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11 juin 2023

Grand Prix

Friand des films de ce que l'on pourrait appeler l'âge d'or de John Frankenheimer, qui correspond quasiment à toutes les années 60, convaincu et séduit par le savoir-faire de ce cinéaste atypique, aux inspirations délicieuses et aux expérimentations osées, dont il faisait alors étalage, j'étais très curieux de découvrir enfin Grand Prix, le premier film d'une telle envergure entièrement consacré au monde de la Formule 1, sorti en 1966, soit quelques années avant Le Mans, piloté par l'as du volant Steve McQueen, et bien longtemps avant le sympathique Rush de Ron Howard et le moins prenant Ford versus Ferrari (aka Le Mans 66) de James Mangold. Réunion de quelques grandes vedettes multinationales de cette époque (Yves Montand, James Garner et Toshirō Mifune, côté mecs ; Eva Marie Saint, Jessica Walter et Françoise Hardy, côté meufs), Grand Prix dure trois bonnes heures et présentent, pour faire simple, deux profils : l'un très avantageux, l'autre beaucoup moins... Du bon, il y a toutes les scènes de course, tout simplement. Par bonheur, elles doivent tout de même bien constituer 40%, si ce n'est un peu plus, de la durée totale, ce qui fait déjà beaucoup et nous permet de tenir sans souci. Du mauvais côté, il y a... tout le reste ! Tout ce qui se déroule hors piste, loin des bolides, et se consacre principalement à la peinture psychologique rudimentaires et aux pénibles déboires sentimentaux de nos pilotes hors pair.


 
 
Dès le générique, qui nous saisit par le colbac, on sait que l'inspiration de John Frankenheimer était bel et bien au rendez-vous quand il s'agissait de mettre en boîte les courses de F1. Secondé par le génie du célèbre Saul Bass, le talent du cinéaste fait des premières minutes de Grand Prix un pur délice visuel et auditif, un vrai régal pour les sens, au pouvoir de fascination indéniable et toujours intact. Cette introduction, d'un bon quart d'heure, se déroule lors du fameux prix de Monaco, elle nous place d'emblée sur les pistes et plante efficacement les différents protagonistes par le biais d'interventions de chacun d'eux en voix off lors de petites parenthèses successives efficaces. Comme à sa bonne habitude, le cinéaste n'est pas avare en effets divers et variés, pleinement mis au service de l'action et de l'intensité. Il y va fort mais ça n'est pas gratuit ni vain car cela provoque véritablement l'effet escompté. Split screens en veux-tu en voilà, caméras embarquées dans le cockpit ou sur la carrosserie dérisoire des engins, à ras du bitume, vues aériennes bluffantes de maîtrise, aux mouvements gracieux, brefs inserts répétés et parfois boostés par des zooms, j'en passe et des meilleurs : tout est là pour nous immerger à fond dans l'ambiance de la course et, surtout, nous donner une impression de vitesse incroyable car bien réelle. John Frankenheimer n'étant pas du genre à tricher là-dessus, il n'a pas souhaité trafiquer la vitesse de l'image en post-production et cela se voit : rien n'est du chiqué. Pour renforcer cette impression si palpable, les images sont évidemment accompagnées du son des moteurs, mis à rude épreuve, rutilants, et qui, de près puis de loin, amplifiés par les ruelles de la ville ou assourdis par la côte ouverte sur la mer, composent une drôle d'harmonie. Bref, on y est, on a là ce qu'on était venu chercher. Toutes les autres courses seront du même acabit et constitueront de grands moments d'action pure. Le réalisateur s'y fait plaisir, flirtant presque avec une sorte d'abstraction en poussant si loin le bouchon du bruit et de la vitesse.



 
Les choses se gâtent donc dès que le film s'éloigne des pistes. Heureusement, le charisme des actrices et des acteurs fait à peu près passer la pilule, mais nous avons quand même droit à pas mal de scènes à l'intérêt très relatif et aux enjeux proches du triste feuilleton télé. On a du mal à se passionner pour le vague à l'âme d'Yves Montand qui, en pleine crise existentielle et bien qu'il soit déjà marié, s'éprend pour la journaliste américaine incarnée par Eva Marie Saint. On se fiche pas mal du pilote américain, très individualiste et aux méthodes parfois douteuses, campé par un bien fade James Garner, qui finit par signer chez l'écurie nippone par pur opportunisme. On éprouve presque un brin de mépris pour le pilote italien, macho notoire et caricature facile qui finit par lasser également la belle Françoise Hardy. Et l'on aimerait davantage se sentir concerné par les envies de revanches et de reconquêtes, amoureuses, fraternelles et sportives, du pilote britannique (Briand Bedford), dont la trajectoire est pourtant la plus singulière du lot. Là-dedans, les femmes sont trop souvent réduites à un rôle accessoire, de faire-valoir, et n'ont qu'une personnalité bien mince, généralement obnubilées par les héros qu'elles suivent malgré leurs vies toujours en danger. C'est sans doute Jessica Walter qui sort du lot, pour sa beauté fragile et son regard émouvant : il parviendrait presque à transmettre ce que le scénario ne véhicule pas vraiment. Par ailleurs, on peut s'étonner que le film ne développe pas vraiment de rivalité entre les pilotes mais insiste plutôt sur cette espèce de fraternité bien masculine les reliant tous. Sur ce point-là, Grand Prix paraît un peu daté, bien qu'il semble dans le même temps dépeindre sans ambage la terrible vacuité des courses (les morts sont nombreuses et parfois d'une étonnante brutalité). Là-dessus aussi, le film a la bonne idée de nous quitter sur un ultime plan réussi, nous laissant un goût amer : on repense forcément à toutes ces morts inutiles quand James Garner, songeur et abattu, se promène d'un pas lourd sur la ligne de départ d'une piste vide, les bruits des moteurs pourtant absents à l'image envahissants s'arrêtant soudainement pour laisser toute place aux pensées mitigées du personnage et du spectateur, en bout de course.
 
