Friand des films de ce que l'on pourrait appeler l'âge d'or de John Frankenheimer, qui correspond quasiment à toutes les années 60, convaincu et séduit par le savoir-faire de ce cinéaste atypique, aux inspirations délicieuses et aux expérimentations osées, dont il faisait alors étalage, j'étais très curieux de découvrir enfin Grand Prix, le premier film d'une telle envergure entièrement consacré au monde de la Formule 1, sorti en 1966, soit quelques années avant Le Mans, piloté par l'as du volant Steve McQueen, et bien longtemps avant le sympathique Rush de Ron Howard et le moins prenant Ford versus Ferrari (aka Le Mans 66) de James Mangold. Réunion de quelques grandes vedettes multinationales de cette époque (Yves Montand, James Garner et Toshirō Mifune, côté mecs ; Eva Marie Saint, Jessica Walter et Françoise Hardy, côté meufs), Grand Prix dure trois bonnes heures et présentent, pour faire simple, deux profils : l'un très avantageux, l'autre beaucoup moins... Du bon, il y a toutes les scènes de course, tout simplement. Par bonheur, elles doivent tout de même bien constituer 40%, si ce n'est un peu plus, de la durée totale, ce qui fait déjà beaucoup et nous permet de tenir sans souci. Du mauvais côté, il y a... tout le reste ! Tout ce qui se déroule hors piste, loin des bolides, et se consacre principalement à la peinture psychologique rudimentaires et aux pénibles déboires sentimentaux de nos pilotes hors pair.
Dès le générique, qui nous saisit par le colbac, on sait que l'inspiration de John Frankenheimer était bel et bien au rendez-vous quand il s'agissait de mettre en boîte les courses de F1. Secondé par le génie du célèbre Saul Bass, le talent du cinéaste fait des premières minutes de Grand Prix un pur délice visuel et auditif, un vrai régal pour les sens, au pouvoir de fascination indéniable et toujours intact. Cette introduction, d'un bon quart d'heure, se déroule lors du fameux prix de Monaco, elle nous place d'emblée sur les pistes et plante efficacement les différents protagonistes par le biais d'interventions de chacun d'eux en voix off lors de petites parenthèses successives efficaces. Comme à sa bonne habitude, le cinéaste n'est pas avare en effets divers et variés, pleinement mis au service de l'action et de l'intensité. Il y va fort mais ça n'est pas gratuit ni vain car cela provoque véritablement l'effet escompté. Split screens en veux-tu en voilà, caméras embarquées dans le cockpit ou sur la carrosserie dérisoire des engins, à ras du bitume, vues aériennes bluffantes de maîtrise, aux mouvements gracieux, brefs inserts répétés et parfois boostés par des zooms, j'en passe et des meilleurs : tout est là pour nous immerger à fond dans l'ambiance de la course et, surtout, nous donner une impression de vitesse incroyable car bien réelle. John Frankenheimer n'étant pas du genre à tricher là-dessus, il n'a pas souhaité trafiquer la vitesse de l'image en post-production et cela se voit : rien n'est du chiqué. Pour renforcer cette impression si palpable, les images sont évidemment accompagnées du son des moteurs, mis à rude épreuve, rutilants, et qui, de près puis de loin, amplifiés par les ruelles de la ville ou assourdis par la côte ouverte sur la mer, composent une drôle d'harmonie. Bref, on y est, on a là ce qu'on était venu chercher. Toutes les autres courses seront du même acabit et constitueront de grands moments d'action pure. Le réalisateur s'y fait plaisir, flirtant presque avec une sorte d'abstraction en poussant si loin le bouchon du bruit et de la vitesse.
Les choses se gâtent donc dès que le film s'éloigne des pistes. Heureusement, le charisme des actrices et des acteurs fait à peu près passer la pilule, mais nous avons quand même droit à pas mal de scènes à l'intérêt très relatif et aux enjeux proches du triste feuilleton télé. On a du mal à se passionner pour le vague à l'âme d'Yves Montand qui, en pleine crise existentielle et bien qu'il soit déjà marié, s'éprend pour la journaliste américaine incarnée par Eva Marie Saint. On se fiche pas mal du pilote américain, très individualiste et aux méthodes parfois douteuses, campé par un bien fade James Garner, qui finit par signer chez l'écurie nippone par pur opportunisme. On éprouve presque un brin de mépris pour le pilote italien, macho notoire et caricature facile qui finit par lasser également la belle Françoise Hardy. Et l'on aimerait davantage se sentir concerné par les envies de revanches et de reconquêtes, amoureuses, fraternelles et sportives, du pilote britannique (Briand Bedford), dont la trajectoire est pourtant la plus singulière du lot. Là-dedans, les femmes sont trop souvent réduites à un rôle accessoire, de faire-valoir, et n'ont qu'une personnalité bien mince, généralement obnubilées par les héros qu'elles suivent malgré leurs vies toujours en danger. C'est sans doute Jessica Walter qui sort du lot, pour sa beauté fragile et son regard émouvant : il parviendrait presque à transmettre ce que le scénario ne véhicule pas vraiment. Par ailleurs, on peut s'étonner que le film ne développe pas vraiment de rivalité entre les pilotes mais insiste plutôt sur cette espèce de fraternité bien masculine les reliant tous. Sur ce point-là, Grand Prix paraît un peu daté, bien qu'il semble dans le même temps dépeindre sans ambage la terrible vacuité des courses (les morts sont nombreuses et parfois d'une étonnante brutalité). Là-dessus aussi, le film a la bonne idée de nous quitter sur un ultime plan réussi, nous laissant un goût amer : on repense forcément à toutes ces morts inutiles quand James Garner, songeur et abattu, se promène d'un pas lourd sur la ligne de départ d'une piste vide, les bruits des moteurs pourtant absents à l'image envahissants s'arrêtant soudainement pour laisser toute place aux pensées mitigées du personnage et du spectateur, en bout de course.
Grand Prix de John Frankenheimer avec James Garner, Yves Montand, Jessica Walter, Toshirō Mifune et Eva Marie Saint (1966)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire