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24 juin 2022

The Beach House

Pensez à Color Out of Space, remplacez la ferme de Nouvelle-Angleterre par une maison de plage, la météorite qui tombe au beau milieu du jardin par une autre gisant au fond de l'océan depuis la nuit des temps, et vous obtiendrez The Beach House, étonnant film jumeau de l'adaptation de Lovecraft signée Richard Stanley sortie la même année. Peut-être un simple hasard du calendard, le fait est que ces films ont une influence commune flagrante et nous racontent des histoires très similaires. L'horreur cosmique, chère à HPL, y est également convoquée et s'y mêle encore une fois avec la body horror, souvent de mise quand il s'agit d'adapter à l'écran les récits de l'écrivain américain. Si la similarité des deux films au niveau du scénario est plus que frappante, elle m'a en réalité paru moins évidente durant la vision du premier long métrage du cinéaste Jeffrey A. Brown. A la différence de Richard Stanley, qui a pu compter sur un très amusant Nicolas Cage pour susciter notre sympathie quasi immédiate, Brown nous coince d'entrée de jeu avec un jeune couple difficilement supportable, une aspirante biologiste (Liana Liberato) et son boyfriend toxique (Noah Le Gros), rapidement rejoint par un autre couple, plus âgé, tout aussi peu intéressant, dont la femme est atteinte d'un cancer (comme dans Color Out of Space, là encore, tiens).



 
S'il y a dans ce premier film quelques chouettes idées qui invitent à l'indulgence, The Beach House souffre cruellement de la caractérisation grossière des seuls quatre personnages en présence. Ils sont si insipides que l'on se contrefout pas mal de leur destinée. Leurs échanges ne servent qu'à nous éclairer péniblement sur la menace invisible qui les entoure. Aussi, le rythme du film paraît défaillant : bien que court, il démarre laborieusement, parvient difficilement à nous accrocher et l'intensité ne décolle jamais autant qu'il le faudrait. C'est fort dommage car, à côté de ça, avec peu de moyens et quelques trouvailles visuelles, Jeffrey A. Brown nous offre deux ou trois vrais bons moments d'ambiance et d'effroi. On sent que le cinéaste connaît ses classiques et son œuvre pourrait aussi être décrite comme une tentative de croisement savant entre Fog et Invasion of the Body Snatchers, dont il s'inspire avec un talent intermittent. Sortent du lot une vision d'apocalypse saisissante, qui transforme la plage en un pur lieu de cauchemar, et une scène gore franchement peu ragoûtante, où l'on entrevoit ce qu'aurait pu être ce film s'il avait été plus pêchu et mieux écrit. J'ai tout de même particulièrement apprécié l'idée de cette roche mystérieuse qui bouillonne au fond des eaux, diffusant ses vapeurs fatales provoquées par le réchauffement climatique. Pour le coup, l'esprit de Lovecraft, avec cette menace là depuis des lustres et ne demandant qu'à être réveillée, est joliment respecté. On fera donc preuve de bienveillance avec le jeune réalisateur américain qui, à l'avenir, fera peut-être mieux.
 
 
The Beach House de Jeffrey A. Brown avec Liana Liberato, Noah Le Gros et Jake Weber (2020)

28 octobre 2021

Pig

Ne vous y méprenez pas : Pig n'est pas un énième film de vengeance bas de plafond où un homme qu'il ne fallait pas venir chatouiller se voit retirer son être le plus cher ou son bien le plus précieux (en l'occurrence, les deux : un cochon truffier), puis, animé d'une rage folle, se lance dans une croisade sanglante, seul contre tous, écrasant tout sur son passage, pour punir les imprudents malfaiteurs. Parfois mal vendu, comme s'il s'agissait encore d'un John Wick bis où Keanu Reeves serait remplacé par Nicolas Cage et le beagle du premier film par un cochon, Pig vaut en réalité beaucoup mieux que ça et pourra surprendre ceux qui espéraient voir l'acteur abonné aux séries b partir en roues libres et commettre un nouveau carnage. L'idée du film, le truc, la trouvaille de Michael Sarnoski, c'est de substituer la drogue par... la truffe. La truffe, oui, ce champignon délicieux particulièrement apprécié des plus fins gourmets que l'on trouve au fond des bois humides, avec chance ou avec l'aide d'un chien ou d'un cochon truffier. Et le film, drame intimiste déguisé en parodie de néo-noir, part seulement là-dessus, sur ce décalage amusant mais fragile, qu'il parvient toutefois à tenir jusqu'au bout car, heureusement, le réalisateur et scénariste ne se limite pas à cet effet comique intermittent et prend surtout soin de développer un personnage principal attachant et fouillé, dont on comprend progressivement les motivations en même temps que l'on découvre son lourd passé. C'est un vieux loup solitaire mutique, appelé à quitter sa cabane perdue dans l'Oregon pour les bas-fonds de Portland, auquel Nicolas Cage donne parfaitement vie.


 
 
Certains se foutent de la gueule de Cage, mais combien d'acteurs américains de sa génération continuent de tourner dans des films intéressants ? Combien se mouillent à sa façon, produisent des jeunes cinéastes prometteurs ou s'en vont loin d'Hollywood jouer pour des auteurs à la personnalité bien trempée ? J'en vois pas trop... Alors certes, sa filmographie est une montagne où les pépites sont rares, mais elles existent, et le gars est toujours là, dans le coup, polissant son statut d'acteur culte avec une conscience de lui-même et une autodérision sans équivalent aujourd'hui. Pig ajoute une ligne de plus à sa légende. Nicolas Cage est parfait dans la peau tuméfiée de ce vieux sage qui a tout perdu, à peine animé par une philosophie de vie au relativisme désarmant, prêt à encaisser tous les coups qu'il faudra pour remettre la main sur l'une des rares choses auxquelles il tenait vraiment. On a la nette impression que l'acteur, autant que son réalisateur, se plait à déjouer les attentes et incarne, avec malice, ce rôle tout en retenue, loin des exubérances dont on le sait capable à tout moment, fascinant et attachant volcan éteint. Le pitch a sans doute tapé dans l’œil de la star et il y a fort à parier que Sarnoski a écrit le scénario en ayant en tête les rôles habituels de Cage. C'est malin, tout le monde en sort gagnant. Si le film, par trop solennel, manque quelques fois de légèreté et se complaît par moments dans une langueur qui pourra en laisser quelques-uns sur le carreau, il n'en reste pas moins le portrait d'un reclus assez touchant et original, qui réserve même quelques jolies scènes, où le talent du cinéaste et de son acteur vedette ne font aucun doute, et son petit lot de situations amusantes, où les codes du film noir sont astucieusement chamboulés. En bref, une belle curiosité.


