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17 octobre 2017

Detroit

Depuis plus de 10 ans maintenant, Kathy Bigelow filme avec une acuité sans pareille et sans commune mesure tous les plus grands événements qui ont façonné notre société actuelle. Avec son dernier bébé, laconiquement prénommé Detroit, la réalisatrice-scénariste et productrice s'impose, de façon autoritaire et autonome, comme la plus fine observatrice de la géopolitique de son propre pays. Elle fait partie, avec NWR et Damian Chapelle, des cinéaste-clés pour comprendre le monde d'aujourd'hui et donc celui de demain.

Cinq longues années après la sortie surprenante de son chef d'oeuvre Zero Dark Thirsty qui revenait sur une arrestation significative et terriblement d'actualité, cela serait un beau pléonasme d'affirmer, bras dessus bras dessous, que le nouveau long métrage de la cinéaste originaire de San Carlos (Californie) était attendu au tournant. A l'heure des fake news et de l'infostanée, la réalisatrice a mis pas moins de cinq printemps à modeler un projet qu'elle mûrissait en secret depuis longue date. Précisons aussi que le développement hell n'a pas été facilité par l'administration Trump : on peut déjà parier que le énième Président des Etats-Unis ne manquera pas d'adresser un tweet assassin (et sexiste) à l'auteure lors de l'avant-première du film au Texas. On s'en réjouit d'avance... Mais nous nous concentrerons ici plutôt sur le volet cinéma de l'oeuvre, notre objet d'étude sur ce site spécialisé. 




Quand Zero Dark Thirsty levait le voile sur les méthodes de la marine américaine pour mener à bien une arrestation de nuit sur un terrain étranger (caméra infrarouge, casque renforcé, chaussures de marche, binoculaires haute précision, talkie-walkie longue portée, abnégation, reconnaissance du terrain vague, travail d'équipe), Détroit choisit de nous narrer des affrontements de rue lambda dans la jungle d'une mégapole urbaine et s'intéresse aux tentatives de coercitions engagées par les forces de l'ordre. Mais K-19 Bigelow, alias "the Special K", que nous avons eu la chance d'interviewer durant les premiers jours du tournage (en 2012, aux heures dorées de ce blog, loin, bien loin de nos aléas financiers actuels), nous a affirmé - en français dans le texte - n'être au courant de rien : si son film partage des similitudes avec des événements réels s'étant produits dans le Midwest des Etats-Unis, ça n'était pas dans ses intentions initiales. C'est sur le tournage que le film a véritablement pris forme et s'est peu à peu transformé en une chronique poignante et sans concession d'une bien triste page de l'histoire nord-américaine. Un drame social complexe, dont on découvre, stupéfait, tous les tenants et aboutissants. La cinéaste et scénariste, qui vit le jour en autarcie, loin de la capitale du Michigan et bien longtemps après les faits, s'est progressivement rendu compte qu'elle était la mieux placée pour nous livrer un récit objectif et sans bavure - si on peut se permettre - de ces événements terribles qui marquèrent le monde entier. Après vision sur grand écran du résultat, nous ne trouvons qu'une seule chose à dire : yes she can's... 




En 1967, toutes les caméras internationales étaient braquées sur la ville reine de l'industrie automobile et c'est avec une délicatesse quasi féline que Kathryn Bigelow s'est immiscée par un trou de souris, l'air de rien et presque par hasard, au cœur du conflit, pour mieux nous le dépeindre à chaud, près de 50 ans après les faits. Big Bigelow interroge a posteriori le passé pour mieux réinventer le futur. Il faut en effet avoir vécu dans une bulle pour ne pas savoir que les émeutes de Détroit sont plus que jamais d'actualité et résonnent tristement dans notre quotidien, à l'heure où les exactions policières font hélas la une de tous les journaux. Le film de Bigelow apparaît comme un véritable coup de balai dans la fourmilière... Elle semble s'étonner à chaque instant de son propre talent, et nous avec elle. Elle s'impose pourtant comme le plus grand homme politique du moment. Oui, vous avez bien lu : "homme", mais avec un grand F... Son film est à la fois le travail passionné d'un reporter aux aguets et l'oeuvre survoltée d'une d'artiste surdouée. Henri Cartier-Bresson meets Pabulo Picasso dans les ruelles étroites et bouillonnantes de la ville tentaculaire de la côte Ouest. Nous n'en sommes pas ressortis indemnes... 




Tel le détroit de Gilbraltar, Détroit de Bigelow décide de nous montrer la partie immergée (ou émergée, selon de quel côté de l'Atlantique on se trouve) de cet iceberg à la dérive qu'est la société américaine. Face à un spectacle si désolant, nous sommes tout simplement sur notre séant et ce pendant 2h30 (280 minutes). À la fin de la séance, on se demande si ça n'est pas la première fois que l'on est aussi longtemps resté assis. Il est utile de préciser que notre salle de projection privée dispose d'un distributeur automatique de M&M's et d'un micro-ondes, il n'est donc pas rare que nous nous levions en cours de séance pour satisfaire des besoins bien naturels. Si le très long métrage de la réalisatrice de Démineurs nous donne de nouveau envie de se révolter face aux injustices, il n'oublie pas toutefois de nous faire rire (je repense ici à cette scène déjà culte où le lieutenant en charge des opérations demande les clés du véhicule à son collègue alors qu'il les a dans la poche de son propre pantalon). Bigelow filme avec une caméra, sans se soucier de ce qu'il y a derrière elle, en ne s'intéressant qu'à ce qu'il y a devant.




