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9 juin 2024

The Killer

En 2023, David Fincher est fatigué. Au bout du rouleau, il cherche à retrouver l'essence du cinéma après l'expérience éreintante du tournage de Mank, réalisé dans l'ombre paternelle dont il essaie de se défaire depuis sa plus tendre enfance. Libéré du joug des studios, mais auréolé, comme les plus grands (Cuaron Scorsese, les frères Coen, Gastambide), de la pleine confiance de Nietflix, Fincher se relance. C'est sans aucune vision artistique, sinon celle de réaliser un bon film, que le pape de Los Angeles se remet le pied à l'étrier. Lors de vacances parisiennes, ses pas le guident vers un bdiste de quartier où il pioche au hasard, à l'aveugle, quitte à faire tomber tous les rayonnages et à provoquer les foudres du tenancier, qui n'aura pas reconnu le faciès rasé à blanc et blanchi à la chaux du grand manitou d'Hollywood devenu le seigneur des plateformes et la caution artistique des plus vils requins de la planète. Sa main molle, répandant des effluves appuyés et obsédants d'aftershave, tombe sur la tranche de Le Tueur, dont le titre ridicule ne le dissuade pas et lui rappelle même ses premières réussites : les thrillers qui ont fait de lui un lord du 7ème art. Le génie est en confiance. 
 
 
 
 
Dès le premier soir de lecture sous la couette, il envisage un storyboard scrupuleusement basé sur les planches de la bd. En éteignant la lumière, Fincher peine à trouver le sommeil, voit le film se dérouler dans le noir telle une aurore boréale fantasmatique, et sait de quoi sa matinée sera faite. C'est sans compter, en pleine nuit, sur un réveil brutal : David a trois idées qu'il griffonne à la lumière de son smartphone (son carnet de notes appartient désormais au passé). Il pense notamment au casting : Michael Fastbender lui vient en premier, qui acceptera très vite, n'ayant rien d'autre à faire cette année-là, et n'ayant surtout pas peur du tout des scénarios très lacunaires et inachevés (comme le prouve toute sa filmographie), à condition de pouvoir porter son bob sur l'affiche, puis suit le nom de Tilda Swinton, qui dira oui aussi par erreur de retour de mail, et Christopher Lee, qui préfère décéder que jouer dans le film.
 
 
 
 
Le résultat de tous ces flashs, c'est un film qui vous endort sur place. On en ressort comme d'un cours de 2ème semestre de philo, en Terminale, dispensé par Monsieur Vigoureux-Smith, le lundi matin de 8h à 12h, après lequel on espère que la semaine est finie alors que c'est encore le milieu du lundi. Qui a vu ce film jusqu'au bout, en dormant les yeux grands ouverts, peut se qualifier de "méditant". Habitués à voir plus de matière, les critiques sont sortis déçus de ce pensum ridicule et lénifiant lorgnant vers le déjà maigre quoique culte Samouraï (Le) de Jean-Paul Melville tout en rendant un hommage appuyé au film de chevet du cinéaste Fincher, cinéaste coprophage : Fight Club. On ne citera qu'une plume, particulièrement acerbe et inspirée à la fois : "C'est le son de Fincher qui s'enfonce la tête dans son propre cul, entend les grondements de ses gaz intestinaux et décide de les partager avec le monde", assassinat en règle signé Jacques-Jean Smicard dans sa notule facebook sur le film. On ne résiste pas à la tentation d'en citer quand même une autre, issue de cet article que vous lisez en ce moment et prélevée ci-après, dont on apprécie l'absurde originalité et le flair astucieux : "J'ai tapé Fincher et génie dans google, et tous les résultats de la recherche associée barraient le mot génie".
 
 
The Killer de David Fincher avec Michael Fastbenber et Tilda Swinton (2023)

14 mai 2019

Biutiful

Alejandro Gonzalez Iñarritu aime filmer crûment la vie, les gens, sans concession, parce qu'il s'est rendu compte que c'était vendeur. Dans The Revenant il filme les violences entre Indiens et colons avec âpreté, tout comme la lutte sans merci entre Léo "Le Câpre" et Tom "Godeffroy" le Hardy. Il fait de même dans Birdman, une sorte de film intimistico-fantastique ronflant qui se veut une prouesse technique en un seul plan séquence artificiel, où il colle au plus près ses acteurs névrosés (ce qui nous donne envie de mettre Emma Stone à sa juste place : dans un aquarium). Avant cela, le cinéaste s'était fait connaître grâce à sa balourde "trilogie de la mort" : Amours chiennes, 21 Grammes et Babel. Trois films qui ne supportent pas d'être revus aujourd'hui, pesant dix tonnes chacun malgré leurs titres mensongers, où des acteurs qui en font des caisses courent après un rein, un fusil, un Oscar ou un clébard, dans des histoires parallèles sordides toutes reliées par un même évènement tragique (en général un accident de bagnole ou de bus). Tout ça pour dire que le réalisateur mexicain, charlatan pur jus récompensé par les plus hautes distinctions, chef de fil autoproclamé d'une petite bande de guignols originaires du même pays que lui (Alfonso Cuaron et Guillermo Del Toro) et aujourd'hui président du jury cannois, trace son sillon morbide depuis belle lurette et il ne va certainement pas s'arrêter en si bon chemin. Au sein d'une filmographie à se flinguer, Biutiful est sans doute son film le plus fétide et cafardeux.




Tout est gris béton armé, jaune pisse, rouge sang-séché, vert glauque, noir désespoir et bleu hématome. A l'aide de cette colorimétrie diabolique, Iñarritu met en scène le quotidien de la misère à Barcelone avec, en star filmée en gros plan 80% du temps, Javier Bardem. Et ça dure 2h27 ! 2 plombes 30. Cette performance dépressive de premier plan et ces gros plans sur son nez de catcheur difficiles à assumer ont valu à Bardem de recevoir, de la part d'un jury aux abois, le prix d'interprétation à Cannes et de produire une anthologique déclaration enflammée en direction de Pénélopé Cruz, sa compagne, qui lui a permis, sans aucun doute, d'exorciser les démons accumulés depuis ce film âpre et le harcèlement continu de la caméra survoltée d'Iñarritu. Bardem y joue un père de famille qui vivote de petits trafics et doit élever seul ses deux gamins car sa femme, dont il est séparé (mais il l'aime toujours, misère de misère !), est bipolaire et donc incapable de gérer quoi que ce soit. Comme si ce n'était pas assez, il apprend qu'il a un cancer incurable et qu'il n'a plus que quelques mois à vivre. Par dessus ça, il est atteint de dons de voyance et arrive à communiquer avec les défunts ou à voir les morts prochaines des gens. Et c'est pas fini, car son frère est un connard qui se tape sa propre femme.


 

Et attendez, il reste la cerise sur le gâteau de ce drame étouffant, qui enfonce un clou dont on ne voit déjà plus la tête ! Comme il se sait condamné par le cancer et qu'il veut mettre sa famille à l'abri du besoin, Bardem trafique dans des trucs de moins en moins nets, en particulier des ateliers de confection clandestins remplis de clandestins chinois de tous sexes et de tous âges qui vivent et travaillent dans des conditions absolument épouvantables. Ils ont surtout très froid. Et comme Bardem n'est pas un salaud et qu'il a aussi un cœur, il achète quelques systèmes simples de chauffage au gaz, ce que lui permettent ses maigres ressources, des bonbonnes branchées à un brûleur, comme on en voit sur les terrasses des pires bars l'hiver. Évidemment, une nuit, alors que les Chinois dorment profondément dans leur atelier insalubre, le système se met à déconner, les brûleurs s'éteignent mais le gaz continue à se propager, tuant tout le monde dans l'atelier. Tout cela est filmé par un Iñarritu survolté qui a chaussé ses plus gros sabots et enfonce ses personnages dans la même misère que celle dans laquelle se trouve son cerveau trépané (et le spectateur courageux qui a tenu tout le film). Il paraît que ça plait aux gens. Pourquoi ? Pas à oim, DSL !


Biutiful de Alejandro Gonzalez Iñarritu avec Javier Bardem et des miséreux (2010)

29 septembre 2018

Life : Origine inconnue

Sorti en avril 2017 quelques semaines avant Alien : Covenant et souvent présenté comme supérieur à l'énième méfait du vieux Ridley Scott, Life : Origine Inconnue est un nouveau film de monstre venu de l'espace. L'histoire est simple : des astronautes de la station spatiale internationale réceptionnent une sonde revenant de Mars. Celle-ci contient un micro-organisme a priori inoffensif qui est la première preuve tangible d'une vie extra-terrestre. D'abord accueilli par des hourras, cet organisme douchera rapidement les espoirs de toute l'équipe quand il révélera sa vraie nature : une belle saloperie, grossissant à vue d’œil et bien décidée à fumer tous les membres de l'équipage les uns après les autres, en commençant bien entendu par le black. C'est du jamais vu dans l'histoire du cinéma d'horreur et de science-fiction !




