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20 février 2014

Mea Culpa

Fred Cavayé est le nouveau spécialiste officiel du cinéma d'action français. De nationalité française et qui tourne en France, disons. Parce que notre homme est quand même putain d'inspiré par le cinéma d'action hollywoodien (ou plutôt par les séries ricaines d'ailleurs), en reproduit les effets sans oublier d'y puiser bien des clichés scénaristiques, se fait remaker outre-atlantique et finira selon toute vraisemblance par aller tourner au pays de l'oncle Sam. Il a d'ailleurs annoncé qu'il n'irait tourner à Hollywood que si on lui laisse écrire le scénario. Comme si on tenait là un auteur génial et infaillible... Lui en est apparemment persuadé. L'histoire que nous raconte Mea Culpa est pourtant bien maigre, et vraisemblablement issue du cerveau d'un de ces hommes adultes dont la fontanelle ne s'est pas encore totalement refermée. Quand on va voir un tel film, on sait qu'on ne va pas se faire raconter quelque chose de mémorable, mais on espère se divertir devant un truc à peu près solide. On attend que le prétexte à l'action, promise non-stop, soit en béton armé, histoire de n'avoir plus qu'à laisser venir, emmagasiner les scènes de violence ultime, avaler les kilomètres de course poursuite sans respirer.




Marseille, nowadays. Une bande de truands venus de l'est sème la terreur dans les recoins sombres du vieux port. De son côté, Vincent Lindon est un homme meurtri, un ancien flic destitué, devenu simple convoyeur de fonds suite à son passage en taule pour le meurtre de trois civils dans un banal accident de voiture placé sous le sceau du pastaga. Notre homme vit seul, loin de sa femme et de son fils, qu'il ne parvient plus à assumer. On cerne assez bien la psychologie de dingue du personnage dans toutes ces scènes où, seul dans sa cuisine, plongé dans le noir, les lèvres pincées, rentrées à l'intérieur comme jamais, Lindon observe, le regard noir comme tout, ses voisins, un beau couple avec enfant, qui dinent gaiement en famille. Mais tout bascule le jour où son fils assiste à une corrida pour fêter ses 8 ans. L'enfant a le malheur de louper la mise à mort du taureau pour assister, sur le chemin des chiottes de l'arène, à une toute autre mise à mort, celle d'une énième victime de ces Kosovares qui font de Marseille un beau merdier. Le gamin est alors pris en chasse par les bandits, et forcément le papa va reprendre du service, du moins officieusement, pour protéger son bambin ainsi que son propre cul, aidé dans sa démarche par son ami de toujours, le fidèle à l'appel Gilles Lellouche.




Le problème c'est que les dealers et maquereaux kosovares sont du genre têtus, et pour le moins perfectionnistes. A chaque fois qu'un quidam est témoin de leurs crimes, ils le traquent sans relâche jusqu'à ce qu'il soit officiellement haché menu. Sauf qu'il y a un témoin oculaire minimum pour chacun de leurs forfaits (le Kosovare est peu discret), et qu'ils doivent en conséquence systématiquement déblayer large. Si Lindon n'était pas là pour mettre un terme à leur enfer en les expédiant eux-mêmes au cimetière, ces gens passeraient leur vie entière à nettoyer les villes de tous leurs habitants. Leur repos ne viendrait qu'avec le dernier homme sur Terre, le seul à crever sans spectateur potentiel. Le film aurait donc pu durer beaucoup plus longtemps et se terminer sur un plan terrifiant : le chef des escrocs kosovares se tirant une balle dans un miroir. Mais Lindon ne l'entend pas de cette oreille et se montre bien décidé à liquider les enfoirés qui en veulent à son schtroumpf.




Très vite, Lindon ayant tué le frère du grand méchant, ce dernier n'a plus rien à faire du gamin du flic : c'est à Lindon lui-même qu'il en veut. Et ça, si le regard furax du Kosovare penché sur le cadavre de son petit frère n'avait pas suffi à nous le faire piger, ni les cent millions de films qu'on a vus où cette scène apparaissait déjà à l'identique, une ligne de dialogue nous le signifie très clairement. Si bien que le McGuffin du fils traqué, autour duquel tourne tout le "travail" de promotion de l'affiche (avec cette tagline ridicule qui cite un dialogue absent du film...), fout rapidement le camp pour céder place à une simple baston entre des gentils et des méchants, qui ont les mêmes motivations : défendre et/ou venger leurs proches en foutant la branlée à leurs adversaires.




Sauf que les nobles motivations en question en prennent une grosse gifle lors du twist final, que le spectateur a senti venir depuis un fameux bail, sinon en détail du moins en substance, aiguillé par les douze mille flashbacks nébuleux de Cavayé et par le titre du film, qui constitue à lui seul un massive spoiler. Ce twist fut chuchoté à l'oreille du cinéaste par un Olivier Marchal bourré (et pourtant remercié au générique de fin), lors d'une soirée pastaga/pétanque comme il y en a tant sur la Canebière. Ayant quelques liens solides dans la région PACA, on tient d'une source sûre, quoique off, que cette fameuse soirée se serait terminée avec deux victimes du jeu : un type, depuis nommé "Le bossu de La Bonne-Mère", a reçu une triplette de pétanque, dans leur coffret, sur l'épaule gauche (il en est encore tout disloqué et se tient en permanence de profil depuis cette soirée ratée) ; un autre, désormais connu sous le sobriquet du "Bouddha de Marignane", a reçu une boule de pétanque pile entre les deux yeux, qu'aucun chirurgien plasticien ne daigne aller déloger, de peur de lui décapsuler tout le ciboulot. Mais pour revenir à cette fameuse révélation finale, que nous ne révélerons qu'en substance rassurez-vous, elle concerne le plus beau "personnage" du film, un ami ultra dévoué, faisant preuve d'une solidarité démesurée, prêt à tout pour son alter-ego, un homme digne du plus grand respect (petit indice : c'est un acteur pour lequel nous n'écririons jamais ça, et dont le nom de famille est partagé par un cinéaste sur lequel nous n'écririons jamais ça non plus). Dans les deux dernières minutes du long métrage, cet écrin de perfection et d'humanité se transforme soudain en un simple étron, en parfait enculé.




Notre bon samaritain n'était en fait qu'une raclure de bidet, un faux-ami, un type seulement prêt à tous les sacrifices pour se racheter une conscience après avoir littéralement ruiné la vie de son pote. La seule lueur d'espoir de ce film, son seul soupçon de qualité, c'était cette histoire d'amitié sans mobile, indéfectible, à la vie à la mort, dépourvue de toute justification basique, mais Cavayé crache un gros mollard sur cette minuscule parcelle d'intérêt en ayant recours à un revirement cliché au possible et à un ressort psychologique (le scénario de culpabilité de base) parfaitement misérable. Le personnage en question meurt à la fin du film, puni pour ses péchés, après une confession de dernière minute. Cette fin suinte un moralisme de comptoir très malvenu dans un tel film, et surtout d'une balourdise infinie, qui n'a d'égale que celle des idées de mise en scène de Fred Cavayé. Le réalisateur utilise un gros filtre bleu pour les souvenirs malheureux et un filtre jaune qui tache pour les souvenirs plus joyeux : toutes ces scènes profondément débiles et hideuses qui nous montrent les deux amis riant sur la plage avec femmes et enfants, du temps où ils avaient tout pour être heureux. Et on retrouve la même symbolique chromatique quand Lindon, seul la nuit dans sa cuisine toute bleue, mate avec la rage le repas de ses bons voisins réunis autour d'une loupiote jaune. Non seulement c'est brillant mais qu'est-ce que c'est beau...