Le charme de K8, unanimement reconnue comme une très belle femme dans les corridors d'Hollywood, et bien qu'elle soit toujours située derrière l'objectif, suinte littéralement à l'écran. Des anachronismes étonnants (on relève la présence de smartphones, de smartbox, de smarties, de smarts) parasitent le film, comme pour mieux nous rappeler que ces émeutes pourraient encore survenir à tout moment. A la manière de Sofia Coppola dans Marie-Antoinette, Détroit nous met ainsi face à nos contradictions, dans une position loin d'être tout à fait confortable. Il nous montre une époque que l'on croyait révolue pour mieux nous en faire douter. Il nous rappelle de rester vigilant afin que des accidents d'un tel genre ne puissent pas se reproduire. Un double effet kiss cool que John Woo n'aurait pas renié... Bigelow, qui a autorisé ses acteurs à l'appeler Totoro-san pendant le tournage, a encore choisi un casting d'exception fait d'inconnus et de grands brûlés. On applaudit la démarche. Le résultat est une véritable réussite quand on sait que certains acteurs étaient souffrants pendant le tournage (on remercie le tweetos @HerbeDeBison pour cet éclairage sur notre fil twitter), certains n'ayant pas survécu aux directives de leur patronne. 




Si le chômage a augmenté de 1% en juillet, l'activité de Bigorneau n'a, quant à elle, guère cessé, bien au contraire. La promotion du film bat son plein et l'auteure en est la chef d'orchestre en sous-sol. Malgré ce que le titre équivoque laisse à penser, et d'après une stratégie bien rodée par les Star Wars, c'est bien le premier film d'une trilogie antéchronologique que nous propose Katherine Bigelow. Une saga qui, à coup sûr, marquera nos rétines à tout jamais et nous attendons les quatre prochains volets de pied ferme. L'ancienne concubine de James Cameron est aujourd'hui sur tous les fronts, poing levé, afin de faire passer son message, celui-là même que son film véhicule avec force et fracas, sans oublier de nous divertir. N'y allons pas par quatre chemins : Détroit est un film qui vous laissera KO, chancelant, à l'agonie sur votre fauteuil, après avoir reçu un coup fatal en plein cœur, sur la tempe. La gueule écumante de bave, l'estomac plein jusqu'aux pieds, l’œil au beurre noir, on en redemande. Katherine Bigelow a su réaliser un film coup de pied - caméra au poing - dans la ruche fourmillante de la cité du Midwest. C'est du cinéma qui nous prend aux tripes sans manquer de nous amuser et de mettre nos neurones en ébullition. En d'autres termes : du très très grand cinéma. Bigelow, dont le dernier mail nous informe qu'elle n'a pas obtenu le final cut, se dit tout de même "assez satisfaite" ("quite disatisfied") du travail accompli. "Rendez vous à la Mostra de Berlin" nous dit-elle en guise d'adieu. La Palme l'y attend bien au chaud... Ce détroit s'impose comme un nouveau sommet (sic !) de cinéma en plein air.


Detroit de Kathryn Bigelow avec John Boyega, Jack Reynor, Will Poulter et John Krasinski (2017)

10 mars 2014

Un Jour sans fin

Nous avons l'immense plaisir aujourd'hui d'accueillir ce cher Hamsterjovial, qui nous a déjà régalés, à maintes reprises, de ses commentaires enjoués (son nom l'indique) et toujours éclairés, et qui désormais nous fait carrément l'honneur d'un article entier, et pas des moindres, vous le verrez, sur Un Jour sans fin, le meilleur film du regretté Harold Ramis, acteur, producteur, réalisateur et scénariste américain décédé le 24 février dernier. Nous ne sommes pas prêts d'oublier le visage d'Harold, éternellement fixé parmi ceux de Bill Murray, Dan Ayrkoyd, Ernie Hudson, Sigourney Weaver et Rick Moranis, en tête d'affiche du génial S.O.S. Fantômes. En tant que cinéaste, l'homme n'a certes pas toujours brillé (on n'en dira pas plus sur L'an 1 : des débuts difficiles, comédie de sinistre mémoire), mais a donc aussi su tourner un film aussi remarquable que celui auquel notre invité du jour s'apprête à rendre hommage : 




Rémi et Félix m'ont invité à écrire à propos de Un jour sans fin, et je les en remercie vivement. D'emblée, pourtant, le doute m'assaille : que dire de plus au sujet d'un film dont les vertiges narratifs, temporels, existentiels, moraux et spirituels ont déjà été décortiqués en tous sens ? J'encours le ridicule de répéter ce qui, cent fois, fut énoncé ailleurs. En accord avec le titre de ce blog, osons toutefois le comique de répétition ! Un jour sans fin y invite, puisque lui-­même l'érige en principe de film. C'est d'ailleurs là, peut-être, sa force première : prendre un des lieux communs du territoire comique, et l'étendre aux dimensions d'un film entier. Cette répétition généralisée situe Un jour sans fin à l'intersection de la comédie et du tragique, celui d'un quotidien humain conçu comme éternel retour, et évite ainsi la complaisance cafardeuse à laquelle une telle vision de l'existence pourrait donner lieu. En témoigne cet extrait du dialogue entre Phil Connors, l'infatué présentateur météo condamné à revivre indéfiniment la même journée dans une bourgade de Pennsylvanie au nom impossible (Punxsutawney), et l'un des habitants de celle-­ci : « Vous feriez quoi si vous étiez coincé quelque part et si chaque jour était exactement le même, quoi que vous fassiez ? — Ça résume bien les choses, en ce qui me concerne. » (Apparemment, ce croisement entre comédie et tragique existentiel aurait entraîné la rupture définitive entre le réalisateur de Un jour sans fin, Harold Ramis, et Bill Murray, l'interprète du personnage de Phil Connors, pourtant complices de longue date. Leur désaccord serait dû au fait que le premier voulait accentuer le côté comique du film, et le second son côté « fable philosophique ».)


La classe américaine selon Phil Connors. 
(Remarque : Bill Murray ressemble furieusement à Yves Calvi.)

