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6 février 2022

Slalom

Pour son premier long métrage de fiction, la cinéaste Charlène Favier s'est attaquée à un sujet particulièrement casse-gueule et, hélas, tout à fait dans l'actualité : l'abus sexuel dont sont victimes de jeunes femmes dans le sport de haut niveau. Casse-gueule parce qu'il s'agit de slalom à ski et parce que l'on aurait pu craindre un film lourd, maladroit, racoleur et usant de cordes faciles pour scotcher le spectateur, un peu à la manière du difficilement supportable Les Chatouilles, sorti en 2018. Dans l'actualité parce que de nombreuses affaires de harcèlements et de violences sexuelles dans le milieu du sport ont fait surface ces derniers mois. La réalisatrice elle-même en a été victime dans sa jeunesse et son film s'inspire en partie de sa propre histoire personnelle. Ce contexte si particulier, que l'on ne peut ignorer, ne rend que plus notables les modestes qualités d'un premier film maîtrisé et prometteur qui nous révèle une réalisatrice sensible et habile. Nous y suivons donc Liz (Noée Abita), une jeune fille de 15 ans en classe de ski-études d'un lycée de Savoie, qui va progressivement tomber sous l'emprise de son entraîneur (Jérémie Renier), désireux de faire d'elle une grande championne après avoir remarqué tout son potentiel...


 
 
C'est avec finesse et intelligence que Charlène Favier parvient à dépasser les limites de son sujet épineux pour, avant tout, nous proposer le portrait saisissant d'une simple adolescente. Une jeune fille, isolée et livrée à elle-même, qui se cherche et qui n'a certainement pas les armes pour comprendre et encore moins faire face à tout ce qui lui arrive en cette première année d'étude en autonomie, éloignée de sa mère divorcée et un peu déconnectée. La réalisatrice peut s'appuyer sur une double interprétation d'exception pour donner corps à son récit : d'abord celle de la remarquable Noée Abita, si crédible et juste dans la peau de cette jeune femme en construction, située à un moment charnière de sa vie, mais aussi celle d'un étonnant Jérémie Renier, dans un rôle très difficile dont il se départit avec brio puisqu'il parvient à nous faire ressentir tout le trouble qui l'anime. On ressent une grande empathie pour cette jeune skieuse prometteuse, aveuglée par son besoin de repères, d'affection et par ses rêves de réussite, voire pour son entraîneur dont le charisme et la détermination ne suffisent pas à dissimuler la part d'ombre. Celui-ci ne nous est guère bêtement montré comme un monstre mais presque lui aussi comme une victime de ses propres pulsions dévastatrices. A ce propos, les rares scènes où nous le voyons commettre l'inexcusable sont traitées avec une grande justesse, à la bonne distance. Leur brièveté, rendue perceptible par un montage sobre, réduit au minimum, souligne l’ambiguïté fragile de la relation des deux personnages et renforce paradoxalement leur impact émotionnel : quelques secondes suffisent pour que tout bascule. 


 
 
Charlène Favier fait donc les bons choix lors de ces moments couperets où ses deux acteurs s'avèrent eux aussi impeccables, mais le mojo de la réalisatrice ne s'arrête pas là. Pour ne rien gâcher, elle filme magnifiquement la montagne, dans toute sa splendeur et sa majesté, lors de plans et d'instants plus contemplatifs que nous aurions presque souhaité plus longs. L'immensité et la beauté des paysages contraste alors avec le drame intime qui se joue en leur sein. Enfin, les quelques scènes de courses sont très efficaces, simplement réalisées, nous y suivons la skieuse filmée de pied en cap tout au long de sa rapide descente, elles parviennent ainsi à nous transmettre une réelle impression de vitesse et d'aisance. La dernière ligne d'arrivée franchie, nous attendons seulement de connaître la suite de la carrière de cette réalisatrice, comme emplis d'une sereine curiosité.


Slalom de Charlène Favier avec Noée Abita et Jérémie Renier (2021)

28 août 2012

Fair-Play

Ce film débute par une partie de squash. Un match de 40 minutes en temps réel entre Jérémie Rénier et Eric Savin, dont on ne perd pas une miette ni une goutte de sueur, voire de sang, car Jérémie Rénier sue du sang sous nos yeux dans cette rencontre à couteaux tirés entre deux tarés du tennis en salle. A partir de 20 minutes de film on se demande sur quoi on vient de mettre la main : est-ce un film expérimental radicaliste ? un canular ? le film de vacances de Rénier leaké sur le net par un fan malade ? Impossible à dire. Peut-être n'est-ce que le prolongement pour Lionel Bailliu de son premier court-métrage, tourné un an plus tôt et intitulé Squash ? Le réalisateur, passionné par ce sport qu'il trouvait particulièrement cinégénique, a sans doute voulu marquer les esprits comme Scorsese en son temps avec The Big Shave mais en réalisant de son côté The Big Squash.


On dirait trop Gollum non ?

Quand il affirmait que les plus grands cinéastes étaient entièrement résumés dans leur premier film, François Truffaut ignorait que sa si juste théorie se verrait paraphée et signée avec un jusqu’au-boutisme morbide par le dénommé Lionel Bailliu, qui a récemment contacté Gérard Jugnot pour jouer dans son prochain film : Squash toujours. L'ex pilier de l'équipe du Splendid ne dénoterait pas dans la liste des acteurs fétiches de Bailliu puisque Fair-Play compte déjà dans ses rangs les plus grandes stars actuelles du cinéma des années 2000, à savoir Benoît Magicmel et Marion Cotillard (deux vedettes qui ont le nez creux donc), livrant une prestation plutôt sceptique dans ce film qui se veut un brûlot contre les méthodes de recrutement qui ont cours à notre époque dans les grandes entreprises. Le pitch : un patron dégénéré et facho teste ses futurs employés en leur imposant une série d'épreuves de survie. Il les défie au corps à corps dans une multitude de sports non-olympiques en pistes noires, où ils sont toujours à deux doigts de laisser leur peau (activités que l'on pratique possiblement durant les vacances, d'où le lien avec la thématique du dossier) : escalade, rafting, golf etc.


Ma parole que c'est Gollum !

Fair-Play est sorti en septembre 2006, on l'a vu quelques mois plus tard, début 2007, le temps qu'un illuminé le foute sur la toile et c'était fait. Depuis on n'a cessé de le citer lors de nos sessions critiques, et même lors de soirées lambda autour d'un feu de camp où chacun devait s'échanger des petites horreurs pour faire peur aux autres. Pas étonnant dans un sens vu que Fair-Play est le Délivrance français, à ceci près que Bailliu n'est pas Boorman (même défoncé aux oméga 3 et à la vitamine D) et que les randonneurs ne sont pas pris pour cibles par des autochtones trépanés mais par un horrible boss. Si le classique de Boorman est un film pour le moins détonnant voire dérangeant, celui de Bailliu est uniquement désagréable à s'en tirer une balle dans la tête. Quand on l'a découvert on n'avait pas encore mis en place notre fameuse règle des 16 minutes : "Si en 16 minutes tu ne m'as pas fait marrer je te vire de mon lecteur dvd à tout jamais". Cette règle, d'une efficacité redoutable, nous a posé quelques problèmes pour des œuvres pas du tout destinées à la comédie, par exemple pour les films des frères Dardenne, mais face à un OVNI comme Fair-Play cette règle est primordiale, même si on peut se laisser tétaniser au point de ne pas pouvoir en décrocher les yeux par cet objet filmique unique au monde et proprement pourri.


"Mon précieux..."

