Fred Cavayé est le nouveau spécialiste officiel du cinéma d'action français. De nationalité française et qui tourne en France, disons. Parce que notre homme est quand même putain d'inspiré par le cinéma d'action hollywoodien (ou plutôt par les séries ricaines d'ailleurs), en reproduit les effets sans oublier d'y puiser bien des clichés scénaristiques, se fait remaker outre-atlantique et finira selon toute vraisemblance par aller tourner au pays de l'oncle Sam. Il a d'ailleurs annoncé qu'il n'irait tourner à Hollywood que si on lui laisse écrire le scénario. Comme si on tenait là un auteur génial et infaillible... Lui en est apparemment persuadé. L'histoire que nous raconte Mea Culpa est pourtant bien maigre, et vraisemblablement issue du cerveau d'un de ces hommes adultes dont la fontanelle ne s'est pas encore totalement refermée. Quand on va voir un tel film, on sait qu'on ne va pas se faire raconter quelque chose de mémorable, mais on espère se divertir devant un truc à peu près solide. On attend que le prétexte à l'action, promise non-stop, soit en béton armé, histoire de n'avoir plus qu'à laisser venir, emmagasiner les scènes de violence ultime, avaler les kilomètres de course poursuite sans respirer.
Marseille, nowadays. Une bande de truands venus de l'est sème la terreur dans les recoins sombres du vieux port. De son côté, Vincent Lindon est un homme meurtri, un ancien flic destitué, devenu simple convoyeur de fonds suite à son passage en taule pour le meurtre de trois civils dans un banal accident de voiture placé sous le sceau du pastaga. Notre homme vit seul, loin de sa femme et de son fils, qu'il ne parvient plus à assumer. On cerne assez bien la psychologie de dingue du personnage dans toutes ces scènes où, seul dans sa cuisine, plongé dans le noir, les lèvres pincées, rentrées à l'intérieur comme jamais, Lindon observe, le regard noir comme tout, ses voisins, un beau couple avec enfant, qui dinent gaiement en famille. Mais tout bascule le jour où son fils assiste à une corrida pour fêter ses 8 ans. L'enfant a le malheur de louper la mise à mort du taureau pour assister, sur le chemin des chiottes de l'arène, à une toute autre mise à mort, celle d'une énième victime de ces Kosovares qui font de Marseille un beau merdier. Le gamin est alors pris en chasse par les bandits, et forcément le papa va reprendre du service, du moins officieusement, pour protéger son bambin ainsi que son propre cul, aidé dans sa démarche par son ami de toujours, le fidèle à l'appel Gilles Lellouche.
Le problème c'est que les dealers et maquereaux kosovares sont du genre têtus, et pour le moins perfectionnistes. A chaque fois qu'un quidam est témoin de leurs crimes, ils le traquent sans relâche jusqu'à ce qu'il soit officiellement haché menu. Sauf qu'il y a un témoin oculaire minimum pour chacun de leurs forfaits (le Kosovare est peu discret), et qu'ils doivent en conséquence systématiquement déblayer large. Si Lindon n'était pas là pour mettre un terme à leur enfer en les expédiant eux-mêmes au cimetière, ces gens passeraient leur vie entière à nettoyer les villes de tous leurs habitants. Leur repos ne viendrait qu'avec le dernier homme sur Terre, le seul à crever sans spectateur potentiel. Le film aurait donc pu durer beaucoup plus longtemps et se terminer sur un plan terrifiant : le chef des escrocs kosovares se tirant une balle dans un miroir. Mais Lindon ne l'entend pas de cette oreille et se montre bien décidé à liquider les enfoirés qui en veulent à son schtroumpf.
Très vite, Lindon ayant tué le frère du grand méchant, ce dernier n'a plus rien à faire du gamin du flic : c'est à Lindon lui-même qu'il en veut. Et ça, si le regard furax du Kosovare penché sur le cadavre de son petit frère n'avait pas suffi à nous le faire piger, ni les cent millions de films qu'on a vus où cette scène apparaissait déjà à l'identique, une ligne de dialogue nous le signifie très clairement. Si bien que le McGuffin du fils traqué, autour duquel tourne tout le "travail" de promotion de l'affiche (avec cette tagline ridicule qui cite un dialogue absent du film...), fout rapidement le camp pour céder place à une simple baston entre des gentils et des méchants, qui ont les mêmes motivations : défendre et/ou venger leurs proches en foutant la branlée à leurs adversaires.
Sauf que les nobles motivations en question en prennent une grosse gifle lors du twist final, que le spectateur a senti venir depuis un fameux bail, sinon en détail du moins en substance, aiguillé par les douze mille flashbacks nébuleux de Cavayé et par le titre du film, qui constitue à lui seul un massive spoiler. Ce twist fut chuchoté à l'oreille du cinéaste par un Olivier Marchal bourré (et pourtant remercié au générique de fin), lors d'une soirée pastaga/pétanque comme il y en a tant sur la Canebière. Ayant quelques liens solides dans la région PACA, on tient d'une source sûre, quoique off, que cette fameuse soirée se serait terminée avec deux victimes du jeu : un type, depuis nommé "Le bossu de La Bonne-Mère", a reçu une triplette de pétanque, dans leur coffret, sur l'épaule gauche (il en est encore tout disloqué et se tient en permanence de profil depuis cette soirée ratée) ; un autre, désormais connu sous le sobriquet du "Bouddha de Marignane", a reçu une boule de pétanque pile entre les deux yeux, qu'aucun chirurgien plasticien ne daigne aller déloger, de peur de lui décapsuler tout le ciboulot. Mais pour revenir à cette fameuse révélation finale, que nous ne révélerons qu'en substance rassurez-vous, elle concerne le plus beau "personnage" du film, un ami ultra dévoué, faisant preuve d'une solidarité démesurée, prêt à tout pour son alter-ego, un homme digne du plus grand respect (petit indice : c'est un acteur pour lequel nous n'écririons jamais ça, et dont le nom de famille est partagé par un cinéaste sur lequel nous n'écririons jamais ça non plus). Dans les deux dernières minutes du long métrage, cet écrin de perfection et d'humanité se transforme soudain en un simple étron, en parfait enculé.