Pig de Michael Sarnoski avec Nicolas Cage, Alex Wolff et Adam Arkin (2021)

18 juin 2020

USS Indianapolis

On attendait tous avec impatience l'adaptation de la sinistre destinée de l'USS Indianapolis, ce croiseur américain qui, après avoir livré les composants des bombes atomiques, fut torpillé par un sous-marin nippon et coula rapidement, laissant plus de mille hommes en plein océan, à la merci, notamment, des requins. Ce récit de survie tétanisant avait déjà été sublimé sur grand écran par le fameux monologue de Robert Shaw dans Les Dents de la Mer, l'une des meilleures scènes du film de Spielberg, un moment terrible que l'on garde tous en mémoire, magnifié par des acteurs au sommet de leur forme. Mario Van Peebles s'attaquait donc à du lourd et, comme on pouvait malheureusement s'y attendre, le résultat n'est pas du tout à la hauteur. On peut tout de même saluer le courage du cinéaste, bien déterminé à mettre en image cette histoire et à n'omettre aucun détails malgré un budget clairement insuffisant. Dès la première scène, une attaque aérienne sur un croiseur dirigé par le capitaine McVay (Nicolas Cage), on a l'impression de voir la cinématique d'un jeu vidéo ayant très mal vieilli. Les effets numériques sont tout bonnement hideux. Ils nous amènent à croire que, certes, les moyens étaient insuffisants mais qu'en outre, les deux ou trois zonards chargés des effets spéciaux derrière leurs ordinateurs étaient incompétents. Ça fait mal aux yeux... 




Soucieux d'adapter l'intégralité de la page wikipédia consacrée au naufrage de l'USS Indianapolis, Mario Van Peebles consacre la dernière demi-heure du film au procès du capitaine McVay, tenu coupable d'avoir oublié de zigzaguer pour esquiver les torpilles adverses. C'est intéressant, puisque c'est une partie plus méconnue de l'Histoire, mais cinématographiquement, c'est nul et non avenu. Le réalisateur aurait dû se focaliser essentiellement sur la survie de l'équipage dans l'océan, il aurait dû nous faire ressentir la douleur de ces pauvres gars abandonnés, tour à tour victimes d'hallucinations, de déshydratation, d'hypothermie et, bien sûr, des attaques de requins. Ce passage-là occupe peut-être le tiers du film, mais il paraît totalement insignifiant, on ne tremble jamais, on ne sent guère le temps qui passe, les longues journées qui s'enchaînent au milieu des grands blancs, et les nuits qui devaient paraître encore plus interminables... Inutile de dire que les mots de Robert Shaw dans le classique de Spielby faisaient un tout autre effet. 




Dans le rôle du capitaine McVay, Nicolas Cage fait tout son possible. Il y croit dur comme fer. Il met, dans ce film, le même amour qu'il insuffle habituellement à ces séries b de bas étage dans lesquelles il traîne sa vieille ganache. La star aurait mérité une œuvre à sa démesure. Peu de coups d'éclat de sa part sont à signaler ici. L'acteur paraît également paralysé par le sérieux du projet. Par ailleurs, Van Peebles fait preuve d'un manque de finesse atterrant. Sa mise en scène peu inspirée et les dialogues lourdingues sèment bêtement des indices sur la destinée de l'USS Indianapolis et paraît même s'en amuser. "Ne devrait-on pas zigzaguer pour éviter les torpilles ?" dit naïvement l'un des subalterne de Cage à son supérieur. "T'imagines si on finit dans la flotte, vieux ? Les requins vont se régaler... On sera le casse-dalle de ces charognards !" lance un marine précog à un collègue, avant que la caméra ne fasse la mise au point sur une mâchoire de squale qui encercle les deux hommes. Bref, tout ça pèse des tonnes. Et en plus, c'est bien long. Malgré les bonnes intentions évidentes de Mario Van Peebles (qui reste au demeurant un type sympa, toujours bien intentionné), USS Indianapolis est un triste film. 


USS Indianapolis de Mario Van Peebles avec Nicolas Cage et quelques guignols gravitant autour de lui (2016)

22 février 2020

Color Out of Space

Richard Stanley, Howard Philips Lovecraft, Colin Stetson, Nicolas Cage... Ces noms-là étaient faits pour se rencontrer. C'est en tout cas l'agréable impression que donne Color Out of Space, le premier long métrage réalisé par Richard Stanley depuis près de 27 ans, une adaptation de la fameuse nouvelle de H.P. Lovecraft, La Couleur tombée du Ciel, qui bénéficie de la mise en musique particulièrement inspirée de Colin Stetson et de la performance forcément débridée de l'impayable Nicolas Cage, cet acteur à l'exubérance sans équivalent dont l'arrivée dans le projet eut pour effet salutaire de débloquer sa production et de permettre enfin sa mise en chantier. Mais attention, si la réunion de ces différents noms sonne a posteriori comme une évidence et débouche effectivement sur un drôle d'objet cinématographique, tout à fait atypique et aimable, Color Out of Space est très loin d'être un chef-d’œuvre et ne pourra pas plaire à tout le monde. Éminemment sympathique et débordant de bonnes intentions, ce film réussit petit à petit par emporter l'adhésion, d'autant plus, sans doute, quand il est vu dans les meilleures conditions possibles : en ce qui me concerne, j'ai eu la joie de le découvrir à la Cinémathèque de Toulouse dans le cadre du Festival Extrême Cinéma, au troisième rang d'une belle salle bondée et remplie de spectateurs au moins aussi impatients que moi, en présence du réalisateur, qui a décidément l'air d'un type extra, venu échanger avec nous à l'issue de la séance, sous un tonnerre d'applaudissements mérité.





