27 octobre 2012

César doit mourir

Vingt-cinq ans après leur Palme d'Or reçue pour Padre Padrone à Cannes, les frères Taviani reviennent et remportent un Ours d'Or à Berlin avec César doit mourir. Ce film, qui montre la préparation d'une pièce de Shakespeare, Jules César, par une troupe de prisonniers pour la plupart condamnés à perpétuité dans le complexe de haute sécurité de Rebibbia, accumule les bons points. D'abord l'aspect documentaire, bien réel puisque ce sont de vrais prisonniers que nous observons, est largement et intelligemment atténué par le fait que toutes les scènes sont jouées : les acteurs sont doublement acteurs puisqu'ils incarnent non seulement les personnages de Shakespeare mais aussi les leurs, rejouant devant la caméra leur propre rôle dans une sorte de mise en abyme ou les prisonniers deviennent des acteurs permanents.




Les Taviani choisissent à bon escient de ne pas s'attarder sur les détenus en tant que tels, laissant même hors-champ la querelle de deux d'entre eux survenant en pleine répétition pour se concentrer sur l'implication des condamnés dans l'élaboration de la pièce, si bien que les prisonniers semblent passer pratiquement tout leur temps à jouer, y compris quand ils sont seuls dans leur cellule, pour devenir peu à peu Brutus, Cassius, César, Antoine et les autres protagonistes de la tragédie de Shakespeare, que leurs talents de comédiens et le noir et blanc dévolu au long flash-back des répétitions contribuent à faire naître sous nos yeux par une présence exacerbée de ces visages marqués et ultra-expressifs et de ces corps de gladiateurs antiques.




Ensuite, le film a la bonne idée de ne durer qu'une heure et quart, ce qui évite à l'entreprise de s'essouffler et nous soumet un condensé de Shakespeare d'une grande efficacité. Enfin, les éléments qui pourraient sembler les plus grossiers fonctionnent malgré tout (ces deux détenus qui malgré leur séparation physique jouent une scène ensemble, réunis par le montage et par un panoramique opéré depuis le couloir desservant les cellules qui balaye le champ d'une porte à l'autre - dépassement des réalités matérielles par un procédé cinématographique des plus simples qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais), et les plus attendus sont pris à contre-pied par les vieux frères cinéastes (dans la dernière séquence du film, là où beaucoup de scénaristes auraient fait dire à Cosimo Rega, le détenu incarnant Cassius, que depuis qu'il connaît l'art ce dernier lui permet de s'évader, on l'entend dire que depuis qu'il le connaît sa cellule en est une plus que jamais). Au final on peut peut-être regretter que l’œuvre file droit sur ses rails, ne recèle rien de particulièrement saillant en restant coûte que coûte dans le contrôle et la maîtrise de son sujet comme de son esthétique, mais le film des Taviani reste d'une assez remarquable originalité dans le genre très balisé du "docu-fiction" et se démarque grâce entre autres à une mise en scène aussi simple que directe, au texte de Shakespeare et à la beauté des hommes qui le vivent plus qu'ils ne le disent.


César doit mourir de Paolo et Vittorio Taviani avec Salvatore Striano, Cosimo Rega, Giovanni Arcuri et Antonio Frasca (2012)

20 commentaires:

  1. Pour ma part, transformer les répétitions en un objet cinématographique de fiction retire toute force au récit, et à la puissance qu'aurait eu un documentaire pur. Je trouve ça aussi vicieux d'intégrer au film d'anciens détenus, brisant un peu plus les liens avec la réalité. Un exercice intéressant mais dont la récompense à Berlin me surprend...

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    1. Je comprends ton point de vue mais ne le partage pas. Il me semble au contraire que par tous les moyens que tu cites le film évite de tomber dans le pur documentaire ou reportage télévisé sur "des prisonniers qui s'en sortent grâce au théâtre", ce qu'on a déjà vu cent fois et qui n'aurait guère eu d'intérêt filmé une cent unième fois. Les Taviani donnent une autre dimension à leur film en l'imprégnant à chaque instant de fiction et en brouillant un peu les pistes pour donner à voir des acteurs complets que leur propre passé confond avec des héros de tragédie shakespearienne.

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    2. Vois-tu, je n'ai jamais vu de documentaire sur des prisonniers faisant du théâtre - je n'ai pas cherché non plus. Ce qui me gêne, c'est que je ne retire rien de ce film : ça n'a pas la puissance d'une pièce de Shakespeare - bien qu'une poignée de séquences soient assez brillantes - et ça n'a pas la portée d'un documentaire.

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    3. C'est vrai que le film a ses limites. C'est ce que j'ai voulu exprimer dans ma dernière phrase. Il manque d'aspérités ou de force parfois et ne s'impose pas vraiment comme un grand film marquant. Mais globalement je l'ai trouvé efficace et j'ai apprécié qu'il s'évite beaucoup de facilités, dont une forme strictement documentaire attendue.

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  2. Un bon 4/5 avec le recul !

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  3. Je sais pas si ça mériterait véritablement une Palme ou un prix de ce genre, mais une chose est sûre : ç'aurait été une bien plus belle Palme que bien des Palmes réellement accordées ces dernières années !

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  4. J'avais pas du tout envie de voir ce film, mais maintenant si grâce à l'article.

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    1. Je me demande ce que tu en penseras !

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    2. Comme nous, je pense !
      Allez, je mise 10$ !

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    3. Vu votre description je pense que ça peut me plaire ouais !

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  5. Tout le film est en vert, noir, et blanc comme l'affiche ?

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    1. T'as donc toujours pas pris rencard chez l'ophtalmologue...

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  6. Je ne suis pas d'accord avec vous.

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  7. Je ne perds jamais.

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  8. Ca a l'air intéressant, merci pour le tipz !

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  9. Je suis bien d'accord avec toi sur la durée du film!

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