Le film est certes parfois satisfaisant pour ceux qui aiment voir Marion Cotillard en train de souffrir, mais même les plus haineux envers la starlette de pacotille se lasseront extrêmement vite de ce long métrage ignoble, dont on aimerait se rappeler quand on nous demande ce qu'on a vu de pire dans notre vie. Le réalisateur étant depuis complètement tombé aux oubliettes, on peut se dire que la stratégie de Bailliu n'a pas porté ses fruits. Blague à part, connaissez-vous une seule star nommée Lionel (à part Jospin) ? Ah si, y'a bien Lionel Abelansky. La place reste donc à prendre ! Sérieusement vous en trouvez ou pas ? Y'a rien... Si vous en trouvez : ilaose.leblog@gmail.com


Fair-Play de Lionel Bailliu avec Jérémie Rénier, Marion Cotillard, Eric Savin et Benoît Magimel (2006)

30 avril 2012

Toutes nos envies

Qu'est-ce qui ne va pas, Philippe Lioret ? Qu'est-ce qui ne va pas !? Moi, je ne t'avais rien demandé, j'allais très bien, Philippe, tu n'aurais pas dû t'en faire ! Je passais une soirée plutôt tranquille, jusqu'à ce que je mate ton film. Je luttais simplement contre un mal de bide carabiné, conséquence logique d'un barbecue dominical chez mes beaux-parents. "Faire honneur aux repas", "avoir très bon appétit" étant la seule qualité qu'ils me reconnaissent, je m'étais donné pour mission de ne pas faillir à ma belle réputation. Hélas, mon organisme n'est pas habitué à ingurgiter autant de matières grasses, autant de viande grillée. J'ai un peu goûté à tous les vertébrés du monde ce dimanche-là. Ce barbecue, c'était l'Arche de Noé revue et corrigée à la plancha. Quelques feuilles de salades, c'est loin d'être suffisant pour aider à digérer tout ça. A l'heure qu'il est, je lutte encore, et je n'ai pourtant rien avalé depuis. Je suis à la diète. Je rechigne même à boire de l'eau. Rendez-vous compte ! Bref, sachez bien qu'à part cet important souci de digestion, tout allait pour le mieux au moment de lancer Toutes nos envies, le dernier rejeton de Philippe Lioret, cinéaste engagé à dégager, à qui l'on doit déjà l'abominable Je vais bien ne t'en fais pas et le médiocre Welcome.


J'avais à peu près cette mine lorsque j'ai lancé le film.

L'affichage de mon lecteur dvd m'indiquait qu'à peine 9 petites minutes venaient de s'écouler quand j'ai commencé à sombrer dans une sévère dépression mélancolique. Vincent Lindon n'avait même pas encore fait son entrée en scène. Apathique, je suivais innocemment les mésaventures de la belle Marie Gillain dans le rôle de Claire, une jeune juge d'instance confrontée aux personnes en situation de surendettement qui tente de venir en aide à la mère d'une amie de sa petite fille, prise dans l'étau d'un organisme de crédit impitoyable. Dit comme cela, ça n'a l'air de rien, mais croyez-moi, à l'écran, c'est la déprime totale. C'est fait de telle façon que ça vous colle illico un cafard monstrueux. L'énoncé clinique de toutes les sommes que doit la jeune maman endettée n'y est pas étranger. Le fait qu'elle se félicite d'avoir trouvé un emploi à mi-temps en tant que caissière dans un supermarché pourri, croyant cela suffisant pour rembourser ses dettes et subvenir aux besoins de ses trois enfants qu'elle élève seule, ça n'arrange évidemment rien à l'affaire. Ni une ni deux, j'envoyais fissa un mail à mon acolyte Rémi, fan hardcore de Marie Gillain, pour le prévenir de ne pas s'envoyer ce film un soir où son moral serait déjà défaillant. Sitôt le message d'alerte envoyé, je relançais le brûlot de Philippe Lioret et j'apprenais aussi sec qu'il ne restait plus que quelques mois à vivre à la douce Marie Gillain, atteinte d'une tumeur au cerveau incurable. Voilà pour les 10 premières minutes irrespirables de ce film terrible, qui nous prend brutalement en otage et nous saisit à la gorge pour ne plus jamais relâcher son étreinte.


Le seul moment "sexy" du film.

Sérieusement, on n'a pas idée de commencer un film comme ça... J'étais à deux doigts de l'arrêter net pour ne plus jamais le relancer, animé d'une rancune tenace envers Philippe Lioret. Passé le premier quart d'heure, l'arrivée du personnage incarné par le toujours impeccable Vincent Lindon apporte un peu de lumière à ce film si glauque, si gris ; mais c'est tout de même trop maigre. L'acteur a beau faire tout son possible, apporter sa présence pleine de bonhomie et son charisme redoutable, cela ne suffit pas. D'ailleurs, Marie Gillain aussi est très bien, irréprochable, rien à dire là-dessus. En vérité, aucun acteur n'est à blâmer, à l'exception peut-être de celui qui joue l'époux de Marie Gillain (un dénommé Yannick Renier, le demi-frère de Jérémie et qui n'a même pas le quart de son talent), un personnage toujours de bonne humeur, qui s'émerveille de tout, et tout particulièrement de ses propres talents de cuisinier alors même que sa compagne vomit en silence dans la salle de bains. Un type insupportable dont l'humeur contraste méchamment avec celle du spectateur et que l'on a donc très naturellement envie de fracasser. La tignasse redoutable et la mâchoire proéminente de ce comédien n'aident pas du tout à le rendre un brin sympathique. Je le place en état d'arrestation pour délit de sale tronche.


Il faut que Vincent Lindon raye de son carnet d'adresses le nom de Philippe Lioret (et qu'il en profite aussi pour effacer celui de Pierre Jolivet).

Toutes nos envies est un cocktail d'idées noires. Un film-massue à déconseiller aux plus sensibles d'entre nous. Je l'ai moi-même arrêté au bout d'une quarantaine de minutes, dans un réflexe salvateur totalement inespéré en plein repli catatonique. Une sale nuit m'attendait, due à mon estomac en vrac, mais aussi à l'ensemble de mon organisme, mental et physique, que Philippe Lioret avait sournoisement pris pour cible. Ton film se termine peut-être bien, Philippe, mais il commence si mal que je ne le saurai jamais. D'ailleurs, non, il se termine forcément mal puisque Marie Gillain est promise à une mort certaine. A travers le portrait de ces deux personnages campés par Gillain et Lindon, Toutes nos envies a peut-être la louable intention de faire l'éloge de ces combattants du quotidien ancrés dans une réalité sociale éprouvante, violente et cruelle. Certes, mais ça pèse des tonnes et des tonnes, Philippe, et je place très facilement ton pamphlet dans le top 5 des films français les plus cafardeux de ces dix dernières années, alors que la concurrence est extrêmement relevée (je pense par exemple à Partir, mais ça n'est pas le seul). Cet article est là pour vous prévenir, chers lecteurs. Je ne prends aucun plaisir à me rappeler l’œuvre de Philippe Lioret. Toutes nos envies est un sale film. Sans doute un film "utile" dans ce qu'il dénonce de la société actuelle, comme l'était peut-être déjà Welcome, je n'en sais fichtre rien, mais une chose est sûre : c'est fait d'une telle façon qu'on n'a pas envie de voir ça, de s'infliger une telle épreuve. C'est simplement désagréable, pesant, plombant. Un "cinéma de résistance", comme le disent certaines critiques, qui vous paralysera de pessimisme et aura votre peau bien avant d'atteindre sa véritable cible.

Sur ce, je m'en vais prendre du Forlax.


Toutes nos envies de Philippe Lioret avec Marie Gillain, Vincent Lindon, Amandine Deswasmes, Yannick Renier et Pascale Arbillot (2011)

26 novembre 2011

Les Aventures de Philibert, capitaine puceau

Je ne comprendrai jamais ce genre de films. C'est juste fait dans le souci de reproduire du mieux possible des films qui étaient déjà médiocres à leurs sorties, des trucs ultra ringards, de mauvais goût et infiniment laids. C'est donc encore une nostalgie dégueulasse et mal placée qui aboutit à ce genre de films de petits faiseurs ridicules. Et ils font ça bien, ça ne rigole pas : les décors, les costumes, les scènes de duels à l’épée, etc, tout ça est fait avec un soin ostentatoire, insupportable ; c'est vraiment du travail d'orfèvre, réalisé par une bande de petits tocards bien soucieux de coller au plus près possible à leurs modèles minables. On n'est même pas vraiment dans la parodie, le bouchon n'est jamais poussé assez loin. Du coup, forcément, c'est pas drôle une seconde. En fait, on est dans le pastiche sans saveur et sans intérêt. Le réalisateur Sylvain Fusée déclare, non sans une certaine satisfaction du devoir bien accompli : "Le défi était de pasticher les films de cape et d'épée sans tomber dans la parodie. On n'est ni chez les Zucker-Abrahams-Zucker, ni chez Mel Brooks, ni chez les Monty Python". En effet, on est nulle part ! On est dans un film infâme qui donne seulement envie de revoir les quelques réussites des auteurs cités par Fusée. Dans l'esprit, le film peut rappeler les OSS 117 de Michel Hazanavicius, mais l'humour en moins !