Disons-le tout net : Life est un film bête comme ses pieds qui cherche simplement à nous captiver pendant 1h30. L'oeuvre de Daniel Espinosa a la seule qualité de ne pas chercher à être autre chose, mais c'est aussi sa grosse limite, évidemment. Nous n'en garderons pas le moindre souvenir, malgré une ou deux scènes plutôt efficaces. Je pense surtout à la première confrontation entre Ryan Reynolds et la bestiole, devenue une pieuvre blanchâtre vicelarde, fatale à l'acteur. Cette scène est réussie pour deux raisons : le suspense y fonctionne assez bien et c'est toujours un vrai plaisir de voir Ryan Reynolds mourir (ici plutôt atrocement puisque l'alien lui entre dans le corps par la bouche pour mieux le faire vomir du sang et crever lentement de l'intérieur). A part ça, rien à signaler. Même le titre moisi est révélateur du manque d'inspiration criant qui caractérise le projet. La créature, point important de ce genre de films, n'est pas complètement ratée mais elle n'est pas marquante du tout ni particulièrement flippante, à l'image de tout l'ensemble.




Les personnages, bien qu'incarnés par des acteurs connus (Jake Gyllenhaal, Ryan Reynolds, Rebecca Ferguson, Fabrice Santoro), sont des pions sans âmes ni charisme, des fantômes minables auxquels on ne s'intéresse à aucun moment. Lesdits acteurs ont l'air très peu concerné, simplement là pour encaisser un chèque de paie sans trop d'effort. Jake Gyllenhaal, d'une fadeur terrible, a d'ailleurs avoué en interview qu'il avait accepté le rôle pour passer quelques semaines "en apesanteur" en compagnie de son vieil ami Ryan Reynolds "sans se prendre la tronche" (sic). D'ordinaire habitué aux rôles exigeants l'amenant régulièrement à perdre du poids et à appliquer les méthodes strictes de l'actor's studio, la vedette explique qu'il voulait se "vider [sa] tête pleine de merde" (sic). Des aveux qui en disent long de la part d'un acteur qui ne connaît pas la langue de bois...




Life se déroule presque toujours à gravité zéro, ce qui permet à ses stars de flotter autour d'une caméra qui navigue entre eux, explorant les recoins de la station spatiale, parfois lors de plans-séquences qui se veulent impressionnants mais qui n'ont rien de vraiment remarquables. On sent bien que l'ambition réelle de Daniel Espinosa est de signer le pendant horrifique du Gravity d'Alfonso Cuaron mais nous n'en avions pas besoin. Le film est si pauvre que quelques spectateurs désemparés ont échafaudé toute une théorie faisant de l'oeuvre d'Espinosa (qui, contrairement à ce que son nom laisse à penser, est un cinéaste suédois et non coréen) une sorte d'histoire originel expliquant la symbiote de Spider-Man 3. C'est dire s'ils étaient désireux de donner du corps à un scénario honteux et à un film terriblement famélique... Life serait tout juste un honnête téléfilm de deuxième partie de soirée, un dimanche soir, sur TF1, et je comprends la rage immense des honnêtes gens qui ont payé de leurs propres sous pour assister à ce triste spectacle sur grand écran.


Life : Origine Inconnue de Daniel Espinosa avec Jake Gyllenhaal, Rebecca Ferguson et Ryan Reynolds (2017)

20 mars 2018

All is Lost

Robert Redford prend l'eau pendant 1h30. Voici le scénario de ce film, pratiquement muet, à l'exception des quelques jurons que lâche la vedette en plein désespoir. Après Margin Call, son premier long métrage ultra causant et, je dois dire, assez épuisant, sur une bande de traders méprisables et en panique lors de la crise économique, J.C. Chandor a voulu prouver au monde qu'il était capable d'autre chose en nous livrant All is Lost, film de survie minimaliste, sans dialogue, avec un seul acteur à l'écran. Sorti la même année que Gravity, All is Lost a été présenté comme le pendant maritime du survival spatial très surestimé d'Alfonso Cuaron. Vu aujourd'hui, le film de Jean-Charles Chandor apparaît comme plus radical, plus humble et donc bien plus aimable que son jumeau étoilé. Mais arrêtons-là une comparaison qui n'apporte rien de très intéressant. Si je devais rapprocher All is Lost d'autres productions, il s'agirait de ces films courts et linéaires, à pitchs simplissimes tenant sur un post-it, nous proposant généralement pas plus de 90 minutes de tension, en temps réel parfois, avec un nombre très réduit de personnages coincés, qui doivent survivre en milieu hostile (au milieu de l'océan, Open Water, dans un cercueil, Buried, sur un tire-fesse, Frozen, dans une bagnole accidentée, Wrecked, derrière un pan de mur en Irak, The Wall, devant une comédie de Dany Boon, Raid Dingue, etc).




All is Lost s'étend quant à lui sur une semaine. Il commence par un flashforward, partie la plus causante de l'ensemble dans laquelle Bob Redford lit en voix off son ultime missive qu'il laisse dans une bouteille jetée à la mer, et ça sera la seule facétie d'un film au rythme régulier, avançant tout droit. Dès la scène suivante, un imposant conteneur à la dérive s'encastre dans le vieux monocoque en polyester, gréé en sloop, de Robert Redford, causant une sérieuse brèche par laquelle l'eau s'engouffre furieusement. Sérieusement touché, le navigateur solitaire devra ensuite affronter les tempêtes successives particulièrement violentes. Son naufrage durera donc une semaine. Une semaine que nous passons à ses côtés, tour à tour impressionné par le calme et la sérénité de l'homme livré à lui-même puis interrogatif sur certains de ses gestes et sur sa volonté réelle de survivre. N'ayant pratiquement aucune connaissance en navigation, je ne jugerai pas des choix et de l'attitude de Robert Redford. La façon qu'à J.C. Chandor de nous les dépeindre cultive volontairement le doute et c'est là l'un des aspects les plus intéressants du film, celui qui participe le plus à nous maintenir captivé.




Pas grand chose à reprocher à la mise en scène de J.C. Chandor, assez habile, réussissant à ne pas se répéter, malgré l'espace restreint, et qui, contrairement à d'autres, ne cherche pas à en mettre plein la vue via des plans séquences soi disant virtuoses ou autres tours de passe-passe numériques (suivez mon regard...). Lors des tempêtes, les effets spéciaux s'avèrent assez réussis et nous n'avons aucun mal à y croire. Quand, depuis la cabine, nous voyons le pauvre Bob Redford être balancé du sol au plafond au gré des chavirements du bateau, on trouve même ça plutôt impressionnant. La musique discrète d'Alexandre Ebert, récompensé d'un Golden Globe pour son travail, ne gâche rien. On s'étonne de voir le temps passer si vite et on apprécie ces images sous-marines presque abstraites de formes géométriques dérivant en contre-jour, notamment à partir du moment où Monsieur Redford occupe son radeau rond de survie. En bref, le film fonctionne assez bien, et c'est plutôt surprenant. Malheureusement, Chandor ne parvient pas tout à fait à dépasser son concept et nous ne projetons pas grand chose dans le personnage campé par Redford et dans la situation qu'il traverse. Le film est peut-être trop aride pour cela. C'est à la fois sa qualité et sa principale faiblesse.




Ce vieux conteneur malfaisant, vomissant des chaussures Nike dans l'océan, est-il une critique, une métaphore du capitalisme ? J.C. Chandor n'en dit pas plus. Ce conteneur s'en prend, en tout cas, à une grande figure hollywoodienne connue pour son engagement "à gauche" en la personne de Robert Redford. Un acteur vieillissant mais n'essayant en rien de dissimuler son âge sous de quelconques artifices, qui prouve ici qu'il est encore capable de tenir un film à bout de bras. Rien ne nous est dévoilé sur son personnage. Les observateurs remarqueront peut-être des photos de famille dans sa cabine ou d'autres détails, mais rien de très précis ni de plus explicite. Nous voyons seulement un homme à la dérive, perdu au milieu de l'océan indien et nous ne savons rien du tout de ce qui l'a amené à flotter là. Face à la façon plutôt stoïque et parfois nonchalante qu'a le bonhomme d'essayer de rafistoler son bateau, puis d'accepter son naufrage et d'affronter les éléments déchaînés, on se demande s'il n'est pas un brin suicidaire, désespéré, en fuite. Il y a quelque chose d'un peu fascinant là-dedans, mais ça ne va pas bien loin non plus.




Pour finir mon papier, je tiens à signaler un couac qui m'agace toujours terriblement dans ces films de survie. Quand bien même All is Lost fait partie du haut du panier dans cette catégorie, il n'échappe pas à ce problème majeur selon moi. Car un tel film devrait viser le réalisme total. Ce défaut réside dans la lucidité toujours au beau fixe du personnage, alors que celui-ci ne mange que des conserves et s'alimente le moins possible. Redford garde donc toute son intelligence, il redouble même d'ingéniosité pour créer un système qui lui permet de recueillir un peu d'eau potable à l'aide de la condensation de l'eau de mer. Pourtant, c'est bien connu, et j'en fais moi-même trop régulièrement l'expérience : la malnutrition et la sous-nutrition impactent immédiatement les capacités cognitives, la faculté de réflexion. Robert Redford reste quant à lui malin comme un singe malgré les deux flageolets et l'eau saumâtre avalés en guise de repas de midi et unique gueuleton du jour. Ça n'est pas crédible ! On peut cependant se demander si, dans des situations où l'homme doit lutter coûte que coûte pour son salut, celui-ci ne va pas puiser dans des ressources insoupçonnées pour faire preuve d'un peu plus d'intelligence. C'est là une question presque philosophique que je laisse entre vos mains. Pour ma part, je n'y crois pas. J'en fais moi-même l'expérience actuellement. A l'aide. 