Et puis réfléchissons deux minutes, Fred. Prenons ton film à l'envers. Adoptons le point de vue inverse. Mettons-nous le temps d'un paragraphe dans la peau de ton méchant Kosovare : on tient là un homme fraîchement débarqué des balkans, propre sur lui, fier et droit, venu en France bien que ne parlant pas la langue pour travailler, faire un peu d'argent, quitte à verser dans le business ô combien dangereux et craignos des putes et de la drogue, obligé pour ce faire de s'entourer de gros bras, des cousins débiles et chauves mais musclés et serviables, et même d'un petit frère, grossier, nerveux, mais "brave", comme disent les Bucco-rhodaniens pour désigner un trépané au grand cœur, type humain très répandu dans la région. Notre homme, pris dans un engrenage terrible et qui le dépasse, se retrouve obligé de faire disparaître quelques concurrents qui menacent sa vie, par pur instinct de préservation, et pour parvenir à ramener quelques billets au pays natal, où l'attend une famille très nombreuse, chargée en enfants morts de faim, ou morts tout court, et en épouses condamnées à la précarité, au froid, confrontées quotidiennement aux loups affamés de la steppe. Essayant de foutre les foies à un ennemi revêche dans les coulisses des arènes de Nîmes, notre Kosovare est surpris par un enfant qu'il essaie de rattraper pour le supplier de tenir sa langue en lui offrant une barbapapa, car cette chère tête blonde lui rappelle les vingt-deux fils malingres qu'il a abandonnés au pays (toute une équipe de foot, voire deux équipes de onze titulaires prêts à en découdre sous le maillot de n'importe quel pays de l'ex-union-soviétique aux prochains JO). Et voici qu'un vieux flic français aigri et énervé, flanqué d'un parjure et d'un lâche, se met à le poursuivre, à lui tirer dessus, et assassine même son petit frère à l'enveloppe cérébrale perforée de naissance. Il y a de quoi prendre la mouche non ? Dès lors, qui sont les véritables héros de cette histoire ? Ce père Kosovare, digne d'un film des Dardenne intitulé "Le silence de Morbak (les emmerdes d'un Kosovare en plein Paname)", cet homme digne venu faire quelques euros en France pour nourrir toute sa famille ? Ou ce prétendu "ami" qui sauve les miches de son meilleur pote adepte d'auto-justice uniquement parce qu'il a au préalable consciencieusement flingué sa vie à bout portant




Cavayé a déjà ses acteurs fétiches, son affiche-type, ses habitudes, à base de personnages accaparés par le sauvetage d'un proche et de courses-poursuites interminables (où un enfant court plus vite qu'une terreur des balkans, et où deux flics courent plus vite qu'un Hummer disposant de 325 chevaux hennissant la bave aux naseaux sous son gros capot), et au bout de trois films il tourne déjà en rond, régresse même, depuis le plus appréciable Pour elle, déjà porté par Vincent Lindon. L'acteur fait son travail une fois de plus. Mais quand on l'entend, à la télévision, en pleine promo du film, dire qu'il rêvait depuis toujours d'un pareil rôle, de s'amuser comme les américains, qu'il s'est pété trois côtes et fêlé le tibia et que ça c'est le grand pied pour un comédien, on se demande s'il y a encore quelqu'un de sobre au volant.


Mea Culpa de Fred Cavayé avec Vincent Lindon et Gilles Lellouche (2014)

26 janvier 2013

Flight

Deux grands cinéastes tout public font leur come-back sur nos écrans français en ces mois frappés par le froid intense : Bob Zemeckis et Stevie Spielberg. Deux cinéastes dont les plus grands succès sont forcément derrière eux, mais dont on espère (dans le sens français et espagnol du terme - esperar : attendre) depuis des années un sursaut d'orgueil. Les statistiques démontrent que nous avons tous au moins un film de Zemeckis et Spielberg dans nos dvdthèques. Statistique non démentie en ce qui me concerne, puisque je possède les dvds de Predator et Un Jour sans fin. Spielberg et Zemeckis, les Romario-Bebeto du 7ème Art, ont marqué le cinéma de divertissement des années 80 et 90. Le premier nous revient avec le film définitif sur l'une des plus grandes figures de la courte Histoire américaine, j'ai nommé Malcom X. En course pour les Oscars et salué unanimement par les critiques, le long film de Spielberg et ses deux heures trente minutes de dialogues non-stop aura toutefois bien du mal à s'attirer les réelles faveurs du très grand public, celui qui se lève tôt et n'a pas envie qu'on lui fusille la tronche sur la Toile le soir venu. Quant au second, j'ai nommé Bob Zemeckis, nous avons vu son Flight et nous avons été agréablement surpris, au point que nous avons décidé d'y consacrer un papelard à part entière.


Zemeckis a enfin décollé le nez de son PC pour redécouvrir la joie d'un vrai tournage aux côtés d'une pointure qui n'a pas hésité à s'ouvrir l'arcade sourcilière pour littéralement "être" son personnage !

Après être passé dans différents travers de motion capture nauséabonds, revoilà enfin le gros Zemeckis en présence de vrais acteurs et d'images réelles. Il s'attaque a priori à une histoire assez banale : un pilote d'avion cocaïnomane et alcoolo sous l'emprise de ces deux stupéfiants notoires arrive tout de même à utiliser son bolide hors de contrôle comme un fer à repasser pour un champ de maïs qui n'en demandait pas tant. Il le retourne complètement pour le faire atterrir en catastrophe mais de manière inespérée, sauvant ainsi la vie de la quasi totalité des passagers, équipage compris. Accueilli comme un héros par les médias et le grand public, le retour sur terre sera tout de même douloureux pour notre pilote ahuri quand il se rendra compte que les traditionnels tests toxicologiques réalisés après le crash-test fatidique révèlent qu'il était "high in the sky" avant même de mettre les mains sur le gros manche du cockpit. A partir de ce postulat de départ ma foi assez peu intéressant et digne d'un "60 minutes" de derrière les fagots, Robert Zemeckis, en pleine possession de ses moyens, nous livre ce que nos amis anglophones nomment modestement une "character study" portée par un acteur au top de sa forme, qui trouve en Whip-le-pilote-de-ligne-de-coke-défoncé son plus beau rôle à ce jour.


A big-ballsy man in a readamaged plane ! Bilan : 6 morts et un Oscar.

Un Oscar pour Denzel ! N'ayons pas peur des mots, Denzel Washington est ici en état de grâce, au point de faire une ombre insondable et insolente à ses partenaires, notamment la Kelly Reilly des Poupées Russes et de L'Auberge Espagnole, qui n'est là que pour agiter ses gros lolos, faire le nombre et justifier une "romance" (notez les guillemets) dont on se serait bien passé. Rappelons que Denzel Washington est pourtant le symbole d'un cinéma américain que d'ordinaire je fuis comme la peste, ce cinéma qui s'échine à nous présenter un "ordinary american hero believing in God, Jesus, and Freedom" au volant soit d'un tracteur, d'un tractopelle, d'un métro, d'une grue, d'un train, et condamné à rejouer cent fois le même rôle et à vivre l'héroïsme avec une humilité trop exagérée pour être crédible. C'est aussi lui l'acteur spécialisé dans les incarnations de personnages historiques de couleur noire et, plus largement, dans la représentation de figures réelles typiquement US : Frank Lucas, le fameux mafieux guadeloupéen de Harlem dans American Gangster, Steve Biko, l'activiste anti-apartheid serbo-croate de Cry Freedom, Rubin Carter, le boxeur poids moyen, et bientôt Steve Jobs selon les dernières rumeurs. Autant de célébrités qu'il est forcé d'imiter de manière souvent bien frustrante. Condamné par conséquent à jouer dans des biopics hollywoodiens sans saveur, adorés par les ménagères de moins de 50 ans et par l'establishment (l'AFI et la MPAA, au premier rang des accusés), l'acteur a ainsi multiplié les "rôles à Oscars". Il a même fini par obtenir la récompense tant convoitée via un rôle à contre-emploi ridicule (Training Day, où il joue un pur enfoiré) en profitant de l'ambiance hypocrite post-11 septembre tournée vers les minorités qui régnait alors à Hollywood (Halle Berry et Jim Broadbent furent récompensées la même année). 