On est attristé de voir l'acteur Jérémie Renier se démener comme il peut dans ce spectacle pitoyable. On a même de la peine pour lui quand on s'imagine qu'il a dû s'entraîner pendant des mois à l'escrime pour ce rôle et ce film nullissime, lui qui peut être si doué ailleurs, chez les Dardenne par exemple... Bon, par contre, force est de reconnaître que les tenues moyenâgeuse aux décolletés pigeonnants siéent particulièrement bien à la jeune Élodie Navarre. Pour être plus clair : elles mettent drôlement bien en valeur sa poitrine et c'est un régal pour les yeux de voir ces deux seins grossir au rythme des respirations de la dame. Voilà où on en est ! A parler des gros nibards de l'actrice pour relever le seul point positif de ce si triste film ! Une actrice dont le visage ne respire pourtant pas l'intelligence et qu'on aura tôt fait d'oublier, comme ce film ridicule...


Les Aventures de Philibert, capitaine puceau de Sylvain Fusée avec Jérémie Renier, Manu Payet, Alexandre Astier et les seins d’Élodie Navarre (2011)

12 juin 2011

Le Gamin au vélo

Le Gamin au vélo est un film admirable. Qui méritait largement un prix à Cannes et qui en a naturellement reçu un. Reste à savoir si le Grand Prix suffisait en compétition face au film de Malick... m'est avis que les Dardenne auraient mérité la Palme d'Or, quitte à décorer leur cheminée d'un troisième trophée, et que Malick aurait pu se contenter du Grand Prix, car à octroyer une récompense à Tree of Life, film bien moins abouti et loin d'être aussi parfait que celui des Dardenne, le jury aurait fait meilleure figure en louant sa prétendue témérité narrative, son audace visuelle ou son originalité par le Grand Prix. Mais peu importe, laissons les prix où ils sont et contentons-nous de voir et de revoir ce film des Dardenne, d'y repenser volontairement ou malgré soi avec bonheur et d'en parler. Voir les Dardenne réaliser un nouveau film aussi brillant me pousse définitivement à les considérer parmi la poignée de cinéastes les plus talentueux et les plus importants de notre époque. Ils sont au sommet du Mont Blanc avec ce film qui nous raconte l'histoire de Cyril, bientôt 12 ans, qui n'a qu'une idée en tête : retrouver son père. Ce dernier l'a placé provisoirement dans un foyer pour enfants et Cyril fait tout pour s'en échapper afin de retourner auprès de lui. Il rencontre par hasard Samantha, une jeune femme qui tient un salon de coiffure et qui accepte de l'accueillir chez elle pour les week-ends.



La première chose éblouissante dans ce film c'est son art de la narration. On est littéralement happé par le film dès les premières secondes et on le reste pendant une heure et demi. Comme d'habitude avec les Dardenne - mais c'est ici porté à un niveau encore plus exceptionnel - leur art de l'ellipse (dans la macrostructure) et du montage (dans la microstructure) est unique et absolument remarquable. Ils coupent toujours au moment idéal, évitant tout ce qui pourrait être superflu, et ils jouent de ces coupures et des enchaînements pour permettre au film de s'articuler, au récit de puiser sa vigueur et son énergie dans les manques dont il s’enrichit et au spectateur de combler les vides sans effort pour mieux rester captivé, sidéré par un récit fulgurant et par son mouvement. D'un bout à l'autre de l’œuvre on est complètement plongé dedans, corps et âme, on respire au rythme du film et c'est une sensation pour le moins rare. Peu importe ce que les Dardenne décideraient de nous raconter, on serait invariablement embarqué dans leur histoire. Ils ont un don de conteurs (qui est dans leur cas un pur don de cinéastes car l'histoire du Gamin au vélo n'est pas extrêmement originale ou surprenante en soi, mais l'histoire pour les Dardenne c'est le point de vue, le montage et les acteurs), un don qui n'est guère partagé. A ce titre ils me font penser à Abdellatif Kechiche, l'autre grand storyteller français contemporain. Non seulement on ne s'ennuie jamais devant ce nouveau prodige des frères Dardenne, mais on est impliqué comme jamais dans le film.



Si je devais concéder un léger bémol, en rapport justement avec ce mode de récit typique des Dardenne, je dirais qu'il gît peut-être dans une habitude des cinéastes ici poussée un peu trop loin. A l'époque du Silence de Lorna, le seul semblant de reproche que j'avais pu adresser au film c'était sa manière de systématiser et de surexploiter la fameuse caméra "dans le dos" si anxiogène et si chère aux Dardenne depuis Rosetta. Ici ce qui semblait devenir un système redevient un style puisque la caméra, si elle suit toujours les personnages de près, ne colle plus perpétuellement à leur nuque comme c'était le cas dans le précédent film des cinéastes qui accumulait infatigablement des séquences insoutenables où le spectateur était pris à la gorge par la crainte d'un danger pouvant sourdre à tout instant. Le Gamin au vélo, délesté de cette pesanteur systématique, trouve son seul possible défaut dans une autre habitude des cinéastes utilisée avec insistance, celle qui consiste à laisser au spectateur un temps d'avance sur les personnages. On en sait toujours plus que les protagonistes, on pressent ce qui va advenir et qu'ils ignorent, que ce soit dû à des effets de scénario (par exemple quand Cyril suit le jeune garçon qui lui a piqué son vélo pour tomber dans une sorte de traquenard), ou à des effets d'annonce pas toujours très finauds (comme à la fin quand le gamin dit à Samantha qu'il va acheter du charbon de bois dans un autre magasin). Mais en fin de compte ces légers défauts sont aussi des qualités. D'abord parce que les effets d'annonce, s'ils sont confirmés par le scénario (car il arrive bien quelque chose après chaque annonce, comme on l'attendait), sont toujours légèrement trompés par l'évolution du récit (par exemple le gamin ne se fait pas rouer de coups par les camarades du voleur de bicyclette, et il ne tombe pas non plus sur la bande du soi-disant dealer quand il va chercher du charbon de bois), si bien qu'on est quand même toujours surpris. Et puis il faut dire que malgré ces effets d'annonce, qui pourraient donner l'impression que le scénario serait cousu de fil blanc, on reste imperturbablement absorbé par le film, ce qui achève de prouver l'immense talent de metteurs en scène des Dardenne. Conclusion : je n'ai aucun bémol à adresser à ce film.