All is Lost de J. C. Chandor avec Robert Redford et lui seul (2013)

2 mars 2017

Desierto

En lançant Desierto, j'avais peur de tomber sur un film engagé, au propos lourdingue, porteur d'un message se voulant fort sur l'immigration mexicaine aux Etats-Unis. La présence de Gael Garcia Bernal en tête d'affiche, habitué aux films sociaux, a participé à m'induire en erreur. En réalité, le sujet n'est que le prétexte d'un thriller tout ce qu'il y a de plus minimaliste puisqu'il s'agit, pendant près de 90 minutes, de voir des pauvres chicanos pris en chasse par un immense taré appliquant sa politique d'immigration personnelle, qui les flingue un à un et lance un chien fou à leurs trousses. Vers l'heure de film, Jonás Cuarón juge judicieux d'ébaucher un peu ses personnages et nous propose les premiers véritables dialogues entre les deux derniers survivants. Hélas, ça ne prend pas, c'est beaucoup trop tard et on s'en contrefout complètement. On préférait presque le clébard, aussi agressif soit-il, dont la mort, impressionnante et ridicule, survenant quelques minutes auparavant, lui rend fort peu hommage. A ma connaissance, c'est bien le seul film où l'on voit un chien crever ainsi, flingué par Gael Garcia Bernal, qui lui fourre la fusée d'un pistolet de détresse en pleine gueule ! Le chien, devenu pur CGI, s'illumine littéralement de l'intérieur, se met même à clignoter étrangement tout en couinant à la mort, et finit par prendre laborieusement feu. Son maître verse une larme en retrouvant les morceaux calcinés du toutou, qui émet encore quelques râles absurdes malgré qu'il soit tout à fait mort (léger couac de synchronisation entre l'image et le son à souligner lors de cette scène, pourtant la plus marquante du film, dommage...).




Ma compagne lisait à côté pendant que je matais ce truc. A un moment donné, elle a levé les yeux, froncé ses longs sourcils puis m'a demandé avec une intonation faussement neutre : "C'est quoi ce film ?". Je ne savais déjà pas trop quoi lui répondre. En quelques secondes, elle avait compris en quoi ça consistait. "Euh c'est Desierto, c'est des mexicains qui essaient de passer la frontière et y'a un mec qui se les fait, je m'attendais pas trop à ce que ça prenne cette tournure...". "Pourquoi tu regardes ça ?". Là encore, j'étais pris au dépourvu, je me sentais coincé dans l'angle de mon canapé, pris en étau entre ses deux sourcils. J'avais mes raisons, mais elles n'étaient pas bonnes, et je le savais. J'essayais quand même péniblement de me justifier. "Bah... Il était déjà 22h, je voulais un film pas trop exigeant, que je pouvais éventuellement arrêter avant la fin... [blanc] C'est le fils du gars qui a fait Gravity... [gros blanc] Et y'a un acteur qui joue parfois dans des films intéressants, celui avec la casquette-là, Gael Garcia Bernal... Tu le connais pas ? Il plaît aux filles, téma...". Elle n'a même pas regardé ledit acteur et s'est levée pour aller continuer à lire dans la chambre. J'avais perdu des points. Et le film se poursuivait lamentablement... 




Je n'ai donc pas compris ce film, que j'ai dû couper net au bout d'1h08 parce qu'il était en mkv et que mon lecteur ne permet pas de faire avance rapide sur les fichiers de ce format. Quand on voit avec quel malin plaisir Jonás Cuarón filme ces pauvres mexicains chercher des cachettes dans le désert, se faire tuer un à un par un as de la gâchette, on se demande bien ce qui l'anime, tout comme on se demande quel est l'intérêt de ces gerbes de sangs ajoutées numériquement aux pauvres cibles humaines qui tombent les unes après les autres. Bon, je ne doute pas que Jonás Cuarón fasse partie des "anti-Trump", comme son papa et comme pratiquement tout Hollywood, mais son film est tellement bête... 


Desierto de Jonás Cuarón avec Gael Garcia Bernal, Jeffrey Dean Morgan et Anne Hidalgo (2016)

6 janvier 2014

Prisoners

Ces dernières années, il fallait plutôt regarder du côté de la Corée du Sud pour dénicher des thrillers tendus, aux ambiances pesantes et malsaines, les Américains s'avérant bien incapables de rivaliser avec leurs concurrents asiatiques sur ce terrain-là. Ce manque évident explique peut-être en partie l'accueil dithyrambique réservé à Prisoners, largement présenté comme la plus grande réussite américaine en ce domaine depuis Seven, voire Le Silence des Agneaux. Zodiac et Mystic River sont les autres titres les plus souvent cités pour situer le film de Denis Villeneuve. Si cette filiation est plus ou moins justifiée et si Prisoners s'impose effectivement comme l'un des thrillers américains les plus efficaces sortis dernièrement, il ne s'agit pas pour autant d'une réussite entière et le film peut décevoir quand on attend un peu plus que 153 minutes de divertissement.




Alors il pleut beaucoup, certes, tout le temps même, comme dans Se7en. Emportés par leur malheur, les personnages agissent bêtement, guidés par leur ressentiment et leur amertume, comme dans Mystic River. On a bien du mal à dénicher le tueur, et on finit même par penser qu'on ne parviendra jamais à mettre la main dessus, comme dans Zodiac. Il y a une battue dans la forêt pour dénicher les gamines disparues, ce qui rappelle inévitablement La Règle du jeu. Et enfin, l'Amérique dépeinte par Denis Villeneuve semble surpeuplée de monstres, de détraqués, un peu comme dans Le Silence des Agneaux, dont la filiation est tout de même bien plus floue à nos yeux. On a d'ailleurs eu un mal de chien à en inventer une. Et on va arrêter là ce petit jeu des références parce que nous en avons nous-mêmes très très peu et ça commence à se pifer. Finalement la vraie bible de Denis Villeneuve c'est KidA, qui défile en intégralité dans Prisoners comme dans Incendies (film dont on a vu l'affiche !), son précédent film. Le réalisateur québécois ne jure en effet que par Radiohead, le groupe anglosaxon incontournable, celui qui réunit des gens aussi différents qu'Yvan Attal, David Fincher, Brad Pitt, Guillaume Canet, Alfonso Cuaron, Richard Linklater, Cédric Klapisch, Cameron Crowe et Smaïn. Au point qu'on se demande finalement si ces gens sont si différents... Quelle est la frontière entre Fincher et Smaïn ? Elle est maigre, ça c'est sûr, et Johnny Greenwood est assis dessus, avec une guibole osseuse qui pend de chaque côté. Pour la petite histoire, on aurait aperçu David Fincher, Smaïn, Ed Norton et Brad Pitt échanger quelques verres dans le carré VIP du dernier show privé de Radiohead à Milan (Italie). Aurons-nous droit à un biopic de Smaïn par le grand duc d'Hollywood, l'auteur de Fight Club ? La rumeur cavale depuis maintenant !




Puisque le paragraphe précédent sur les influences de Villeneuve est un semi-échec, concentrons-nous sur l’œuvre en tant que telle, pour dire d'emblée qu'en 2h33, on est en droit d'attendre des personnages plus étoffés, plus mémorables. Si les acteurs font tout leur possible pour leur donner de l'épaisseur, à commencer par un honnête Jake Gyllenhall, les personnages ont bien du mal à exister en dehors de leur fonction. Jake Gyllenhall est enquêteur, alors il enquête. Hugh Jackman est un papa brisé par la disparition de sa fille, alors il se met en colère et perd la raison. Ne parlons pas des mamans, Maria Bello est condamnée à rester au plummard en s'enfilant des cachetons. A propos de Maria Bello, saviez-vous qu'elle a récemment fait son caméo ? On pouvait deviner qu'elle était au moins des deux bords, bi-sexuée, en regardant attentivement les scènes trash dont regorge sa filmographie, à commencer par A History of Violence, dans la version longue recommandée par David Cronenberg, le cinéaste de la chair, des muqueuses et de tout ce qui chlingue. Qui a vu cette version uncensored, le devil's cut du film, n'a pas pu oublier ces scènes supplémentaires, ces bonus bonnards où Maria Bello, après s'être grimée en pom-pom girl de pacotille pour satisfaire les bas besoins de son macho de mari, plie ce dernier à ses propres désidératas en le déguisant en écolière et en le labourant dans les escaliers avec un ustensile qui a perdu son nom lors de ce tournage et qui n'en a pas retrouvé depuis. D'ailleurs, même pour les miséreux qui n'ont vu que le fameux 69, transformé en 96 dans la version x-rated, il suffisait de décoller le regard de ce putain d'artiste qu'est Aragorn pour mater le regard haineux, rêveur, ailleurs, de Mario Bella, pour le moins "not interested".