Assez inégal, très bizarrement foutu, souvent déconcertant, loin d'être entièrement réussi mais marqué par des fulgurances géniales, une générosité de chaque instant, des références bien assimilées, une liberté évidente et un humour de bon aloi : pas de doute possible, Color Out of Space est bel et bien un film de Richard Stanley et ce dernier n'a pas bougé d'un iota depuis que nous l'avions quitté. Tant mieux ! Le plaisir des retrouvailles avec ce cinéaste trop rare, à la patte si singulière et à la personnalité fantasque, est entier. On espère que, tel qu'il nous l'a annoncé, ce film actera bel et bien son retour et qu'il pourra enchaîner : Richard Stanley veut en faire le premier épisode d'une trilogie lovecraftienne, la prochaine nouvelle vouée à passer à sa moulinette sera L'Abomination de Dunwich, un programme réjouissant, mais fermons-là la parenthèse et revenons à nos moutons, ou plutôt, vous verrez, à nos alpagas. Color Out of Space s'avère étonnamment fidèle au récit de Lovecraft au point de reprendre les lignes les plus précieuses de l'auteur en guise d'ouverture et de conclusion, pour le plus grand plaisir des fans qui, dès les premiers mots prononcés en voix off et directement issus de la nouvelle, sont ainsi assurés qu'ils tiennent là l’œuvre d'un homme au moins autant épris qu'eux par son matériau de base. Après la brève description introductive signée Lovecraft, accompagnée de la musique d'ambiance oppressante de Colin Stetson et illustrée de quelques jolis plans des forêts profondes et mystérieuses de Nouvelle-Angleterre, le film nous présente la famille Gardner, citadins fraîchement débarqués dans la campagne d'Arkham dont le patriarche (Nicolas Cage) se lance avec enthousiasme dans l'élevage d'alpagas (!) et la mère (Joely Richardson), en rémission d'un cancer, pratique le télétravail depuis son grenier connecté. Ils sont parents de trois enfants parmi lesquels deux ados, une fille un brin gothique qui s'adonne à la magie noire et un garçon tendance geek qui aime fumer de l'herbe en douce. Tout bascule pour notre petite famille un peu trop tranquille quand, une nuit, une météorite atterrit au beau milieu de leur jardin, non loin du puits qui les abreuve en eau...





Admettons que Color Out of Space est peut-être un peu long, ou en tout cas laborieux, à démarrer. Richard Stanley n'est sans doute pas le plus à l'aise pour mettre en scène des séquences... normales. Cet homme-là doit être trop perché pour filmer efficacement les scènes d'exposition indispensables. On ne sait pas trop sur quel pied danser durant les premières minutes. Richard Stanley déploie d'emblée un ton déconcertant qui nous demande un petit temps d'adaptation nécessaire. C'est à partir du moment où tout se dérègle pour de bon que l'on peut se laisser aller complètement, goûter aux joies de l'horreur psychédélique, apprécier l'humour très particulier du film et ne plus tiquer à ses défauts évidents, qui passent alors définitivement au second plan. Les meilleures scènes sont celles qui parviennent miraculeusement à concilier cet humour très noir ou absurde à une horreur vraiment dérangeante car poussée assez loin et jouant sur différents tableaux, à la fois purement visuelle et psychologique. Le meilleur exemple de cette juxtaposition heureuse de tons qui me vient à l'esprit est sans conteste cette scène terrible durant laquelle Nicolas Cage qui, découvrant à la télé la retransmission de son interview loufoque donnée à la chaîne régionale le matin même, se plaint de la tronche qu'il se paye à l'écran tandis que sa femme prépare le repas en découpant des carottes dans la cuisine (c'est jamais une bonne idée de découper ainsi des légumes dans un film d'horreur, le couteau utilisé est toujours disproportionné et, en général, il y a au moins un doigt qui y passe...). A l'aide efficace d'une nappe sonore allant crescendo, la tension monte rapidement via un montage alterné très simple mais bien mené entre des gros plans sur le couteau se rapprochant de façon de plus en plus menaçante des doigts de la maman et des plans du salon où un Nicolas Cage, irrésistible, se lamente de son allure et plus particulièrement de ses cheveux, pour une blague tout à fait bienvenue, lui dont les drôles de tignasses qu'il arbore de film en film sont régulièrement moquées sur les réseaux. Le plus petit de la famille finira par faire le lien entre les deux actions en allant voir sa mère dans la cuisine, pour un dénouement forcément saignant. Le suspense et le comique font ici très bon ménage, ce qui place le spectateur dans une situation inconfortable et réjouissante. D'autres scènes proposent le même mélange de registres pour un effet à la fois jubilatoire et déconcertant que l'on peut tout à fait juger fidèle à l'esprit de Lovecraft tant le style paroxystique de ce dernier, se plaisant à la surenchère et volontiers excessif dans son écriture, offre bien souvent une impression identique : on peut s'amuser et trembler à la lecture de ses plus grands textes. En fin de compte, si l'on devait chipoter, la seule entorse notable à l'esprit d'HPL c'est cet exemplaire du Necronomicon, d'apparence tristounette, qui ne devrait pas pouvoir traîner négligemment dans la chambre d'une ado...





La petite famille se désintègre donc progressivement sous nos yeux sous l'influence pernicieuse de la couleur tombée du ciel, chacun tombant à sa manière dans la folie et Richard Stanley de se lâcher autant qu'il peut, avec parfois quelques loupés, certes, mais une générosité délirante telle qu'on ne peut que s'incliner et assister, béat, au spectacle amusant de la dégénérescence totale des lieux et de ses habitants. Point crucial attendu et inévitable d'une adaptation de cette nouvelle : la représentation de ladite couleur et de ses diverses manifestations. Malgré un budget très modeste, force est de constater que Richard Stanley s'en tire avec les honneurs et nous propose quelques passages de toute beauté, où l'on en prend littéralement plein la yeux et les oreilles (si cela avait été techniquement possible, nul doute que le réalisateur en aurait aussi voulu à notre odorat puisque Nicolas Cage se plaint d'une odeur répugnante dès la découverte de la météorite maudite). Stanley fait en effet le choix risqué, mais encore une fois payant, d'y aller à fond. C'est le plus souvent réussi et cela donne lieu à quelques très bonnes trouvailles, en particulier cette idée des déformations de l'image, comme si la pellicule était malmenée, aspirée, brouillée par des interférences avec l'entité extraterrestre indiscernable, ce qui culmine lors d'un final dément. La transformation progressive du paysage autour de la maison, sous l'influence néfaste de la météorite, constitue également un spectacle plaisant : la végétation est de plus en plus luxuriante avec des fleurs étranges et des lianes envahissantes qui surgissent du sol et dont les couleurs sont des déclinaisons du pourpre électrique venu de l'espace.





On est surpris aussi de découvrir progressivement à quel point le film s'enfonce dans l'horreur la plus crue. Richard Stanley, comme bien d'autres réalisateurs qui se sont essayés avant lui à l'exercice périlleux d'adapter Lovecraft (Brian Yuzna et Stuart Gordon en particulier, auxquels on peut quasiment ajouter John Carpenter si l'on prend le cinéma lovecraftien au sens large), verse carrément dans le body horror lorsque le film monte d'un cran dans l'épouvantable. Il fait alors l'heureux choix des effets spéciaux artisanaux, employés aussi souvent que possible. La plus affreuse monstruosité qui nous est montrée, que je fais attention de ne pas vous révéler pour ne rien vous gâcher et parce qu'elle est précisément indicible, prend ainsi une forme très soignée, pour un effet de dégoût garanti dont on peut de nouveau estimer qu'il se rapproche de très près de l'effet que produit la lecture des descriptions méticuleuses de l'écrivain de Providence. Au-delà de ça, l'intelligence du cinéaste est aussi d'avoir considérer l'univers lovecraftien dans son ensemble. Loin de faire partie de ceux qui cherchent d'abord à coller au plus près du récit, en allant par exemple jusqu'à le resituer dans les années 30, ou qui ignorent plus ou moins volontairement ce qui a déjà été fait au cinéma comme ailleurs à partir de cette même source d'inspiration, Richard Stanley démontre sa connaissance de Lovecraft et de son influence en ne tombant jamais dans les images attendues et déjà vues (d'où les alpagas !), et en lui adressant aussi des pieds-de-nez malins. Cela passe par des choix aussi simples qu'intelligents, comme une place assez importante laissée aux personnages féminins ou encore l'attribution railleuse du nom de l'écrivain à l'un des personnages, le narrateur (Elliot Knight), un jeune étudiant noir de l'université de Miskatonic. On note également de nombreux clins d’œil appuyés à The Thing, que Stanley doit justement considérer comme ce qui s'est fait de mieux en termes de déclinaison lovecraftienne au cinéma. Ces références n'apparaissent jamais gratuites ou simplement là pour satisfaire le spectateur et s'assurer de sa complicité, non, elles s'incluent dans une démarche cohérente et participent au fonctionnement d'un film tout à fait conscient de ce à quoi il s'attaque. 





Un mot sur l'inévitable Nicolas Cage, dont aurait légitimement pu craindre qu'il transforme le projet en une vaste farce, en une de ces séries b qu'il semble affectionner particulièrement et qu'il enfile comme des perles à son interminable filmographie. L'acteur apparaît ici comme le choix idéal, comme l'homme de la situation. Richard Stanley se sert parfaitement de lui : sa folie et son côté imprévisible sont mis au service du récit et non l'inverse (comme cela pouvait être le cas dans Mandy, autre trip horrifique psychédélique produit par SpectreVision). De manière très inattendue, Nick Cage campe un excellent personnage lovecraftien, dont la folie ou la mort sont les seules issues possibles. La star a bien quelques moments qu'il fait totalement siens, des courtes scènes où il se lâche de façon très outrancière ou des répliques peut-être improvisées qu'il sort comme nul autre ne l'aurait fait, autant de passages qui pourraient d'ailleurs trouver une place de choix dans les nombreuses compilations des coups d'éclat de l'acteur montées par ses fans qui existent déjà sur youtube, mais cela fait toujours sens avec la folie grandissante de son personnage et du film tout entier. Il y a quelques moments hilarants, qui s'ajoutent avec harmonie à la folie de l'ensemble : il faut voir Nicolas Cage servir fièrement son cassoulet à ses enfants, parler avec amour de son modeste troupeau d'alpagas, "l'animal du futur", les traire avec soin et boire leur lait. Il faut le voir péter les plombs dans sa bagnole qui ne démarre pas, "the car is not happening", goûter ses fruits pourris et les jeter rageusement, "slam dunk !", puis, d'un seul coup, retomber comme un soufflé et se montrer tendre et affectueux avec son interlocuteur incrédule. Ce type-là est au moins aussi atteint que son cinéaste. Dick et Nick, il était évident qu'ils ne pouvaient que bien s'entendre !





Richard Stanley dit avoir puisé dans son histoire personnelle, celle de sa propre famille, ce qui peut laisser songeur quand on voit ce qu'il advient de chacun d'eux à l'écran. On ne doute pas cependant de l'aspect intime de la chose tant il parvient effectivement à insuffler une part indéniable d'horreur psychologique à son film par des évocations, explicites ou implicite, au cancer de la mère. Tout ça n'est pas du chiqué. Se confiant à nous à l'issue de la projection, Richard Stanley nous a raconté que Lovecraft était l'auteur préféré de sa défunte mère, morte d'un cancer bien avant le tournage du film. Elle lui lisait les nouvelles pour qu'il s'endorme quand il était petit (on voit ce que ça a donné...) avant que, bien des années plus tard, les rôles ne s'inversent et que Richard Stanley les lui lise à son chevet, pour lui offrir un peu de réconfort. Il eut le temps d'annoncer à sa mère qu'il allait réaliser une adaptation, mais celle-ci, connaissant peut-être les nombreux projets malheureusement avortés de son fils, n'y crut pas une seconde. En y mettant autant de cœur, notre cinéaste fou a signé un vibrant hommage à l'écrivain ainsi qu'à sa mère, une œuvre riche qui porte son empreinte, reconnaissable entre mille. Alors certes, le film, branlant, cahoteux, aurait pu être raccourci et mieux construit, on se demande ainsi pourquoi le cinéaste s'éloigne régulièrement de la ferme et refuse ainsi le pur huis clos, au détriment de la tension et  de la tenue du récit. Certains personnages n'apportent pas grand chose, quand bien même ils sont au demeurant amusants (je pense surtout à Ezra, l'original qui vit dans sa cabane au fond des bois, paraît-il inspiré d'un pyrénéen qui enregistrerait les sons extraterrestres – ce que l'on a aucun mal à croire) et quelques effets spéciaux, parmi ceux réalisés en CGI, s'avèrent moins réussis. Mais au diable ces petites réserves, ce ne sont là que des bémols qui finissent complètement noyés par le généreux torrent de folie et d'horreur co(s)mique que laisse se déverser sur nous Richard Stanley, dont nous saluons le retour fracassant avec toute notre sympathie. Vivement la suite !


Color Out of Space de Richard Stanley avec Nicolas Cage, Joely Richardson, Madeleine Arthur, Q'orianka Kilcher et Tommy Chong (2019)

31 janvier 2019

L'Étrange cas de Richard Stanley



Richard Stanley est sans aucun doute un drôle d'oiseau. Il n'y a qu'à aller voir la photo qui illustre sa page Wikipédia et y lire les premiers renseignements à son sujet pour en être convaincu. Documentariste, anthropologue, depuis toujours attiré par le mysticisme et la magie, Richard Stanley, originaire d'Afrique du Sud, a choisi d'élire domicile à Montségur, haut lieu de la mythologie cathare, pour mieux effectuer ses recherches in situ et baigner dans une atmosphère propice à l'imaginaire et au fantastique. Il a récemment été annoncé que l'illuminé allait enfin repasser derrière la caméra pour réaliser une adaptation de La Couleur tombée du ciel, une des nouvelles les plus cinégéniques de Lovecraft. Nicolas Cage devrait être en tête d'affiche et nous espérons vraiment que le projet pourra aboutir (Richard Stanley collectionne hélas les projets avortés) car nous serions très curieux ce voir ce que produirait la collaboration de tous ces cerveaux malades. Croisons donc les doigts...