En prime les frères Dardenne se départissent un peu de la politique du pire qu'ils semblaient avoir irrémédiablement embrayée avec Le Silence de Lorna. Recelant quelques touches d'humour appréciables, leur nouveau film n'est pas complètement gai pour autant mais il est bien moins éprouvant et anéantissant que le précédent. Les frères Dardenne ont expliqué ce changement de ton en conférence de presse à Cannes, où ils ont loué les mérites du jeune acteur qui incarne Cyril, Thomas Doret, dont l'énergie communicative et la bonne humeur inébranlable auraient contaminé tout le plateau lors du tournage. L'explication vaut ce qu'elle vaut, toujours est-il qu'à l'image transpire la bienveillance des cinéastes à l'égard de leurs personnages. La caméra au plus près des acteurs, les suivant dans leur sillages et ne les précédant jamais, comme tributaire des faits et gestes imprévisibles de ceux dont elle enregistre le mouvement, se veut moins oppressante que dans les films précédents où elle semblait cerner les protagonistes et les enfermer dans son cadre vers une suite de malheurs toujours plus grands. Le regard attendri des cinéastes semble protecteur et, conjugué à celui, parfois désespéré, des personnages, il provoque et permet à lui seul l'espoir. Néanmoins, quand bien même la qualité de ce regard a changé, le style reste le même et il s'améliore encore. On peut commencer à songer sérieusement que les Dardenne sont les véritables héritiers de Robert Bresson, bien davantage que Bruno Dumont qu'on inscrit habituellement dans la première lignée de cette filiation. La façon qu'ont les Dardenne de coller au plus près des acteurs, de se déplacer avec cet enfant qui remue tout le temps, qui court, qui pédale, qui donne au film sa propre vitesse ; la manière dont ils filment avec simplicité, comme voulant enregistrer les faits et gestes de leurs personnages pour nous les rendre passionnants dans leur authenticité, substituant toute psychologie à leurs regards, mots, corps, tout en créant une mise en scène parfaite, limpide, allant à l'essentiel, et qui fait sens dans sa continuité, où elle gagne toute sa beauté, par l'enchaînement des plans et par les manques qu'ils glissent entre ces plans ; leur utilisation du son, toujours savante, ou de la musique qui scande le film et qui, coupée après ses premiers accords, signifie peut-être la frustration des protagonistes et leur incapacité momentanée à se focaliser, ces premiers accords du 5ème concerto de Beethoven sont utilisés exactement comme Bresson utilisait les premiers accords de la messe en ut mineur de Mozart dans Un Condamnée à mort s'est échappé : cessant dès la fin du générique, la courte phrase d'introduction revenait à plusieurs reprises accompagner certaines fins de séquence afin de ne rien ajouter à une œuvre par ailleurs d'une musicalité rare, déployant une harmonie de sons et de silences, et pour manifester la répétition, au sens littéral et au sens théâtral du terme, comme signalant des relances dans les tentatives successives d'évasion pour aboutir à une libération ; mais on peut aussi parler de l'humanisme chrétien des Dardenne, quand ils finissent tous leurs films par une chute ou une immersion dans l'eau, tout cela n'est pas sans rappeler un film comme Mouchette par exemple, ou tout l'art de Bresson de manière plus générale.



La précision obsessionnelle de la réalisation s'efface à l'image pour laisser place à un récit qui s'écoule en toute simplicité et qui a l'aspect de l'évidence. Car l'intelligence des Dardenne est aussi une intelligence émotionnelle. Quand le gamin demande : "Pourquoi tu as accepté de m'accueillir ?", Samantha répond : "Je sais pas", et on sait que c'est vrai. Samantha n'est pas une femme sans enfant frustrée, c'est simplement une femme qui accueille un enfant et qui se met à l'aimer, et on y croit sincèrement. On croit d'autant plus à cette relation que les Dardenne ne suivent pas le canevas narratif habituel, convenu et insupportable hérité de la tragédie et mis au tapis par une écrasante majorité de mauvais films basé sur son modèle, le fameux : "Tout va bien - Élément perturbateur, tout va mal - Résolution temporaire - Nouvel élément perturbateur, tout va encore plus mal - Résolution finale, tout est bien qui finit bien" (à ceci près que dans la tragédie le personnage est plutôt censé mourir lors du dénouement). Ce faisant ils s'évitent le passage central obligé où tout est censé être idéal. En général ces séquences-là sont constituées d'une plage musicale couvrant une écœurante imagerie de clip où l'on voit les personnages s'amuser, rire, s'aimer dans le bain, dans le lit ou à la plage de préférence, et exit le son diégétique de la scène, à part pour les éclats de rire, au profit d'une musique mielleuse placée là pour emporter le sourire du spectateur et mieux le lui arracher ensuite via un second emmerdement bien vachard. Les Dardenne ne font pas dans le chromo ou dans l'idylle mensongère. Ce n'est qu'à la fin du film que Samantha et Cyril s'accordent une après-midi heureuse avec un pique-nique dans l'herbe, après avoir été réellement soudés par des événements difficiles et après une réconciliation compliquée, bref après 1h15 de film, soit après que leur relation le permet effectivement et encore ne sont-ils pas en train de dialoguer en grands amis intimes, ils se contentent d'inviter des amis à manger et de rire un peu.



Ce souffle de vérité est perpétuel dans le film. On peut admirer aussi les regards du gamin qui parfois balayent dans le vide avec ce sérieux typique de l'enfance, qu'il soit en train de rire avec Samantha ou d'entendre le pire de la bouche de son père. Ces regards-là, sa façon de passer ses doigts sous un jet d'eau sans rien dire, le moment où il se frappe dans la voiture, toutes ces scènes sont d'une sensibilité et d'une exactitude précieuses. On y croit parfaitement, d'autant plus qu'on s'y reconnaît forcément, à moins que ce ne soit l'inverse. On croit même aux moments moins crédibles du scénario comme quand le copain de Samantha lui pose un ultimatum ou quand le gamin arrive à mettre KO deux types. Les personnages ne sont jamais triturés, expliqués, grossis à la loupe, et pourtant ils sont complets et fascinants. Y compris le personnage du père, joué par un excellent Jérémie Rénier qui parvient à donner corps à l'homme qu'il incarne en très peu de scènes et avec presque rien. Tous les acteurs sont partie prenante de la puissance du récit, car ce qui rend le film si beau c'est la justesse improbable dont les Dardenne font preuve en permanence. Que ce soit dans l'élaboration du rapport entre Samantha (Cécile de France, excellente, enfin) et le gamin, par exemple quand elle va le voir dans son lit et qu'il lui parle de sa respiration chaude, qu'il sent sur son épaule. Que ce soit encore la façon dont se nouent les liens entre ces deux personnages, jamais psychologisés ou laborieusement expliqués. La naissance de leur relation est sublimée par la mise en scène. Après avoir croisé Samantha dans une salle d'attente de médecin au rez-de-chaussée de l'immeuble de son père, et après s'être agrippé à elle pour échapper aux éducateurs du centre où il ne veut pas retourner, Cyril la retrouve au foyer quand elle lui ramène son si précieux vélo, racheté à l'homme auquel son père l'avait vendu. Concluons d'ailleurs cet éloge avec l'évocation de ce plan séquence discret mais savant, qui n'est peut-être pas le plus touchant du film mais qui en résume bien les enjeux, où le gamin récupère son vélo, moyen idéal d'accélération voire d'évasion, fait quelques démonstrations de maîtrise de l'engin à Samantha et finalement tourne autour de la voiture de la jeune femme, qui démarre pour quitter le foyer. Soudain le gamin accélère dans la roue du véhicule, ce que nous prenons aussitôt, comme les éducateurs du centre, pour une tentative de fuite. Mais un raccord nous montre l'enfant s'arrêtant simplement au niveau de la portière de Samantha pour lui demander s'il peut aller chez elle pour les week-ends. Elle répond qu'elle va y réfléchir et qu'elle rappellera. Et les Dardenne se gardent bien de nous montrer l'attende du coup de fil ou l'appel lui-même, on saute immédiatement au premier week-end partagé par Cyril et Samantha. Cette virtuosité sans afféteries de la mise en scène et cette intelligence suprême du montage sont rarissimes, et font de ce nouveau film des frères Dardenne une œuvre en tout point admirable.


Le Gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne avec Thomas Doret, Cécile de France et Jérémie Rénier (2011)

30 mai 2011

Mission

En l'an de grâce 1986, le cœur d'un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl entra en fusion, le nuage radioactif fit demi tour à la frontière belge et Roland Joffé remporta la Palme d'Or du festival de Cannes des mains du président Sydney Pollack pour son deuxième film après le très remarqué La Déchirure sur le génocide Cambodgien. C'est de cette Palme attribuée à The Mission dont je voudrais vous parler dans le cadre de notre semaine thématique consacrée aux grands lauréats du festival de Cannes. Après un premier film au sujet déjà périlleux, Roland Joffé, réalisateur britannique, poursuivit sa carrière en abordant immédiatement un autre grand fait historique. Le film évoque les 150 ans d'histoire des réductions Guaranies. C'est ainsi qu'on appelait les missions bâties pour accueillir les indiens Guaranis et pour les évangéliser dans des sortes de républiques autonomes créées par les jésuites et approuvées par le pouvoir colonial espagnol aux confins de l'Amérique du Sud. Suite à des conflits d'intérêt avec l'église catholique et le pouvoir Portugais, ces missions furent compromises et l'entreprise déboucha sur la guerre des Guaranis qui s'étendit de 1754 à 1756.