Le sentiment accablant de la répétition quotidienne est sans doute une des sources d'une maladie devenue tristement banale : la dépression. Un jour sans fin est, à ma connaissance, un des rares films qui offre une description convaincante de celle-­ci ; à ce titre, je ne trouve à lui comparer que certains moments de Jean Grémillon, de Visconti, de Cassavetes et de Hitchcock — celui du Faux coupable et de Vertigo. La force de Ramis (comme de Blake Edwards, quelquefois), c'est d'avoir su lui trouver une expression comique. Deux autres de ses films, Mafia Blues et Multiplicity, évoquent également la dépression, ou le burning out, de façon singulière et parfois hilarante. Qui n'a vu Phil Connors affalé en pyjama dans le salon de son bed and breakfast propret, saladier de pop-corn et bouteille de Jack Daniel's sous la main, épatant une assemblée de vieillards en répondant aux questions d'une émission de Jeopardy qu'il a dû visionner quelques centaines de fois, qui n'a pas vu cette scène, dis-je, ne saurait parler que légèrement de la détresse humaine. Bill Murray est d'ailleurs tellement bon en dépressif que, par la suite, il s'est un peu enfermé dans cet emploi, chez des cinéastes moins inspirés (Sofia Coppola, Wes Anderson, Jim Jarmusch).


Dans la série des suicides de Phil, l'irruption devant un camion : souvenir tragi-comique de La Mort aux trousses.

Dans Un jour sans fin, il n'y a qu'un pas de la dépression atmosphérique à la dépression morale, de même qu'entre le temps qu'il fait (Phil est coincé à Punxsutawney à cause d'une tempête de neige que, bien que météorologue, il n'avait pas prévue) et le temps qui passe. L'évidence et la simplicité avec lesquelles ces analogies s'imposent à l'esprit du spectateur participent pour beaucoup du plaisir que le film suscite. L'équivalence que Un jour sans fin établit entre le fait d'être bloqué dans le temps (revivre la même journée, encore et encore) et celui d'être bloqué dans l'espace (ne pas pouvoir quitter un patelin de province) force également le respect, et en fait l'un des films les plus tranquillement théoriques que je connaisse : qui d'autre que Ramis a su, sans cuistrerie aucune, donner corps à l'idée du cinéma comme assemblage de blocs d'espace-­temps ? (Réponse : Buster Keaton.) Au regard d'une telle réussite, le reproche qu'on pourrait faire à Un jour sans fin, à savoir son manque de « style visuel » notable, a autant d'importance qu'un pet sur une toile cirée. Et quand on voit ce que devient, dans le cinéma américain, le « style visuel » — Malick, Tarantino, Del Toro, Wes Anderson, Nolan, Winding Refn, Cuaron —, on sait gré à Un jour sans fin de sa salutaire modestie.


Bill Murray vient d'apprendre que Tarantino ne tiendra pas sa promesse d'arrêter de tourner après son dixième film.

A l'intention des obsédés de « spécificité cinématographique », il faut ajouter que Un jour sans fin intègre à sa fiction la part non négligeable, et pourtant occultée dans la plupart des films, qu'occupe la répétition dans le processus cinématographique : répétition des acteurs, des prises des vues ratées et recommencées. C'est surtout évident dans la séquence où Phil et Rita, sa productrice, dînent au restaurant. Appliquant la méthode d'apprentissage par « essai et échec », Phil profite de la boucle temporelle dans laquelle il est pris pour glaner toujours plus d'informations à propos de Rita (son apéritif préféré, ses centres d'intérêt, etc.), à seule fin de la séduire en lui faisant croire qu'ils ont tout en commun. À mesure que se répètent les mêmes phases de la même soirée, un soupçon amusé point chez le spectateur : serait-­il en train d'assister au bout-­à-­bout de l'ensemble des prises effectuées lors du tournage de cette séquence ? Ce n'est bien sûr qu'une impression (à y réfléchir, on devine que chacun des fragments de montage qui, à l'écran, passe pour une prise parmi d'autres d'un même plan a dû en réalité être lui-­même l'objet de plusieurs prises au tournage, jusqu'à atteindre l'illusion de perfection dans la répétition), mais cette allusion à une dimension habituellement cachée contribue à la singularité de l'expérience que propose Un jour sans fin. Je ne connais qu'un autre film qui intègre structurellement cette répétition constitutive du cinéma : le diptyque indien de Fritz Lang, Le Tigre du Bengale / Le Tombeau hindou, dont le second volet est une répétition quasi systématique (et fascinante) des situations, des lieux et des trajectoires du premier.


Séraphin Lampion existe, je l'ai rencontré à Punxsutawney.

Un jour sans fin relève de ce que les américains appellent le what if film. Le plus célèbre des films de ce type, c'est La vie est belle, de Frank Capra : et si il vous était donné de voir le monde tel qu'il serait si vous n'aviez jamais existé ? L'éventualité qu'explore le what if film est en général inexplicable rationnellement, et l'une des qualités de Un jour sans fin tient à la paisible autorité avec laquelle il amène le spectateur à accepter d'emblée le déclenchement de la boucle temporelle dont Phil Connors devient le prisonnier. De même qu'on ne sait pas pourquoi les oiseaux attaquent les hommes dans le film de Hitchcock, la raison pour laquelle Phil se met à revivre la même journée ne nous est pas donnée (même si, dans les deux cas, on peut se faire une opinion). Sorti cinq ans après Un jour sans fin, la faiblesse de Pleasantville réside à ce niveau : l'arbitraire du transfert de deux adolescents de 1998 dans une série télévisée des années 1950 y est à la fois trop et pas assez justifié.