 
Grand Prix de John Frankenheimer avec James Garner, Yves Montand, Jessica Walter, Toshirō Mifune et Eva Marie Saint (1966)

25 janvier 2020

Wildlife - Une saison ardente

Wildlife est le premier film derrière la caméra de Paul Dano, si l'on met de côté tous ceux auxquels il n'a pas participé mais pendant les tournages desquels il se situait physiquement derrière le champ couvert par l'objectif. Pour sa première réalisation en tant que réalisateur, l'acteur de 34 ans s'attaque à une adaptation de l'écrivain Richard Ford : le récit d'une dislocation familiale dans le Montana des sixties, vue à travers les yeux d'un ado (Ed Oxenbould) amené à grandir d'un seul coup en observant ses parents se défaire (Jake Gyllenhaal et Carey Mulligan). Après avoir perdu son job, le papa s'en va combattre le feu pour gagner quelques dollars tandis que la maman essaie de s'en sortir en solo, quitte à se résoudre à séduire un vieux type répugnant mais plein aux as...




Paul Dano nous raconte tout ça en prenant son temps, en s'appliquant autant qu'il peut, et en laissant une belle place à ses trois personnages, campés par des acteurs animés du même souci de bien faire. Le tout donne quelque chose de pas désagréable, certes, mais qui manque clairement d'un peu de vie, de souffle. La mise en scène de Paul Dano est très soignée, mais peut-être trop, coincée dans une volonté de joliment faire qui laisse peu de place à l'inattendu. Vraisemblablement désireux de rappeler les fameuses toiles d'Edward Hopper, le jeune cinéaste nous propose toutefois quelques images agréables à la vue. En outre, on peut aussi saluer l'attention qu'il porte aux regards, aux interactions invisibles entre ses acteurs. C'est par là que passe l'essentiel de ce qui se joue entre eux, notamment entre le père et son fils, une relation délicatement dépeinte, qui échappe aux stéréotypes redoutés. Il y a une douceur plaisante et palpable entre les deux êtres. Mais si Jake Gyllenhaal et Ed Oxenbould (une drôle de tronche un peu lunaire, déjà croisée chez Shyamalan dans The Visit) font le taff, il y en a une qui brille tout particulièrement : la maman, Carey Mulligan.




Il y a presque dix ans (ça ne me rajeunit pas), je vous en faisais l'éloge pour son charme mutin et son jeu au poil dans le pourtant médiocre Never Let Me Go. Je prédisais un bel avenir à cette actrice désormais âgée de 34 ans et qui a, depuis, fait des choix plutôt honorables si on la compare à ses semblables : elle n'est jamais apparue dans des blockbusters merdiques, préférant tourner pour des cinéastes plus ou moins appréciés par ici (les frères Coen, NWR, Steve McQueen, Thomas Vinterberg, Baz Lhurmann...), n'atteignant pas cependant le niveau de reconnaissance que l'on pouvait imaginer. Elle est le grand atout de Wildlife, son principal intérêt, celle qui parvient justement à animer un brin les images trop léchées de son réalisateur. Quelques jours après avoir vu Wildlife, on se souvient de son personnage et non du film à proprement parler. D'un physique changeant, pouvant tour à tour se montrer fragile ou supérieure, d'une beauté intimidante ou d'une mesquinerie la rendant disgracieuse, elle focalise l'attention du spectateur en quête d'énergie tout au long de ce récit pas désagréable mais trop atone. Carey Mulligan est un plaisir à voir évoluer là-dedans, elle est la grande attraction d'un premier film avec lequel nous ferons, grâce à elle, preuve d'indulgence. 


Wildlife - Une saison ardente de Paul Dano avec Carey Mulligan, Ed Oxenbould et Jake Gyllenhaal (2018)

20 juin 2019

Nevada Smith

Je n'ai pas grand chose à dire sur Nevada Smith, mais étant co-rédac en chef de ce webzine, je publie. Ce qui me plaît dans ce western de Henry Hathaway sorti en 66, c'est surtout la première demi heure, où le personnage éponyme voit débarquer trois types à cheval, à quelque distance de la maison de ses parents sise dans les collines, leur indique gentiment où elle se trouve, puis se rend compte qu'ils n'ont pas l'air d'être les vieux amis qu'ils prétendent, part à leurs trousses mais arrive trop tard, découvrant que son père et sa mère, une indienne Kiowa (cela aura son importance par la suite, et justifie les mocassins que la star porte jour et nuit d'un bout à l'autre du film), viennent de se faire zigouiller, et que les trois bandits ont déguerpi. A partir de là, de ce crime sordide commis au nom d'un prétendu trésor, de ce véritable massacre (et, à l'image, déjà insoutenable, d'un des tueurs lacérant lentement le dos de l'indienne au couteau, se substitueront ensuite les propos du fils décrivant le spectacle de la mort de ses parents, parlant de corps entièrement écorchés, coupés en deux...), Max Sand, qui ne se fera appeler Nevada Smith que dans la troisième et dernière partie du film, n'aura de cesse que d'obtenir sa vengeance. Un crime originel, puis trois tueurs à abattre, quatre grandes parties en tout. Mais le film est un peu long pour ce programme (deux heures, et des vengeances qui, au fur et à mesure, prennent de plus en plus inutilement leur temps), et la meilleure part est, à mon sens, la première, qui précède lesdites vengeances.




Ce qui me plaît dans cette introduction, c'est la panoplie de gestes étranges que déploie Steve McQueen. Ca commence doucement, quand un brave type veut l'empêcher d'entrer dans sa maison, où gisent les cadavres de ses parents, et fait tomber le pauvre Max, qui s'accroche des deux mains au rail des charriots de la mine d'or, s'agrippant comme il peut pour se dégager et entrer coûte que coûte chez lui, voir ce qu'il en est.




Juste après, McQueen ressort de la maison, dévasté, fixant ses mains en sang qu'il va laver dans l'abreuvoir, puis il y retourne pour verser de l'alcool sur le plancher et mettre le feu. Alors il se met un peu plus loin et s'accroupit dans une drôle de posture pour regarder la maison qui part en fumée. Ensuite un couple d'amis s'approche, tente de le consoler, et conseille à Max de ne pas chercher à se venger. Celui-ci n'écoute pas et part à la poursuite des meurtriers. Il aperçoit alors trois hommes qui bivouaquent près d'une rivière, descend discrètement de cheval, s'approche et les braque en posant son fusil d'une drôle de façon sur une branche d'arbre, dans un geste qui paraît très maladroit.