Comment revenir au film après ça ? Peut-être en disant que la fin retombe comme un soufflet. On aurait carrément préféré que le personnage tourne en rond encore longtemps, cherche le criminel toute sa vie, que le film dure, dure, dure, des heures, des jours, des semaines qui sait ? Mais qu'il ne s'arrête pas comme ça... Pas là-dessus. Le film semble chercher son souffle à la fin. C'est pas tous les jours qu'on mate un film qui ventile, qui cherche de l'air, qui tire des taffs dans le vide pour pas clamser sous nos yeux faute d'oxygène, tout bleu. On conseillera quand même peut-être ce film asphyxié à tous les jobastres qui se ruinent la vie devant les documentaires glauques de la TNT à base de criminels malades et de serial killers en folie, et qui ne zappent que pour atterrir sur les séries TV policières de TF1 ou de Canal+, Cold Case, Cold Squat, Portés disparus, l'instit, Les Experts, C'est pas Sorcier, Mentalist, Nip Tuck, True Blood, Médium, Lie to me, Profiler, 36 chiens des quais des orfèvres, La Planque, Narco, Trafico, La Garde-à-vue, Le Prisonnier, Crimes, Missions pas possibles, Affaires congelées, Dexter, JAG, La Crim', Central Nuit, Les Cordier Juges et keufs, Braquo, Esprits criminels, Body of bullet proof et consorts. Prisoners vous permettra de conjuguer votre passion pour le meurtre et ce grand écran que vous délaissez tant, même si c'est le genre de film dont on ressort en disant "Ouesh...", ou, pour les plus bavards : "Ouesh, ouesh, qu'est-ce qu'y se passe ?".


Prisoners de Denis Villeneuve avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal et Paul Dano (2013)

17 novembre 2013

Y tu Mama También

J'ai vu Y Tu Mama Tambien ! Pour comprendre le titre, il faut voir le film quasi jusqu'au bout. Ça baise à tout va dans ce film réalisé par les frères Cuaron. La teub de Gael Garcia Bernal tu l'as dans toutes les situations : flottant dans une piscine, à l'air libre, subissant les coups de poignet de son proprio, et dans divers vagins aussi. Le film est un road movie dans le Mexique où l'on suit deux potes excités de 18 ans et une femme de 30 ans lassée des infidélités de son mari. Les deux jeunes hommes sont incarnés par Gael Garcia Bernal, que je ne vous présenterai plus et dont vous connaitrez aussi bien la teub que le visage de chien battu après avoir maté ce film ; et Diego Luna, aperçu dans Open Range et Le Terminal. La femme est jouée par Maribel Verdu (bien achalandée des tétons) qu'on a récemment vue dans Le Labyrinthe de Pan et dont les seins sont proéminents malgré sa relative maigreur. Le côté road movie, c'est parce qu'ils décident de prendre une voiture et qu'ils tentent de rejoindre la fameuse plage appelée la Boca del Cielo, recommandée par un de leur pote toxicomane, pour y rester quelques jours. Les deux potes se font chier pendant leurs grandes vacances et la femme s'emmerde toute seule chez elle pendant que son benêt de mari profite de congrès et de séminaires pour la tromper. De leur point de départ jusqu'à cette plage, il se passera de nombreuses choses (relations sexuelles diverses, discussions sur le cul, soirées arrosées qui se terminent en gang-bang, discussion avec les autochtones). Ça m'a plu parce que c'est pas long, c'est bien dosé, y'a du rythme, on apprend des insultes en espagnol ("putito !") et on a un aperçu des réalités de ce pays avec une armée omniprésente, un pouvoir corrompu et des paysans qui crèvent la dalle. Ça donne un goût plutôt amer à ce road-movie, au premier abord insouciant. Y a quand même un truc vraiment tout pourri qu'Alfonso Cuaron aurait pu s'abstenir d'inclure dans son movie : un plan d'éjaculat humain qui tombe dans l'eau d'une piscine. C'est inutile.



Petite anecdote à deux balles : j'ai emprunté le dvd à la médiathèque de Metz et la jaquette est géniale. Déjà le titre est traduit en français ("Et... même ta mère !", j'en ai chié pour le trouver, surtout qu'il est classé dans Les Inclassables de la médiathèque de Metz), c'est mentionné "par le réalisateur du film De grandes espérances" (sachant que c'est un film de commande renié par Alfonso Cuaron) et pour couronner le tout, la phrase d'accroche c'est : "Un road movie dans la lignée de La Plage et Thelma & Louise", ce qui prouve que l'ordure qui a écrit cette phrase n'a pas vu le film.


Y Tu Mama Tambien d'Alfonso Cuaron avec Gael Garcia Bernal, Diego Luna et Maribel Verdu (2001)

13 novembre 2013

Gravity

Dans les tout premiers instants de la projection de ce fameux Gravity dont on nous a tant rebattu les oreilles, on a presque envie d'y croire. Et ce malgré George Clooney, qui lasse immédiatement avec son personnage d'astronaute gouailleur qui assure, toujours le bon mot, l'anecdote qu'il faut, la FM branchée en permanence dans le casque. Mais quelque chose semble se passer juste après la catastrophe, quand Sandra Bullock dérive dans l'espace, sans rien contrôler, le souffle court, emportée malgré elle dans le noir et incapable d'y réagir, faute de prise sur quoi que ce soit, faute de contrôle sur son propre corps, propulsée dans une sorte de rien éternel. On a l'impression, un instant, de percevoir quelque chose de cette idée insupportable, de saisir des bribes de cette sensation de vertige absolu dans un espace sans repères autres que le point blanc de la bouée dont on s'éloigne inexorablement, vers une abolition des distances dès que ce point unique aura disparu. Les fameux plans-séquences (devant lesquels on ne ressent pas nécessairement l'urgence de crier au génie) participent de ce sentiment d'un mouvement inarrêtable dans un espace sans bornes. Mais Cuaron casse cette bulle de temps pure, où tout n'est qu'espace et où l'espace se résume à un corps tournoyant dans le noir. Le cinéaste offre bien trop vite une solution à son personnage et vient tout gâcher. Malheureusement, ce qui est vrai pour cette scène est vrai pour tout le film.




Alfonso Cuaron semble non seulement préférer l'épate à l'intelligence, mais en oublie même de réfléchir tant soit peu à ce qu'il filme, pour n'en tirer au final que le strict minimum. On ne compte plus les scènes au potentiel énorme, sur le papier, qui tombent lourdement à plat (un comble pour un film en relief, blague téléstar) sur l'écran. Cuaron prend le temps d'écrire sur l'image, dès les premières secondes du film, que rien ne peut porter le son dans l'espace, rappelant à notre bon souvenir le gigantesque Alien de Ridley Scott et son célèbre "Dans l'espace, personne ne vous entend crier". Mais il ne respecte pour ainsi dire jamais ce beau silence dont Sandra Bullock fait l'éloge lors d'une conversation avec Clooney. Même dans ces scènes où le réalisateur quitte ses personnages un instant, comme lorsque Stone (Bullock) s'énerve dans le Soyouz à court de carburant : Cuaron sort soudain de l'engin et fait un travelling (si on peut dire) arrière pour isoler la figure de son personnage en colère, minuscule dans le hublot du vaisseau. On aurait pu s'attendre au silence dans cette scène, venu renforcer l'impression de solitude et d'impuissance. Mais non, le micro du personnage reste en permanence branché sur les hauts-parleurs.




Le dispositif narratif du film, qui décide de rester dans l'espace avec deux personnages, puis très vite avec plus qu'un, permettait également de se fier aux mécanismes naturels d'identification du spectateur, qui, n'ayant que Sandra Bullock à l'image, être humain en proie aux pires difficultés et mettant tout en œuvre pour en réchapper par instinct de survie, allait forcément se projeter en elle immédiatement et sans la moindre difficulté. Mais voilà que, sans crier gare, le personnage se met à déballer sa vie, devenant une femme seule et triste, qui a perdu sa fille de quatre ans et va tous les jours mécaniquement au travail pour s'oublier. Ce personnage, auquel nous nous étions par la force des choses si fortement identifiés, est soudain sur-caractérisé et s'éloigne d'autant plus de nous qu'un bloc de psychologisme hollywoodien à deux balles déboule en plein cœur d'un film pseudo-sensoriel, rendant le tout pathos à souhait et profondément indigeste. Sans parler de tout l'arrière-plan religieux que sous-tend la dépression du personnage en deuil.




La dernière partie du film est à ce titre totalement lourdingue, et achève de plomber l’œuvre toute entière. Il y a notamment cette scène assez insupportable où Sandra Bullock, après une légère tentative de suicide, accepte son destin, décide de foncer (elle n'a pas vraiment le choix vu que son soyouz est entré dans l'atmosphère et commence à flamber en tombant comme une pierre vers l'océan), expose à haute voix les deux issues possibles (la vie ou la mort, bravo), et se motive en remuant la tête, tel un boxeur approchant du ring pour son ultime combat, avant d'enfiler son casque et d'entrer dans le dernier round, prête à vivre comme à mourir, mais avec panache s'il vous plaît. Et elle y va de ses petites répliques qui tâchent, reprenant le gimmick comique du personnage de Clooney ("Je la sens mal cette mission…") ou y allant de sa propre formule-choc pas du tout cliché : "Dans tous les cas, ça aura été une sacrée virée !". Tout cela, ajouté à une scène légèrement antérieure où l'inconscient de Sandra Bullock lui dicte de ne pas renoncer (à moins de croire au dialogue avec les morts, piste possible étant donné que Cuaron nous place aussi tout un interminable monologue de la jeune femme priant le fantôme de Clooney de faire des baisers au fantôme de sa fille…), est d'une lourdeur terrible.