Un jour sans fin est un festival de micro-­grimaces de la part de Bill Murray, qu'il s'agit de ne pas rater. 
Micro-­grimace n°1 : « Je voudrais être n'importe où ailleurs. »

Le film de Ramis lorgne sans doute consciemment vers celui de Capra : on y retrouve le drame existentiel d'être coincé dans un patelin aux horizons restreints, l'ambiance neigeuse, le « monde alternatif », l'aspiration à une autre vie moins monotone, etc. Mais plus encore qu'à La vie est belle, Un jour sans fin peut faire penser au Brigadoon de Vincente Minnelli, bien que ce dernier film soit pour sa part un sommet de flamboyance visuelle. Je me souviens du ravissement qui fut le mien (le genre de réaction qui fait passer le cinéphile pour un fêlé) lorsque le parallèle entre ces deux films me fut confirmé par la présence, au générique final de Un jour sans fin, de la chanson-­phare du film de Minnelli : Almost Like Being in Love, dans sa reprise par Nat King Cole. Heureusement, Un jour sans fin ne tombe pas dans la référence musicale gratuitement exhibée (là aussi, on est à des années-lumière de Scorsese, de Tarantino ou de Wes Anderson), car ce morceau a alors une autre fonction. En cette fin d'un film qui, comme son titre français l'indique, était virtuellement sans fin, il constitue l'envers, à occurrence unique, d'une chanson répétée jusqu'à la nausée : I Got You Babe de Sonny and Cher, dont le retour à chaque réveil de Phil Connors résume efficacement l'idée d'enfer sur terre.


Micro-­grimace n°2 : « Qu'est-­ce que c'est que ces bouseux ?! »

Dans Brigadoon, deux New-­Yorkais de 1954 tombent par hasard, lors d'une partie de chasse en Écosse, sur un village qui vit comme au XVIIIe siècle. Trois cents ans plus tôt, l'endroit s'est placé sous un charme qui lui a permis d'échapper à la marche du temps. Depuis lors, Brigadoon et ses habitants disparaissent de la surface du monde, plongés dans un sommeil dont ils ne sortent qu'une fois par siècle et pour une seule journée, avant de s'évanouir de nouveau pour cent ans dans les limbes. Entre Brigadoon et Un jour sans fin, le piétinement temporel s'avère finalement similaire : revivre à l'infini le même jour ou ne vivre qu'un jour tous les cent ans, cela revient à peu près au même. De plus, les deux films rappellent que tout idéal de confinement villageois, loin des foules déchaînées, s'exerce au détriment d'une minorité d'exclus de cet idéal, qui en sont aussi prisonniers. Chez Minnelli, il s'agit du jeune homme qui voudrait fuir Brigadoon et qui est sacrifié sur l'autel du rêve de ses concitoyens (si un seul d'entre eux quitte le village, celui-­ci disparaît à jamais). Chez Ramis, le rebut de la communauté douillette de Punxsutawney est le vieux mendiant que Phil Connors croise chaque matin, qui semble n'être au départ qu'une silhouette comique mais dont on découvre tardivement le tragique destin quotidien, jusqu'alors resté hors champ.


Micro-­grimace n°3 : « Faisons mine d'apprécier cet apéritif infect. »

A l'occasion de la mort récente, à cinq jours d'intervalles, de Harold Ramis puis d'Alain Resnais, sans doute a-­t-­on rappelé (j'ai la flemme de vérifier) que Un jour sans fin est sorti la même année que le diptyque Smoking / No Smoking, et que les deux films ont pas mal de choses en commun. Je doute en revanche (mais peut-­être me trompé-­je) qu'on ait relevé la proximité de ces deux films avec un troisième, également sorti en 1993 : L'Arbre, le maire et la médiathèque, d'Éric Rohmer. Un jour sans fin obéit au principe du what if film, Smoking / No Smoking à celui de l'alternative (ou bien... ou bien...), et L'Arbre, le maire et la médiathèque s'organise selon « sept hasards », dont le premier est ainsi formulé : « Si, à la veille des élections régionales de mars 92, la majorité présidentielle n'était pas devenue une minorité...» Ce sont des variations sur le binaire et le divers, le hasard et le programmé, le libre arbitre et la prédestination, le tout dans un contexte villageois. Hypothèse : lorsque des films comme La vie est belle et Brigadoon associaient incertitude existentielle, peur de la modernité et esprit de clocher, ils exprimaient le doute qui pesait sur l'organisation villageoise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l'Amérique devenait le leader d'une mondialisation économique qui ne disait pas encore son nom. En 1993, il ne peut plus s'agir de la même inquiétude. On est alors à l'aube de l'avènement communicationnel de ce fameux « village global » que Serge Daney, avant sa mort un an plus tôt, commenta sur son versant médiatique. Les réseaux informatiques et téléphoniques pointent le bout de leur nez auprès du grand public, telle la marmotte de Punxsutawney émergeant de son terrier. Dans les fables des trois R (Ramis, Resnais, Rohmer) sorties cette même année, il est possible de percevoir, a posteriori, le pressentiment d'un monde où les communautés réelles et partielles, avec leur cortège de petites horreurs et d'émouvantes beautés, seront supplantées par des communautés virtuelles et globales ; d'un monde où le binaire et la programmation prendront force de loi (mais où les « marges » seront susceptibles d'avoir plus de pouvoir — fût-­il soft — qu'au village des anciens temps) ; d'un monde, enfin, où le cinéma, déjà passablement affaibli, aura de moins en moins d'importance dans la vie quotidienne. Mais ceci est une autre histoire, la nôtre, celle du meilleur des mondes dans lequel nous évoluons chaque jour, au regard duquel l'enfer quotidien que subit Phil Connors a quelque chose de — oui, rafraîchissant


Un jour sans fin (Groundhog Day) de Harold Ramis avec Bill Murray, Andie MacDowell, Chris Elliott et Stephen Tobolowsky (1993)

17 mai 2013

Somewhere

Pas de salamalecs entre nous, Somewhere est infâme. Même parmi ceux qui, après trois films seulement, avaient volontiers placé Sofia Coppola sur le toit du monde, au sommet du cinéma américain contemporain, même parmi ceux qui l'avaient déclarée surdouée et qui s'étaient empressés de faire d'elle la cinéaste la plus géniale des temps modernes, même parmi ceux-là beaucoup se sont parjurés, ont renié leur jugement, revu à la baisse le soi-disant génie de cette fille à papa, une fois face à face avec Somewhere, ce film malingre, insignifiant. La critique professionnelle s'est majoritairement contentée de saluer le film (on ne touche pas aux idoles, et la fille Coppola suit son père en entrant petit à petit au panthéon des auteurs admirés quoi qu'ils fassent), mais le public ne s'est quant à lui pas fait prier pour descendre la jeune femme de son piédestal usurpé. Et c'est triste pour la réalisatrice quand on pense que Somewhere est son film le plus intime. Sofia Coppola a voulu dresser le tableau de son enfance passée, semble-t-il, à péter dans la soie et à se nourrir exclusivement de truffes grâce aux paquets de dollars accumulés sous son matelas par un papa insatiable.