Maladroit ou pas, le geste n'aboutit pas puisque le temps de régler la mire, Max s'aperçoit qu'il a choisi un poste de tir idéal pour canarder les chevaux des malfrats, mais pas les malfrats... Le temps de changer de plan, un des trois types surgit derrière Max et lui donne un coup. Ce dernier bondit alors sur son agresseur et commence à lui bouffer une oreille, avant de sauter sur un deuxième assaillant comme un chien enragé et de le frapper en écartant les deux bras pour rabattre ses poings en même temps sur les oreilles du malheureux, tel un gorille déchaîné. 





Finalement, les trois types n'étaient pas ceux qu'il cherchait. Max se réveille au petit matin,découvrant que les étrangers, qui lui ont tout de même offert une part de leur repas, sont partis sans lui mais avec son cheval et son fusil. Notre jeune homme va alors errer dans le désert, se restaurant de cœurs de cactus. Il tentera ensuite de braquer un marchand d'armes, Jonas Cord (Brian Keith), qui se jouera de lui, puis le prendra en pitié en découvrant son passé et son projet et lui apprendra à tenir une arme, à tirer, à jouer aux cartes et à boire du whisky, devenant un véritable mentor pour lui.




Et c'est là que le film devient moins intéressant. Parce que Max Sand commence à maîtriser ses gestes, commence à ressembler à un vrai héros de western, et que par conséquent Steeve McQueen n'a plus grand chose d'étonnant à faire, n'a plus beaucoup de ces attitudes corporelles inédites, de cette liberté de mouvements, de ces gestes maladroits, inattendus, géniaux qui faisaient le prix des premières scènes. Le personnage quitte sa précipitation, sa naïveté juvénile et son inadaptation constante, toutes dictées par sa rage insensée, et toutes créatrices, en termes de jeu, d'une corporéité décalée, brutale, fascinante, pour aller vers des calculs froids, des gestes policés (quand bien même ils sont ceux d'un tueur), et une détermination sans affects (même un bon prêtre ne parviendra pas à détourner Nevada Smith de son objectif), qui rendent le personnage beaucoup moins intéressant et enferment le film dans le classique scénario de la vengeance méthodique.





Quelques scènes sont tout de même très réussies dans ces trois grandes parties de chasse à l'homme. Notamment celle où Max affronte sa première cible, Jesse Coe (interprété par ce bon Martin Landau), le confrontant dans un corral où il manque se faire piétiner par le bétail qu'il a lui-même libéré. Juste après ce contretemps, l'ennemi, Jesse, menace Max avec un couteau. Le jeune justicier, qui n'en est qu'aux prémices de ses apprentissages, se retrouve alors perché sur les clôtures, passant de l'une à l'autre pour éviter la lame de son adversaire dans une danse aérienne qui donne à McQueen une chance supplémentaire de nous amuser mais surtout de nous déconcerter (au moins autant que son rival). Il sort vainqueur du duel, mais blessé, et se refera une santé dans le camp indien de Neesa (Janet Margolin), la prostituée Kiowa qui lui avait filé le tuyau permettant de dénicher le premier des trois assassins de ses parents et à qui il reprochera d'avoir troqué ses mocassins contre des chaussures vernies à talons. 




D'autres scènes plaisantes suivront, comme celle de la fuite du camp de prisonniers où Max a fait en sorte d'être détenu pour mettre la main sur son deuxième sbire. L'évasion se fait à bord d'une pirogue, en plein bayou, où Max côtoie le malfaiteur en question et Pilar (Suzanne Pleshette), une ouvrière qu'il a promis d'épouser et qui meurt, mordue par un serpent, furieuse d'avoir servi de rouage dans le triste plan vengeur du traitre dont elle enrage de s'être entichée. La scène est belle, mais on regrette tout de même de n'être bouleversé que par la mort de Pilar, et de se moquer un peu de ce Max Sand trop radicalement devenu Nevada Smith, un tueur indifférent, aux gestes mécaniques, qui ont gagné en efficacité ce qu'ils ont perdu en pouvoir d'éclat.


Nevada Smith de Henry Hathaway avec Steve McQueen, Suzanne Pleshette, Martin Landau, Janet Margolin, Brian Keith, Karl Malden et Arthur Kennedy (1966)

2 avril 2019

Les Veuves

J'y ai cru pendant une bonne heure, puis Steve McQueen et son scénario trop tordu ont fini par me paumer complètement. On retrouve Gillian Flynn, l'auteure de Gone Girl, à l'écriture, et cela se sent. Le pitch de départ est pourtant accrocheur et a priori propice à un polar solide : des veuves de braqueurs tués lors de leur dernier méfait décident de s'allier pour un cambriolage et ainsi régler leurs dettes. Le scénario dévoile progressivement tous ses contours et se veut en réalité très ambitieux. Vers le milieu du film, survient un rebondissement assez énorme qui ne manque pas de nous retourner, mais il se produit au détriment de la cohérence générale et de notre possibilité de croire aux agissements des différents protagonistes... Quand on fait le bilan, on constate aussi qu'il y a de gros courants d'air dans le script si bien huilé de Gillian Flynn.




Fort de ses Oscars emmagasinés pour Twelve Years a Slave et d'une reconnaissance critique déjà acquise, Steve McQueen ne se contente pas d'un simple polar, il tient à jouer sur plusieurs tableaux : le film féministe tout à fait dans l'air du temps et le thriller politique qui dénonce, branché corruption et bavure policière. Au bout du compte, le cinéaste ne choisit pas vraiment de point de vue, dilue trop son récit et échoue malheureusement sur tous les fronts. Son polar manque de pep's et de clarté pour nous scotcher à notre fauteuil. Son propos est un peu trop simpliste pour nous bousculer (en gros, "tous pourris !" nous dit McQueen, d'un côté comme de l'autre). Et ses personnages sont trop voués à être des pantins pathétiques au service d'une intrigue retors pour qu'ils puissent un tant soit peu nous toucher.




C'est bien dommage car il y a quelques idées de mise en scène qui viennent nous rappeler que Steve McQueen peut parfois être un cinéaste inspiré, même quand il s'aventure dans un registre inhabituel pour lui comme l'action. Il choisit alors d'adopter un style assez sec, insistant sur la soudaineté de la violence, sa fugacité, son côté presque accidentelle, et il réussit à produire son petit effet, notamment lors des cambriolages qui ouvrent et concluent le film. Parmi ses inspirations, on retient surtout ce plan-séquence assez ostentatoire mais intelligent et lourd de sens, qui fait suite au discours démago du candidat en campagne donné à la lisière d'un quartier pauvre et délaissé de Chicago. La caméra est littéralement vissée à l'avant de la berline du candidat regagnant ses pénates, elle commence par nous montrer les quartiers pauvres de la ville avant, quelques dizaines de mètres plus loin, d'opérer un simple panoramique pour nous révéler que nous sommes désormais dans les quartiers huppés, là où se trouve son QG, une immense baraque bien chic.