Richard Stanley, chez lui

Les deux premiers films de Richard Stanley, sortis au début des années 90, lui ont permis d'acquérir une place un peu à part chez les plus curieux amateurs de cinéma de genre. Hardware et Dust Devil sont devenus deux films cultes au sens non-galvaudé du terme : le premier fut un succès inattendu à sa sortie et a toujours pu compter sur quelques fans irréductibles ; le second, plus obscur, est seulement visible depuis 2006 dans une version revue et approuvée par son auteur après avoir été successivement rafistolé par producteurs et distributeurs. Si aucun de ces films n’est une totale réussite, ils sont tous deux traversés de fulgurances mémorables et attestent d’une personnalité de cinéaste tout à fait singulière dont on peut regretter qu’elle n’ait pas pu plus librement s’exprimer. Peut-être Richard Stanley est-il un peu trop fou, un peu trop perché, pour coller au système dans lequel il a un temps essayé de faire son trou.




Réalisé en 1990, Hardware a souvent été injustement étiqueté comme un de ces sous-Terminator qui fleurissaient à cette période suite au carton du film de James Cameron. Son pitch pourrait effectivement y faire penser. Dans un futur indéfini et une ambiance post-apocalyptique très marquée, un soldat freelance campé par Dylan McDermott achète la tête d’un vieux cyborg retrouvée dans une zone interdite par un chasseur d’artefacts. Il a pour idée de l’offrir à sa girlfriend (Stacey Travis), une jolie rousse qui vit cloîtrée dans son appartement blindé, sculptrice avant-gardiste de son état. Celle-ci est très heureuse de ce cadeau qui, après deux trois soudures et un petit coup de peinture, viendra parachever sa dernière œuvre, une sculpture murale chelou trônant au milieu de chez elle. Elle ignore qu’elle cohabite désormais avec un cyborg extrêmement puissant qui aura tôt fait de s’auto-réparer pour mener à bien la mission pour laquelle il a été créé : supprimer l’espèce humaine et régler le problème de surpopulation…




Ce n’est pas pour son scénario que Hardware parvient à séduire, mais plutôt par l’inventivité dont fait preuve Richard Stanley pour mettre en scène ce quasi huis-clos en un temps très resserré. L’action se déroule en une nuit et l’on quitte rarement le sombre appartement de celle qui apparaîtra progressivement comme la véritable héroïne du film : notre artiste rouquine amenée à en découdre avec un robot impitoyable. Âgé d’à peine 24 ans au moment du tournage mais déjà doté d’une solide expérience dans la réalisation de clips musicaux, Richard Stanley s’amuse et se fait plaisir pour son premier long métrage, en donnant libre cours à son enthousiasme et à son ingéniosité, tout en laissant place à l’humour et à la légèreté (certains personnages flirtent volontairement avec le ridicule, comme le voisin voyeur et le sidekick inutile du soldat). Ses qualités lui permettent de contourner la petitesse de son budget et de donner une assez fière allure à son œuvre, encore aujourd’hui, grâce à son psychédélisme cyberpunk plaisant. 




Richard Stanley parvient modestement à mettre en place un univers futuriste post-nuke crédible dans des décors pratiquement plongés dans le noir quand ils ne sont pas éclairés par des néons rouges ou verts où la technologie dégénérescente est omniprésente. Malgré un final assez laborieux (on ne compte plus les résurrections de l’increvable et tenace cyborg !), Hardware laisse donc une très agréable impression, celle d’un film-trip à l’ambiance réussie, fourmillant de chouettes idées et qui suscite forcément une certaine sympathie. Sa bande-son très soignée, à la fois bien de son temps et collant idéalement à l'univers dépeint, comptant quelques invités de marque comme Public Image Limited, Ministry, Motörhead ou Iggy Pop (également présent en voix off dans le rôle d'un animateur radio éructant avec enthousiasme les mauvaises nouvelles de ce monde), a également contribué à la petite réputation enviable et méritée d'Hardware




Grâce au succès inattendu de son premier film (moins d’un million de dollars de budget pour plus de 70 amassés à travers le monde !), Richard Stanley a pu voir ses ambitions à la hausse pour son projet suivant, le beaucoup plus personnel Dust Devil, réalisé dans la foulée et tourné en Namibie. Le réalisateur s’inspire de l’étrange histoire d’un serial killer jamais identifié par la police, ayant sévi en Afrique du Sud au début du siècle, dont les crimes ont alimenté les légendes locales et ont été attribués à une force surnaturelle. Le tueur prend ici les traits d’un bellâtre auto-stoppeur (Robert John Burke) qui fascine et séduit ses victimes avant de les massacrer en suivant un rituel quasi vaudou. Un policier autochtone est lancé sur ses traces, plus ou moins guidé par un sorcier du coin qui le prévient qu’il s’agit du fameux et redoutable « Dust Devil » de leur folklore. Une jolie rousse (Chelsea Field) ayant fui son mari violent finira par croiser la route du serial killer...




Ce point de départ pourrait être celui d’un simple thriller mâtiné de surnaturel, mais les ambitions du réalisateur sont plus folles. Dust Devil se situe à la croisée des chemins de plusieurs genres, à commencer par le western et le road-movie, en plus du thriller et du fantastique. Débordant d'appétit, Stanley essaie aussi d’ajouter un petit sous-texte politique par des rappels à l’apartheid et aux fissures de la société sud-africaine, coincée entre modernité et folklore. Peut-être trop ambitieux, Richard Stanley est loin de réussir sur tous les tableaux et son film a quelques faiblesses évidentes, parmi lesquelles un rythme parfois déconcertant, trop d’idées pas assez exploitées et un acting pas toujours à la hauteur. Malgré cela, cet OFNI connu par chez nous sous le titre Le Souffle du Démon n’en reste pas moins une œuvre encore une fois digne d’être défendue et saluée, que l’on recommandera tout particulièrement aux amateurs de charmantes obscurités hybrides de ce genre.




Richard Stanley démontre qu’il a des influences de choix et qu’il connaît ses classiques. Parmi ses sources d’inspiration pour Dust Devil, cet ariégeois d'adoption cite Sergio Leone, Luis Buñuel et Dario Argento. Devant son film et son atmosphère si particulière, il est évident que l’on repense aux gialli italiens, mais aussi à la bizarrerie d’un Jodorowsky, à l’atmosphère de The Last Wave de Peter Weir et l'on note même quelques clins d’œil direct au Stalker de Tarkovski. Plus prosaïquement, il est facile de se rappeler de The Hitcher devant les méfaits de cet auto-stoppeur au pouvoir de séduction hypnotique. Au-delà de ces références diverses et variés, Richard Stanley réussit à trouver un ton bien à lui, notamment lors de quelques fulgurances poétiques qui font que certaines scènes s’impriment durablement sur nos rétines. Bénéficiant d’une très belle photographie aux dominantes de nouveau écarlates et tirant joliment partie des paysages désertiques spectaculaires de la Namibie, Dust Devil est régulièrement d’une beauté saisissante qui nous permet d’être très indulgent à l’égard de ses incontestables défauts.




L’histoire progresse de manière assez inattendue, nous suivons tour à tour le policier africain dans son enquête sur les traces du serial killer, la cavalcade macabre de ce dernier et la fuite de la jeune femme avant que ces deux derniers personnages ne fassent la route ensemble. Le scénario ne constitue pas le point fort d’un film qui, à trop cultiver le mystère oublie parfois de nous satisfaire en proposant une ligne conductrice claire. Ces trois personnages finissent par être réunis dans une ville fantôme ensevelie sous le sable lors d’une conclusion incertaine et ouverte qui parvient à faire son petit effet et lors de laquelle le personnage féminin apparaît encore comme le plus fort du lot. Chelsea Field, bien que ne brillant pas pour ses talents d’actrice, parvient tout de même à donner un charisme croissant à son rôle ; plus le film avance, plus elle en impose et magnétise l’objectif. Face à elle, le tueur incarné par Robert John Burke manque un peu de présence et d’électricité (n’est pas Rutger Hauer qui veut).




De la même façon que Hardware, Dust Devil brille surtout par son ambiance aux petits oignons que Richard Stanley réussit à installer et à cultiver jusqu’à la fin. Tout est là pour entretenir une atmosphère fascinante et singulière : la voix off qui nous raconte les légendes locales, la musique lancinante aux sonorités morriconiennes signée Simon Boswell, les détails macabres qui viennent trancher avec ces plans plus contemplatifs et ces régulières digressions poétiques surprenantes... S’il ne réussit pas tout à fait son coup et qu’il peine à donner une vraie vigueur à son récit, l’ambition de Richard Stanley est aussi louable que sincère et l’étrangeté de son film parvient à elle seule à captiver.


Richard Stanley et Simon Boswell

On comprend donc aisément pourquoi Dust Devil a son petit cercle d’ardents défenseurs, son statut n’est encore une fois pas volé et, après une telle expérience cinématographique, on ne peut que regretter que son auteur n’ait pas pu mener sa carrière de cinéaste comme il l’entendait (ses déboires sur le tournage de L'Île du Docteur Moreau ont fait date). Son deuxième long métrage, incompris par ses producteurs puis par les distributeurs, a été écourté et retoqué contre son gré. Après une longue bataille juridique, Richard Stanley en a récupéré les droits, payant de sa poche pour que son « final cut » soit enfin visible en vidéo. C’est cette version que l'on peut désormais voir et dont la découverte amène à espérer que, près de 30 ans plus tard, l’atypique Richard Stanley n’aura rien perdu de son talent et de sa folie pour mettre en image l’histoire tordue de Lovecraft, écrivain à l’imaginaire sans équivalent, pour lequel il semble tout désigné. Nous suivrons cette affaire de près...


Hardware de Richard Stanley avec Dylan McDermott, Stacey Travis et John Lynch (1990)
Dust Devil (Le Souffle du Démon) de Richard Stanley avec Robert John Burke, Chelsea Field et Zakes Mokae (1992)

2 avril 2017

Snake Eyes

Snake Eyes (intitulé "Œil de lynx" dans sa version française peu usitée), est un film à la gloire de Gary Sinise : le titre du film est un anagramme du blaze de l'acteur. Cet acteur qui nous a tous déçus en décembre 2003 quand il a été le premier citoyen américain à faire la guerre à l'Irak. Le saviez-vous ? L'immortel Lieutenant Dan, plus proche de son personnage qu'on ne l'aurait espéré, est un gros facho fou de Bush qui a pris les armes pour aller défoncer tous les Irakiens afin de mettre la patte sur Saddam Hussein, lequel était tout simplement descendu dans sa cave à la recherche d'une bonne bouteille. Avec ce film, Gary Sinise avait déniché son alter ego cinéaste en la personne de Brian De Palma, qu'il a retrouvé ensuite dans le fameux Mission to Mars, lequel a marqué la fin de la collaboration entre les deux hommes puisqu'ils ne partagent pas le même avis sur l'origine de l'humanité : De Palmas, adepte de la théorie de la panspermie d'Hermann von Helmholtz, pense que les martiens sont dans le coup, alors que pour Sinise, l'origine de l'homme, c'est Bush.


Nicolas Cage, toujours la main prête à accueillir une quelconque émotion.

Retour à Snake Eyes, le seul film dont le héros porte une chemise en croco du début à la fin. Qui d'autre que Nick Cage pouvait se permettre cette fantaisie vestimentaire ? En fait c'est son look du quotidien, déjà visible dans Sailor et Lula da Silva, le biopic du président brésilien par un David Lynch précog. Pour en revenir au film, c'est un huis-clos sur un ring de boxe opposant donc un flic survolté, Nicolas Cage, à un agent de sécurité véreux, Gary Sinistre, qui s'avère à la fin être le méchant de l'histoire. Et nous venons de vous flinguer ce film. On sait que ça se fait pas de taper sur les copains ou sur la famille, mais nous tenons juste à dire que ce film a été le film-culte de Josué, rédac' chef et unique cerveau valide de feu C'est Entendu, à l'époque où il ne connaissait pas encore OK Computer et où il était fan des albums solo de Mark Owen du groupe Take That, qu'il avait choisi de prononcer "Tèk Dat". Or, pour retourner au sujet, celui d'entre nous qui a grandi avec le sus-nommé rédac' chef a vu ce Snake Eyes, plusieurs fois, pense même le connaître par cœur et pourtant s'avoue absolument incapable d'en dire quoi que ce soit, alors qu'il serait capable de pondre un roman sur tous les bibelots qui entouraient la télé dans la chambre de ce frère où il a subi le film de De Palma au moins dix fois, tous ces objets hideux à l'effigie de Mark Owen...


Snake Eyes de Brian De Palma avec Gary Sinise et Nicolas Cage (1998)

25 novembre 2015

Manglehorn

Si vous voulez (continuer à) assister à la déchéance professionnelle d'Al Pacino, alors n'hésitez pas une seule seconde, prenez une grande inspiration et lancez-vous dans Manglehorn de David Gordon Green (DGG pour les intimes). Par contre, si vous voulez garder un souvenir émerveillé de cet acteur-caméléon, tirez le frein à main juste après Heat.