Francis Ford avait revendiqué la paternité de Virgin Suicides en découvrant le succès inattendu du film de sa fille, il n'en a pas fait autant pour Somewhere, même si la tâche lui était rendue facile par la présence dans l'équipe du très regretté Harris Savides, le célèbre dirlo photo qui tient la caméra sur cette photo et qui lui ressemblait beaucoup, d'extrêmement loin.

Le film raconte l'histoire d'un type qui fait des tours en solitaire et en boucle sur un circuit en plein désert, au volant de sa Ferrari ronflante et rutilante. "Raconte une histoire", c'est beaucoup dire, on est ici dans la veine indé américaine où prime le quotidien, le non-événementiel et le vide narratif volontaire, à ceci près que des gens comme Van Sant ou Jarmusch ont déjà maintes fois travaillé cette matière et, armés d'une vraie vision doublée d'un grand talent, en ont tiré des films brillants. Chez Sofia Coppola, le vide sonne creux et les silences sont trop parlants. En affichant à l'écran, et à tous les étages, un désert morne, la réalisatrice ne fait qu'avouer la pauvreté de son propos. Elle filme platement et durant d'interminables séquences un gros blaireau qui est aussi un acteur célèbre et qui s'emmerde à cent sous de l'heure. Le personnage principal est une star pleine aux as qui se fait chier au volant de son bolide comme il se fait chier sur son lit d'hôtel devant le spectacle pathétique des deux plus mauvaises pole danseuses de Los Angeles convoquées par ses soins. Il se fait également chier en regardant sa fille faire du patinage, il se fait chier de même en conférence de presse, en interview, en nageant dans une piscine de rêve, en mangeant des farfalles ("papillons" en italien), bref il se fait tout le temps chier et Sofia Coppola croit que c'est une raison suffisante pour nous faire chier aussi. Le héros du film se fait même chier sous la douche car il doit tenir son bras dans le plâtre hors de portée du jet d'eau : la séquence revient plusieurs fois tant elle est éloquente. Bref cet acteur se fait chier tout le temps, comme tous ces gens riches que Sofia Coppola connaît si bien pour en faire partie (c'est elle qui le dit), qui n'ont pas d'amis, qui ne se divertissent jamais, qui n'ont rien à faire de leur temps, qui n'ont d'intérêt pour rien, qui ne travaillent pas, qui ne lisent pas, ne se promènent pas, ne parlent pas...


Dans la réalité on était plus près du roman de Pierre Boulle que de la couverture de playboy ou du catalogue des 3 Suisses que nous vend le film à chaque seconde.

Or, si l'on en croit la réalisatrice, on tient là le premier biopic déguisé de Francis Ford Coppola. Et il nous glace le sang ! Biopic "déguisé" car c'était pas assez cool pour Sofia de filmer un obèse à barbe énorme en pantalon blanc et en tongs aux côtés de sa fille aux traits ingrats d'adolescente, aux cheveux en bois massif et aux dents de sortie, ersatz d'Eva Longoria complètement dégénérée. D'où l'acteur jeune et séduisant (Stephen Dorff, un nom à ne surtout pas retenir) et sa petite fille blonde trop cute (la réellement douée Elle Fanning, que l'on préfère dans Twixt de papa Coppola) avec son sourire jusqu'aux oreilles et ses dents si joliment tordues, pour remplacer le cachalot au cigarillo et la jeune autiste au bec de lièvre. Toujours est-il que grâce à cette biographie oblique de Francis Ford Coppola, on comprend mieux la dérive du gros cinéaste et le léger écart de niveau entre des films comme Apocalypse Now et Jack (clairement le film d'un dépressif rendu dingue par sa progéniture). On pige mieux le black-out terrible qui dura 8 ans dans la carrière du réalisateur suite à la sortie du premier grand film de sa fille en 1999, Virgin Suicides. Cette déperdition cinématographique du parrain du cinéma italo-américain alla de pair avec une prise de poids démentielle et laissa le champ libre à sa fille pour une carrière népotique et navrante dont Somewhere est une sorte d'acmé.


Les stars de cinéma bourrées aux as ressemblent donc à ça ? Je préfère palper les bourses universitaires du Cnous échelon 5.

Mais revenons à Sofia Coppola, qui confond minimalisme et vacuité, plan-séquence et montage aux abonnés absents, qui confond Virgin Suicides, son film sur des adolescentes façon American Beauty, et Elephant. Qu'est-ce que c'est que Somewhere ? C'est, à travers une suite de scènes très scolaires, où rien n'affleure, où rien n'arrive, ni à l'image ni à l'intérieur de l'image, le portrait d'un gros connard bourré de fric et creux comme une barrique. On passe une heure et demi à regarder un débile qui ne fait strictement rien à part se gratter le séant avec sa main plâtrée et sentir le bout de ses doigts. Le plus triste dans l'affaire c'est que ça se croit malin en usant et en abusant d'un symbolisme de devoir sur table de français de 4ème. Je veux parler par exemple de la première séquence, vaguement inspirée d'un certain (et tellement plus brillant) cinéma américain des années 70 à tendance européano-moderne (Macadam à deux voies, etc.) où la voiture de l'acteur tourne en rond sur un circuit dans le désert, sans but, en bonne métaphore du destin du personnage et à l'image de l'ensemble du film à venir. Bravo. Idem quand les personnages ont pour seule occupation les jeux vidéo, et surtout la Wii, qui leur permet de s'enfoncer dans la superficialité d'une activité virtuelle et dans un ersatz d'existence tangible. Chapeau bas. Le spectateur n'a plus qu'à bouffer sa main et garder l'autre pour demain. Ça se croit beau et impérieux, comme dans cette scène de dix minutes où la caméra balaye et re-balaye lentement le patinage de la gamine dans une veine très japonisante de type cinéma contemplatif et où la glace s'empare des membres du spectateur alors qu'il est assis sur son canapé en plein cagnard. Ça se sent branché et irrésistible parce que la musique employée pour le film l'est soi-disant. A l'ouest rien de nouveau avec celle qui reste et restera l'ex de Tarantino, le grand manitou de la BO de fou, lequel l'a récompensée en lui remettant le Lion d'Or de la Mostra de Venise 2010. Ce film apathique a pourtant dû procurer un ulcère à l'autre excité du bonnet, mais c'était signé par son ex-femme et après tout ça ne fait que rajouter de petits arrangements entre amis au déjà pesant soupçon de piston ambiant (c'est moins une attaque contre le père ou la fille Coppola que contre certains médias qui semblent s'exciter sur les films de la fille en partie parce qu'elle porte le nom du papa).


