5 juillet 2011

J'ai rencontré le Diable

Du cinéaste coréen touche-à-tout Kim Jee-Woon, dont le précédent long-métrage était un hommage aux westerns de Sergio Leone (Le Bon, la brute et le cinglé), j’avais déjà pu voir deux films que j’avais plutôt appréciés : A Bittersweet Life et Deux sœurs. Si je garde un bon souvenir du premier, c’est pour la maestria déployée par le cinéaste dans la mise en boîte des nombreuses scènes d’action qui rythment le film, malgré la vacuité plutôt gênante de l’ensemble et la petite impression de déjà-vu que ne manquait pas de laisser cette énième histoire de vengeance. Quant à Deux sœurs, il s’agissait d’un film d’horreur bien torché, largement au-dessus de la moyenne, contenant son petit lot de scènes flippantes, et qui savait lui aussi captiver du début à la fin. Hélas, doté d'un twist empêchant certainement d’apprécier les visionnages ultérieurs, Deux sœurs donnait l’impression d’arriver un peu tard et de surfer sur une vague lancée par les Ring et compagnie, bien qu'il leur était peut-être supérieur. Malgré ces petites réserves, c’est avec un certain enthousiasme que je me lançais dans J’ai rencontré le Diable, le dernier long-métrage de Kim Jee-Woon, très remarqué dans de nombreux festivals et déjà auréolé d’une belle réputation que la blogosphère participe grandement à véhiculer.


On est ici en présence d'un thriller quasi horrifique, particulièrement sombre et tendu, dans lequel un agent secret rancunier (le très charismatique Lee Byung-Hun) se lance dans la traque de l'assassin de sa fiancée, un terrible serial killer incarné par un Choi Min-Sik plus détestable que jamais. Le film apparaît donc à première vue comme une assez banale histoire de vengeance de plus, venant se ranger aux côtés de Old Boy et des autres films de Park Chan-Wook ; une histoire que l'on suit néanmoins avec un certain plaisir grâce au talent et au savoir-faire évident de Kim Jee-Woon pour mener avec efficacité son récit. Mais à partir du moment où le héros met en place un jeu du chat et de la souris particulièrement macabre entre lui et le tueur, le scénario prend une tournure aussi déconcertante que malsaine. Le film parvient alors à dépasser les limites du genre si balisé que le cinéaste revisite et auquel il s'attaque sans détour. Kim Jee-Woon semble nous inviter à réfléchir sur l'absurdité de ces films. Ce retournement se fait néanmoins à un certain prix, car le film va au bout de son idée et amène par conséquent son héros à agir de plus en plus connement, un comportement qui a en outre des conséquences tragiques et inéluctables. L'implication du spectateur face à ce spectacle absurde, aux frontières de la bêtise, n'est alors plus tout à fait la même que lorsque l'identification avec le personnage principal était encore possible et fonctionnait comme il se doit. L'efficacité du film en prend un petit coup, mais son propos, si l'on peut dire, devient nettement plus intéressant. En plus de nous démontrer qu'une vengeance planifiée et réfléchie est complètement absurde et n'amène rien de bon à son auteur, bien au contraire, le cinéaste Kim Jee-Woon pousse le spectateur à s'interroger sur sa propre place face à la violence, et plus précisément face à l’histoire sanglante qui nous est contée et que l’on suit malgré tout, comme fasciné et médusé par les agissements de deux protagonistes qui finissent par tristement se ressembler, et se confondre totalement. De façon radicale, Kim Jee-Woon dynamite totalement le film de vengeance, à tel point que l'on se demande s'il sera possible d'en regarder d'autres après celui-ci.



J’ai rencontré le Diable nous arrive encore une fois en même temps qu’une vague de films asiatiques très remarqués qui ont tous en commun d’être des thrillers assez jusqu'au-boutistes dans la violence qu’ils dépeignent (The Chaser, Slice, Bedevilled, Man from Nowhere et je dois en oublier…). Certaines scènes sont effectivement assez dures, même si, de mémoire, ça n'est jamais plus choquant que des images qu'on peut retrouver dans les derniers Cronenberg. J'ai rencontré le Diable est clairement habité par cette violence, d'un réalisme très cru, que l'on retrouve dans la plupart des films coréens, mais elle est ici mise en scène sans complaisance, sans effets de mauvais goût (pas de ralentis douteux sur un marteau ensanglanté faisant des allées et venues dans la tronche d'une victime sans défense - The Chaser) et accompagnée d'une réflexion sur elle-même. A mon sens, tout cela participe à faire de ce film le meilleur de la liste évoquée précédemment. Pour les amateurs du genre, j'imagine même aisément qu'il doit s'agir d'une petite perle à ne louper sous aucun prétexte. Pour ma part, je reconnais avoir été scotché pendant près de 2h30 et je constate, à l'heure où j'écris ces lignes, que je me souviens encore très bien de ce film six mois après l'avoir vu. Kim Jee-Woon a sans aucun doute signé-là son film le plus intéressant.


J'ai rencontré le Diable de Kim Jee-Woon avec Lee Byung-Hun et Choi Min-Sik (2011)