Dans Manglehorn, Al Pacino incarne A. J. Manglehorn, un serrurier vieux et fatigué, plutôt grincheux, ayant largement dépassé l'âge de la retraite et vivant seul avec sa chatte Fannie. Il passe une bonne partie de son temps libre à rédiger d'une écriture d'écolier parkinsonien, des lettres enflammées et mélancoliques à une certaine Clara, son amour perdu, lettres qui retournent toutes à l'envoyeur, sans exception, et qu'il stocke chez lui dans une pièce fermée à clef après les avoir récupérées dans sa boite aux lettres infestée d'abeilles. Son unique fils, qui n'est pas le fils de Clara mais d'une femme qu'Al Pacino déclare n'avoir jamais aimée, est présenté comme un connard puisqu'il est un riche trader qui joue à dépouiller les gens en leur proposant des investissements foireux tout en se faisant des millions au passage. Ce fils indigne traite son père avec mépris, lui reprochant d'aimer d'avantage la chatte que sa propre famille (cette série de reproche se déroule lors d'une scène au restaurant à couper l'appétit même aux plus affamés)... Par contre Manglehorn s'entend bien avec sa petite-fille qui a la langue bien pendue et une mère chicanos. En dehors de ça, il aime papoter avec sa guichetière préférée (Holly Hunter, victime d'un lifting malheureux) lorsqu'il effectue son dépôt hebdomadaire à la banque du coin, notamment parce qu'elle est propriétaire d'un chien victime de nombreux soucis d'ordre vétérinaire, comme lui avec sa chatte.




Heureusement que c'est Al Pacino à l'écran : il peut jouer n'importe quoi et n'importe comment, il reste tout de même fascinant. Et heureusement qu'il est là sinon je n'aurais pas réussi à tenir quarante minutes devant ce gros navet. Tantôt farceur, tantôt déprimé, tantôt exalté, toujours Pacino, il nous sort toute sa palette, engoncé dans ses habits fatigués sous une touffe de cheveux fous grisonnants. Il faut le voir changer une ampoule au tout début du film, un acte qu'il accomplit comme s'il jouait Richard III. Bref, Al Pacino joue exactement le même rôle depuis vingt ans, à tel point que tous les personnages qu'il incarne devraient dorénavant s'appeler Albert Pacino, ce serait plus honnête pour les spectateurs. N'ayant pas vu la seconde moitié du film, j'ignore ce qu'il advient de ce personnage mais on peut soupçonner qu'il va se rapprocher de Holly Hunter et retrouver une certaine joie de vivre sur fond de musique indé. Ces films américains pseudo-indépendants sont tous plus ou moins prévisibles et chiants.




David Gordon Green commet donc ici un autre navet. Il a bel et bien définitivement perdu toute espèce de crédit après avoir tenté de remonter la pente ces dernières années avec un retour vers le southern gothic, son genre de prédilection. Après un début prometteur quoiqu'en dents de scie (L'Autre Rive pour le meilleur, Snow Angels pour le pire), il s'est fourvoyé dans quelques productions Apatow sans intérêt en loupant même le coche de mettre en valeur Natalie Portman dans le registre de la comédie dans Votre Majesté (parmi ses films, je garde tout de même un petit faible pour Baby-sitter malgré lui mais c'est vraiment pas grand chose). Il est étonnant de voir qu'il garde encore assez de crédit pour attirer Al Pacino dans son désastre sur pellicule, mais ce dernier commence peut-être à perdre la boule (Danny Collins, où il joue Albert Pacino, exactement comme dans Manglehorn, en serait la preuve). Dernièrement Prince of Texas n'était déjà pas fameux mais se laissait voir, tandis que Joe alternait le bon (surtout pour les fans de Nick Cage dont nous faisons partie !) et le très mauvais, et c'est le très mauvais qui finissait par l'emporter. Au bout du compte, David Gordon Green, réalisateur caméléon avec toujours le cul entre trois ou quatre chaises, ne sait pas trop quoi faire de ses deux mains ni de ses deux pieds. Il gagnerait à s'entourer d'un bon scénariste et d'un bon producteur qui lui permettraient de "retrouver le chemin des filets" de ses débuts, ou bien à définitivement arrêter une activité qui ne semble pas faite pour lui. Il pourrait faire ébéniste, c'est chouette ébéniste comme métier.


Manglehorn de David Gordon Green avec Al Pacino et Holly Hunter (2015)

22 juillet 2015

Dying of the Light

Totalement ignorant de la carrière de Paul Schrader, j’ai décidé de me la faire à l’envers. J’ai donc découvert le cinéaste à travers son dernier film en date, Dying of the light, La Sentinelle en France, titre qui n’a d'ailleurs aucun sens (l'original étant déjà le résultat de l'assemblage hasardeux de quelques mots relevés lors d'une partie endiablée de Scrabble, le jeu de plateau, et Schrader se vante d'avoir lui-même posé "of" et "the", mots comptent simple). Le film est sorti directement en dvd le 15 juillet dernier, malgré un pitch très d’actualité (le film s’inscrit dans le bain des purges sur la guerre d'Irak ou contre le terrorisme, paumé entre Dans la vallée d’Elah, Grace is Gone, The Messenger, Démineurs, American Sniper et tant d’autres daubes) et surtout malgré la présence au casting, dans le premier rôle évidemment, de Nicolas Cage. L’explication ? Il faut bien avouer que Dying of the light est une authentique chierie. Schrader s’est plaint de ne pas avoir pu bénéficier du final cut. Mais quand on constate la nullité assourdissante de chaque scène, de chaque ligne du script, de chaque instant de son film, on peut comprendre que les producteurs (parmi les exécutifs se trouvait Nicholas Winding Refn, qui décidément aura fait du mal au cinoche) aient retiré les bobines faisandées des panards de Schrader à la sortie de la projection des rushs pour tenter de sauver les meubles. Mais c’était peine perdue tant le film n’est ni fait, ni à faire, ni à avoir été à faire !



Très tôt dans le film, on sait que Nic Cage va s'imposer et que le scénario ne pèsera pas lourd.

Tout, dans Dying of the light, fait intensément pitié. A commencer par l’écriture. Qu'est-il arrivé à Schrader, l'auteur du script de Taxi Driver ? Le scénariste-cinéaste est apparu récemment sur I-télé au volant d'un yellow cab perdu en plein paname, tout rouge de colère contre Uber, nous révélant ses positions sur la question en même temps que sa triple carrière de scénariste-cinéaste-taxi. Cette vie trop chargée est-elle la cause d'un scénario si bidon ? Le film raconte l’histoire d’Evan Lake (Nicolas Cage), un agent de la CIA qui fut capturé et torturé, il y a 22 ans de cela, par un terroriste, Muhammad Banir, dont plus personne n’a entendu parler depuis l'extraction de Lake mais dont lui, Evan Lake, entend bien se venger. Désormais condamné à des tâches administratives et souffrant, suite à de longues séances de torture à base de coups de latte, d’un traumatisme du lobe frontal dont les symptômes sont de périodiques accès de démence et une perte progressive de la mémoire, Lake apprend enfin grâce à son jeune collègue de boulot, Milton « Milt » Schultz (Anton « Ant » Yelchin), qu’un type, en Afrique, se fait livrer un médicament soignant la thalassemie (obsédé par l'émission de George Pernoud, le malade ne parvient plus à décrocher de Planète+ Thalassa, la chaîne télé dérivée de l'émission phare de France 3). Le sang ne fait qu'un tour dans le cerveau pourtant à moitié obstrué de notre agent de la CIA multi-médaillé : c’est forcément Muhammad Banir qui se fait livrer ce traitement, car son père était déjà fan du magazine de découverte titulaire d'une des plus grandes longévités du paysage audiovisuel français. 