Cuaron nous donne une énième leçon de vie hollywoodienne en bonne et due forme : il faut vivre, se battre, il ne faut pas abandonner ni se couper du monde par confort, ne pas renoncer par faiblesse ou par facilité, il ne faut jamais lâcher, il faut vaincre. Philosophie de comptoir qui se double d'une dissertation pénible sur la gravité, évidemment. Dans un film où elle n'existe jamais, du moins pendant plus ou moins 80 minutes, elle est pourtant cruciale puisque la fille du personnage de Sandra Bullock en est morte (une chute idiote dans la cour de récréation), et surgit enfin quand l'héroïne trouve son salut, de retour sur terre, en renouant avec cette pesanteur espérée, qu'elle réapprend à dompter, se relevant, se remettant debout dans une sale illustration du fameux mythe du "christian reborn" si cher aux américains. Encore une scène où Cuaron, au lieu de jouer sur le retour du son, sur les bruits de ce corps lourd de fatigue prenant appui sur le sable, s'agrippant à la matière pour la maîtriser, fout tout en l'air en nous balançant des chœurs infâmes, une musique parfaitement grossière où des gens crient comme des malades, façon Walt Disney dans Le Roi Lion. Et la symbolique est lourde à mourir (sans parler de la laideur de la chose) quand Cuaron termine son film par ce plan en contreplongée sur Sandra Bullock qui se redresse, dans une pauvre imagerie publicitaire glorifiant l'humain magnifique et décrétant l'avènement hasardeux d'une sorte de new age crétin.




Beaucoup de critiques ont comparé le film à 2001 l'Odyssée de l'espace. Le film fait tout pour ça, avec cette fin qui fait écho à l'ouverture du chef-d’œuvre de Kubrick (les singes découvrent l'usage de l'arme dans 2001, l'humain se (re)met sur ses deux pieds et réapprend à marcher ici), et avec ce plan poussif sur Sandra Bullock flottant dans la position du fœtus devant le giron du sas de la station-mère… Cuaron l'a voulu et Cuaron l'a eu. C'est pourtant grotesque tant les deux films, dans l'aspect et dans le propos, n'ont rien de commun. Kubrick et Cuaron ne jouent pas dans la même cour, loin s'en faut. C'est plutôt à Titanic qu'il faut comparer Gravity, poids-lourd du box office, film catastrophe à la pointe en termes techniques, donnant au spectateur à s'émerveiller d'un spectacle sur-dimensionné, à s'émouvoir d'un récit plein de suspense et de rebondissements, à s'identifier à des personnages simplistes accablés par un sentiment d'impuissance, car coulant et n'y pouvant rien, happés par l'immensité silencieuse sur fond de musique dramatique pompière et de sentiments bon marché, avec la farouche envie et la noble énergie de s'en sortir, quitte à ce que l'héroïne perde son héros chevaleresque prompt au sacrifice en route. Comme Titanic, Gravity peut légitimement être considéré comme un divertissement parfois efficace, mais il n'est strictement rien d'autre qu'un pur produit hollywoodien contemporain avec les quelques qualités (l'once de vague vertige sensoriel du début, parfois une certaine peur pour le personnage) et tous les défauts de la chose.




La part ultra hollywoodienne du film pèse donc aussi sur son scénario, et c'est un nouveau gâchis dans la mesure où la part réaliste de Gravity, dans sa première partie (c'est l'un des arguments de l'opération, ce prétendu réalisme chevronné de la reconstitution de la vie dans l'espace), qui passe aussi par la part de vraisemblance du personnage de Sandra Bullock au début du film, paniquée, au bord de l'asphyxie (toutes choses qui participent à notre croyance dans le récit et donc au suspense de certaines scènes), disparaît ensuite du fait d'un abus de péripéties invraisemblables, dont la liste serait trop fastidieuse à dresser. Si bien qu'on peut aussi se plaindre du film si, sans même le penser tel une œuvre majeure dans le genre de 2001 l'Odyssée de l'espace (on est loin aussi de la dimension parfaitement visionnaire du film de Kubrick), on le considère comme le simple blockbuster à suspense qu'il est. Si l'on prend aussi en compte que la 3D du film, assez porteuse dans les premières scènes, devient aussi ridicule que ringarde avec la grosse larme de Sandra Bullock qui flotte sous nos yeux pendant deux minutes à bord du Soyouz, et que le bijou de Cuaron perdra la déjà maigre épaisseur de ses meilleures scènes en 2D et sur un plus petit écran (tel un exact tour de Grand Huit, une sensation de vertige et puis s'en va), il n'y a vraiment pas de quoi s'extasier ni de quoi faire de Gravity le film du siècle.


Gravity d'Alfonso Cuaron avec Sandra Bullock et George Clooney (2013)

17 septembre 2013

Entretien avec Justin Benson et Aaron Moorhead



Ayant particulièrement apprécié Resolution (accédez à la critique en cliquant sur le lien), film fantastique original et bien pensé signé Justin Benson et Aaron Moorhead, nous avons proposé à ces jeunes cinéastes américains de nous accorder un entretien. Nos hôtes se sont pliés à l'exercice avec un tel enthousiasme et une telle générosité que nous sommes ravis d'inaugurer une nouvelle rubrique du blog consacrée aux interviews par celle de ce joyeux et ambitieux duo d'auteurs de films de genre plein de promesses. Mais laissons-leur plutôt la parole :


-    Que diriez-vous pour vous présenter au public français ?  

A : [en français] Bonjour, je suis Aaron. Nous avons fait un film qui est tout aussi effrayant, drôle et dramatique. C'est le film parfait qui vous aidera à avoir des relations sexuelles. Aussi, je suis seul.

J : [en français]  Bonjour, je suis Justin et je voudrais être un citoyen de l'Union européenne. 
  

Justin Benson / Aaron Moorhead

-    Quel a été votre parcours avant la réalisation de ce film ?  

A : J’ai commencé à faire des films quand j’avais environ 14 ans. Je suis allé à la Florida State University pour étudier le cinéma, puis j’ai immédiatement déménagé à Los Angeles où j’ai rencontré Justin après seulement quelques jours. J’ai été chef opérateur et créateur d’effets spéciaux pendant un moment, mais je continuais à réaliser à côté de ça, aussi souvent que possible. Pas aussi souvent que j’aurais dû ceci dit. Dieu merci pour ce film, maintenant je ne suis plus que réalisateur. 

J : J’ai grandi à San Diego, je suis allé à UCLA, puis j’ai fait tout un tas de petits boulots qui payaient pour mettre de l’argent de côté afin d’écrire/réaliser/monter/etc.  

-    Quels sont vos modèles, vos réalisateurs favoris ?  

A : Alfonso Cuaron, George Clooney, Ben Affleck, Steven Spielberg, Ciaran Foy, Nicolas Winding Refn. 

J : Richard Linklater, Peter Jackson, Guy Ritchie, Christopher Nolan, Park Chan-Wook.  

-    Le film n'est pas distribué dans les salles en France. Comment l'expliquez-vous ? Qu'en est-il dans les autres pays ? Comment est-il reçu ?  

A : D’après la rumeur la France devrait voir Resolution bientôt, c’est juste très long pour que tous les pays reçoivent le film et montent un plan de distribution. Resolution est montré dans presque tous les pays d’Europe, dans tout un tas de festivals de cinéma, et nous sommes humblement surpris de découvrir que pratiquement tout le monde semble vraiment l’apprécier, malgré les différences de langue et de culture. C’est un immense soulagement pour un film d’horreur plutôt bavard.  

-    Votre film a fait le tour des festivals, notamment américains, quel rôle les festivals jouent-ils dans la mise en lumière d’un film tel que le vôtre ?  

A : En fait, le film est beaucoup plus montré à l’international qu’aux USA ! C’est pas un hasard si on a proposé le film aux festivals européens de cinéma de genre international : la Fondation Melies, réseau gigantesque qui regroupe tous ces festivals, est très prestigieuse et touche énormément de publics. On n’a pas pu concourir pour la Fondation Melies (n’étant pas européens), mais on a finalement passé près de la moitié de l’année dernière en Europe. C’est la belle vie ! Quant au rôle que jouent les festivals, notez bien ça : les festivals sont TOUT. Nous n’aurions aucun buzz et pas de carrière si ce film n’était sorti qu’en VOD. Les programmateurs des festivals et le public, autant que la presse, sont absolument essentiels pour que des films comme le notre aient une chance de rencontrer le succès. C’est la meilleure forme de publicité, parce que sans ça il n’y a aucun moyen de se faire connaître. Il s’agit juste d’essayer d’apporter du bon cinéma aux gens qui aiment le bon cinéma.  

-    Comment s'organise le travail de mise en scène pour un binôme ? Allez-vous continuer à travailler ainsi ou vos chemins vont-ils désormais se séparer ?  

A : On se considère à vrai dire comme co-cinéastes plutôt que comme co-réalisateurs. On se salit les mains tous les deux dans chaque aspect de la production. Justin est plutôt au stylo, je suis plutôt à la caméra, mais l’un n’existe pas vraiment sans l’autre. Nous sommes bien plus que la somme de nous deux en tant que simples co-réalisateurs. Depuis l’avant-première de Resolution à Tribeca on a travaillé presque exclusivement en équipe, et on envisage de continuer ainsi dans un futur proche. 