Notons que les actrices sont irréprochables et auraient pu dégager une belle alchimie, mention spéciale à l'élégante Elizabeth Debicki. Hélas, Steve McQueen, trop occupé à mettre en image cette histoire trop compliquée, n'exploite pas suffisamment leur potentiel et nous finissons par regretter de les voir si peu interagir entre elles et agir ensemble. Il y a aussi quelques grands numéros d'acteurs, comme Colin Farrell, infect mais crédible en politicard aux dents qui rayent le parquet, et aussi le grand Robert Duvall, saisissant dans le rôle de son père, un vieux briscard peu fréquentable mais pragmatique et habitué aux manigances politiques. Reconnaissons aussi que Steve McQueen fait preuve d'une certaine humilité en bouclant tout ça en un peu plus de deux heures quand bien d'autres auraient profité d'un tel scénar pour livrer une bobine dépassant allègrement les trois plombes. Mais c'est là un bien maigre compliment, qui permet à peine de relativiser le temps perdu devant ce film pas affreux, certes, mais un peu raté.


Les Veuves de Steve McQueen avec Viola Davis, Elizabeth Debicki, Colin Farrell, Michelle Rodriguez et Liam Neeson (2018)

29 mars 2015

Tu veux ou tu veux pas

Le Maréchal Tonie est appelé à la barre... Accusée, levez-vous. Premier chef d'accusation : plagiat éhonté du Shame de Steve McQueen. Sophie Marceau remplace Michael Fassbender dans le rôle de la sex addict prête à sauter sur tout ce qui bronche. Tonie Marshall a dû changer de titre au dernier moment en découvrant le récent diptyque de Lars Von Trier. Quand Sophie Marceau se demandera-t-elle pourquoi on ne lui propose jamais le moindre rôle de femme intelligente ? Parce qu'en plus d'être nymphomane, son personnage est d'une débilité à tout rompre. Malgré cela, Patrick Bruel, également sex maniac, n'hésite pas une seconde à l'engager comme assistante dans son cabinet de conseiller conjugal. Il faut dire que, malgré ses 60 ans bien tassés, Sophie Marceau met toutes ses formes au service de la fiction. Elle est tirée à quatre épingles dans chaque scène du film, moulée recto verso. Tonie Marshall est le premier réalisateur à la rendre aussi désirable depuis Mel Gibson dans Braveheart. Force est de reconnaître que le sex appeal de la plus bête des comédiennes françaises est toujours au garde-à-vous. On a tout particulièrement apprécié ce pull gris moulant 100% élasthanne qui révèle son buste mieux que si elle ne portait rien. On dirait un moulage en plâtre. C'est pourtant dans la scène où elle est ainsi affublée que Patrick Bruel, qui essaie avec un mal de chien de dompter ses propres démons et ceux de sa nouvelle partenaire, lui dit : "Ah, là, là, là ta tenue est clean. Pour une fois on ne voit rien". Tonie Marshall connaît si mal les hommes, ses congénères...




Deuxième chef d'accusation : plagiat éhonté du style Tom Hooper, breveté à la sortie du Discours d'un roi. Comme dans les films du britannique, chaque cadrage de Tu veux ou tu veux pas laisse une bonne place au vide, tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt à droite et à gauche. On se demande à quel point le format panoramique de l'image, pas du tout adapté à un tel spectacle (sauf peut-être celui qu'illustre l'image ci-dessus...), est à l'origine de ce projet formel. Mais, à vrai dire, Tonie Marshall se révèle plus audacieuse qu'on ne pensait dans ce film. Ce qui nous conduit tout droit au troisième chef d'accusation : plagiat éhonté de David Lynch. On sent lentement venir le truc... Quelques raccords dans l'axe pas naturels, quelques invités mystères planqués au fond du cadre (caméo surprenant de Jean-Luc Godard), un aspect métafilmique assez fort (Sylvie Vartan, dans la BO et au casting ; Jean-Pierre Marielle qui vient jouer son propre rôle dans un bar où il semble avoir son fauteuil attitré), quelques bizarreries notoires (un pressing qui sert aussi de cercle des nymphos anonymes ; à l'intérieur de ce pressing, François Morel, qui hante les lieux dans des scènes glauques où le personnage paraît tout droit sorti de la psychée délirante de Patrick Bruel, qui semble être le seul à le voir, comme si c'était un compagnon imaginaire façon Shining), ou encore un acteur à deux doigts de fumer le film de l'intérieur (André Wilms, qui fabrique des parfums dans un appartement immense dont chaque pièce contient une trentaine de petites lampes allumées, l'acteur carbure à la gnôle et aux micro-siestes - dont une sur l'épaule de Marceau - et laisse parfois exploser sa mauvaise humeur, comme quand, après avoir préparé un lapin aigre-doux pour les deux héros du film, il s'exclame, en se levant : "Bon, après toutes ces tartines de merde, passons au dessert ! Au menu ? Un clafouti aux glaouis !").




Mais Lynch est plus clairement convoqué comme godfather du projet dans une scène totalement à part, une séquence onirique, entre rêve et cauchemar, entre Apitchatpong et Dupieux, où Marceau, après avoir trinqué avec Jean-Pierre Marielle (qui quitte quand même le plateau sans prévenir, au beau milieu d'un dialogue, avec ces mots : "Bon, c'est pas tout, mais j'me casse"), se retrouve seule au comptoir. Soudain, on voit apparaître derrière elle des lapins humains qui déambulent dans le café, clin d’œil direct à Alice au pays des merveilles de Carl Lewis, en même temps qu'à Shining, de nouveau, et à Inland Empire. Mais ça ne s'arrête pas là. Quelle joie de retrouver Patrick Braoudé après tant d'années d'absence, lui qui a régné sur la comédie française dans les années 80 et 80, et qui a su laisser sa place à une jeune génération qui n'a pas saisi la perche et qui déjà négligeait son héritage. 