Schrader veut nous faire croire que cette scène se passe à Bucarest. J'ai tout de suite reconnu le Carrouf de Port-de-Bouc, sur la nationale Fos Martigues. J'y ai passé des plombes.

Notre vétéran décide alors, contre l’avis de ses supérieurs, qui le congédient aussitôt, de remonter la piste de ces médicaments avec l’aide de son acolyte prépubère, et d’avoir sa vengeance. Pourquoi pas. Sauf que tout cela semble avoir été écrit par un type qui n’a jamais vu le moindre film sur la CIA. Outre que toute cette histoire de traitement médical à distance et de thalassothérapie est d’un chiant à tout rompre, les scènes de filature et d’action sont autant de sketches parodiques qui s’ignorent, et ça va de nos deux supers agents secrets qui, en planque pour traquer l’ennemi, se tiennent assis, côte à côte, face au suspect, le fixant du regard sans broncher, la tête dévissée vers lui, à une dizaine de mètres de distance, sur une place peu fréquentée, à cette scène formidable où Milt, le jeune collègue d’Evan Lake, poursuit à travers la foule un probable sbire de Muhammad Banir et, l’ayant plaqué au sol et immobilisé, choisit tout à coup de l’égorger et de jeter son corps derrière une poubelle, au lieu de l’interroger pour s’assurer que le récipiendaire de l’acheminement de médocs que lui et son vieux pote revanchard pistent depuis des jours est bien le jihadiste Banir…




Deux agents spéciaux ultra qualifiés de la CIA en planque, ça donne ça.

Le film doit compter un goof par minute à peu près. Et ce n’est pas son seul problème. Il y a aussi tous ces couacs, moins graves dans la mécanique scénaristique, mais qui foutent mal au bide quand même. Par exemple dans la scène où Evan Lake ressort de chez Banir et ère dans les rues de Mombasa. Aussitôt, débarque dans son dos son pote Milt, qui semble l’avoir retrouvé en un coup de volant, et il déboule, tenez-vous bien, au volant d’une Twingo (?) rose hallucinante. La bagnole est presque en 3D tant elle n’a rien à foutre là et nous saute aux yeux sans crier gare. Elle mérite d’avoir sa plaque d’immatriculation au générique, troisième rôle du film avant Catherine Jacob (qu'on avait aimée en maman nympho dans Neuf mois de Pat' Braoudé), qui joue l’ex-maîtresse de Lake. Voire devant le fameux « Milt », aka Anton Yelchin (Pavel Chekov dans les reboots de Star Trek, Schtroumpf maladroit dans Les Schtroumpfs et Schtroumpf déjà chauve à 11 ans et demi dans Les Schtroumpfs 2), qui, durant tout le film, prend une voix grave et éraillée de narrateur de bande-annonce à se chialer dessus pour essayer de faire oublier au spectateur qu’il a le physique d’un enfant chez qui le cancer du côlon menace faute d'une alimentation suffisamment riche en calcium, et qu’il ne correspond en rien à son rôle de brillant agent de la CIA. 



UVU 3356 avait sa place dans le générique, assez haut.

Il n’y a bien que Nicolas Cage pour, une fois de plus, tirer son épingle du jeu dans une des innombrables et gigantesques daubes qui jalonnent son incroyable filmographie. Avec ses cheveux teints en gris, son oreille déchirée et son air mi-enragé mi-commotionné, l’acteur a ses petites fulgurances. Bien trop rares pour sauver le film, mais tout de même ! Il croit briller dans ces passages obligés où il pousse une gueulante contre ses supérieurs, les dents serrées et le nez tordu dans tous les sens, mais il est en réalité beaucoup plus génial quand son personnage sort d’une crise cérébrale, notamment quand son side-kick l’interpelle alors qu’il comatait à la table d’un pub, ou quand le même Milt le retrouve assis sur un banc de Bucarest, une chapka sur la tête, en train de buller la bouche ouverte : quand il revient à lui, Cage tripote lentement le tissu de la veste de son pote, sans rien dire, fin de la scène. On obtient l’explication de ce geste bien plus tard, quand il explique soudain à son ami : « Tu sais l’autre jour, quand je tripotais ta veste, c’était de la laine et j’avais la sensation de la fourrure : je suis dans la merde ». Il n’y a bien que Nic Cage qui mérite vaguement notre attention dans ce foutoir.





 Nicolas Cage en grande forme. L'acteur, adepte de la méthode Stanislavski, a demandé à sa femme de lui tabasser le lobe frontal à coups de planche pour être à fond dans le rôle. A un moment donné, ça paye.

On sent sa patte un peu partout, comme dans la scène où, pour prouver à Milt qu'il est encore un homme de terrain, il lui demande de poser un dictionnaire (de 150 pages env. seulement, faut pas déconner) sur sa main tendue à l'horizontale, fier comme Artaban de tenir le coup pendant cinq secondes. Ou bien dans cette autre scène où il reçoit son associé chez lui et lui sert du saké comme si c'était une évidence, avant d'expliquer à son jeune apprenti que, je cite et traduis de mémoire : les croyants comme Banir, ça ne tombe pas mort comme ça, il faut leur arracher le cœur ! L'autre répond un truc très con aussi, du genre : « Avoue que tu penses à tout ça depuis un bail... », et là, Cage, en pleine bourre, lâche les chiens : « Juste once a day » « every day ? » « all day long », et les deux cons partent d'un rire tonitruant, gueules et mirettes dilatées au maximum, que seul le retentissement de la sonnette interrompra. C’est à Cage qu’ils auraient dû confier le final cut. On dirait bien que c’était le seul type encore capable d’une ou deux étincelles dans toute l’équipe. Quoi qu'il en soit, j’aurais dû m’encastrer dans la filmo Schrader par la porte d’entrée au lieu de passer par la fenêtre du grenier, les combles de la baraque chlinguent de ouf et la visite aura tourné court…


Dying of the Light (La Sentinelle) de Paul Schrader avec Nicolas Cage, Anton Yelchin et Irène Jacob (2015)