Le film est raconté en voix-off par le cardinal Altamirano, visiteur apostolique de ces missions jésuites écrivant son rapport au Pape après avoir été envoyé sur les lieux pour, officiellement, estimer le degré d'humanité des indiens, officieusement, pour en signer l'arrêt de mort afin de préserver l'intérêt supérieur de l’Église. Son récit nous présente un prêtre jésuite, le Père Gabriel, interprété par le toujours excellent Jérémy Irons, accompagné d'un frère joué par Liam Neeson, tous deux voués à convertir les Amérindiens à l'amour de Dieu et œuvrant pour les réunir par le travail partagé dans des missions paradisiaques. Mais ils sont très vite rejoints par un chasseur d’esclaves sans pitié, Rodriguo Mendoza, incarné par le Robert De Niro, venu capturé les Guaranis en vue de les vendre aux Portugais. Après une rapide rencontre dans la forêt luxuriante du Paraguay entre les personnages antagonistes que sont le Père Gabriel et Mendoza, le film se détourne étonnamment des peuplades indiennes et de leurs convertisseurs pacifiques pour se focaliser sur De Niro rentrant en ville avec ses nouvelles prises pieds et poings liés. Mendoza a le port altier et fière allure sur son étalon noir quand il croise le regard de sa promise, jouée par la très jolie Cherie Lunghi (alors épouse de Joffé), penchée au balcon et faisant grise mine. On aura tôt fait de découvrir que la jeune femme couche amoureusement avec le frère de Mendoza quand celui-ci est absent, occupé à chasser de l'Indien. Découvrant le pot-aux-roses, De Niro est abattu. Il tire alors cette tronche qu'on lui connaît, cette face contrariée et chiffonnée qui ne donne pas envie de s'y frotter.




Mendoza s'éclipse d'abord, méditant la tromperie de sa femme et de son frère et ressassant certainement son désespoir en les imaginant en train de batifoler dans son dos. Quiconque est cocu se met involontairement à imaginer sa femme dans les bras de l'autre, mais qu'en est-il de la précision des images ainsi fabriquées quand la babouse trompée connaît aussi bien son épouse que l'amant de son épouse ? On se figure assez bien la torture que cela doit être en admirant le visage bouchonné de De Niro. Quelques courtes minutes plus tard, la nuit venue, De Niro rumine encore la trahison des deux êtres qui lui sont le plus chers (et on le comprend), quand il tombe sur son frère au cours d'une fête de village bariolée et bien rythmée. La bousculade a lieu et implique un tiers qui se plaint qu'on lui marche sur les pieds, regrettant ses mots quand De Niro s'approche de lui et lui demande en substance : "Are you talkin' to me ?", dans un échange de regards tétanisant. Le type agressé fait dans son froc et, pour détourner Mendoza de ce conflit en germe, son frère le bouscule à nouveau. S'ensuit une baston qui aboutira à la mort du petit frère judas.




Après ce meurtre atroce, commandé par la rage, Bobby De Niro s'enferme dans une geôle et dans le silence pour expier son péché. C'est alors qu'un religieux le présente au Père Gabriel (Irons donc), bien décidé à lui venir en aide malgré ce qu'il sait des exactions criminelles de celui qui devrait être son ennemi juré. Quêtant la rédemption, Mendoza accepte de suivre le prêtre dans son nouveau voyage en terre Guaranie mais à une condition : tirer d'un bout à l'autre du trajet un énorme fardeau, littéralement matérialisé par un arsenal d'armes et d'armures amassées dans un sac de cordes que l'ancien chasseur de prime est bien décidé à traîner sans aucune aide jusqu'au cœur de la forêt et à flanc de falaise, sous ces grandes cascades d'eau que Joffé filme avec exaltation. Après être arrivé à destination, Mendoza se convertit et devient frère pour aider, à la suite du prêtre, le peuple Guarani. Plus loin dans le film il sera question de cette foi et de la meilleure façon de l'accomplir. Il sera aussi question de guerre et de la légitimité ou non qu'il y a à se battre pour se défendre, à répondre à la violence par la violence ou à tendre la fameuse autre joue pour s'en reprendre une louchée dans la tronche.




Quand la mission est attaquée par l'armée à la fin du film, Mendoza s'oppose au Père Gabriel et renonce à ses vœux pour combattre auprès des Guaranis dans une lutte sans espoir. Le prêtre quant à lui préconise l'amour et préfère mourir sans opposer de résistance. Joffé filme assez remarquablement ce dilemme tout en représentant avec justesse la barbarie des soldats gouvernés par l’Église catholique. Libre au spectateur de pencher pour l'une ou l'autre vision de la réaction la plus noble à adopter face à une agression caractérisée. Par ailleurs, on est tenté de pinailler face à la vision idyllique des missions jésuites que propose le cinéaste. Les prêtres convertisseurs venus évangéliser les indiens sont légèrement idéalisés et leur accomplissement, ces villages élevés à la gloire de Dieu et ces indiens chantant les évangiles sans les comprendre, sont éclairés avec amour et filmés comme un havre de paix touché par la grâce. Mais c'est oublier que le film est raconté du point de vue du cardinal Altamirano, que le réalisateur filme lorsqu'il découvre les missions avec un regard ébahi, subjugué et ému. Sans compter que Joffé filme son sujet en respectant les points de vues de l'époque qui sert de décor à l'histoire, une époque où la nécessité d'évangéliser les indiens était indiscutable et où la seule discussion possible portait sur la question de la nature des autochtones, humains ou animaux, et sur la possibilité ou non de les convertir à Dieu si jamais on les considérait comme égaux. Ce portrait d'une époque et de ses mentalités, sans jugement à posteriori, donne un grand intérêt au film de Joffé. C'est ce que parvint aussi à faire quelqu'un comme Jean-Claude Carrière dans l'excellente Controverse de Valladolid, qui opposait le dominicain Bartolomé de Las Casas (Jean-Pierre Marielle) et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda (Jean-Louis Trintignant) dans un débat quant à la nature présumée des amérindiens.




Mais je voudrais revenir sur la superbe séquence où Bob De Niro tire son lourd fardeau de métal à bout de corde tout en se hissant difficilement en haut des immenses falaises de la jungle et sous des cascades assourdissantes. Cette scène est magnifique. Voir Robert De Niro en guenilles, tirant la tronche, comme d'hab, avec ses longs cheveux bouclés détrempés, sa barbe hirsute et ses pieds nus écorchés par la roche, forcer sur ses bras et sur ses pattes pour monter un colis inutile en haut d'une interminable falaise, c'est un plaisir des yeux infini. Un plaisir des ouïes aussi, car la musique qui accompagne cette longue séquence est signée Ennio Morricone. Ce cher Ennio ! Comme c'est parfois le cas avec les bandes originales du grand compositeur italien, le morceau est presque irritant, il est lancinant et mime une ascension lente et pénible, épuisante et difficile. C'est presque énervant et dans le même temps c'est envoûtant. A l'image de cette scène que la musique emporte et où nous admirons le grand Robert, l'immense De Niro, beau comme un Dieu, tirant sa charrue impie avec passion comme le Christ portait sa croix.




A la fin de la séquence, les prêtres et Mendoza arrivent enfin au sommet de la falaise et sont reçus par les Guaranis qui commencent par s'inquiéter en voyant débarquer leur nemesis, celui qui a capturé et assassiné des dizaines de leurs frères, même s'il apparaît bien réduit après une telle grimpée et s'il a perdu un peu de sa superbe de conquistador à barbichette. Pourtant Dieu m'est témoin qu'il est plus beau que jamais. Et les indiens semblent être de mon avis puisque l'un d'entre eux s'approche de De Niro, lui met un couteau sous la gorge, l'insulte probablement dans sa langue, et finit par couper la corde qui le relie à son fardeau, qu'il pousse dans la cascade pour ensuite retourner près de De Niro et l'embrasser en riant. Tous les Guaranis éclatent de rire, d'un rire de joie, tandis que Mendoza fond en larmes, épuisé, libéré de sa culpabilité et de sa peine, déchargé de toute sa haine et profondément bouleversé par le pardon que lui accordent sans procès les indiens Guaranis. Il faut voir De Niro chialer comme un bébé, c'est quelque chose que vous n'oublierez jamais.