J : Nous sommes une sorte de gros monstre tentaculaire qui écrit/réalise/produit/monte/mixe/crée des effets spéciaux et sort des profondeurs avec une troupe de collaborateurs grandissante et tout aussi dangereuse. Y compris, entre autres, notre producteur David Lawson et notre ingénieur du son Yahel Dooley.  

-    Qualifieriez-vous Resolution de film d'horreur ?  

A : Oui. Mais d’un autre côté on se moque pas mal des définitions génériques. Le genre dans lequel le film s’inscrit, honnêtement, c’est bon pour les équipes marketing. Notre seul boulot c’est de faire un bon film, et on ne pense pas au genre en le faisant. Mais nous sommes fiers de qualifier Resolution de film d’horreur, tout comme nous le qualifions de drame psychologique, ou de buddy-movie détendu. 

J : On n’y a jamais pensé en ces termes avant que les gens ne commencent à poser la question, mais c’est marrant d’être des sortes de punks marginaux sous une étiquette marketing, donc oui, appelez ça un film d’horreur. C’est sans nul doute un film qui fait peur. 


Vinny Curran / Peter Cilella

-    Dans notre critique, nous avons souligné la qualité et la finesse de votre film en le comparant notamment à La Cabane dans les bois, autre film de genre métadiscursif récent. Que pensez-vous de ce film ? Resolution est-il d’une manière ou d’une autre pensé comme une réponse à celui de Drew Goddard ?   

A : On adore La Cabane dans les bois. Quand il est sorti – c’était une semaine avant la première de Resolution à Tribeca – on a réalisé toutes les comparaisons qui pouvaient être faites. Les deux films ont à peu près le même point de départ, et tous les deux ont un aspect « méta », mais en dehors de ça on ne peut pas faire plus différent. Nous sommes fiers d’être comparés à un film aussi cool, même si je suis certain que personne ne regarderait les deux films en pensant que l’un a pompé sur l’autre. Ils sont très différents dans l’approche. On pense qu’ils pourraient faire un formidable double-programme. 

J : La Cabane dans les bois est l’une de mes meilleures expériences de spectateur de ces dernières années. Les mecs derrière ce film assurent.  




-    Par un drôle de hasard, votre film et le nouvel Evil Dead ont le même point de départ (des jeunes gens coincés dans une cabane isolée pour sauver l’un d’entre eux d’une addiction à la drogue). Que pensez-vous de la vague de remakes actuelle et, plus largement, de l'état du cinéma de genre US ? La fracture semble de plus en plus grande entre des films invisibles mais dignes d'intérêt comme le vôtre et des films à budgets plus conséquents qui ne prennent aucun risque (remakes, reboots, prequels, etc.), avec à la clé des résultats souvent médiocres. Partagez-vous ce constat ?  

A : Les remakes et les reboots peuvent être bons et même très bons (voyez Batman), mais globalement, ils sont horribles. Nous vivons une époque dangereuse où ceux qui possèdent l’argent sont obligés de limiter les risques financiers dus aux difficultés économiques du moment – ce qui se comprend parfaitement –, mais vu que les gens continuent de retourner dans les salles pour voir les films issus des franchises qu’ils adorent et qui sont dénués de toute imagination, nous ne quitterons jamais le sillon créatif qui est le nôtre. Je pense qu’il appartient aux cinéastes indépendants sans le sou, qui ont tout à gagner et pas grand chose à perdre, d’innover, et au public qui les suit de voter pour eux avec leur porte-monnaie.  

J : D’un point de vue général ce serait vraiment cool que les investisseurs et surtout les cinéastes prennent plus de risques. Il y a cette idée qui veut que tous les films doivent obligatoirement rendre un hommage…  

-    Nous avons l’impression que le système empêche des auteurs de films de genre de se faire connaître, de travailler avec plus de moyens et de s’installer durablement afin d’élever le genre et de lui rendre ses lettres de noblesse, comme ont pu le faire John Carpenter ou Dario Argento par le passé. Qu’en pensez-vous ?  

A : Nous en faisons encore l’expérience. Même après le succès de Resolution, accoucher de notre second film est plus qu’un travail à plein temps. On y travaille en permanence et on est deux à ne pas dormir. J’ignore à quel point il était difficile il y a quelques temps de passer de petits films de genre à de plus gros. Je pense que c’est probablement plus facile de faire des films de nos jours, honnêtement, parce qu’il y a plus de réalisateurs que jamais depuis qu’on est allés vers des productions abordables et une certaine technologie facile de post-production. Et les films de genre sont toujours appréciés au box office. On a récemment observé pas mal de gros succès pour des films d’horreur à petits budgets comme The Conjuring, American Nightmare et You’re Next, donc je pense qu’il n’est pas tout à fait juste de dire que le système essaie de nous tuer.  

J : Le cinéma de genre se porte mieux que jamais. Certains cinéastes actuellement en activité sont capables d’aller même plus loin que ce que des gars comme Argento ou Carpenter ont fait. Et quand vous regardez le box office, pour des titres comme ceux cités par Aaron, nous vivons une époque FORMIDABLE. Il y a des trucs vraiment cool, rafraichissants et excitants qui vont venir d’ici peu.  

-    Nous sommes un blog français, vous êtes américains, quel est votre regard sur le cinéma d’horreur actuel français ?  

A : J’aimerais pouvoir me prononcer si j’en avais une meilleure connaissance. Mais malheureusement tout ce que je connais c’est le cinéma de genre français très populaire, donc mon opinion est sûrement un peu biaisée par la comparaison. J’ai vu Enter the Void récemment, qui n’est pas vraiment un film d’horreur, mais c’est clairement l’un des films les plus singuliers et innovants que j’aie vus. Ca bosse de l’autre côté de l’Atlantique ! 

J : J’ai pas mal d’estime pour Frontière(s) de Xavier Gens, et sa participation dans ABC’s of Death est la meilleure avec D for Dog Fight de Marcel Sarmiento. Et Insensibles de Juan Carlos Medina est un film MERVEILLEUX réalisé par un grand réalisateur. Je sais qu’il est d’origine espagnole mais il a vécu à Paris pendant longtemps donc disons qu’il est français.  

-    Justement, il est question dans le film de chercheurs français. Pourquoi français ?

A : (Justin, je te laisse répondre) 

J : Nous voulions faire comprendre que notre créature invisible a été détectée en dehors de cette zone de la Californie du Sud. Que c’est un monstre dont la menace est internationale, universelle. L’idée d’un parisien qui habite dans une caravane au milieu des campagnards white trash du fin fond de l’Amérique a quelque chose de fascinant. De plus, le scénario de Resolution est en partie inspiré de films d’horreur européens tels que La Maison aux fenêtres qui rient ou L’Echine du diable. Et l’une des mes scènes favorites dans Apocalypse Now Redux est celle dans la plantation française. C’est comme une sorte d’histoire bizarre et flippante de fantômes en plein milieu d’un film de guerre !  

-    On sent un intérêt pour les « histoires extraordinaires » dans votre film, aviez-vous des références littéraires en vous lançant dans l’écriture du script ?  

A : (Justin, encore à toi) 

J : Pas vraiment. Tout ce qui dans l’histoire concerne les bouquins, les diapositives, les peintures rupestres, la plaque sensible photographique et ainsi de suite, était là pour montrer que notre monstre a évolué avec la technologie des supports narratifs pendant des dizaines de milliers d’années. Quant à la bizarrerie de ces épisodes, Aaron et moi sommes morts de trouille à l’idée de faire un truc que quelqu’un a déjà fait. Le plus grand des crimes cinématographiques à notre avis c’est de ne pas être original. Donc, oui, on débarque avec des trucs bizarres. 





-    L’aspect métadiscursif est crucial dans Resolution, quels sont les films de ce genre que vous appréciez le plus ? Et au fait, pourquoi ce titre, "Résolution" ?  

A : "Résolution" a un triple sens. "Résolution" peut faire référence à la qualité de la définition d’une image, comme celle de toutes les vidéos que trouve Michael. Cela fait également référence à la force mentale que l’on a quand on est décidé à faire quelque chose, comme Michael quand il se résout à enchaîner Chris. Et enfin, la résolution de l’histoire, dans le sens de conclusion, et c’est toute la question du film. 

J : En fait je ne savais même pas ce que signifiait « méta » jusqu’à ce que je lise des critiques du film. Nous avons juste essayé d’embrouiller le spectateur et de lui foutre une bonne trouille.     

- On assiste ces temps-ci à l’émergence discrète d’une jeune génération de cinéastes portés sur le genre horrifique, tels que Ti West, Adam Wingard, Simon Barrett, etc. Avez-vous l’impression de faire partie de ce mouvement d’une manière ou d’une autre ? 

A : Absolument. Nous sommes très honorés que des gens nous mettent dans ce lot. Ce sont des artistes qui tentent enfin d’innover dans le genre. 

J : Je suis d’accord. De grands cinéastes. Cependant il faut aussi préciser que Aaron et moi n’avions rencontré aucun d’entre eux jusqu’à très récemment. C’est assez fascinant d’ailleurs comme nous avons pratiquement tous germé de notre côté, indépendamment les uns des autres, avant que le public ne trouve des similitudes dans nos travaux.  


Aaron Moorhead

-    Comment envisagez-vous de vous inscrire dans l’histoire du genre ? Ou plutôt, comptez-vous poursuivre dans le fantastique ou bien êtes-vous attirés par d’autres genres cinématographiques ?  

A : On va tout simplement faire le film qui nous semblera bon. Que cela s’avère être un film de genre ou non nous importe peu, même si je pense que Justin et moi sommes naturellement attirés vers le fantastique, et qu’il est donc plus que probable que des éléments de films de genre se glissent dans notre travail. On espère que Resolution deviendra un film culte quand il se sera mieux répandu dans le monde de la distribution. 

J : Nous ne tournerons sans doute jamais un hommage aux slashers, ou rien de ce genre, mais nous repousserons les limites de l’innovation dans l’art de raconter et dans le domaine de la technologie cinématographique aussi loin que nous le pourrons. Nous tâcherons de vous rendre curieux du sort de chaque personnage pour que l’aspect fantastique fonctionne le mieux possible.  

-    Quand on regarde votre film, on est constamment surpris par les tournures que prend le scénario. Etait-ce un désir de votre part de vous éloigner des canons du genre et de surprendre le spectateur à chaque instant, ou bien était-ce plus inconscient ?  

A : Ce n’était pas vraiment conscient ni inconscient. C’est juste notre façon de faire des films, elle nous plaît et ça fait sens pour nous. Par exemple, s’il y a un moment drôle, même s’il se trouve au milieu de ce qui s’appelle une « scène de peur », on le garde et ça fonctionne pour nous. La vie ressemble à ça. 

J : Nous voulons juste faire en sorte que les moments drôles soient drôles, les moments flippants carrément effrayants, et l’histoire efficace. Ignorer les règles des « jump scares » et compagnie, et rester intéressant par-dessus tout.  

-    Est-ce que c’était une règle de tourner le film de genre que vous aviez envie de voir en tant que spectateurs ?  

A : Oui. Nous ne voulons faire que les films que nous aimons nous-mêmes. Sinon pourquoi les faire ?   

-    La scène de dialogue dans la caravane nous a particulièrement séduits, et l’acteur qui fait face à Peter Cilella, Bill Oberst Jr., n’y est pas pour rien. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cet acteur, qui dans le film ressemble vaguement à Roger Waters des Pink Floyd ?  

A : Vous êtes les premiers à mettre le doigt là-dessus, mais c’est VRAI qu’il ressemble à Roger Waters ! Nous ne savions pas du tout qu’il était un peu une sorte d’icône du film d’horreur quand nous l’avons engagé, mais quand il est venu à l’audition en connaissant par cœur les six pages de son monologue, et quand on a réalisé qu’on avait tous les deux et par pure coïncidence un rapport lointain avec lui, le rôle lui était réservé à coup sûr. Sa gravité et son intensité sont incroyables. 


 Bill Oberst Jr.

-    Il y a une vraie alchimie entre vos deux acteurs principaux. Pourriez-vous les présenter rapidement ?  

A : On avait tourné une pub pas chère pour de la bière avec ces deux-là et une amitié fusionnelle en est ressortie. Justin a écrit le scénario en pensant à eux – ça ne pouvait être personne d’autre. Peter Cilella (Michael) est un acteur de Los Angeles qui a fait beaucoup de publicité, des courts métrages et du théâtre. Vinny Curran est un acteur de San Diego qui est peut-être le type le plus drôle et le plus gentil de la planète. 

J : Ces gars-là sont des génies. Nous avons une sacrée veine d’avoir ni plus ni moins engagé les meilleurs acteurs pour ces rôles. C’est une chance unique. Et nous les apprécions infiniment.  

-    Les dialogues du film étaient-ils très écrits ou avez-vous laissé vos comédiens improviser, notamment dans ces séquences plus apaisées du film où on les voit se remémorer quelques anecdotes ?  

A : Nous devons ça à la fois au talent d’écriture de Justin et au talent des acteurs. La majorité du scénario a été écrit plus ou moins tel qu’il est dit dans le film, et les deux bonshommes à l’écran lui ont donné vie. On y croit quand ils le disent. Mais nous avons aussi piqué pas mal de choses, pendant les répétitions et sur le plateau, à Pete et Vinny, des choses trop bonnes pour ne pas les inclure dans le film. 

J : Ouais. Le problème avec les très bons comédiens qui offrent des performances brillantes c’est qu’après personne ne vous croit quand vous dites que c’est vous qui avez écrit. Tout ce temps passé seul dans mon appartement dégueulasse, aux oubliettes…  

-    Il y a un humour très appréciable qui parcourt votre film, notamment dans les répliques du personnage incarné par l’excellent Vinny Curran. Quels sont les comiques qui vous font rire ?   

A : J’aime juste regarder mes amis qui sont drôles. J’ai cette terrible habitude de me mettre à parler comme mes amis quand je suis avec eux trop longtemps. Je préfère regarder Justin, Pete et Vinny que n’importe quel spectacle de stand-up au UCB [café-théâtres à New-York et Los Angeles, ndlr].  

-    Avez-vous des recommandations de films de genre méconnus qui valent le détour ?  

A : Avez-vous entendu parler de Kill List ? Merde, j’adore ce film ! Ben Wheatley est brillant. 

J : KILL LIST, American Mary, Citadel, The Battery… Il y en a pas mal pour être honnête. Encore une fois, nous vivons une belle époque.  

-    Quels sont vos projets pour l’avenir ?  

A : Hier nous avons finalisé la production d’un court métrage qui devrait faire partie d’un plus vaste projet, et dans quelques mois nous partons pour l’Italie tourner notre prochain film, Spring. Cette fois-ci c’est un genre de drame comique romantique d’horreur et de science-fiction. Comme Resolution, mais avec de l’amour et des vrais monstres. 

J : Nous n’arrêtons pas de travailler. On est TRÈS chanceux. 



Entretien réalisé par mails le 9 août 2013.
Merci à P-E Geoffroy pour son aide à la traduction.




Et pour les anglophones, voici la version originale de l'entretien :

- How would you introduce yourselves to the french audience ? 

A : Bonjour, je suis Aaron. Nous avons fait un film qui est tout aussi effrayant, drôle et dramatique. C'est le film parfait qui vous aidera à avoir des relations sexuelles. Aussi, je suis seul. 

J : Bonjour, je suis Justin et je voudrais être un citoyen de l'Union européenne. 
  

Justin Benson / Aaron Moorhead

- What experience did you have prior to your making movies ? 

A : I started making movies when I was about 14, went to Florida State University to study film, immediately moved out to Los Angeles and met Justin on one of my first days out here. I was a cinematographer and visual effects artist for a while, but always directed on the side as often as I could. But not nearly as often as I should have. Thank god for this movie, now all I do is direct. 

J : I grew up in San Diego, went to UCLA, and then just worked any job that paid to save money to write/direct/edit/etc. films. 

- Who are your favourite directors ? 

A : Alfonso Cuaron, George Clooney, Ben Affleck, Spielberg, Ciaran Foy, Wendig Refn. 

J : Richard Linklater, Peter Jackson, Guy Ritchie, Christopher Nolan, Chan-wook Park 

- What do you think are the reasons why Resolution is not distributed in France ? Has it been shown in other countries and if so how has it been received ? 

A : Rumor has it France will be seeing Resolution quite soon, it just takes a long time for all of the territories to receive each film and set up a distribution plan. It's shown in almost every country in Europe at a bunch of film festivals, and we're humbly surprised to find that pretty much everybody seems to really love it, despite the language/cultural differences. A huge sigh of relief for a pretty chatty horror film. 

- Your movie has been shown in a number of film festivals, especially in the US : what role do festivals play in the process of bringing light to a movie such as yours ? 

A : Actually, it's shown much more internationally than in the USA! It's no coincidence we submitted the film to European international genre film festivals, because the Melies Federation, a gigantic network of those festivals, is very prestigious and has incredible built-in audiences. Although we couldn't compete for Melies competitions (being non-European) we still ended up spending about half of last year in Europe. Not a bad life. As for the role they play, mark my words: festivals are EVERYTHING. We would have no buzz and no careers had this film just snuck out on VOD. Festival programmers and audiences, as well as the press, are absolutely essential to being able to succeed with films like ours. They're the best form of advertising, because there's no angle to it at all. It's just about trying to bring good cinema to people that like good cinema. 

- How do you direct a movie as a duet ? Do you plan on working together again or will you go different ways ? 

A : We truly consider ourselves more just co-filmmakers than co-directors. We both get our hands very dirty in every aspect of production. Whereas Justin is more of the writer, I am more the cinematographer, but one of us doesn't really exist properly without the other. We are much more than the sum of our parts as a co-directing team. Ever since Resolution's premiere at Tribeca we've worked pretty much exclusively as a team, and plan to do so for the foreseeable future. 

J : We're like a writing, directing, producing, editing, sound designing, vfx'ing multi-tentacled massive monster rising from the deep with an increasingly equally dangerous group of collaborators. Including but not limited to our producer David Lawson and our sound mixer Yahel Dooley. 

- Would you call Resolution a horror movie ? 

A : Yes. But we also don't really give much of a damn about genre definitions. What genre it fits into, honestly, is for the marketing team. Our only job is to make a good movie, and we don't think about genre while we make them. But we proudly call Resolution a horror movie, as well as a character drama, as well as a light-hearted buddy movie. 

J : Never thought about until people started asking, but it's fun being the punk outcasts of film marketing terms, so sure, call it a horror film. It is without a doubt a scary film. 