Si ce revers slicé en passing ne finit pas derrière la haie, je ne suis plus blogueur ciné.

Ça se croit surtout brillant avec ce dernier plan d'une subtilité à tout rompre où notre abruti de comédien réunit ses dix neurones après avoir chialé un bon coup - car je ne l'ai pas assez dit mais le propos passionnant de Sofia Coppola c'est que les riches sont tristes aussi et que les stars dépriment comme nous - et décide d'arrêter sa belle voiture sur le bord d'une route désertique pour en descendre et marcher vers la caméra d'un pas assuré, tout sourire, libéré comme par enchantement du carcan d'ennui de sa morne existence. Le film coupe là-dessus et Sofia nous envoie le générique, mais dans la version longue on voit l'acteur s'arrêter net, dire : "Où je vais comme ça, à pattes, dans le désert, et en plus je laisse mon cabriolet super cher derrière moi ? La con de ma race ?", et retourner poser son cul sur le cuir brûlant du siège de sa bagnole d'enfer pour faire encore et encore des tours en solitaire. Mais Sofia a préféré sauver son personnage, son gros papa, Francis "Ford" Coppola, qui a fini par sortir de sa dépression pour continuer à avancer. On allait s'en douter en voyant ses nouveaux films, pas la peine de nous raser gratis, Sofia... Somewhere, comme sa réalisatrice, se croit alors qu'il n'est pas. Film de la pire espèce, comble de vanité et de misère intellectuelle, sommet d'indigence artistique et de niaiserie totale, c'est un triste film, prodigieusement fat et plat, et on peut parier que quiconque aurait réalisé ce truc n'aurait plus le crédit nécessaire pour en tourner aucun, mais Madame s'appelle Coppola, alors elle enchaîne, elle va à Cannes, et on aura longtemps droit à de nouvelles pleurnicheries satisfaites sans se faire de souci, promis.


Somewhere de Sofia Coppola avec Stephen Dorff et Elle Fanning (2011)

18 avril 2012

Twixt

Je suis très surpris par les avis tranchés que suscite le nouveau film du Dieu vivant Francis Ford Coppola. Il y a assez clairement d'un côté ceux qui adorent le film sans réserves et de l'autre ceux qui le détestent violemment. En ce qui me concerne je trouve ma place, pas si confortable que ça, pile poil entre les deux. Rarement le mot "partagé" n'aura à ce point scrupuleusement défini mon sentiment sur un film. Twixt me paraît en effet presque raté, plein d'erreurs, bourré de défauts et souvent frappé de laideur, mais il a aussi ses qualités, quelques lueurs de génie qui percent ça et là, et puis une légèreté, un humour et une liberté qui le rendent assez aimable. Commençons par ce qui fâche puisque le film commence lui-même par là… L'histoire est celle d'Hall Baltimore (Val Kilmer a certes pris des milliers de kilos mais on n'y pense pas une seconde devant le film tant il n'a rien perdu de sa prestance d'autrefois), un écrivain de seconde zone, un "Stephen King au rabais", spécialiste ès sorcellerie qui publie un énième roman fantastique dont il vient faire la promo dans un bled paumé des États-Unis. Recalé dans une quincaillerie du patelin faute de librairie, personne ne s'approche de l'écrivain, sauf le shérif haut en couleurs du village (Bruce Dern), qui lui avoue être lui-même sur le point d'écrire son premier roman de genre et qui l'invite à venir jeter un œil sur ce qu'il a dans sa morgue : une fillette retrouvée avec un pieu planté dans le cœur. Le bouquin que le shérif propose à Baltimore d'écrire à quatre mains s'inspirerait de ce crime pour raconter le massacre de masse qui eut lieu autrefois dans la bourgade et dont une jeune fille de 12 ans fut l'unique survivante, âme en peine damnée pour l'éternité puisque devenue vampire après son sauvetage in extremis, au contact de ceux qui vivent de l'autre côté de la rivière. Certains rapprochent l'introduction du film, où l'on suit donc Baltimore entre la quincaillerie et la morgue, du cinéma des frères Coen. L'ouverture de Coppola se veut pourtant moins léchée, moins organisée, moins maîtrisée et moins classieuse que l'art loufoque et décalé de ces derniers, et fait plutôt penser par son côté amateur, bancal, maladroit, improbable et quasiment bâclé, au Rubber de Quentin Dupieux, ce qui n'est absolument pas un compliment. Mais ça en devient presque un, de compliment, quand plus tard dans le film, et notamment au moment où le personnage de Flamingo prend ses aises - quand ce marginal efféminé aux cheveux laqués et au visage sur-maquillé vient sur sa grosse moto sauver la fillette et son appareil dentaire du tueur d'enfants -, on se met à penser au Kaboom de Gregg Araki, ce film vulgaire et nul qui mêlait le teen movie au drame familial, film de vampires kitschissime ne se prenant pas au sérieux et jouant à casser les codes pour surprendre à tout prix, quitte à se fourvoyer dans la série Z la plus pénible.