Pour terminer sur une trivia croustillante, sachez que toute l'équipe du film, et quand je dis toute c'est toute, de Joffé à Irons en passant par Neeson et Morricone (pourtant resté chez lui en Italie, mais le courrier peut porter des germes), toute l'équipe du film a contracté la dysenterie sur le plateau. Le Cast and Crew quatre étoiles venu tout droit d'Hollywood a fait de la jungle sud-américaine un cabinet grandeur nature. Entre deux prises, Jérémy Irons et Liam Neeson jouaient des coudes pour atteindre le pipi-room en premier, c'est-à-dire le fleuve le plus proche, histoire de déféquer tous leurs morts dans une diarrhée en cascade. Mais quand je dis toute l'équipe, c'est toute l'équipe sauf Robert De Niro. Véridique. Alors d'aucuns diront que l'acteur américain number one est un surhomme intouchable, un géant de fer inoxydable, d'autres comme moi penseront plutôt que s'il n'a pas chopé la tourista c'est parce que De Niro souffre depuis des lustres d'un fécalome. Mais le seul moyen de diagnostiquer cette forme de constipation abdominale et abominable étant le toucher rectal, l'acteur préfère souffrir en silence car, comme il l'a déjà glissé dans quelques uns de ses films au détour de dialogues pas toujours appropriés - et notamment dans une scène mémorable des Nerfs à vif - en tournant les talons et en pointant son derrière du bout de l'index, personne n'est jamais passé là et par là jamais personne ne passera. Cette accumulation de matières fécales déshydratées et stagnantes dans le rectum de notre acteur préféré explique peut-être son éternel rictus d'agacement et les accès de colère noire du président du jury sur la croisette lors du dernier festival de Cannes.


Mission de Roland Joffé avec Robert De Niro, Jérémy Irons et Liam Neeson (1986)

18 mai 2011

De la guerre

J'ai trouvé des qualités à ce film de Bertrand Bonello qui connut en 2007 un cuisant échec commercial et critique, mais je dois bien dire qu'il m'a tout de même déçu. Le début du film m'a totalement happé, notamment cette idée d'une nuit béate et révélatrice que le héros passe dans un cercueil suite à un bête incident, idée prometteuse s'il en est. A son réveil, le personnage (Mathieu Amalric) n'est plus le même et il suit avec dévotion un drôle de type (Guillaume Depardieu) qui le conduit vers un lieu coupé du reste du monde, le "Royaume", une secte vouée à la quête du plaisir. Dans ce lieu qui symbolise le cerveau humain, l'érotisme et l'horreur se conjuguent de liens en liens, et le plaisir n'étant pas chose acquise, c'est un manuel de guerrier à la main que les adeptes doivent y accéder. Mais le film se perd très vite dans une sorte de fourbi aux milles influences. De Brisseau à Eyes Wide Shut, en passant par Breillat ou Desplechin, sans oublier de faire un tour chez Weerasethakul et Lynch, avec George Bataille en toile de fond, on baigne dans toutes les références appelées de près ou de loin par le sujet. Il y a à boire et à manger et on frôle le haut le cœur. Quand on penche du côté Deplechin tout va bien (ce sont les scènes hors de la secte qui sont concernées), mais quand on se laisse aller vers Brisseau ou Lynch, ça devient périlleux, et parfois très laid, sauf exceptions comme nous le verrons.



Dans Le Pornographe, Bonello digérait - et avec excellence - l'héritage de la Nouvelle Vague (comprise et intégrée, non pas ressassée sur le mode nostalgique et platement imitée comme peut le faire Christophe Honoré dans Les Chansons d'amour). Dans Tiresia il en était détaché et pouvait se plonger dans un cinéma résolument moderne. Un cinéma difficile, rugueux, dangereux, extrêmement contemporain, dans une veine exploitée par Bruno Dumont ou Pedro Costa. C'était ce que c'était mais ça avait le mérite d'être singulier. Là on a plutôt affaire à une sorte de pot pourri de tout un tas d'influences modernes, qui, dans un patchwork désordonné et inégal, laissent un sentiment de déséquilibre, un goût d'inachevé, sinon de raté. Il y a des choses que je trouve très réussies dans le film. Comme le début, je l'ai déjà dit, mais certaines scènes au milieu du récit aussi, quand Bertrand (c'est le nom du personnage, double fictionnel de Bonello il est d'ailleurs réalisateur et prépare un film intitulé Tiresia) retourne en ville. La séquence est très bonne, notamment la scène dans le magasin de disques avec Clotilde Hesme. Cette scène est excellente même si elle m'a semblé un peu trop écrite, un peu trop belle (cinématographiquement parlant) et un peu trop séduisante (scénaristiquement parlant), ce qui contraste avec le reste du film et semble témoigner d'un désir de Bonello de rattraper le spectateur à ce moment-là et de raccrocher les wagons de son film. Et ça marche puisqu'on prend un grand bol d'air avec cette scène.



La séquence où le personnage retrouve sa mère est excellente aussi, et puis celle où le bruit des ambulances dans la rue devient assourdissant. Ceci dit je dois avouer que j'aurais préféré, sur l'instant, que le retour à la ville fût définitif. Quand le personnage revient à la vraie vie, je me suis dit que c'était brillant de la part de Bonello d'arrêter la partie "secte" assez vite pour surprendre le spectateur d'une part et d'autre part pour laisser le film jouir de l'empreinte de cette première partie et en renaître pendant presque une heure. J'ai pensé que toutes les scènes de secte allaient peut-être prendre un nouveau sens à l'aune de ce qui allait en découler. C'est pourquoi, même si cette séquence est excellente, j'ai été déçu que Bertrand retourne au Royaume après elle. C'est aussi parce que les scènes du Royaume sont souvent ratées. Sauf celle où Bertrand raconte à Léa Seydoux le film qu'il a écrit et qu'il aimerait faire, qui est donc Tiresia, film qui le hante jusque dans la nuit. Amalric, une fois de plus très convainquant, joue parfaitement ce dialogue. Il raconte l'histoire de son film exactement comme le ferait quiconque a écrit une histoire et la raconte pour la 20ème fois à quelqu'un après l'avoir déjà brassée 100 fois dans sa propre tête. Dans des scènes comme ça, Bonello insuffle une justesse remarquable à son film.



Autre très belle scène, la danse mystique en groupe dans les bois avec la musique répétitive et les lumières blanches qui clignotent. Cette séquence est très belle parce que Bonello a depuis toujours le corps pour obsession, ou plutôt les mouvements tantôt gouvernés tantôt incontrôlés du corps. Cette séquence se fait l'écho de la danse spasmodique accélérée de Jérémie Rénier sur Marcia Baila des Rita Mitsouko, seul sur la piste d'une boîte de nuit, dans l'une des plus belles scènes du Pornographe. Bonello semble être passionné par ce genre de mouvements irraisonnés, appelés par la musique, où le corps se libère de tout contrôle et se désarticule jusqu'à l'abstraction. Cette scène de groupe répond littéralement au plan-séquence sur Jérémie Rénier, où c'était un être seul, libéré, heureux, jeune, et bientôt père alors qu'il venait de ressusciter le sien (de père, joué par Jean-Pierre Léaud), qui s'agitait gracieusement sur une musique populaire en plan fixe accéléré. A quoi vient donc s'opposer une mise en scène très présente, dans un cadre douteux (celui de la secte), sur une musique expérimentale et dans un décor aussi naturel que travaillé (les bois, parsemés de lumières blanches scintillantes).



Bertrand, le personnage du film, a digéré sa Nouvelle Vague (Le Pornographe), puis il a travaillé à un film tranchant qui affichait la volonté de heurter (Tiresia), et il n'a désormais plus de père pour panser ces plaies. Il a perdu le sien, comme le lui rappelle violemment sa mère, entraînant littéralement une chute (Amalric commence à y être habitué après tous ses effondrements dans les films de Desplechin). Le père est réduit à son cercueil, l'endroit précisément où Bertrand se retrouve enfermé et où il veut être sans y retourner. C'est toute la question, celle de vivre dans et avec la mort sans vouloir mourir pour autant. Alors la libération du corps passe par un travail, un décor, une mise en scène, ici une secte. C'est ce travail-là, cette quête de la vérité dans le faux organisé, que filme Bonello, qui montre les corps évoluer, ramper, danser, courir, se pénétrer, se chevaucher, se bousculer, se substituer et ainsi de suite. Il filme une progression, comme toujours, une évolution, un changement, un travestissement, une fusion (du père et du fils, de l'homme et de la femme, de la vie et de la mort). Très contemporaine, la transformation du corps vers la liberté est dans ce film le fruit d'une schizophrénie concertée.

