Mystery Road est le quatrième long métrage du réalisateur aborigène Ivan Sen et il est tout à fait honteux qu'il ne soit pas distribué dans notre cher pays de cinéphiles. Dès les premières images, on sait que l'on tient-là un film qui a de l'allure. Un esthète se trouve derrière la caméra, un cinéaste dont je serai désormais très curieux de découvrir les précédents films. Un homme qui sait magnifier le format Scope et propose très souvent des cadres impeccables, limpides, intelligents, sans jamais être bêtement tape-à-l'oeil. L’esbroufe ? Connait pas ! La mise en scène d'Ivan Sen est d'un classicisme revigorant, d'un style raffiné et d'une élégance discrète. C'est pas si courant ! Quand on voit ça, ça paraît simple comme bonjour, mais croyez-moi, c'est pas si courant ! On a donc aucune difficulté à s'installer dans Mystery Road, car tout y est confortable et avenant. On s'y sent immédiatement très bien.
Et puis dès que l'on voit apparaître le héros, déjà, on a cette certitude implacable : ce type-là est le héros du film. Il n'y a qu'à voir son allure, là encore ! Ça ne s'invente pas. Dès qu'il apparaît, on sait qu'on le suivra avec plaisir, où qu'il ira. Même quand il aura fermé sa centaine de portes, même quand il aura pleuré pour les enfants d´un autre, même quand il aura éteint ce qui brûlait le mieux, même s'il part plus loin que ne portent mes yeux, où il ira on le suivra... Quand surgit Aaron Pedersen à l'écran, c'est bien simple : on a du Francis Cabrel qui nous vient dans la tronche, automatiquement. Peut-être ai-je un faible naturel pour les êtres humains venus des antipodes, je l'ignore, toujours est-il qu'à mes yeux, Aaron Pedersen est un sacré bel homme. Un acteur comme ça, ça nous change des zonards hollywoodiens actuels. Captain America peut aller se rhabiller (c'est tombé au hasard sur lui, ç'aurait tout aussi bien pu être Thor ou Tatum). Avec son chapeau blanc très smart, son blue-jean fatigué et ses grosses santiags de cowboy, sa barbe d'une semaine plutôt négligée, presque poisseuse, sa peau tannée et ses rides de caractère, sa voix d'outre-tombe et son accent étrange, Aaron Pedersen dégage quelque chose de peu commun. L'acteur, également d'origine aborigène, incarne ici un flic qui doit tout simplement enquêter sur le meurtre d'une jeune fille dont le corps a été retrouvé près de la route donnant son titre au film, au beau milieu de l'outback australien, c'est-à-dire de nulle part.
Le film est parsemé de vues aériennes des quelques villes misérables et somnolentes que notre héros solitaire traversent en bagnole, à la recherche d'indices. Ces quelques plans viennent appuyer le discours très clair et tranché d'Ivan Sen sur l'état critique de cet arrière-pays où il a grandi. Un endroit qu'il faut fuir, une zone hantée par des âmes en peine, des laissés pour compte ou des crapules, un sale coin, oublié, corrompu, où les forces de l'ordre n'hésitent pas à aligner les gosses en rang d'oignon pour leur faire les poches, où des échanges frauduleux se font au loin, sur les routes désertiques, à l'abri des regards indiscrets, avec les chiens sauvages et efflanqués comme seuls spectateurs. La misère, la violence sociale et les tensions raciales de l'Australie rurale sont très sobrement dépeintes mais participent grandement à l'atmosphère singulière du film. Mais tout n'est pas noir pour Ivan Sen, il reste de l'espoir, comme nous l'indique son joli plan final, où le héros renoue silencieusement avec sa famille, et comme le suggère également le traitement réservé au personnage interprété, très brillamment, par Hugo Weaving. Jusqu'au bout, on pense qu'il s'agit du plus pourri des flics, avant qu'un dernier retournement nous révèle ses réelles motivations. Ce n'est peut-être pas grand chose, certes, mais il est déjà bien rare, aujourd'hui, d'être agréablement surpris par ce genre de ressort scénaristique. Sevré de films de genre idiots, on envisage toujours le pire et le plus convenu. Dans ce contexte, des œuvres intelligentes comme Mystery Road et The Rover font un bien fou !