Le film de Coppola est un peu dans cette veine, du moins dans ses pires moments. Il a globalement un aspect très moderne, très "dans le coup", et se veut tout à fait susceptible de devenir "culte" dès la sortie de la salle pour des tonnes de spectateurs friands de petits films à double-fond "déjantés". Twixt a de fait une dimension composite très d'aujourd'hui, ne serait-ce que par son paradoxe fondamental : œuvre de sagesse ressemblant à un premier film fourre-tout d'étudiant, fait de bric et de broc mais en numérique haute-définition avec passages 3D, tourné sans argent mais avec astuce et talent, mêlant le négligé au raffiné, Edgar Allan Poe à Gregg Araki et ainsi de suite. Coppola s'inscrit aussi dans l'actualité cinématographique en ressuscitant un acteur cool sur le retour, comme Aronofsky a ramené Rourke à la vie, mais surtout comme l'exige la lubie très tendance de Tarantino consistant à faire tourner tous les macchabées charismatiques d'Hollywood. Très à la mode aussi le détournement du film de genre qui ne se prend pas au sérieux, jouant d'un sincère hommage aux maîtres en la matière mais pétri d'humour, quitte à placer au milieu du film un sketch complet et assez drôle où Val Kilmer, décidément excellent, essaie d'écrire la première ligne de son futur livre. Bien que le film ait l'air de ne pas y toucher, Coppola y enfile différents niveaux de lecture en plaçant ça et là quelques références distinguées, dont un personnage guest star inattendu et séduisant : la belle trouvaille d'Edgar Allan Poe (Ben Chaplin), qu'on croit admirer en chair et en os ! L'histoire est à la fois cousue de fil blanc et sauvée de sa profonde banalité par un sens aigu de l'absurde et du grand n'importe quoi. On notera aussi le fort penchant pour l'autofiction puisque l'histoire de Val Kilmer est celle de Coppola lui-même, qu'il s'agisse de la mise en abyme de l'écrivain soucieux de se renouveler ou du portrait du père désespéré d'avoir perdu son enfant dans un accident de bateau, sans oublier le côté familial du film puisque Elle Fanning, encore une fois sublime et exceptionnelle dans ce rôle (après son passage remarqué dans Super 8), passe de la fille Coppola (l'imbitable Somewhere) au papa de la sagrada familia, quant à l'épouse d'Hall Baltimore, elle est incarnée par la vraie (ex-)femme de Val Kilmer, Joanne Whalley, rencontrée sur le tournage de Willow où elle était la Sorsha de son MadMartigan. Et puis il y a donc, comme souvent dans le cinéma indépendant américain à la mode, ce mouvement de balancier entre le sérieux et la farce, l'élégance morbide (les traits rouges abstraits sur les gorges tranchées des enfants) et le gore outrancier (le bain de sang final), entre le trivial et le sérieux, le raffiné et le lourdingue, entre un travail sincère et un semblant de je-men-foutisme.



Sauf que Coppola n'est ni Dupieux ni Araki, dieu merci, et qu'il est capable de très belles choses. Pour preuve l'esthétique assez unique des scènes de rêve, avec la matité de ce quasi noir et blanc dans la forêt, où l'image semble se mouvoir d'elle-même imperceptiblement. L'effet lorgne moins du côté de Sin City que de celui des origines du cinéma, intelligemment baignées dans une pure modernité plastique. Dès l'entrée dans le premier rêve, où Baltimore croise le beffroi aux sept horloges mal accordées puis rencontre le fantôme opalescent d'Elle Fanning, on ressent un vif soulagement, on oublie notre peur éprouvée devant une inquiétante introduction moderne dans son ringardisme efforcé, et on se laisse aller à aimer franchement le film. Mais Coppola reviendra à son ton introductif, voire à pire, et gâchera régulièrement les beaux moments de son film. Toute l’œuvre tangue entre le beau et le laid, le sublime et le foiré, le gracieux et le grossier, à l'image de la très belle entrée de Baltimore dans son premier rêve, où Coppola marque une pause entre un beau plan subjectif vers le beffroi et un autre sur Elle Fanning pour montrer son personnage en train de pisser… Cette scène est assez exemplaire du sabotage qu'effectue sciemment le cinéaste sur son propre travail, non pas qu'admirer Val Kilmer prendre cinq secondes pour pisser soit forcément détestable ou méprisable, mais c'est une belle métaphore du grand écart beaucoup trop grand qu'opère Coppola entre de belles choses et d'autres complètement inutiles, surfaites et laides, qui coupent l'herbe sous le pied des premières.



Par exemple quand Baltimore se rend en rêve dans l'hôtel du massacre et rencontre ses deux tenanciers, une grosse dame qui met la table et un moustachu qui répare son horloge : la bonne femme se met soudain à jouer de la guitare et son mari danse sans bouger, la tête en avant, balançant ses bras à droite puis à gauche comme un pendule (on aura compris que le temps obsède Francis), et on est presque mal à l'aise face au ridicule absolu de la scène. Puis tout d'un coup Elle Fanning apparaît à la fenêtre, ferme les yeux et balance doucement, joliment la tête, tout en dessinant un V pour Virginia sur la buée du carreau, et cette belle image suffit à légitimer le morceau de guitare et même à le rendre beau. Mais cet instant de grâce est rompu aussitôt par de nouveaux plans sur l'autre abruti qui balance ses bras comme un épouvantail désarticulé puis par un rapide déferlement de violence digne de Buffy, pour être méchant. Tout le film est parcouru de choses profondément laides et risibles dans lesquelles pointent presque systématiquement une image sublime, une grande idée, un plan parfait, aussitôt effacés par une nouvelle manifestation de pure laideur ou à tout le moins de navrante incongruité, au point que cette juxtaposition de médiocrité et de génie se fait presque superposition, le beau et le laid ayant cours en quasi simultanéité, d'où le sentiment de partage éprouvé face au film, aussi ridicule et ingrat que riche et fascinant, tout ça ensemble.