Il fait ici son comeback, avec un grand K, dans le rôle d'un écureuil pilier de bar. Sous le costume, hallucinant, on découvre que l'acteur-réalisateur culte est devenu un sosie officieux de François Hollande, la myopie en moins. Mais il faut voir le bon côté des choses, il a un pied-à-terre chez Julie Gayet. A condition toutefois de la boucler, car sa voix unique, enraillée, effacée, aspirée, inspirée, coiffée, décoiffée, véritable madeleine de prout pour nous autres fans de l'artiste, qui nous rappelons encore les neuf mois passés avec lui après un divorce douloureux, se reconnaîtrait entre mille. L'homme se révèle parfaitement lynchéen, on découvre son côte Bill Pullman tandis qu'il devise avec l'autre cruche dans son costume d'écureuil à queue remuante. Un membre de la famille Marshall, stagiaire de 3ème, se chargeait de secouer la queue du comédien, dans laquelle était d'ailleurs dissimulée la perche du preneur de son, ce qui nous vaut un dialogue doublement lynchéen et de nouveaux couacs audiovisuels. Car le film en est rempli. On ne citera que ces plans en amorce où l'on peut compter et recompter les pelloches contenues dans le quart nord nord-ouest de la chevelure de Patrick Bruel, sosie quant à lui officiel de Stéphane Plaza.


Tu veux ou tu veux pas de Tonie Marshall avec Sophie Marceau, Patrick Bruel, André Wilmz, Sylvie Vartan et François Morel (2014)

27 janvier 2015

Bilan 2014


Chaque année, nous faisons partie des derniers blogueurs ciné à livrer leur verdict sur l'année cinématographique passée. Chaque année, nous invoquons de nouvelles excuses ; cette fois-ci, nous attendions d'avoir vu Dracula Untold avant de boucler nos classements. En janvier 2011, c'est à reculons que nous nous étions soumis pour la première fois à cet exercice ; pas préparés, nous avions à peine été capables de fournir un malheureux top 5 chacun. En janvier 2012, c'est à reculons que nous nous étions adonnés pour la deuxième fois à cette pratique désormais incontournable et, pour la franchir, nous avions eu la chic idée d'unir nos forces, lors d'une froide après-midi d'hiver, autour d'un kefta-chocolat auch, passée à rédiger ensemble et sans effort une fine analyse de l'an de grâce cinématographique 2011, accompagnée du top officiel de QT, livré un exclusivité. En janvier 2013, rebelotte : kefta, chocolat, et c'était plié. Mais, déjà, l'écriture se  faisait plus laborieuse, la difficulté de l'exercice nous rattrapait et l'année suivante, cette "session" où la rédaction du top annuel était seule à l'ordre du jour, se transformait en un épinglage en règle d'un film de Rob Reiner que nous gardions depuis trop longtemps en travers de la gorge. C'est donc séparément, sans ardeur, que nous avions écrit puis regroupé nos grifouilles, surtout satisfaits de se débarrasser de ce fardeau régulier. Aujourd'hui, alors que des kilomètres nous séparent, nous avons choisi de faire plus court et, après des années de tergiversations, nous allons pour la première fois vous proposer un top commun, réunissant donc nos films préférés de 2014 en un seul et même classement de 20 titres. Une décision prise face à la si grande similarité de nos tops respectifs, et malgré la présence, un peu embêtante pour l'un d'entre nous, du Gone Girl de David Fincher. Voici donc notre top 2014 :



http://ilaose.blogspot.com/2014/02/tonnerre.html
 

http://ilaose.blogspot.com/2014/07/bird-people.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/04/night-moves.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/05/the-battery.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/04/aimer-boire-et-chanter.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/03/her.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/12/mister-babadook.html

 


1/ Under the Skin
2/ Tonnerre
3/ Deux jours, une nuit
4/ Bird People
5/ Night Moves
6/ The Battery
7/ Aimer, boire et chanter
8/ Her
9/ Mister Babadook
10/ Sils Maria
11/ Still the Water
12/ Les Bruits de Recife
15/ Sunhi
16/ P'tit Quinquin
18/ Boyhood


Il aura été assez difficile cette année d'établir un ordre précis, surtout en tête de classement. Aucun film ne s'est véritablement et très nettement détaché à nos yeux. Au lieu d'un élu écrasant, trônant seul et de façon incontestable sur l'année, on perçoit plutôt, couronnant le tout, un lot de très beaux films avec leurs petits défauts, des œuvres pour le moins différentes mais ô combien estimables. Puisqu'il en faut une, la première place revient à Under the Skin du surdoué Jonathan Glazer, peut-être le film le plus surprenant, le plus remuant, le plus ambitieux, qui sait, de l'année. Nous ne l'avons pas encore critiqué dans ces pages mais il a suscité une longue et foisonnante conversation entre tous les membres de la rédaction, trop longue et trop foisonnante sans doute pour que l'un d'entre nous trouve le courage de s'y attaquer dans un article. Pourtant le cœur y est.


Kleber Mendonça Filho, retenez ce nom, il aura une Palme un jour ! Les Bruits de Recife, son "soap opera filmé par Carpenter" est déjà une belle proposition de cinéma et, surtout, une sacrée promesse.

Deux autres films de notre top 10 n'ont pas généré de bafouilles sur ce blog, à commencer par l'excellent film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, œuvre profondément bouleversante, aussi galvaudé que soit ce mot. Comme d'autres grands films de cette année (ceux de Pascale Ferran ou de Spike Jonze, par exemple), celui des Dardenne prend notre époque à bras-le-corps (avec une triste mais évidente justesse, n'en déplaise à certains critiques pourtant habitués à mieux, qui lui ont reproché de s'arranger avec la vérité et n'ont que prouvé leur terrible méconnaissance de ladite vérité, celle du monde contemporain en général et de l'entreprise en particulier), et hausse à un niveau encore jamais atteint le cinéma des frères aux pieds palmés venus tout droit des Awires, mot compte automatiquement double au Scrabble. Tout compte double avec les Dardenne : ils sont deux, ils ont deux Palmes, l'histoire de leur dernier film se déroule sur deux jours, et ils possèdent bien deux paires de couilles grosses comme des marmites.


Le petit Ellar Coltrane zieute la même chose que nous : ce petit téton qui pointe sous le débardeur de sa mère.

L'autre "lauréat" de notre bilan qui ne figure pas encore parmi les 1040 titres (toujours bon à rappeler) de notre index, c'est Sils Maria, de l'ami Olivier Assayas, qui fêtait ses 60 ans hier (bon anniv Ounivié !). Ce film à double visage, qui puise dans toute une histoire du cinéma au risque de manquer de surprises, mais se révèle par ailleurs d'une rare maîtrise et permet à son auteur de renouer avec les sommets, trouve une place logique et somme toute assez confortable à mi-chemin de notre grand classement commun. Les autres films ? Inutile d'en dire plus, nous les avons pour la plupart critiqués (cliquez sur les liens, y'a de l'hypertexte à tous les étages sur ce blog à la pointe). Mais ne tardons plus et passons directement à l'essentiel, autrement dit à vos classements, le top et le flop de nos chers lecteurs :



http://ilaose.blogspot.com/2014/03/12-years-slave_4.html


Même si nous avons chaque année beaucoup de titres en commun, c'est la première fois que nous partageons le même n°1 que vous, et nous en sommes ravis. Under the Skin, pour le coup, domine votre classement de la tête et des épaules. L'écart qui le sépare des suivants est vertigineux. Pour le reste, le classement a somme toute bien fière allure et, si cette phrase a le moindre sens, nous pouvons dire que nous ne sommes pas peu fiers de nos lecteurs.

Autant d'ailleurs pour votre Top que pour votre Flop, qui réunit une belle envolée d'oies galeuses sur lesquelles, pour une bonne partie, nous avons tiré à feu nourri cette année (à commencer par vos trois vainqueurs, 12 Years a Slave, Lucy et Maps to the Stars, mais aussi l'inévitable Gilliam qui obtient un zéro pointé pour son archi-naze Zero Theorem). Autant d'oiseaux de mauvais augure que nous sommes ravis de voir s'éloigner pitoyablement vers les rivages de l'opprobre avec des tonnes de plomb dans l'aile. Un seul film nous semble injustement mitraillé, le très clivant Her de Spike Jonze, qui arrive 7ème de ce par ailleurs très juste flop infamant et 10ème de votre glorieux top (exploit déjà réalisé par David Cronenberg avec Cosmopolis en 2012 et par Harmony Korine avec Spring Breakers en 2013).

On remarque, statistiquement parlant, et on en terminera sur cette analyse, que le flop contient six titres de films en un seul mot. Six sur dix ! Après un petit calcul nous pouvons assurer que cela représente 60% des suffrages. Hasard ou coïncidence ? Claude Lelouch hésite en clignant des paupières comme un dingue, mais une chose est sûre, c'est que les films dont le titre tient en un mot sont manifestement plus menacés d'être à chier et de finir épinglés sur le mur de la tehon en fin d'année. Ceci expliquerait peut-être la présence forcée de Her dans le flop, malgré ses indéniables qualités. Et aurait pu justifier que Nymphomaniac y finisse aussi, qui le mérite, du coup, objectivement. Ceci est, quoi qu'il en soit, un sérieux avertissement lancé aux cinéastes qui s'apprêtent à sortir un film en 2015.


 A coup sûr, l'une des tronches marquantes de l'année 2014.

Que dire pour conclure ? Sinon merci. Cette année encore, vous avez été nombreux à participer aux votes, et nous tenons à vous remercier. Notamment Fabrice Guedon (aussitôt rebaptisé, au vu de son top tonitruant, Fabrice Guedin), Sylvain Métafiot (notre ptit, ptit, ptit, ptit métafillot), Pierre Guilho (qui a toujours du mal à établir son top de fin d'année, la faute à une persistance rétinienne de malade qui fait que les images des films de l'an passé sont encore imprimées dans sa tronche) Olivier Père (et Dieu sait que nous vous engageons à régler votre pas sur le pas de notre Père), Hamsterjovial (nous aimerions que ces jours où il est en verve et nous lâche quelques uns de ces commentaires dont il a le secret soient des jours sans fin), Le Ciné-Club de Caen (des années que nous envoyons nos souscriptions sous forme de chèques et toujours pas reçu le moindre programme, ça tourne au moins ?), Gondebaud (qui cette année nous a un peu fait faux bon de gaud), Thibault et Olivier (nos dirlo photo travelo), Édouard Sivière (qu'on attendait au tournant sur Night Moves - Nage Nocturne en VF - cette année), Max L. Ipsum (dit "Max l'Opossum" sur Senscritique.com), Camille Larbey (dont le top est tout à fait zarbey), Céline P. (que nous remercions pour les triples glaucomes dus à l'ancienne présentation de son, au demeurant, très chouette blog), le dr. Orlof (accro à la piquouse, et qui ne nous en a donc pas trop voulu d'avoir loupé son giga anniversaire cette année, une patte ce doc, bon anniv ! on est dans les temps ?), Inisfree (c'est quand que tu payes ta tournée ?!), Guillaume A. (la ramasse sur le flop, comme d'hab), Josette K. (notre chef machino, à gauche, sous le lien, sur la photo), Émilien (qui n'a pu voir que les films qui passaient dans le quartier chinetoque de Paname...), Jean-Pascal Mattéi (qui n'a pas mattéi grand chose cette année, si ce n'est son pote Taddéi), Asketoner (littéralement "demandez-le à elle", donc vous gênez pas), Fred MJG (quand se décidera-t-elle a changer de boîte mail ? Pour la 3ème fois, on ne reçoit pas tes messages !), Kevin Watrin (il a changé la première lettre de son nom, ça a changé sa vie), Victor Coulon (& the gang), Tepepa (test), Semmelweis (si vous pouviez nous en ramener un ou deux de votre prochain séjour en Suisse ? paraît que ça porte la chkoumoune !), Nolan (le changement de nom, ça suit son cours ?), Rick et Pick (mais aussi leurs acolytes Colégrame, Bour et Bour et Ratatam), Mathieu Ash (tes souhaits), Magenta Prod (frère de Pascal ? On espère pas...), et d'autres, nous avons sûrement oublié des noms, que leurs porteurs se manifestent gentiment et nous pardonnent, ou se taisent à jamais.


On espère à présent que l'année 2015 sera faite de moments de grâce, comme ceux qui parsèment le beau Still the Water de Naomi Kawase.