Mais le film s'embourbe souvent autant que ses personnages et il en vient à ressembler à son propos au point de paraître lui-même trop organisé dans sa désorganisation, trop travaillé dans son fouillis. A la fin du film on voit Bertrand faire sa guerre seul, et quand il est dans la forêt et qu'il semble frapper dans le vide avec son épée, ce sont en réalité les plans de danse collective qu'il frappe grâce à un montage alterné tout en faux raccords. Son ascèse se fera en solitaire, pas dans le groupe factice de la secte. A ce moment là il évolue seul, il progresse dans la forêt à sa manière, il danse en solitaire, il se libère et il peut trancher dans la thérapie de groupe. C'est définitivement dans le meurtre (du père, de soi) que se trouve le plaisir de l'existence, ou quand le fantôme de Georges Bataille plane sur le film... Certains plans sont très beaux et beaucoup de scènes sont savamment orchestrées. D'autres moins. Je prendrais pour exemple la métaphore un peu facile du héros qui arrive enfin à nager pour symboliser sa victoire intime et psychologique.



Bonello a fait un film très intelligent, savamment mis en scène, mais un peu trop long, un peu trop inégal, un peu trop... et un peu fatiguant. Bien des scènes sont ennuyeuses voire regrettables, notamment celles de la secte, avec le gros chien noir, le macchabée, les scènes de sexe, et ainsi de suite. Je trouve donc le film assez brillant sous bien des aspects, très spirituel, et parfois très beau, mais malheureusement souvent trop chargé et parfois bien maladroit. C'est quelque peu irritant, globalement décevant, même si le film demeure très intéressant, et si je ne parle pratiquement que des bons moments du film c'est aussi parce qu'il constitue une prise de risque évidente et parce qu'il fait figure de transition dans l’œuvre de Bonello, cinéaste remarquable et déjà essentiel.


De la guerre de Bertrand Bonello avec Mathieu Amalric, Guillaume Depardieu, Asia Argento et Clotilde Hesme (2007)

2 janvier 2011

Demain dès l'aube

Je ne voulais pas commencer la nouvelle année en parlant d'un film dont personne n'a rien à foutre et pourtant c'est ce que je vais faire. Cette année 2011 a mal commencé pour moi de toutes façons... Au repas du Nouvel An mon tonton m'a craché dessus sous prétexte que j'ai pas voté Sarkozy en 2007 et quant à mon arrière-mémé, qui comme d'habitude n'en a que pour elle, elle s'est contentée de faire sous elle à minuit pile. Alors je ne vous épargnerai pas en vous faisant la grâce d'un chouette film d'ouverture et je vais vous parler de Demain dès l'aube de Denis Dercourt (et il ne s'agit pas d'un énième épisode de la saga James Bond). Normalement vous avez tous tracé vos routes du blog mais je continue. Pour vous dire que ce film ressemble un peu à son affiche. Je ne fais pas référence à la phrase d'accroche, d'une rare débilité, mais bien à l'affiche. D'abord un mot sur la phrase d'accroche quand même, qui vaut le détour : "Deux frères, un jeu, une vengeance"... C'était mot pour mot la catchphrase de Ben-Hur, celle de The Game, de Old Boy, des Trois frères, des Deux frères félins siamois de Jean-Jacques Annaud aussi, du Robin des bois de Kevin Costner et Christian Slater mais aussi le sous-titre de Ma meilleure ennemie, où les deux frères étaient interprétés par Julia Roberts et Susan Sarandon. Mais revenons à l'affiche qui annonce d'abord un film intriguant, car on sent bien que les costumes laissent présager quelque chose de plutôt déroutant du type faille spatio-temporelle et autres voyages dans le temps, comme sur le poster des Visiteurs qui décore encore la porte de mes chiottes. Et en même temps l'affiche du film de Dercourt n'arrive pas à la cheville de celle de Jean-Marie Poiré, ça vaut pas cher et ça saute aux yeux, y'a qu'à regarder ce collage photoshopé de derrière les fagots qui rassemble fort mal les deux acteurs en présence dans le même plan. J'ai tendu cette affiche à même le mur porteur de mon séjour histoire de jouer aux fléchettes dessus avec ma collection de Laguioles que j'ai eu à Noël. Trop content de ce cadeau.



Denis Dercourt reprend deux des sujets favoris des millions d'émissions de Jean-Luc Delarue et de Sophie Davant aka Pikachu, à savoir les frères qui se bastonnent à mort d'une part, et ces gens appelés "rôlistes" d'autre part, des types un peu schizo sur les bords qui, tous les week-ends, enfilent de vieux costumes de l'époque napoléonienne et se caillassent dans des champs reculés du Massif Central ou de la Dordogne à la façon de nos ancêtres trépanés dans des jeux de rôles à échelle humaine pris très au sérieux par ces tarés de première.



Vincent Perez, égal à lui-même, lisse comme une couille, interprète un illustre pianiste en pleine rupture conjugale qui s'en retourne vivre un temps dans la maison maternelle afin de soutenir sa mère mourante et de renouer avec son frère, Jérémie Renier, particulièrement exaspérant dans son rôle de rôliste cinglé coiffé chaque matin à la Glue 3. A de rares instants la sauce prend et le décalage entre la réalité et l'univers parallèle des tchiplés, qui se prennent pour des hussards à grimper sans arrêt sur le toit, suscite une ambiance de très inquiétante étrangeté presque intéressante. Pas assez pour vraiment captiver (j'ai vu le film en 18 fois), juste assez pour intriguer (j'ai quand même relancé le film 17 fois, du coup).



Ce long métrage ressemble un peu à son affiche donc, même si j'ai oublié pourquoi, mais il ressemble surtout à l'actrice Anne Marivin (révélée dans Bienvenue chez les Ch'tis), qui joue l'épouse et agente acariâtre du pianiste Vincent Perez. Le visage de cette comédienne est d'une dissymétrie fascinante, elle est à la limite d'être charmante tout en tutoyant la plus singulière laideur. Du même coup on a le désir de la regarder plus longtemps pour saisir le mystère de ce faciès si changeant d'une seconde à l'autre, comme victime d'un morphing permanent et capricieux, et concomitamment pour faire le point sur sa gueule de freak histoire de ne plus jamais avoir à y revenir. Idem pour le film de Denis Dercourt : on ira jusqu'au bout pour en être débarrassé à tout jamais. A la fin, le réalisateur amalgame les deux univers - réel et ludique - qui jusqu'ici ne faisaient que se télescoper, et à ce moment-là le film perd sa minuscule pointe d'intérêt pour aboutir à une bête histoire de vengeance, niaise pour ne pas dire douteuse. Donc globalement c'est pas un bon film.


Demain dès l'aube de Denis Dercourt avec Vincent Perez, Jérémie Renier et Anne Marivin (2009)

8 novembre 2010

Pièce montée

Avant-hier soir, après une longue journée de boulot, après des quarts de finale de coupe du monde très enlevés contre Félix, disputés le coutelas entre les dents, après quatre tartines de Nutella et deux godets de lait frais, après une conversation ultra cafardeuse avec ce même con de Félix, il était 1h du matin, je me suis dit : "t'as plus que 7h de sommeil avant de repartir pour 8h de taff, clamse-toi avec Pièce montée". Et j'ai failli ne jamais m'endormir... Ne plus jamais m'endormir. Jamais de la vie. Pour ne plus perdre une seule seconde d'une vie trop courte et trop écourtée par ce film qui m'a vampirisé le corps et l'esprit toute une nuit. Je l'ai relancé hier soir. Et donc vu en entier, sans en louper une miette. C'est vraiment de la pure et intacte merde. L'histoire d'un mariage à la con. Faut voir la pauvreté des deux mariés du film... En gros pour résumer les deux héros : ils se marient, ils n'aiment pas leurs belle-mères respectives voire leur propre reum, et ils s'aiment suffisamment pour que le moindre quiproquo les pousse à croire que l'autre est infidèle et qu'il est la pire des raclures. 
 