Notre bon samaritain n'était en fait qu'une raclure de bidet, un faux-ami, un type seulement prêt à tous les sacrifices pour se racheter une conscience après avoir littéralement ruiné la vie de son pote. La seule lueur d'espoir de ce film, son seul soupçon de qualité, c'était cette histoire d'amitié sans mobile, indéfectible, à la vie à la mort, dépourvue de toute justification basique, mais Cavayé crache un gros mollard sur cette minuscule parcelle d'intérêt en ayant recours à un revirement cliché au possible et à un ressort psychologique (le scénario de culpabilité de base) parfaitement misérable. Le personnage en question meurt à la fin du film, puni pour ses péchés, après une confession de dernière minute. Cette fin suinte un moralisme de comptoir très malvenu dans un tel film, et surtout d'une balourdise infinie, qui n'a d'égale que celle des idées de mise en scène de Fred Cavayé. Le réalisateur utilise un gros filtre bleu pour les souvenirs malheureux et un filtre jaune qui tache pour les souvenirs plus joyeux : toutes ces scènes profondément débiles et hideuses qui nous montrent les deux amis riant sur la plage avec femmes et enfants, du temps où ils avaient tout pour être heureux. Et on retrouve la même symbolique chromatique quand Lindon, seul la nuit dans sa cuisine toute bleue, mate avec la rage le repas de ses bons voisins réunis autour d'une loupiote jaune. Non seulement c'est brillant mais qu'est-ce que c'est beau...
Et puis réfléchissons deux minutes, Fred. Prenons ton film à l'envers. Adoptons le point de vue inverse. Mettons-nous le temps d'un paragraphe dans la peau de ton méchant Kosovare : on tient là un homme fraîchement débarqué des balkans, propre sur lui, fier et droit, venu en France bien que ne parlant pas la langue pour travailler, faire un peu d'argent, quitte à verser dans le business ô combien dangereux et craignos des putes et de la drogue, obligé pour ce faire de s'entourer de gros bras, des cousins débiles et chauves mais musclés et serviables, et même d'un petit frère, grossier, nerveux, mais "brave", comme disent les Bucco-rhodaniens pour désigner un trépané au grand cœur, type humain très répandu dans la région. Notre homme, pris dans un engrenage terrible et qui le dépasse, se retrouve obligé de faire disparaître quelques concurrents qui menacent sa vie, par pur instinct de préservation, et pour parvenir à ramener quelques billets au pays natal, où l'attend une famille très nombreuse, chargée en enfants morts de faim, ou morts tout court, et en épouses condamnées à la précarité, au froid, confrontées quotidiennement aux loups affamés de la steppe. Essayant de foutre les foies à un ennemi revêche dans les coulisses des arènes de Nîmes, notre Kosovare est surpris par un enfant qu'il essaie de rattraper pour le supplier de tenir sa langue en lui offrant une barbapapa, car cette chère tête blonde lui rappelle les vingt-deux fils malingres qu'il a abandonnés au pays (toute une équipe de foot, voire deux équipes de onze titulaires prêts à en découdre sous le maillot de n'importe quel pays de l'ex-union-soviétique aux prochains JO). Et voici qu'un vieux flic français aigri et énervé, flanqué d'un parjure et d'un lâche, se met à le poursuivre, à lui tirer dessus, et assassine même son petit frère à l'enveloppe cérébrale perforée de naissance. Il y a de quoi prendre la mouche non ? Dès lors, qui sont les véritables héros de cette histoire ? Ce père Kosovare, digne d'un film des Dardenne intitulé "Le silence de Morbak (les emmerdes d'un Kosovare en plein Paname)", cet homme digne venu faire quelques euros en France pour nourrir toute sa famille ? Ou ce prétendu "ami" qui sauve les miches de son meilleur pote adepte d'auto-justice uniquement parce qu'il a au préalable consciencieusement flingué sa vie à bout portant ?
Cavayé a déjà ses acteurs fétiches, son affiche-type, ses habitudes, à base de personnages accaparés par le sauvetage d'un proche et de courses-poursuites interminables (où un enfant court plus vite qu'une terreur des balkans, et où deux flics courent plus vite qu'un Hummer disposant de 325 chevaux hennissant la bave aux naseaux sous son gros capot), et au bout de trois films il tourne déjà en rond, régresse même, depuis le plus appréciable Pour elle, déjà porté par Vincent Lindon. L'acteur fait son travail une fois de plus. Mais quand on l'entend, à la télévision, en pleine promo du film, dire qu'il rêvait depuis toujours d'un pareil rôle, de s'amuser comme les américains, qu'il s'est pété trois côtes et fêlé le tibia et que ça c'est le grand pied pour un comédien, on se demande s'il y a encore quelqu'un de sobre au volant.
Mea Culpa de Fred Cavayé avec Vincent Lindon et Gilles Lellouche (2014)