- In our review, we underlined the quality and subtlety of Resolution by comparing it to other films and in particular The Cabin in the Woods, another recent metadiscursive film de genre. What do you think of this other film ? Has Resolution been thought of as a response to Drew Goddard's movie ? 

A : We absolutely love The Cabin in the Woods. When it came out, it was a week before Resolution's premiere at Tribeca, and we realized how many comparisons that would be. Both films take roughly the same starting point, and both have a meta-aspect, but otherwise couldn't be more different. We are proud to be compared to such a fine film, although I'm sure that nobody would watch both and think that one ripped off the other. They're just very different in execution. We think they would make an incredible double feature someday. 

J : The Cabin in the Woods is one of my favorite movie going experiences of the last few years. Those guys killed it. 

- Strangely enough, your film and the new Evil Dead share the same starting point (young people stuck in an isolated cabin in order to save one of them from a drug addiction). What do you think of the current remake "wave", and in a larger sense, what do you make of the state in which lies the US genre film cinema ? There seems to be a wider and wider gap between invisible-but-worthy movies such as yours and budgeted-and-unrisky ones (remakes, reboots, prequels, etc) which often end up being mediocre at best. Do you share this appreciation ? 

A : Remakes and reboots can be good or even great (see Batman), but by and large, they are awful. We're in a very dangerous time where the people with the money are obligated to mitigate financial risk due to such a bad economy, which is completely understandable, but because everyone keeps on going back to the theaters for the franchises they love with unimaginative execution, we are never going to get out of the creative slump that we are in. I think it's up to low-budget indie filmmakers with a lot to gain and little to lose to innovate, and the audiences that want that to vote with their wallets. 

J : In general it would be really cool if investors and especially filmmakers took more risks. Seems like there's this assumption that everything must be an homage. 

- We're under the impression that the system prevents genre films authors to get known, work with larger budgets and find their place in order to bring the genre up and give it back its nobility, like John Carpenter or Dario Argento could, a few decades ago. What do you think of this ? 

A : We are still finding out. Even with the success of Resolution, getting our second film off the ground is more than a full-time job, working at it all the time even with two of us that never sleep. I don't know how hard it was a while ago to make the jump from small genre films to large ones. I do think it is probably easier to make films nowadays, honestly, because there are more people making films than ever with the advent of affordable production and postproduction technology. And genre films are always appreciated in the box office. We've recently seen some incredible successes in low budget horror with The Conjuring, The Purge, and You're Next, so I think it's not really true that the system is out to get us. 

J : Genre filmmaking is better than it has ever been. There are filmmakers working now who are capable of progressing even further what guys like Argento and Carpenter did. And when you look at the box office recently with the movies Aaron said, this is a VERY exciting time. There is some really cool, fresh, thrilling shit coming very soon. 

- We're french bloggers, you're american : do you have an opinion on french horror cinema, as it is today? 

A : I wish I could weigh in if I had more of a scope of it. But unfortunately all I know is the very popular French genre cinema, so my opinion is probably a bit misguided by comparison. I saw Enter the Void recently, which isn't exactly horror, but it was definitely one of the most unique and innovative films I've ever seen. They're doing something right across the Atlantic! 

J : Really respected Frontier(s) by Xavier Gens, and his segment in ABC's of Death was the best one next to Marcel Sarmiento's D for Dog Fight. And Juan Carlos Medina's Insensibles is a WONDERFUL film by a great director. We know he's originally Spanish but he's been in living in Paris for a very long time so let's call him French. 

- French scientists are mentioned in your film : why french ? 

A : (Justin, answer this one) 

J : We wanted to reveal that our unseen antagonist has been detected outside this one area in Southern California. That it is a monster with a international, universal threat. The idea of a Parisian living in a trailer in the white trash boonies of America is fascinating. Also, the Resolution script is slightly inspired by European horror such as The House with the Laughing Windows and The Devil's Backbone. And one of my favorite scenes in Apocalypse Now Redux is the French plantation seen. It's like this odd, creepy ghost story in the middle of a war movie. 
 
- There seems to be an interest for weird fictions in your film. Did you have any literary references when you started writing the script ? 

A : (Justin, you again) 

J : Not really. All of the story stuff from the books, to the slides, to the cave paintings, to the wet plate photography, and so forth, was just to show that our monster has been evolving with the technology of storytelling mediums for tens of thousands of years. As for how weird those fictions are, Aaron and I are deathly afraid of doing something someone has already done. The biggest filmmaking crime to us is failing to be unique. So, yeah, we come up with some weird shit.

- Resolution is crucially centered on metadiscourse : what metadiscursive films do you like the most ? By the way, why did you choose "Resolution" as the title ? 

A : Resolution is a triple entendre. Resolution can refer to the quality or definition of an image, like all of the footage that Michael finds. It also means the mental strength you have when you decide to do something, like what Michael has when he resolves to chain up Chris. Thirdly, the resolution of the story is another word for its ending, which is what the movie is all about. 

J : I actually didn't know what "Meta" was until I started reading the reviews. We were just trying to mind-fuck people and really scare them. 

- These days, a young generation of american filmmakers digging the horror genre has discreetly emerged. People like Ti West, Adam Wingard, Simon Barrett, etc. Do you feel like you belong to this movement ? 

A : Absolutely. We are honored when people consider us among them. They are artists that are finally making an attempt to innovate in genre. 

J : Second that. Great filmmakers. It should also be noted though, Aaron and I didn't meet any of those dudes until very recently. It's pretty fascinating though how we all for the most part sprouted up independently and then audiences found similarities in the work. 

- How do you envision your contribution to the history of genre ? Do you plan on keeping on with fantastic aspects or do you feel attracted by other cinematographic genres ? 

A : We'll just make any movie that we think is good. Whether or not it ends up being a genre film is unimportant, although I think Justin and I both are inherently attracted to things that are fantastic, so more than likely we will always have some genre element weaved into what we're making. We are hoping that Resolution becomes a cult hit after it sinks into the distribution world a little more. 

J : We'll probably never make an homage to slasher movies or anything like that, but we will push the boundaries of innovation in storytelling and film technology as far as we possibly can. We'll make you care about every character so the fantastic aspects work that much better. 

- When watching your movie, one feels constantly surprised by the turns of the story. Was it intentional on your part to move away from standards and confuse the spectator, or was it an unconscious process ? 

A : It wasn't exactly conscious or unconscious. We just kind of have a way that we like to make movies, and it makes sense to us. For example, if a moment is funny even if it's in the middle of what is typically called a "scary" scene, we just do it and it works for us. Life's like that. 

J : We just want to make the funny parts funny, the scary parts actually frightening, and the drama effective. Ignore rules about having jump scares or whatever and remain interesting above all else. 

- Did you make it a rule to film what you wanted to watch ? 

A : Yes. We only want to make movies that we like ourselves. Otherwise, why do it? 

- We particularly enjoyed the dialogue scene in the trailer which relies on Bill Oberst Jr. Can you tell us a few words about this actor ? We think he looks a bit like Roger Waters, from the Pink Floyd. 

A : You're the first person to point that out, but he DOES look like Waters! We had no idea that he was a bit of a horror icon when we cast him, but when he came into the audition with all six pages of his monologue memorized and we realized that we each individually had a previous connection to him by coincidence, he was a shoo-in for the role. His gravitas and intensity is incredible. 

- There is a real alchemy between your two leading actors. Could you introduce them briefly ? 

A : We did a low-budget beer commercial with those two and their lived-in-friendship thing emerged from that. Justin wrote the script with them in mind -- it never was going to be anyone but them. Peter Cilella (Michael) is an actor in LA who has been doing a lot of commercials, shorts, and stage shows. Vinny Curran is an actor in San Diego who might be the funniest and nicest dude on the planet. 

J : Those guys are geniuses. We were lucky enough to get to simply cast the best actors for these rules. It's a rare opportunity and we appreciate them to no end. 

- Were the dialogues entirely (pre-)written or did the actors improvise ? Especially in these more quiet sequences where we see them remember a few anecdotes. 

A : This is a testament to both Justin's writing skill and the actors' talents. The majority of the script was written roughly as it was said, and those two guys onscreen gave it real life. You just believe them when they talk. But we also found a lot in rehearsal and on set from Pete and Vinny that was too good not to include or change. 

J : Yeah. The problem with really good actors giving brilliant performances is that then people don't believe you wrote it. All that time by myself in my crappy apartment right down the drain. 

- There's a very appreciated touch of humour all throughout the movie, especially in the lines of Vinny Curran's character. Are there any particular comics or stand-up comedians that make you laugh ? 

A : I just like watching my funny friends. I have that terrible habit of starting to talk like my friends when I'm around them for too long. Justin, Pete, and Vinny are the guys I'd rather watch than a stand-up special at UCB. 

- Would you have any recommandation of some unknown or underground genre film which we should know about ? 

A : Have you heard of Kill List ? Damn, I love me some Kill List. Ben Wheatley is brilliant. 

J : KILL LIST, American Mary, Citadel, The Battery... There' s a lot right now to be honest. Again, an exciting time. 

- What are your future plans ? 

A : Yesterday we wrapped production on a short film that should be part of a larger project, and in a couple months we head to Italy to shoot our next feature, Spring. This time it's a romance-horror-scifi-drama-comedy thing. Like Resolution, but with love and real monsters. 

J : We never stop working. We are VERY lucky.



August 9th 2013.