Mais remercions aussi nos collaborateurs fidèles de cette année, à commencer par celui qui, pour la première fois, a maté des films, déjà, puis a chaussé ses lunettes et pris la plume, nous avons nommé Vincent, routier cinéphile en direct de Salamanque (où il est connu comme le loup blanc sous le surnom de Piso 2C), mais aussi les vieux routards : Poulpard, jamais avare en racontards, Joe G. et ses multiples avatars, qui ne perd pas une occasion de foutre tout le monde mal à l'aise, Nônon Cocouan, juge et parti dans cette affaire, toujours prodigue en coups de latte pour ses têtes de turcs favorites, et puis Simon, le "darron", fan de Dominique A.(bus de voix aigüe est dangereux pour la santé) et dénicheur de gros coups invétéré (mais après coup).

Merci à tous d'avoir participé à ce bilan 2014 et, d'une manière ou d'une autre, à la vie de ce blog, que nous espérons encore longue en votre compagnie.

4 mars 2014

12 Years a Slave

Douze ans de malheur nous dit le titre, mais 144 minutes de pur bonheur pour le spectateur, 2h10 de grand délire. Un vrai pied. Les Oscars l'ont dit et ont signé ! On n'en attendait pas moins de Steve McQueen qui, après Lincoln et Django Unchained, s'inscrit dans la vague des films de plus de deux heures sortis sous Obama et se donnant pour mission de rouvrir les cicatrices pour mieux, in fine, panser les plaies. Solomonde Northrup est un homme noir libre capturé et réduit en esclavage pour douze ans. Notre homme (incarné par Chiwetel Ejiofor), non content d'être enferré et forcé à trimer dans les champs de coton, est affublé du surnom de "Platt". Il passe par toutes les péripéties de la vie d'esclave, et McQueen nous place face à quelques scènes coups de poing : le héros pendu à une branche d'arbre et ne touchant le sol que du bout des pieds dans une scène interminable ; le même contraint par son maître à fouetter jusqu'à l'os une de ses amies, etc. McQueen, un peu moins pontifiant que d'habitude avec ce sujet plus gros que lui, n'en reste pas moins un discoureur sans finesse, toujours plus ou moins pile poil là où on l'attendait. On a d'ailleurs évidemment droit à ce qu'on attendait le plus dans tout ça : un regard-caméra poignant (dans une scène entièrement consacrée à cela), de ceux qui en disent long et nous mettent face à nos responsabilités.




Mais ce regard n'est pas la seule chose appuyée dans ces 2h10 de scènes édifiantes destinées à passer en boucle sur les écrans de tous les cours d'histoire du monde. La séquence du fouet, pour y revenir, se clôt quand la jeune victime, interprétée par l'oscarisée Lupita Nyong'o, s'écroule, épuisée, sur le piquet auquel elle était attachée, lâchant le ridicule petit morceau de savon qu'elle était partie chercher dans le domaine voisin et qui lui a valu cette horrible punition. Le cinéaste fait alors un panoramique descendant vers ce petit morceau de savon blanc tombé dans la terre, symbole de la pureté souillée de la jeune esclave, de sa dignité bafouée. Ce passage, au symbolisme légèrement surfait et déplacé, donne uniquement envie de revoir L'Impératrice Yang Kwei-Fei de Kenji Mizoguchi, avec son lent travelling avant en plongée dans les pas de l'impératrice sur le point d'être pendue, et qui abandonne ses bijoux puis ses souliers sur le chemin de la potence. On est loin d'une telle poésie avec la volonté de signifiance déterminée et la lourde insistance de sieur McQueen, moins cinéaste que discoureur, dont l’œuvre tend définitivement vers le film scolaire ultra lisible façon La Couleur pourpre de Spielberg.




Comme souvent dans ces cas-là, le cinéaste adapte une histoire vraie. Et comme souvent, il choisit un "destin" comme disent les annonceurs, l'histoire hors-normes d'un personnage atypique. On se retrouve donc avec, pour héros, un homme libre, propre sur lui, éduqué, bon mari et bon père, habile violoniste en prime, qui est victime d'une injustice au carré (réduit en esclavage d'une part, première injustice, mais le "méritant" encore moins qu'un autre puisque lui est né libre, n'a rien à foutre là, et a été victime d'une tromperie ignoble, deuxième injustice), et qui s'en est sorti pour ensuite mener un combat exemplaire contre l'esclavage et écrire un livre intitulé, on vous le donne en mille : 12 years a slave. Il est assez triste au fond que McQueen n'ait pas écrit une histoire, inventée de toute pièce, pour faire le portrait d'un esclave banal, non pas d'un cas si spécifique qui atténue paradoxalement l'injustice subie par tous les autres de par la nature double de celle qui l'accable. Cette échelle des souffrances que crée le film est d'autant plus gênante que bien paradoxale (au fond Northrup est au moins né libre, et le retournera, son calvaire personnel, déjà atroce, n'ayant duré "que" 12 ans, contrairement à celui de tous ces noirs nés et morts enchaînés). Le cinéaste a sans doute eu tort de penser qu'il fallait au public contemporain un pôle d'identification bien confortable (le héros est au départ "comme nous", c'est-à-dire un homme libre) pour se laisser sensibiliser à la question de la traite négrière et s'émouvoir du sort des esclaves.




En outre cette histoire vraie paraît sinon fausse du moins écrite par un scénariste besogneux : tout arrive comme prévu, et on prédit chaque événement sans effort. L'arrivée impromptue de Brad Pitt dans la dernière demi-heure étant la cerise sur le gâteau. Le bellâtre débarque avec ses longs cheveux blonds et son collier de barbe grisonnant, déblatérant dans cet accent du sud qu'il nous inflige maintenant régulièrement et qui empire à chaque fois. Il a produit le film et s'y est octroyé le putain de beau rôle, celui du deus ex machina, de l'homme sans attaches, du voyageur progressiste et visionnaire, qui plie l'affaire du film d'une petite lettre envoyée en recommandé à qui de droit. C'est cool, Brad, mais les gens t'aiment bien en général, rassure-toi, inutile de t'acheter une belle image dans un film comme celui-ci, ça ne te grandit pas des masses...


