
Pas que sans lui le film ne puisse avoir aucun intérêt, la scène d'introduction dont l'acteur est absent et qui représente le cérémonial du conclave est par exemple très maîtrisée et particulièrement captivante. Mais l'acteur et son personnage sauvent tout de même l'ensemble de l’œuvre, qui s'affaiblit petit à petit. Les séquences burlesques dans la cantine des cardinaux ou dans leur préau ne sont jamais totalement passionnantes. On sent que Moretti, comme Almodovar, a tendance à parfois forcer son humour qui du coup ne prend pas. On dirait que ces deux cinéastes (entre autres) veulent nous dire : "Je ne me prends pas au sérieux !", et on aimerait leur répondre : "Tu devrais... car ton film y gagnerait et en outre tu n'es pas toujours spécialement marrant !" Quant à la visée symbolique des divers éléments du scénario... Le parallèle appuyé par le montage entre la crise existentielle du religieux et celle du psychanalyste, l'incapacité à mener à leur terme les choses entreprises, qu'il s'agisse du pontificat ou d'un championnat de volley-ball... Ces idées-là ne me paraissent pas suffisamment porteuses ou génératrices d'idées de mise en scène fortes pour me passionner franchement.
Mais quand Moretti oublie le symbolisme un peu lourdingue de son scénario pour filmer les choses directement, et notamment à la fin de ce film qui semble n'avoir jamais véritablement commencé (et pour cause, l'élément de départ étant immédiatement court-circuité puisque l'accession de Melville au balcon pour faire son discours et se faire reconnaître est différée), advient une séquence poignante - grâce aussi et encore à Piccoli -, où le personnage dit son impuissance, avoue ses doutes, confie ses faiblesses, refuse finalement sa mission tout en craignant le jugement de Dieu et des siens, pour lesquels il prie et qu'il enjoint à prier pour lui en retour. Il abandonne tout simplement, constatant dans un ultime retrait bouleversant, surprenant et quelque part choquant : "Je ne peux pas être ce que je suis". Le personnage affirme ne pas pouvoir assumer les espoirs du peuple et paradoxalement il correspond à chacun de ses membres (ainsi qu'à ses confrères qui au début du film priaient d'une seule voix pour ne pas être élus...), il cristallise la grande angoisse de notre époque en assumant son épuisement, sa faillite à gouverner, son impuissance à symboliser l'espoir et son souhait d'abandonner dans ce qui me semble être l'une des plus belles et l'une des plus terribles fins de films de cette année.
Habemus Papam de Nanni Moretti avec Michel Piccoli (2011)