Mystery Road était pourtant un pari plutôt risqué le soir où je l'ai lancé... Deux heures dans le bush australien, en compagnie de parfaits inconnus, devant et derrière la caméra, réunis par un pitch a priori tout à fait banal. J'étais crevé, j'avais peur de m'endormir fissa. Et ça n'a pas loupé. J'ai fini par pioncer devant, même si j'ai tenu bien plus longtemps que je l'imaginais, car j'étais déjà emballé. Dès mon réveil, au petit matin, j'ai donc relancé le bouzin. Je ne l'avais pas quitté, j'étais encore dedans. Certes, je l'avoue, l'enquête de ma nouvelle idole australienne patine quelques fois. On se demande, a posteriori, pourquoi Ivan Sen nous a montré tel ou tel événement. Pourquoi, par exemple, nous faire voir les étapes les plus anecdotiques de l'enquête du héros ? Je pense surtout à cette scène où nous le voyons composer un numéro de téléphone, constater que personne ne décroche, avant de se rendre directement à l'adresse visée. Le réalisateur n'aurait-il pas pu, via une petite ellipse bienvenue, nous montrer d'emblée Aaron Pedersen frapper à la porte de la personne convoitée ? On n'aurait guère crié au scandale, on ne se serait pas dit "Hé ! Il appelle même pas avant de se pointer ?! Non mais quel malpoli !". Si c'est ce qu'Ivan Sen redoutait, c'est dommage, car ça serait passé comme une lettre ça la poste... Bref, il y a donc des petites étrangetés comme celle-ci qui parasitent quelque peu le rythme du film, mais rien de rédhibitoire. D'autant plus qu'Ivan Sen a le bon goût de nous quitter en beauté, en nous donnant pratiquement l'envie d'y retourner. Comment, en effet, faire l'éloge de son film sans évoquer la longue fusillade finale, filmée par quelqu'un qui donne de nouveau l'impression d'être lassé des productions américaines et de vouloir rompre intelligemment avec ce que l'on a trop l'habitude de voir. Ce traitement réaliste, très cohérent, apporte un réel intérêt à cette séquence en contribuant à son puissant suspense étale, le temps paraît suspendu. Ce dernier quart d'heure réjouissant n'aurait pas dénoté dans un véritable western, genre avec lequel flirte souvent Mystery Road. Cette scène semble venir récompenser notre patience occasionnelle ; elle conclut magistralement un film, ma foi, hautement recommandable.
Et puis dès que l'on voit apparaître le héros, déjà, on a cette certitude implacable : ce type-là est le héros du film. Il n'y a qu'à voir son allure, là encore ! Ça ne s'invente pas. Dès qu'il apparaît, on sait qu'on le suivra avec plaisir, où qu'il ira. Même quand il aura fermé sa centaine de portes, même quand il aura pleuré pour les enfants d´un autre, même quand il aura éteint ce qui brûlait le mieux, même s'il part plus loin que ne portent mes yeux, où il ira on le suivra... Quand surgit Aaron Pedersen à l'écran, c'est bien simple : on a du Francis Cabrel qui nous vient dans la tronche, automatiquement. Peut-être ai-je un faible naturel pour les êtres humains venus des antipodes, je l'ignore, toujours est-il qu'à mes yeux, Aaron Pedersen est un sacré bel homme. Un acteur comme ça, ça nous change des zonards hollywoodiens actuels. Captain America peut aller se rhabiller (c'est tombé au hasard sur lui, ç'aurait tout aussi bien pu être Thor ou Tatum). Avec son chapeau blanc très smart, son blue-jean fatigué et ses grosses santiags de cowboy, sa barbe d'une semaine plutôt négligée, presque poisseuse, sa peau tannée et ses rides de caractère, sa voix d'outre-tombe et son accent étrange, Aaron Pedersen dégage quelque chose de peu commun. L'acteur, également d'origine aborigène, incarne ici un flic qui doit tout simplement enquêter sur le meurtre d'une jeune fille dont le corps a été retrouvé près de la route donnant son titre au film, au beau milieu de l'outback australien, c'est-à-dire de nulle part.
Le film est parsemé de vues aériennes des quelques villes misérables et somnolentes que notre héros solitaire traversent en bagnole, à la recherche d'indices. Ces quelques plans viennent appuyer le discours très clair et tranché d'Ivan Sen sur l'état critique de cet arrière-pays où il a grandi. Un endroit qu'il faut fuir, une zone hantée par des âmes en peine, des laissés pour compte ou des crapules, un sale coin, oublié, corrompu, où les forces de l'ordre n'hésitent pas à aligner les gosses en rang d'oignon pour leur faire les poches, où des échanges frauduleux se font au loin, sur les routes désertiques, à l'abri des regards indiscrets, avec les chiens sauvages et efflanqués comme seuls spectateurs. La misère, la violence sociale et les tensions raciales de l'Australie rurale sont très sobrement dépeintes mais participent grandement à l'atmosphère singulière du film. Mais tout n'est pas noir pour Ivan Sen, il reste de l'espoir, comme nous l'indique son joli plan final, où le héros renoue silencieusement avec sa famille, et comme le suggère également le traitement réservé au personnage interprété, très brillamment, par Hugo Weaving. Jusqu'au bout, on pense qu'il s'agit du plus pourri des flics, avant qu'un dernier retournement nous révèle ses réelles motivations. Ce n'est peut-être pas grand chose, certes, mais il est déjà bien rare, aujourd'hui, d'être agréablement surpris par ce genre de ressort scénaristique. Sevré de films de genre idiots, on envisage toujours le pire et le plus convenu. Dans ce contexte, des œuvres intelligentes comme Mystery Road et The Rover font un bien fou !