12 Years a Slave de Steve McQueen avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch et Brad Pitt (2014)

13 janvier 2012

Shame

Il y a des films comme ça sur lesquels on ne trouve rien de spécial ni d'intéressant à dire. C'est le cas, en ce qui me concerne, de Shame, le deuxième long métrage de Steve McQueen. N'est-ce pas un peu triste ? Quand un film minable m'a plombé une soirée, je peux au moins garder le bon souvenir que fut la rédaction de sa critique, où je ressentis très naturellement le plaisir de zigouiller le film en question. Je pense par exemple à Thor, Hesher, ou Insidious. Shame est infiniment mieux que ces trois exemples, mais je vous avoue sans détour que c'est un effort pour moi d'écrire un petit papelard sur ce film. Alors pourquoi le faire ? Parce que je suis un blogueur ciné, parce que ce film était l'un des plus attendus de la fin d'année 2011, parce qu'il divise plus ou moins et qu'il est donc bon, quand on l'a vu, d'en dire quelques mots histoire de se situer sur l'échiquier critique ! Tu parles... Je torche un papelard, je torche un papelard, foutez-moi la paix !



Je suis pourtant allé voir ce film au cinéma, animé par les plus louables intentions et dans les meilleures conditions possibles : VO sous-titrée, son impeccable, écran géant, place d'ordinaire réservée aux handicapés, confort extra, calebard XXL et McDo à la clé sans avoir à sortir un seul péso de ma poche ! Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour que je sois pleinement réceptif à l’œuvre de McQueen, avant, pendant et après. Impossible de "passer à côté". Or, j'ai passé tout le film dans un entre-deux plutôt désagréable, trouvant tour à tour le film assez intéressant ou des plus agaçants. Une chose est sûre, et je ne ferai pas preuve d'originalité en disant cela : Michael Fassbender porte le film à bout de zgeg dans un rôle pourtant difficile d'homme souffrant d'une sévère addiction sexuelle. L'acteur est réellement bluffant et parvient presque à lui seul à nous captiver. Je ne peux pas en dire autant de la mise en scène de Steve McQueen, parfois élégante et juste, je le reconnais, mais aussi très souvent énervante car trop maniérée, presque poseuse, étouffante.



Shame m'a donc paru enchaîner les temps forts et les temps faibles, ces derniers étant certainement plus marquants que les premiers. Je pense par exemple à cette scène se voulant à coup sûr très émouvante où l'actrice Carey Mulligan interprète la chanson "New York New York" quasiment a capella. Une scène d'une longueur et d'une lourdeur équivalentes, terribles, où il commence par se passer quelque chose, certes, où l'actrice risque gros et se met à nu, à l'évidence, mais beaucoup trop tape-à-l'œil, carrément lourdingue. J'avoue m'être senti très mal à l'aise pour l'actrice et pour le film en général, chose qu'il est assez rare que je ressente à ce degré-là. Il faut aussi que je précise qu'à côté de moi était assis mon frère Poulpard aka "Brain Damage" qui s'est alors mis à soupirer si bruyamment que j'ai d'abord cru que la climatisation de la salle avait sauté. Cette scène-là l'a dégommé sur place, et à partir de ce moment il se serait même tiré de la salle si je n'avais pas été à ses côtés... Cette scène-clé, assez osée, il faut le reconnaître, est pourtant décrite par certains critiques comme l'une des plus belles qu'on ait pu découvrir au cinéma en 2011. "Agree to disagree !" Ce fut pour moi un véritable calvaire et j'emploie là un terme fort mais qui correspond totalement à ce moment si pénible.



L'actrice aux petites fossettes, véritablement sur tous les fronts en 2011, parvient tout de même à s'en relever. Suffisamment, en tout cas, pour que sa relation avec son frère (Fassbender donc) soit l'un des aspects les plus réussis du film. Car à part ça, j'ai eu l'impression que McQueen ne faisait pas grand chose du sujet pourtant assez original et intéressant dont il a audacieusement décidé de se saisir : l'addiction sexuelle de son personnage principal. Le cinéaste choisit de nous dresser le portrait d'un homme malade sans avoir un regard critique ni explicatif sur sa condition ; son film pourrait en ressortir grandi, mais ici, bien au contraire, à force de jouer avec cette distance fragile dans le traitement de son personnage, Steve McQueen finit un peu par ennuyer et par nous laisser un goût d'inachevé. En outre, quand le jeune cinéaste nous donne des pistes nous expliquant l'origine de l'addiction du frère et de l'état dépressif de la sœur, il le fait via des dialogues faussement sibyllins ("We're not bad people. We just come from a bad place.") qui ont plus eu le don de m'agacer qu'autre chose. Sans crier à l'arnaque totale, puisqu'il y a aussi quelques bonnes choses dans Shame, je ne ferais donc clairement pas partie des ardents défenseurs de ce film. Après le déjà très remarqué Hunger (que je n'ai pas vu), Steve McQueen reste un cinéaste à suivre, mais il demeure encore un simple espoir qui a toujours tout à confirmer. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il gagnerait peut-être à être plus modeste et moins sûr de lui, car il commet ici quelques maladresses assez fâcheuses, comme lorsqu'il nous montre son personnage se résigner à un rapport homosexuel, plus honteux que jamais...

Quatre paragraphes, sur un film dont je pensais n'avoir rien à dire ? Le tout sans aucun jeux de mots foireux sur le titre du film ? Et, surtout, sans jamais tomber dans certaines facilités, comme celle qui consistait à vous avouer que je souffre de la même maladie que Michael Fassbender (sauf que je n'ai pas du tout son physique*, ce qui me rend les choses infiniment plus compliquées) ? Je m'en contente !


*A ce propos, je signalerai à notre lectorat préférant les hommes que l'on voit très souvent l'acteur dans son plus simple appareil, ce qui nous permet de constater qu'il est justement fort bien appareillé. Pour être plus précis, son mastodonte m'a semblé implanté anormalement bas, ce qui le fait passer pour long alors qu'il est très vraisemblablement de taille normale, en tout cas pour un européen. Son cul, par contre, m'a paru tout à fait anormal. Très carré, peu dodu, très sec, je me suis dit que le mien devait être plus sympathique au toucher. J'en ai assez fièrement fait part à ma compagne et celle-ci m'a rétorqué que Fassbender était très bien bâti à ce niveau-là comme aux autres et que c'était plutôt moi l'anormalité avec mon "boule de meuf". Je n'en suis pas encore tout à fait remis. Quand j'y repense, malgré le McDo et compagnie, c'était pas une si bonne soirée que ça...


Shame de Steve McQueen avec Michael Fassbender et Carey Mulligan (2011)