"Écoute, poupée, c'est pas le moment de me demander des cours d'acting !" semble dire Denzel. Notez aussi qu'il lui indique subtilement que la circonférence de son avant-bras est sensiblement égale à celle de son "Python de la Fournaise".

Malgré cela, Denzel fait partie de ces types qu'on ne peut pas s'empêcher d'apprécier. A l'image d'un Vincent Lindon, d'un Bruce Willis, d'un Russel Crowe, d'un Samuel L. Jackson, d'un François Cluzet, Denzel attire de façon assez inexpliquée et instinctive la bienveillance, la sympathie, l'hilarité, voire la concupiscence chez les plus ouverts d'entre nous. Quand il rit, on pleure de rire avec lui. Quand il pète, on hume notre écran. Quand il félicite Kamel le Magicien, on a envie d'être le père de Kamel le Magicien pour pouvoir poser notre main sur son épaule et dire "je suis fier de toi mon fils, Kamelemagicien". Quand il acquiesce des yeux, on hurle "OUI !" le cul vissé sur notre canapé. S'il nous demandait de le suivre dans un combat réactionnaire, on partirait à ses côtés, sans cligner des yeux, le couteau entre les dents. S'il était l'auteur d'un homicide volontaire, je me présenterais les bras en croix au commissariat, au Central 13, comme son alibi, et je déclarerais avoir passé la soirée au lit avec lui, avec pour preuve mon sphincter anal éprouvé. D'habitude, je suis comme Zidane : tu peux me dire ce que tu veux tant que ça ne concerne ni ma maman ni ma soeur, mais Denzel saurait me faire changer d'avis même sur ce grand principe qui régit mon existence depuis le collège, à l'instar de mon idole que je considère double détenteur de la Coupe du monde de la FIFA. Bref, Denzel a de l'allure, un vrai charisme, et il est glabre, ce qui ne me laisse jamais indifférent.


Après chaque prise, les journalistes et critiques ciné s'agenouillaient face à Denzel, le micro tendu et la caméra braquée sur lui, dans l'espoir de connaître les secrets de sa performance ! Ici-même, on peut le voir répéter son "speech acceptance" qu'il donnera le 24 février !

Robert Zemeckis est-il un grand directeur d'acteurs ? Sait-il diriger un interprète de la manière la plus adéquate vis-à-vis du contexte et du cadre qu'il a choisi (plan américain, plan d'ensemble, plan rapproché...) ? Il est impossible de répondre lorsque l'acteur se nomme Denzel Washington. La star est auto-dirigeable. Denzel Washington est le Hindeburg d'Hollywood. Malgré tout, Robert Zemeckis a certainement su lâcher la bride quand il le fallait et tirer sur la laisse lorsque c'était nécessaire. Le cinéaste a beau être d'une laideur sans pareille, il sait encore séduire son public et n'a pas perdu la main quand il s'agit d'être un efficace et redoutable conteur d'histoire (à condition d'être le plus loin possible d'une palette graphique). Certes, certaines scènes sont trop faites pour nous tirer les larmes et d'autres s'avèrent assez superflues, comme celles, au début du film, qui nous présentent la triste vie du personnage campé par la fatigante Kelly Reilly. On aurait préféré connaître ce personnage en même temps que le beau Denzel, sans se taper les désormais classiques injections de drogues qui nous dépeignent à coups de rangers un personnage au fond du gouffre dont on sait qu'il ne pourra que remonter la pente. Une telle exposition était inutile pour que l'on comprenne ses bien simples turpitudes, et il ne faut jamais perdre de vue que l'intérêt du film réside en Denzel Washington et dans le personnage qu'il incarne.


Bruce Greenwood, à gauche, a ici des allures de coach de L1 dépité sur son banc de touche, dépassé par des joueurs, Samuel Cheadle et Didier Washington, qui ne pensent qu'à la troisième mi-temps.

Véritable couteau suisse de l'Actor's Studio, l'acteur marche ici sur l'eau avec une aisance qui échappe aux mots, bien que toujours à deux doigts d'en faire trop. Il parvient à tout faire passer, à sauver des scènes a priori vouées à l'échec ! Quid de cette scène consécutive à l'enterrement de l'hôtesse de l'air qui entretenait avec lui des rapports plus qu'amicaux basés sur un échange réguliers de liquide séminal ? Face à une partenaire anonyme qui s'accroche tant bien que mal pour être à la hauteur, Denzel a seulement besoin de petits mouvements jugulaires et sourciliers pour placer le film sur orbite à cet instant précis. Quid de cette scène très risquée où son personnage retourne, désoeuvré, vers son ex-femme et son con de fils, la mort dans l'âme, avec 2 grammes d'alcool par millilitres de sang (de quoi tuer un taureau de la ganadería Miura, descendant d'Islero, celui qui a eu la peau du grand Manolete aka Adrien Brody dans un film que strictement personne n'a vu) ? En allant au bout de son idée d'acting, consistant à prendre son fils dans ses bras malgré son extrême réticence, Denzel arrache cette scène du ridicule et parvient presque à la rendre assez poignante. Bref, l'acteur réussit l'impossible et tient le film à bout de bras, bien mis en valeur par le savoir-faire indéniable et toujours intact de Robert Zemeckis. 


Gros scandale à prévoir du côté de chez wam si, au bout d'une nuit à croiser les doigts et à prendre mon mal en patience face à un streaming pourri, Denzel repart de la cérémonie des Oscars sans sa statuette...

Flight est donc une bonne surprise. Un film qui remet Robert Zemeckis sur les rails et qui offre à un acteur hors norme un rôle enfin à la mesure de son charisme. En nous faisant croquer un best of des Stones, et en plaçant au moindre prétexte les chansons préférées de sa jeunesse, on sent bien que Zemeckis se fait plaisir et il parvient aisément à nous communiquer son enthousiasme sincère. On pardonnera donc ses quelques travers à ce film très hollywoodien mais si plaisant à suivre, comme il est beaucoup trop rare d'en voir depuis des années. Cet article est déjà très long, je vous laisse. Matez Flight, en cette période de vache maigre américaine, il vous apparaîtra comme un film très sympathique et réconfortant. La rédemption pour tonton Zemeckis !


Flight de Robert Zemeckis avec Denzel Washington et des figurants dont Kelly Reilly, Don Cheadle et John Goodman (2013)

27 septembre 2012

Quelques heures de printemps

Le dernier film de Stéphane Brizé porte assez mal son titre étant donné que c'est l’œuvre la plus entièrement sombre, glauque, austère, cafardeuse et déprimante qui soit. "Torture flick" aurait été plus adapté. Stéphane Brizé voulait donner un gros coup de pied dans le petit monde du snuff movie et c'est réussi. Son film raconte l'histoire d'Alain (Vincent Lindon), un conducteur de poids-lourd fraîchement sorti de 18 mois de taule pour un délit mineur qui va habiter chez sa mère malade (Hélène Vincent), atteinte d'un cancer du cerveau en phase terminale, en attendant de retrouver un boulot puis un appartement. Écrire le résumé de l'histoire est déjà une souffrance en soi mais quand ça vous remet le film en tête c'est traumatisant. Tourner ce genre de film, où tout est unanimement noir, des personnages aux décors en passant par les costumes, les dialogues, la résolution et le reste, devrait être interdit.