Mystery Road était pourtant un pari plutôt risqué le soir où je l'ai lancé... Deux heures dans le bush australien, en compagnie de parfaits inconnus, devant et derrière la caméra, réunis par un pitch a priori tout à fait banal. J'étais crevé, j'avais peur de m'endormir fissa. Et ça n'a pas loupé. J'ai fini par pioncer devant, même si j'ai tenu bien plus longtemps que je l'imaginais, car j'étais déjà emballé. Dès mon réveil, au petit matin, j'ai donc relancé le bouzin. Je ne l'avais pas quitté, j'étais encore dedans. Certes, je l'avoue, l'enquête de ma nouvelle idole australienne patine quelques fois. On se demande, a posteriori, pourquoi Ivan Sen nous a montré tel ou tel événement. Pourquoi, par exemple, nous faire voir les étapes les plus anecdotiques de l'enquête du héros ? Je pense surtout à cette scène où nous le voyons composer un numéro de téléphone, constater que personne ne décroche, avant de se rendre directement à l'adresse visée. Le réalisateur n'aurait-il pas pu, via une petite ellipse bienvenue, nous montrer d'emblée Aaron Pedersen frapper à la porte de la personne convoitée ? On n'aurait guère crié au scandale, on ne se serait pas dit "Hé ! Il appelle même pas avant de se pointer ?! Non mais quel malpoli !". Si c'est ce qu'Ivan Sen redoutait, c'est dommage, car ça serait passé comme une lettre ça la poste... Bref, il y a donc des petites étrangetés comme celle-ci qui parasitent quelque peu le rythme du film, mais rien de rédhibitoire. D'autant plus qu'Ivan Sen a le bon goût de nous quitter en beauté, en nous donnant pratiquement l'envie d'y retourner. Comment, en effet, faire l'éloge de son film sans évoquer la longue fusillade finale, filmée par quelqu'un qui donne de nouveau l'impression d'être lassé des productions américaines et de vouloir rompre intelligemment avec ce que l'on a trop l'habitude de voir. Ce traitement réaliste, très cohérent, apporte un réel intérêt à cette séquence en contribuant à son puissant suspense étale, le temps paraît suspendu. Ce dernier quart d'heure réjouissant n'aurait pas dénoté dans un véritable western, genre avec lequel flirte souvent Mystery Road. Cette scène semble venir récompenser notre patience occasionnelle ; elle conclut magistralement un film, ma foi, hautement recommandable.
Mystery Road d'Ivan Sen avec Aaron Pedersen, Hugo Weaving, Ryan Kwanten et Jack Thompson (2014)
Personne dit rien, tout le monde est devant le foot, mais moi je trouve que ton papier fait envie !
RépondreSupprimerMerci ! :D
SupprimerFélix, tu as un très beau sens de la déclinaison sérielle, tu devrais te faire programmateur, d'autant qu'il s'agit souvent de films méconnu, bien que contemporains, et que tu souhaites faire découvrir. Après la série des :
RépondreSupprimer« films fantastiques indépendants ne présentant pourtant pas les défauts du “ film indé ”, ni ceux des films gore hyper complaisants dont les “ auteurs ” savent qu'il ne choqueront plus que quelques derniers moralistes invétérés et marqueront en revanche des points faciles chez un certain nombre d'ados et de post-ados décérébrés mais aussi d'esthètes auto-proclamés qui prennent Chan-wook Park et Rob Zombie pour des artistes modernes et intransigeants »
voici la série des :
« films australiens âpres et sobrement violents, tirant le meilleur parti des paysages désertiques de cet immense pays ».
C'est ce que j'appelle avoir de la suite dans les idées !
Ahah, merci ! Je le prends comme un compliment ! ;)
SupprimerDans la première catégorie, il m'en reste quelques-uns sous le coude, mais que je publierai au compte-goutte, car ça peut aussi lasser.
Quant aux films australiens, ma curiosité ne faiblit pas !
C'était bien un compliment !
SupprimerUn grand merci pour cette super découverte !
RépondreSupprimerPas aussi jouissif que "Réveil dans la terreur" mais un sacré bon moment.
Très content que le film t'ait plu ! :)
SupprimerJe ne dirais pas mieux que ce Monsieur Morrison, j'ai ki-ffé!
SupprimerAh, enfin ! :D
SupprimerCool que tu aies aimé. :)
Chic, une suite bientôt !
RépondreSupprimerhttp://variety.com/2015/film/asia/jacki-weaver-joins-goldstone-1201486475/