Grand Palais. Ce M:I-6 n'est qu'une succession de scènes d'action (courses à pied, en moto, en bagnole, en hélico ; chute libre ; combat au couteau, mano a mano, à l'aide des éléments du décor ; fusillade, impasse mexicaine, etc, tout y passe), le rythme est enlevé, mais il n'y a rien de mémorable. Tout est beaucoup trop exagéré pour que ça fonctionne. L'ultime poursuite en hélicoptère, où Tom Cruise s'empare de l'appareil sans souci avant de s'en servir façon kamikaze pour rattraper son ennemi, est par exemple bien trop longue et improbable.




Mais le fond est touché lorsqu'on délaisse l'action pour se consacrer un court instant à des personnages lamentables dont nous nous fichons éperdument des petits problèmes existentiels. Quand Ethan Hunt retrouve enfin son ancienne femme, nous avons ainsi droit à une scène d'un ridicule achevé où Michelle Monaghan regarde Tom Cruise comme s'il s'agissait d'une apparition divine, sourire béat, yeux de merlan frit, tout cela devant son nouveau mari, séduit lui aussi par la grande star, à deux doigts de lancer tout haut "Please, bang my wife !". Autre moment d'émotion, autre sommet de ridicule : quand le tout bouffi Vingh Rhames raconte, les larmes aux yeux, les déboires amoureux de son copain Tom Cruise à une Rebecca Ferguson très émue à son tour. Quoi de particulier en dehors de ça ? Un générique d'ouverture particulièrement hideux qui est une sorte de bande-annonce minable de tout ce que l'on s'apprête à voir, un thème musical qui n'inspire vraiment plus rien d'intéressant, et voilà, c'était le dernier épisode en date d'une franchise qui profite de la médiocrité ambiante du cinéma de divertissement américain pour se faire remarquer. Il ne faut vraiment pas attendre grand chose de la Vie pour en faire un superbe film d'action... 


Mission Impossible : Fallout de Christopher McQuarrie avec Tom Cruise, Simon Pegg, Henry Cavill et Rebecca Ferguson (2018)