On se demande déjà comment des gens peuvent y trouver leur compte durant la conception, l'écriture, la préparation, les répétitions, le tournage, le montage, l'étalonnage, la promotion et ainsi de suite. Vivre avec ce film pendant une heure trois quarts est déjà un supplice mais pendant un ou deux ans... Faut-il être animé d'une confiance en soi sans faille et avoir une foi inépuisable en son travail pour ne jamais remettre en question un tel projet et ne jamais montrer le moindre doute quant au bienfondé de cette entreprise de destruction de moral massive. Il faut aussi faire preuve de bien peu d'égards à l'endroit du public pour l'enfermer pendant une heure et quarante huit minutes (après l'avoir peut-être aguiché avec un titre léger et mensonger au possible) dans un univers morbide et sans la moindre issue (même l'amourette de Lindon avec Seigner prend mochement fin sur le parking du LeaderPrice local), dénué du plus petit trait d'humour, du moindre instant de légèreté, d'une seule couleur ou d'un soupçon d'espoir, un film où même le chien, interprété par le chanteur Cali, et qui est pourtant le personnage le plus aimable et attendrissant de l'histoire, finit empoisonné et secoué de spasmes dans une mare de vomi.




Le film de Brizé fait revoir à la hausse The Descendants, le dernier Alexander Payne, qui traitait aussi, quoique de façon différente, de la mort d'une mère, et qui le faisait pourtant lui-même assez maladroitement. En même temps le film de Brizé fait revoir à la hausse strictement tous les autres films et fait passer ses opus précédents, y compris les plus moroses (comme Je ne suis pas là pour être aimé) pour de fières comédies. Peut-être sommes-nous trop sensibles ? Trop vulnérables et facilement atteignables par de tels sujets plombants, angoissants et malaisants ? Ce n'est pas la première fois qu'on dit d'un film qu'il est immensément cafardeux (pour citer quelques exemples : Partir, Un heureux événement, D'amour et d'eau fraîche, Les Bien-aimés, Welcome et Toutes nos envies, deux films de Lioret déjà avec Lindon, ou, pour sortir de nos frontières, ceux qu'on croyait hors-concours, Tyrannosaur, Detachment et Dark Horse), et on pourrait passer pour de fragiles spectateurs à fleur de peau vite largués par les films trop tristes. Mais là n'est pas la question. C'est toujours dans la manière que ces films sont insoutenables. En l'occurrence dans la façon qu'a Brizé de peindre son sujet, avec ce naturalisme misérabiliste à toute épreuve, ces personnages au choix inexistants ou agaçants, cette mise en scène au moins aussi cadavérique que la mère condamnée du héros, notamment lors de l'antépénultième plan du film, où Brizé a le tact infini de filmer l'interminable mort de la vieille femme en direct, laquelle, après s'être exilée en Suisse avec son fiston, absorbe un liquide létal (du jus d'orange Lidl Solevita, pour ceux qui connaissent ce breuvage mortel) et serre Vincent Lindon dans ses bras en lui murmurant qu'elle l'aime juste avant de trépasser. On sent que si Hélène Vincent était parvenue à maintenir sa poitrine inerte trois minutes de plus on y aurait eu droit aussi. Nous venons de vous révéler la fin du film mais à priori la bande annonce vous avait mis sur l'énorme piste du final forcément sordide de l'affaire.





Rarement un film nous aura à ce point donné l'envie de plier les voiles à chaque minute et d'essayer de l'oublier au plus vite, de faire comme si rien ne s'était passé, comme si cette œuvre n'existait pas. Passent encore les longs plans sur la mère mourante qui se tape un puzzle avec son voisin, d'accord pour le rendez-vous à Pôle Emploi en temps réel, on passera sur les mille et un plans où Lindon trie des bouteilles en plastique dans une entreprise de recyclage (merci la conseillère Pôle Emploi pour le superbe taff du coup), on se fera aux mille et deux reprises à l'identique du même plan sur la mère subissant un scanner du cerveau, on digérera peut-être aussi les innombrables coups de gueule de Lindon et de sa mère (dont un coup d'éclat particulièrement fort où le fils va jusqu'à menacer sa mère du poing en lui demandant "Pourquoi tu me fais chier ?", et on aimerait se retrouver dans la même situation mais face à Stéphane Brizé lui-même, nu comme un ver), toutes ces choses horribles passent encore (c'est faux, ça ne passe pas du tout, pas une seconde, c'est encore coincé là !), mais pourquoi Brizé va-t-il jusqu'à filmer ses personnages en train de manger de la merde à chaque repas ? Quel control freak fou dangereux faut-il être pour se délecter d'une telle déchéance sociale, physique, affective et psychologique ? Quel est le projet ? Filmer la vraie vie des vrais gens, forcément atroce à tous les niveaux et à chaque instant ? Faire pleurer ces messieurs-dames qui penseront nécessairement à leur propre mère, morte ou à mourir ? Quelle grandeur y a-t-il à provoquer de l'émotion avec une telle histoire, celle d'une mère et d'un fils séparés par la mort et n'ayant jamais su s'aimer avant le dernier soupir ? La moitié des français au moins est captivée de la même manière au quotidien par le journal de 13h de Jean-Pierre Pernaud. Filez le même scénario à cette même moitié des français et ils vous feront chialer aussi, même s'ils ne savent pas filmer, vu que Brizé ne nous rappelle jamais dans ce film qu'il a pour cela un quelconque talent particulier.





Au moins avons-nous trouvé le défi ultime au jeu "Action ou vérité". Le petit malin qui osera choisir Action, pour ne pas avoir à avouer la date de son premier rapport intra-espèces, s'entendra dire : "Mate Quelques heures de printemps de Stéph' Brizé, toi l'amateur d'horror flicks et de torture porn, tu vas goûter ce que c'est que l'hardcore". Nous sommes allés voir ce film entre amis, entre frères, côte à côte on s'est serré les coudes en se raccrochant à quelques blagues n'ayant souvent aucun rapport avec le film, à quelques regards bienveillants, à ces choses que le film ne sait décidément pas délivrer. Le plus fragile d'entre nous se sera amusé à compter les apparitions des anciens membres des Nous C Nous à l'image, comme un drôle d'échappatoire à la déprime ambiante : on n'en compte aucun au casting même s'il y a un sosie d'Eric Collado, l'obèse marseillais de l'ancienne bande de Dujardin, qui incarne un ami de Lindon récemment père d'un bébé déjà mal dans sa peau (et sans doute triste de participer à ce film) qui passe la scène à hurler pour, lui aussi, nous les briser. Le plus solide dans notre équipée aura quant à lui passé la séance à observer le grain de beauté un peu trop gros qui lui pousse au milieu du ventre, surmonté d'un poil menaçant (une sorte de crête à la Titeuf), qui risquait de se transformer en mélanome (ou en mygale risquant de migrer vers son crâne ?) sous l'influence ô combien néfaste de ce film affreux. Triste soirée.





P.S. Comme vous pouvez le remarquer nous avons décidé d'illustrer cette critique de façon assez originale avec des images de choses qui nous donnent le sourire, ou plutôt qui nous le rendent, celui-là même que nous a volé Brizé. Pas question d'infester davantage notre blog avec des images de son film.




Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon, Hélène Vincent et Emmanuelle Seigner (2012)

15 juin 2012

Mensonges d’État

Ce Scott-là, ce Ridley Scott-là, on n'en parle pas assez. Il est un peu passé incognito. Pourtant Russell Crowe et Léonardo DiCaprio, s'il vous plaît. C'est un peu comme si un cinéaste français reconnu, respecté, bien installé, bref un équivalent de Ridley Scott en France, mettons Bertrand Tavernier (notez que les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d'eau), réunissait enfin et pour la première fois Vincent Lindon et Benoît Magimel ! C'est pas rien. Matez plutôt : Magimel explose dans La Vie est un long fleuve tranquille l'année même où Léonardo Dicaprio, dit le Capétien, crée le buzz à même un paquebot sombrant tête-bêche par mer calme dans Twitanic. Les deux acteurs suivent ensuite la même trajectoire puisqu'après une brève traversée du désert (deux mois pour Das Caprio, vingt ans pour Magimels, mais en Amérique tout va plus vite), faite de boutons d'acné éclatés et de cicatrices faciales lentement résorbées, ils émergent à nouveau en tant que bellâtres, boloss trentenaires méconnaissables, aux dents longues rayant le parquet (cette trajectoire valant surtout pour Magimel). A ma gauche, Crowe, originaire d'Australie, à ma droite Lindon, PACA, tous deux natifs de zones littorales ensoleillées qui leur ont donné cette peau tannée prête à tout incarner et à s'étirer dans tous les sens pour accueillir chaque nouveau rôle. Même carrure ancestrale, mêmes épaules viriles et caffies de tics (l'un a su les dompter, l'autre les cultive et a choisi d'en faire son fond de commerce, vous saurez les reconnaître). Crowe a explosé dans le rôle d'un gladiateur dans Gladiator puis dans celui d'un matheux dans Un Homme d'Exception, Lindon a fait son trou très simplement, en incarnant l'homme du tout venant, celui qui rêve justement d'être gladiateur et de remporter la médaille de Fields mais qui s'en tient à son boulot de bricolo.


Leonardo Dicaprio sur le tournage de Titanic.

Réfléchissez bien : il n'y a qu'un pas entre Scott, qu'on surnomme "l'internet living database", et Tavernier, qu'on appelle "L'encyclo incomplète Tome 1 du cinéma français, de AA à AB". Scott et Tavernier ont tous deux marqué un genre, le film de SF pour Scott (Alien, Blade Runner, rien que ça ! littéralement rien que ça...), le polar noir pour Tavernier (Le Juge et l'assassin, L627). Clin d’œil (ou hasard ?) entre les deux hommes qui s'estiment et se respectent : la planète où se pose le Nostromo au début d'Alien le huitième passager s'appelle L.627 en hommage au film policier du réalisateur borgne hexagonal, alors qu'en 1971 Tavernier n'avait même pas encore eu le fœtus de l'idée du film, réalisé 13 ans plus tard, 13 ans ! soit pile l'âge mental du frère de Ridley Scott, Tony (aka le meilleur ami de Denzel Washington). Que de coïncidences, que de recoupements entre les deux maestros. Et ne faut-il pas voir dans ce film, Mensonges d’État, une métaphore filée et filmée de la relation contrariée d'amour-haine à la "je t'aime, itou" qui unit Scott à Tavernier, les deux reflets d'une même image (déformée à mort), les deux faces d'une même pièce cabossée, puisque les deux personnages du film sont sans cesse éloignés tout en étant reliés par un cordon téléphonique.


"Allo, allo... Tu me reçois ?"

Tout le film consiste en une série d'appels cellulaires entre les deux compères, pour autant de conversations pas très intéressantes vu que ce ne sont que bodies of lies (le titre en VO). Depuis Washington, Russell Crowe ne déblatère que des mensonges d’État à Léo Dicaprio. L'acteur, à la lecture du scénario, a demandé à ce qu'on lui fournisse un kit main libre sans lequel il ne s'estimait pas en mesure de tenir la longueur. Caprio est quant à lui dans le désert, ravi d'avoir rayé une case de plus sur sa liste des "grands réals américains" avec lesquels il "faut" avoir tourné. L'acteur a dressé cette liste à l'âge de 12 ans et il le regrette amèrement quand il se rend compte que ça l'a poussé à jouer avec Baz Lhurmann, Danny Boyle ou Scott Calvaire (et c'est pas un nouveau sobriquet pour Ridley Scott... Scott Calvaire existe vraiment, il a réalisé Rambo Verlaine, le célèbre film sur le poète ultraviolent rescapé du vietnam). Bref nous sommes ressortis éberlués de ce film au script très téléphoné. Mais terminons en réparant une injustice fatale pour le petit dernier de la famille Scott, Bobby, qui s'est donné la mort tout récemment, retrouvé pendu dans son salon avec pour tout dernier message assez lugubre deux télés qui diffusaient en boucles les dvds des films de ses frères (dans un vacarme terrifiant du coup). On cite toujours "Ridley et Tony (Scott)", mais pourquoi ne jamais citer le troisième larron de la famille, qui ne faisait pourtant pas moins de la merde que ses deux frères aînés. Il était maquereau, proxénète, un métier comme un autre, dans lequel il était également très connu et respecté, et nous ne voyons pas en vertu de quoi il ne devrait pas avoir droit de cité, faisant partie de la fratrie autant que les deux autres débiles. On voulait quand même le dire. Mais c'est trop tard maintenant.


Mensonges d’État de Ridley Scott avec Russell Crowe et Leonardo DiCaprio (2008)

30 avril 2012

Toutes nos envies

Qu'est-ce qui ne va pas, Philippe Lioret ? Qu'est-ce qui ne va pas !? Moi, je ne t'avais rien demandé, j'allais très bien, Philippe, tu n'aurais pas dû t'en faire ! Je passais une soirée plutôt tranquille, jusqu'à ce que je mate ton film. Je luttais simplement contre un mal de bide carabiné, conséquence logique d'un barbecue dominical chez mes beaux-parents. "Faire honneur aux repas", "avoir très bon appétit" étant la seule qualité qu'ils me reconnaissent, je m'étais donné pour mission de ne pas faillir à ma belle réputation. Hélas, mon organisme n'est pas habitué à ingurgiter autant de matières grasses, autant de viande grillée. J'ai un peu goûté à tous les vertébrés du monde ce dimanche-là. Ce barbecue, c'était l'Arche de Noé revue et corrigée à la plancha. Quelques feuilles de salades, c'est loin d'être suffisant pour aider à digérer tout ça. A l'heure qu'il est, je lutte encore, et je n'ai pourtant rien avalé depuis. Je suis à la diète. Je rechigne même à boire de l'eau. Rendez-vous compte ! Bref, sachez bien qu'à part cet important souci de digestion, tout allait pour le mieux au moment de lancer Toutes nos envies, le dernier rejeton de Philippe Lioret, cinéaste engagé à dégager, à qui l'on doit déjà l'abominable Je vais bien ne t'en fais pas et le médiocre Welcome.


J'avais à peu près cette mine lorsque j'ai lancé le film.

L'affichage de mon lecteur dvd m'indiquait qu'à peine 9 petites minutes venaient de s'écouler quand j'ai commencé à sombrer dans une sévère dépression mélancolique. Vincent Lindon n'avait même pas encore fait son entrée en scène. Apathique, je suivais innocemment les mésaventures de la belle Marie Gillain dans le rôle de Claire, une jeune juge d'instance confrontée aux personnes en situation de surendettement qui tente de venir en aide à la mère d'une amie de sa petite fille, prise dans l'étau d'un organisme de crédit impitoyable. Dit comme cela, ça n'a l'air de rien, mais croyez-moi, à l'écran, c'est la déprime totale. C'est fait de telle façon que ça vous colle illico un cafard monstrueux. L'énoncé clinique de toutes les sommes que doit la jeune maman endettée n'y est pas étranger. Le fait qu'elle se félicite d'avoir trouvé un emploi à mi-temps en tant que caissière dans un supermarché pourri, croyant cela suffisant pour rembourser ses dettes et subvenir aux besoins de ses trois enfants qu'elle élève seule, ça n'arrange évidemment rien à l'affaire. Ni une ni deux, j'envoyais fissa un mail à mon acolyte Rémi, fan hardcore de Marie Gillain, pour le prévenir de ne pas s'envoyer ce film un soir où son moral serait déjà défaillant. Sitôt le message d'alerte envoyé, je relançais le brûlot de Philippe Lioret et j'apprenais aussi sec qu'il ne restait plus que quelques mois à vivre à la douce Marie Gillain, atteinte d'une tumeur au cerveau incurable. Voilà pour les 10 premières minutes irrespirables de ce film terrible, qui nous prend brutalement en otage et nous saisit à la gorge pour ne plus jamais relâcher son étreinte.