 
 
 
Clémence Poésy et Jérémie Renier me font de plus en plus de peine à trainer leurs mèches péroxydées dans les pires daubes. Ils ont l'air terrible de deux peigne-cul (pluriel à peigne, à cul, aux deux ? Je vous laisse juges). Je veux dire qu'ils donnent envie de les utiliser pour se peigner la raie dans un remake crade du fameux Jack dans la brousse de D.H. Lawrence. Marielle se sauve comme toujours mais c'est Marielle, et son jeu d'acteur est marqué par la culpabilité de faire partie de la fête. De même que Danièle Darrieux d'ailleurs. Et c'est pas pour rien qu'ils passent tout le film dans les bras l'un de l'autre, loin des autres cons. Parce qu'en plus l'idée du film c'est que les vieux sont merveilleux et que les jeunes sont des enflures. C'est une idée... Par exemple comme l'idée que je viens d'avoir de fuir toute apparition de Charlotte de Turckeim ! Putain de film...  
 
 
Pièce montée de Denys Granier-Deferre avec Jérémie Renier et Clémence Poésy (2010)

10 février 2009

Le Silence de Lorna

Le dernier film des frères Dardenne est un excellent film qui m'a en partie déçu. Ce film est assez beau, il est intelligent et il est touchant. Seulement voila, je commence à sérieusement me lasser de la "petite cuisine" des Dardenne. Elle est bonne, bien préparée et sincèrement servie, mais bouffer le même plat tous les jours, quand ce plat là donne envie d'utiliser ses propres pompes comme cendriers, ça commence à sérieusement écœurer. Les Dardenne savaient jusqu'ici contourner le misérabilisme inhérent à leur(s) sujet(s), le refouler, flirter avec en l'évitant toujours. Désormais le mot est lâché. Le pire c'est que le film lui-même n'y saute pas à pieds joints, mais avec ce film, c'est les Dardenne, dans la suite logique de leur histoire d'auteurs, qui s'y enfoncent profondément, dans ce misérabilisme lourd, presque pathétique. Et c'est là que le bât blesse, car c'est l'apogée de leur travail qui les conduit tout droit à cette complaisance à se plonger dans un mal toujours plus rugueux, toujours plus total. Le héros des Dardenne, qui a toujours été une victime (parfois même victime d'elle-même), est toujours plus victime, toujours plus impuissant, toujours plus obscur. On n'est plus dans l'empathie, sinon dans la compassion (on souffrait avec les parents de L'Enfant), on est maintenant dans la pitié pure. On prend en pitié ces personnages auxquels il n'arrive que des choses que l'on a déjà devinées, ou pressenties, à la virgule près. Et il en va de notre propre perversité de spectateurs tandis que l'on s'imagine la prochaine horreur qui pourra survenir dans le parcours déjà si morbide des personnages tels que les Dardenne les conçoivent (d'une seule façon, toujours identique).



Et puis leur caméra au poing m'a pour la première fois dérangé, intimement. Ils ne filment pas seulement l'angoisse, ils filment avec angoisse. C'est cohérent et peut-être même habile, mais ça participe du sentiment de prise en otage du spectateur, qui est cerné par la peur et la mort dont les Dardenne se repaissent. Et l'on est absorbé dans la noirceur toute-puissante du film, prisonniers de ce cauchemar permanent, de cette descente aux enfers sans escale. On a toujours le sentiment, et peut-être devrais-je parler au singulier, que quelque chose va débouler dans le plan et s'en prendre aux personnages serrés de près par cette caméra en porte-à-faux, portée à l'épaule dans les pas des personnages, collée à leur nuque - c'est le cœur de la mise en scène des frères Dardenne depuis Rosetta. Alors évidemment les frères cinéastes ne font pas des films d'horreur (encore que...), et ils ne vont pas, à priori, laisser surgir une agression dans le cadre sur le personnage enclos dans l'image comme dans sa misère, englué dans sa danse de mort (les Dardenne donneraient presque à croire au fatum...). Néanmoins j'ai cette angoisse dans chaque plan de ce genre, et Dieu sait qu'ils sont de plus en plus nombreux chez les Dardenne. Ils me donnent à vivre cette angoisse. Peut-être qu'ils ne la donnent qu'à moi mais en tout cas je peux dire qu'ils me la donnent très nettement. Surtout au tout début du film, tandis que l'on suit Lorna qui sort du pressing, fait des achats, et rentre chez elle. La caméra lui colle à la peau, branlante, et Lorna avance, presque plus vite que le cadre, lequel est un peu bousculé par la vitesse de mouvements de l'héroïne. Et on a le sentiment qu'elle ne sait pas où elle va, qu'elle ne voit pas où elle va, que la caméra ne le voit pas non plus, et le spectateur, forcément, encore moins. C'est presque la sensation que l'on peut avoir quand on marche les yeux bandés. On se demande toujours sur quoi on va tomber, on se demande s'il n'y a pas un obstacle ou un trou, et même si on n'en sait rien, on imagine qu'il y en a. On est incapable d'imaginer que tout est plat devant soi, que tout est sûr, et que l'on peut avancer sans danger, on imagine forcément le pire. J'ai la même sensation devant ces plans des Dardenne, qui littéralement nous bandent les yeux pour nous faire marcher à toute allure en terrain miné.



Parce qu'on sait que Lorna va tomber, probablement pas sur un intrus s'immisçant dans le cadre pour lui faire du mal, mais on sait très bien qu'elle va tomber. Parce que c'est un film des Dardenne, et qu'ils ne filment que ça, des gens qui tombent. Dans les films précédents ils tombaient bien bas, et on se disait à la fin qu'ils ne pouvaient pas tomber plus bas (Jérémie Renier dans le dernier plan de L'Enfant, en prison, qui pleure, ses mains dans celles de Déborah François). Cette fois-ci la chute est sans fin, sans fond. On n'en voit pas le bout. Et on ne peut pas s'empêcher de penser à un système Dardenne, à une recette, qui s'enfonce en elle-même, toujours plus profonde, circulaire et sans fond. Et c'est ce système de mise en scène, brillant dans sa maîtrise et dans son art de provoquer de puissantes sensations, ce système qui depuis a fait florès et qui a influencé un nombre impressionnant de cinéastes (comme par exemple le Darren Aronofsky de The Wrestler), c'est ce système qui à la longue m'épuise un peu.



Ça ne retire rien (ou pas tout) aux qualités du film, qui en a beaucoup, parce que les Dardenne sont brillants même s'ils deviendraient presque agaçants ou lancinants. Les Dardenne font un travail sur l'espace (les trajectoires significatives des contradictions des personnages, les rapprochements par le montage, etc.), sur le son (notamment tout le hors-champ, les dialogues en "off", le silence et le souffle de Lorna, aussi coupable que victime), sur le cadre (on peut parler de meurtrissures par le cadre, qui gagne en stabilité lorsque Lorna l'habite de toute sa détermination), et sur les corps (découpés, traités en valeurs marchandes, reliés par l'argent et rien d'autre), un travail très poussé et passionnant. C'est ce qu'ils ont toujours travaillé, pas toujours de la même façon il est vrai, et peut-être de mieux en mieux. Je ne dirais pas qu'ils ont raté ce film, je le trouve même bon, je leur reproche en revanche de s'engouffrer dans un style qui leur est certes propre mais qui a des limites certaines, qu'ils viennent peut-être d'atteindre, et qui, de loin en loin, tend à un certain misérabilisme à force de sollicitation, tendant par-là même à s'enfermer, à se refermer sur lui-même et à tourner en rond, encore et toujours. L'affinement et l'allègement de la mise en scène des frères Dare-dare trouvent leur pendant, à long terme, dans un alourdissement scénaristique, ou disons dans un appesantissement général, qui pourrait commencer à tendancieusement me faner.

Bien que cet article soit un coup de coude amical dans le thorax d'un des frères Dardenne au choix, j'adresse mes pensées les plus douces à la fille qui se reconnaîtra et sans qui ma réflexion sur ce film n'aurait pas dépassé le stade du grognement frustré.


Le Silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec Arta Dobroshi et Jérémie Renier (2008)