Le seul moment "sexy" du film.

Sérieusement, on n'a pas idée de commencer un film comme ça... J'étais à deux doigts de l'arrêter net pour ne plus jamais le relancer, animé d'une rancune tenace envers Philippe Lioret. Passé le premier quart d'heure, l'arrivée du personnage incarné par le toujours impeccable Vincent Lindon apporte un peu de lumière à ce film si glauque, si gris ; mais c'est tout de même trop maigre. L'acteur a beau faire tout son possible, apporter sa présence pleine de bonhomie et son charisme redoutable, cela ne suffit pas. D'ailleurs, Marie Gillain aussi est très bien, irréprochable, rien à dire là-dessus. En vérité, aucun acteur n'est à blâmer, à l'exception peut-être de celui qui joue l'époux de Marie Gillain (un dénommé Yannick Renier, le demi-frère de Jérémie et qui n'a même pas le quart de son talent), un personnage toujours de bonne humeur, qui s'émerveille de tout, et tout particulièrement de ses propres talents de cuisinier alors même que sa compagne vomit en silence dans la salle de bains. Un type insupportable dont l'humeur contraste méchamment avec celle du spectateur et que l'on a donc très naturellement envie de fracasser. La tignasse redoutable et la mâchoire proéminente de ce comédien n'aident pas du tout à le rendre un brin sympathique. Je le place en état d'arrestation pour délit de sale tronche.


Il faut que Vincent Lindon raye de son carnet d'adresses le nom de Philippe Lioret (et qu'il en profite aussi pour effacer celui de Pierre Jolivet).

Toutes nos envies est un cocktail d'idées noires. Un film-massue à déconseiller aux plus sensibles d'entre nous. Je l'ai moi-même arrêté au bout d'une quarantaine de minutes, dans un réflexe salvateur totalement inespéré en plein repli catatonique. Une sale nuit m'attendait, due à mon estomac en vrac, mais aussi à l'ensemble de mon organisme, mental et physique, que Philippe Lioret avait sournoisement pris pour cible. Ton film se termine peut-être bien, Philippe, mais il commence si mal que je ne le saurai jamais. D'ailleurs, non, il se termine forcément mal puisque Marie Gillain est promise à une mort certaine. A travers le portrait de ces deux personnages campés par Gillain et Lindon, Toutes nos envies a peut-être la louable intention de faire l'éloge de ces combattants du quotidien ancrés dans une réalité sociale éprouvante, violente et cruelle. Certes, mais ça pèse des tonnes et des tonnes, Philippe, et je place très facilement ton pamphlet dans le top 5 des films français les plus cafardeux de ces dix dernières années, alors que la concurrence est extrêmement relevée (je pense par exemple à Partir, mais ça n'est pas le seul). Cet article est là pour vous prévenir, chers lecteurs. Je ne prends aucun plaisir à me rappeler l’œuvre de Philippe Lioret. Toutes nos envies est un sale film. Sans doute un film "utile" dans ce qu'il dénonce de la société actuelle, comme l'était peut-être déjà Welcome, je n'en sais fichtre rien, mais une chose est sûre : c'est fait d'une telle façon qu'on n'a pas envie de voir ça, de s'infliger une telle épreuve. C'est simplement désagréable, pesant, plombant. Un "cinéma de résistance", comme le disent certaines critiques, qui vous paralysera de pessimisme et aura votre peau bien avant d'atteindre sa véritable cible.

Sur ce, je m'en vais prendre du Forlax.


Toutes nos envies de Philippe Lioret avec Marie Gillain, Vincent Lindon, Amandine Deswasmes, Yannick Renier et Pascale Arbillot (2011)

17 décembre 2011

Pater

Encore un film qui a défrayé la chronique cette année : Pater, qui aurait pu s'intituler Paterrible. Jeu de mots facile dont nous avons un peu honte quand on pense à la tronche que tirerait notre idole, Vincent Lindon, en le lisant. Lindon est notre idole et pourtant il nous faut prendre notre courage à deux mains pour causer de ce film ici après l'avoir découvert au cinéma à sa sortie, c'est-à-dire il y a plus de six mois, ce qui en dit long sur notre défaut d'enthousiasme au souvenir de ce film certes pas du tout désagréable mais sur lequel il y a finalement si peu à dire. L'idée était intéressante, à tel point d'ailleurs qu'elle a poussé pas mal de cinéphiles dans les salles obscures. Elle était suffisamment intéressante pour que les gens disent retrouver tout le plaisir du jeu cinématographique dans ce film. Le plaisir est double en effet, il y a celui d'être du côté de ceux qui font le film et celui de se laisser raconter une histoire dans le même temps, à la fois en coulisses et dans les gradins. Voir Cavalier et Lindon communiquer une joie de gamin à l'idée de se donner des rôles et de se filmer sans contrainte, pour leur unique bon plaisir, ça fonctionne parfois très bien, surtout il faut bien le dire grâce à Lindon, qui apparaît dans toute sa splendeur, captivant à lui seul l'attention, comme quand il nous raconte sa rencontre avec le propriétaire de son appartement qu'il présente comme un sacré connard avec une verve bien à lui qui nous conquiert sans difficulté.



C'est cette verve qui a rendu la promo du film presque plus savoureuse que le film lui-même, à tel point que le cinéaste aurait presque gagné à intégrer ces moments d'entretiens dans le montage, vu son propos. D'autant plus qu'au final on ne retient pas grand chose de Pater, ce film qui était plus une idée de film qu'un film, si ce n'est qu'on se demande ce que Cavalier - qui joue ici des relations entre réalité et fiction au point de se faire retirer son goitre et de nous déballer sa cicatrice - pourrait faire de plus intéressant avec un acteur aussi géant que Lindon et en donnant plus d'importance encore à l'acteur qui supporte le film à bout de bras au point que les scènes dont il est absent nous le rendent toujours plus indispensable.


Pater d'Alain Cavalier avec Vincent Lindon et Alain Cavalier (2011)

18 août 2011

A bout portant / Pour elle

Il y a quelques années, Fred Cavayé vivait en Cité U et occupait son maigre temps libre à écrire des scénarios. Il s’octroyait parfois le plaisir d’aller au cinéma pour voir les derniers John McTiernan ou Michael Mann, des films qu’il regardait avec des étoiles plein les yeux, des rêves plein la tête. Aujourd’hui, Fred Cavayé est le cinéaste français qu’Hollywood nous envie le plus. Deux films l’ont fait exploser :  Pour elle et A bout portant, deux thrillers sans temps mort ou des pauvres types sans histoire se retrouvent dans la merde du jour au lendemain et doivent sauver leurs bonnes femmes si peu dégourdies en un temps record. Des tag-lines similaires fendaient les affiches de ces deux films : « Il a 72 heures pour sauver celle qu’il aime et la sortir de cabane ! » pour le premier, « Il a 3 heures et des brouettes pour retrouver sa femme et lui faire la peau ! » pour le second. En ce qui me concerne, quand je lance un film de Fred Cavayé, je lui donne un gros quart d’heure pour me choper. Si Pour elle avait réussi à me captiver du début à la fin, réalisant là une vraie prouesse, ce n’est pas le cas de son dernier rejeton, qui m’a très tôt perdu.




Il faut dire que dans Pour elle, on suivait Vincent Lindon en train d’échafauder un plan machiavélique pour extirper Diane Kruger de prison. Un Vincent Lindon égal à lui-même, capable de sauver n’importe quel film par sa seule présence, le regard fou, les tics survoltés et le front hyperactif. Dans A bout portant, le héros n’est autre que Gilles Lellouche. "Gilles Lellouche", "héros"… voilà des mots que je ne pensais pas devoir associer un jour. Et pourtant, Fred Cavayé a osé. L’acteur n’a cependant pas grand-chose à se reprocher, il fait de son mieux, avec ce que la Nature, dans un malheureux hasard, lui a donné : un profil d’aigle inélégant, une voix de beauf trop familière, une piètre allure générale, le dos toujours un peu voûté, le cou en avant, le regard vide et stupide. Cette piteuse panoplie ne fait pas de son personnage quelqu'un que l'on veut voir réussir et vaincre. Mais si le film n’est pas parvenu à me captiver, ce n’est pas spécialement sa faute. Je me suis simplement retrouvé face à l’impossibilité de me passionner pour cette histoire de flics ripoux et magouilleurs, très loin de la simplicité et donc de l’efficacité du pitch de Pour elle, qui passe désormais pour une vraie réussite dans le genre.




Qui plus est, j’ai très tôt repéré que le gros souci venait de Gérard Lanvin, qui campe donc le gros méchant tirant toutes les ficelles. J’ai vite compris que le comédien était dans un rôle de sale con inhabituel vu qu’il ne décroche jamais les mâchoires et parle toujours de sa voix la plus grave, sans jamais articuler. L’acteur a peut-être pris du plaisir à jouer un méchant de façon si grossière, mais pour nous autres spectateurs, c’est un bien triste spectacle qui s’offre à nous. A part ça, les personnages ne font que se courir après, se menacer, se tirer dessus, viser à côté, à court de munitions se tabasser et finissent souvent par se tabasser et s'invectiver en rappelant le peu de temps qu'il reste avant la fin du film ; un film qui, de mon côté, m'a paru bien long. Ces individus nerveux ne peuvent jamais se faire confiance et doivent toujours s'assurer que l'un a les mains vides quand l'autre fait mine de s'approcher. C'est un climat d'incertitude et de haine assez usant, pesant, d'autant plus quand on est, au quotidien, assez travaillé et miné par un avenir très flou, par la sale tronche de notre président, par des relations pas toujours faciles avec un animal domestique et par le triste état du monde en général. Las et abattu, j’ai vite décroché d'A bout portant. Des fois, on a pas envie de voir des gens passer leur temps à se foutre sur la gueule. 





Pour elle avait eu le bonheur d’être remaké par Paul Haggis et Russell Crowe via le film Les Trois prochains jours. Il paraît que lorsque Fred Cavayé a appris la nouvelle, il n’y a pas cru. Il se serait exclamé « Russell Crowe, le Russell Crowe de Point Break ? Non mais arrêtez les conneries, c’est de la folie douce, c’est un rêve de gosse qui se matérialise ! J’avais 8 ans quand j’ai écrit cette histoire à la con, dans ma Cité U à Nanterre-les-olives, et voilà que le grand Russell Crowe va l’incarner ?! Anything for She, a dream come true, sans blague ?! Je n’en reviens pas ! ». Après en être revenu, Fred Cavayé aurait plus tard ajouté « Quand j’ai vu mon nom accolé à celui de Russell Crowe sur le net, j’ai inséré mon doigt dans mon ventilo pour m’assurer que je ne rêvais pas. J’ai perdu un doigt. J’en reviens juste toujours pas ! » A bout portant, renommé Point Blank par des distributeurs internationaux visiblement bien peu soucieux que ce titre soit déjà pris mille fois, passera-t-il à son tour à la moulinette hollywoodienne ? On peut l’imaginer. Moi je vois déjà Shia LaBoeuf à la place de Gilles Lellouche, courir dans tous les sens, tout étonné de ne pas voir des twingos se transformer en Lego ! Et j'imagine bien Bob Duvall dans le rôle du flic véreux sans scrupule.


Pour elle de Fred Cavayé avec Vincent Lindon et Diane Kruger (2008)
A bout portant de Fred Cavayé avec Gilles Lellouche, Roshdy Zem et Gérard Lanvin (2011)

20 avril 2011

Les Trois prochains jours

Je suis déçu. Déçu par ce film et par le traitement qui en a été fait. Si je ne m’abuse, il devait s’agir du remake "made in USA" de Welcome, le pamphlet contestataire de l’insaisissable Philippe Lioret, porté par la superstar Vincent Lindon. Et je me réjouissais par avance qu’un tel brûlot social soit repris par la grande machinerie hollywoodienne pour ainsi voir son impact dédoublé, que dis-je, octuplé ! Quand j’ai su que Paul Haggis reprenait le flambeau allumé par Lioret, ça faisait sens, et je trouvais tout à fait logique qu’un cinéaste ayant prouvé qu’il était sensible aux questions de société s’attaque à un tel projet. Il n’y a qu’à se balader Dans la vallée d’Elah ou se prendre son Crash frontal pour s’en assurer : cet homme se sert de son art pour transmettre un message de paix et d’amitié entre les peuples. En somme, un artisan de l'universel. Quand j’ai appris que Vincent Lindon était remplacé, poste pour poste, par Russell Crowe, je me disais que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, tel un remake approuvé John Carpenter, et que l’on se dirigeait tout droit vers le chef d’œuvre ultime tant espéré. Je sais pas vous, mais moi, entre d’un côté la tronche ravagée, les milles tics par minute et le charisme vagabond de Barry Lindon et de l’autre, la voix abîmée par l’alcool, le regard las et l’allure rustique de son collègue australo-néo-zélandais, mon cœur balance et, dans tous les cas, chavire. Tandis que le second est un éternel amoureux des chevaux, à tel point qu’il a bien du mal à s’en séparer entre chaque tournage, le premier perd ses cheveux dès qu’il n’est pas sous les feux de la rampe, cheveux qui repoussent par magie dès qu'un projecteur est braqué sur son crâne par un intermittent du spectacle. Autant de points communs surprenants qui m’amenaient à penser qu’il s’agissait du choix idéal.


Sur ce cliché pris à la sauvette, vous avez le seul type qui arrive à avoir la classe sur une plage du Nord-Pas-de-Calais en hiver.

Mes premiers doutes sont apparus lorsque j’ai pris connaissance du titre choisi pour la version américaine du film de Lioret. Assez naïf, j’avais déjà imaginé que le film aurait pu s’intituler Bienvenue, comme un pied-de-nez amical adressé à l’œuvre initiale. J’étais loin du compte… Mais ça n’était que le début d’une série de désillusions terribles dont j’ai à présent du mal à me remettre. Je m’étais déjà longuement amusé à américaniser le scénario de Philippe Lioret avant d’avoir vent de la trame réelle du film de Paul Haggis. Aussi je m’étais mis à penser que la piscine du remake serait plus longue, que Russell Crowe se trimballerait tout autour dans un monokini plus saillant que le bas de survêt jadis porté par Lindon, une tenue mettant plus judicieusement en avant le mastodonte de petit-petit-petit-fils d'aborigènes qu'est l'acteur oscarisé. Et surtout, je m'étais dit que le clandestin, prenant alors les traits d’un cubain égaré à Homestead (Florida), aurait désormais pour but de traverser le détroit de Floride à la nage, et non la Manche, toujours guidé par le même espoir de rejoindre sa fiancée restée au pays. Hélas, j’avais tout faux !


Sur ce cliché, admirez l'effort fait par Russell Crowe pour ressembler à tout le monde et à personne à la fois, une girl-next-door au masculin, l'alter-ego baraqué de Paul Hagard de l'est.

Je suis tombé des nues face à ce thriller décousu et lent, où un Russell Crowe qui n'a vraisemblablement pas l'intention de jouer le rôle du mari transi et prêt à tout pour sortir sa bien-aimée de sa geôle, mais plutôt celui du pervers sexuel qui se complaît à prendre discrètement des photos des entre-jambes des demoiselles ayant eu le malheur de se trouver en jupe face à cet étalon venu tout droit d'Océanie et dont le visa expire dans deux jours ! En somme, nous sommes bien loin des méthodes de l'actor's studio mises à mal par Al Pacino dans Maniac Cop, retitré Serpico en France. Dans le script, le personnage incarné par Russell Crowe se donne pour mission de sortir sa bonne femme de taule afin d’aller vivre un avenir plus radieux en Thaïlande avec leur fils autiste. On se rend compte que Welcome est bien loin, et la transformation du projet pourrait faire l’objet d’une thèse passionnante. Un bémol cependant : pourquoi risquerait-on sa vie à libérer sa femme de prison lorsque celle-ci a le physique disgracieux d’Elizabeth Banks ? Là encore, le film français, où la jeune femme était incarnée par la charmante Diane Kruger, l’emporte haut la main et enterre son remake américain. "Bigger, louder, better, dick stronger" ? Pas convaincu.


Les Trois prochains jours de Paul Haggis avec Russell Crowe et Elizabeth Banks (2010)

27 mars 2011

Mademoiselle Chambon

Ça fait un bail maintenant que j'ai vu ce film. Si j'en parle aujourd'hui c'est en partie pour parler d'autre chose que du film que j'ai vu hier soir, Mon beau-père et nous. Or comme mon souvenir remonte pas mal je suis partagé entre mon impression du moment et ce que je ressens maintenant en y repensant... Je me souviens qu'au début du film j'ai eu un peu de mal à me laisser prendre par l'histoire, sans doute à cause du rythme, mais rapidement j'étais dedans. Je me suis déchaussé et j'ai laissé Stéphane Brizé faire sa pli. En parlant de Stéphane Brizé, je dois dire que ce film m'a plus touché que Je ne suis pas là pour être aimé, même si j'ai du mal à dire pourquoi. Peut-être que c'est dû à l'histoire : le violon au lieu du tango et Vincent Lindon qui s'éloigne d'Aure Atika pour Sandrine Kiberlain au lieu d'Anne Consigny qui s'éloigne de son mari pantouflard, Lionel Abelanski, pour le vieux Patrick Chesnay. Pat Chesnay je l'adore, je lui voue même un culte, d'ailleurs il l'ignore mais je le considère comme mon oncle, mais sa moustache jaune-orangé devrait logiquement être un rempart au sentiment amoureux d'une femme. En tout cas sur le moment j'ai trouvé Mademoiselle Chambon assez beau et émouvant.


Kiberlain ravive en moi le fantasme de la maîtresse d'école qui se rappelle qu'elle est une femme et qu'elle a des besoins un peu cracra comme tout le monde.

En y repensant aujourd'hui j'avoue ne plus très bien me souvenir du film, comme s'il n'avait rien de réellement très marquant. On l'oublie un peu facilement et on doute de le revoir un jour. Rien n'est moins sûr. Il faut dire que le film a quelques défauts. C'est vrai que le couple adultère manque un peu de conversation pour qu'à la fin, quand Lindon s'immobilise dans le hall de gare, on soit véritablement saisi par son doute et sa douleur. Mais les deux personnages sont quand même liés par beaucoup plus (la musique, leurs passions et quelques paroles) que dans la majorité des films actuels dont les amants s'unissent follement en se débarrassant de leurs époux et épouses respectifs sans être liés par autre chose qu'une simple fringale sexuelle (un triste exemple parmi d'autres : le Partir de Catherine Corsini). Et puis tout au long du film de Brizé on voit que les sentiments des personnages les rendent discrets, muets, un peu autistes : ils ont toujours beaucoup de mal à faire des phrases, il y a des blancs dans leurs échanges. C'est la conséquence de leur amour naissant et interdit et ça les empêche inévitablement d'avoir de longs dialogues. Donc l'un dans l'autre tout cela tient debout et se regarde sans déplaisir, notamment grâce à une nouvelle interprétation hallucinante de Vincent Lindon.


 Même quand il a fini de bosser il est encore au boulot.

En général voir les personnages d'un film pratiquer leur soi-disant métier est assez superficiel et superflu, à part quand il s'agit d'un polar où il est assez nécessaire que l'on suive le héros dans son boulot de flic. Mais il n'est pas rare que les réalisateurs insèrent dans leur film une ou plusieurs séquences uniquement vouées à nous représenter l'acteur dans l'exercice des fonctions du personnage qu'il incarne quand cela n'a pourtant pas d'intérêt probant. Pire, ça sonne généralement terriblement faux. Mais quand l'acteur c'est Vincent Lindon, rien n'est plus pareil, et l'on sent une protubérance germer en-dessous de notre ceinture en le voyant dégonder une fenêtre et changer un carreau. Car son personnage travaille chez Carglass et tombe comme un cheveu sur la soupe quand Kiberlain a besoin de changer la fenêtre de son appartement. Alors on sent le poids de l'expérience, l'odeur de la sueur, on voit la couleur du talent lorsque Lindon, qui s'est entraîné à la chose selon les méthodes radicales de l'Actors Studio et de Stanislavski, change une fenêtre. Une fenêtre qui n'oubliera jamais ce moment privilégié et le contact délicat des mains calleuses du bellâtre. Cet homme est un Dieu de l'acting, c'est un éphèbe doublé d'un putain de génie.


Lindon fait naître en moi le fantasme du maçon bourru au grand cœur, aussi tendre que puissant, aussi doux que fêlé. Jean Gabin peut aller se rhabiller.

Le film se conclut sur une chanson de Barbara. De la même façon que Barbara chantait de la variété avec une élégance et une délicatesse qui élevaient ses chansons un peu au-delà des basses prétentions de la chanson populaire habituelle, le film de Stéphane Brizé est un petit film, d'une modestie absolue, d'une simplicité biblique, parfaitement lisible, mais qui s'élève sereinement au-dessus de sa condition par son brin d'intelligence, et par l'effet bienheureux d'une certaine grâce qui naît en de timides instants : comme quand la caméra subjective se substitut au regard de Vincent Lindon quand il s'approche de la porte de la chambre où Sandrine Kiberlain est endormie. Le cadre reste un certain moment sur le visage de la femme avant ce tant attendu mouvement de caméra descendant le long du corps de l'actrice au gré de ce chaste désir de l'homme qui l'admire. Ou comme cette attente avant qu'il ne finisse par lui prendre la main alors qu'ils écoutent le morceau de violon ; ou encore la larme brillante et discrète qui se suspend sur l'œil de l'acteur (on rêverait alors d'être soi-même une petite larme salée ou n'importe quel filet de morve pendu au blair de Lindon) puis qui coule le long de sa joue quand il est dans la voiture, à la fin, et qu'elle l'attend sur le trottoir. Il faut dire aussi que ce qui fait une grande partie de la modeste réussite de ce film, de sa justesse (à tous niveaux), c'est le talent immense des acteurs, y compris de Kiberlain ou, tenez-vous bien, d'Aure Atika, eh oui. J'aurais donné sans hésiter le César du meilleur acteur à Vincent Lindon pour ce rôle, comme chaque année.


Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain et Aure Atika (2009)