On peut faire le même constat pour la scène où Baltimore et Poe sont perchés sur une corniche au-dessus d'un fleuve entre deux montagnes. Coppola filme le canyon en plongée surplombante, avec les deux personnages dans la partie inférieure du cadre regardant vers en bas, vers le fleuve, et il fait apparaître sur l'écran du cours d'eau l'image de la ravissante Elle Fanning, dormant debout tandis que le hors-bord dans lequel la fille de Baltimore a perdu la vie passe sur l'image de la fillette, traverse sa gorge par un effet de superposition et en laisse jaillir l'impression d'un flux de sang grâce aux vagues laissées dans son sillage. L'idée est belle, le tableau divinement composé, la métaphore, assez touchante, a tout dit, même si Coppola croit devoir faire un gros plan sur Baltimore qui explique lourdement son sentiment de culpabilité vaguement surjoué. Mais dans le plan suivant, après le contre-champ sur Poe et Baltimore donc, l'écran du fleuve diffuse désormais la scène de l'accident mochement mis en scène de la fille de l'écrivain, ou comment passer d'un plan à la Manoel de Oliveira (et je fais là un petit cadeau à Coppola, relatif quand on sait que d'autres ont mis le film au niveau de Murnau) à un effet - le même pourtant ! mais utilisé si tristement cette fois-ci - digne du téléfilm sentimental de l'après-midi sur M6. Puis Coppola revient à nouveau aux deux personnages et fait dire de bonnes paroles à Edgar Poe sur la nécessité pour lui comme pour son compagnon d'écrire afin de ménager de belles régions à habiter pour leurs enfants disparus. Voila un exemple typique du mouvement de yoyo qu'inflige Coppola à son film, entre poésie et niaiserie anodine. Les deux personnages d'écrivains, l'un illustre et l'autre raté, n'ont de cesse de rejouer dans leurs débats la dialectique du beau et de la mort, en un mot du sublime, or dans la scène que je viens de décrire, qui est symptomatique de l'ensemble du film, le beau entre en concurrence avec la mort dans l'âme du spectateur mis face à une soudaine et regrettable irruption de laideur à l'état brut qui s'ingénie à rompre systématiquement avec la beauté qui l'a précédée.



Cet étrange équilibre fait aussi la particularité du film de Coppola et participe certainement de l'expression entière et sans frein de sa personnalité cinématographique (qui est peut-être, de fait, inégale). Le film fait preuve en effet d'une immense liberté, beaucoup moins factice que chez un Dupieux ou un Araki quêtant à tout prix l'originalité là où Coppola ne semble se laisser porter que par sa propre singularité. Le cinéaste jouit d'une latitude absolue, non pas revendiquée mais réelle et consommée. Il a 73 ans, il fait ce qu'il veut et ça se sent à chaque instant de son film, ce qui ne laisse pas de provoquer chez moi une joie au moins aussi enthousiaste que la sienne. Mais que Coppola ait eu le courage ou la grandeur d'âme de réaliser un film presque pour soi, dans son jardin, avec quatre sous et sans l'espoir d'en ramasser le triple, ne l'exempte pas de reproches et n'excuse pas les ratés. De même la caution "film personnel" ne justifie pas tout (Sofia Coppola a réalisé avec Somewhere son film le plus personnel et ce fut comme un pieu planté dans le cœur du cinéma), surtout quand le sujet du père alcoolique détruit par la perte de son enfant, thème rebattu auquel le cinéaste n'apporte rien, est traité aussi faiblement qu'il l'est ici, à grands renforts de pauvres dialogues explicatifs et sans que la moindre émotion n'affleure. Malheureusement le film a beau être une œuvre intime profitant au maximum de la liberté de son auteur, il n'en est pas moins terriblement inégal, presque saccagé, ou du moins gâché, par un excès de légèreté et de mauvais goût, conscient ou non, qui fait sans cesse retomber l'émotion esthétique par ailleurs installée. Twixt n'est pas vraiment bon, il est loin d'être mauvais, en somme il porte bien son nom ("Twixt" étant l'ancien mot pour "between", soit "entre-deux"), et dégage quelque chose d'assez plaisant tout en lassant sévèrement sur la fin, qu'on attend de pied ferme à force de se foutre à peu près totalement des personnages ou de leur histoire, traités par-dessus la jambe au profit de quelques belles images et de scènes plus ou moins marquantes qui resteront peut-être en mémoire, même si le film, lui, dans son ensemble, risque de vite s'avérer oubliable.


Twixt de Francis Ford Coppola avec Val Kilmer, Elle Fanning, Bruce Dern, Joanne Whalley et Ben Chaplin (2012)

31 janvier 2009

Le Premier jour du reste de ta vie

Tout grand réalisateur a commencé par un grand film. Dans un article intitulé "Voilà pourquoi je suis le plus heureux des hommes" (Esquire, 1969), François Truffaut écrivait : "Les progrès ? C'est de la blague. Il faut essayer d'en faire, mais il est bon de savoir qu'ils seront dérisoires par rapport à la richesse qui est en nous et qui s'est exprimée dans le premier rouleau de pellicule impressionnée : tout Bunuel est dans Un chien andalou, tout Welles dans Citizen Kane, tout Godard dans A bout de souffle, tout Hitchcock dans The Lodger". Eh bien de même, tout Bezançon est dans Ma vie en l'air. Et je parle pas seulement du talent de Rémi Bezançon, mais aussi de la ville de Besançon, filmée sous tous les angles par son plus fidèle citoyen. Et si vous avez eu le malheur de voir Ma vie en l'air, vous saurez que tout Rémi Bezançon ça pèse pas lourd, et si cette première œuvre était une baffe dans la gueule du spectateur, son second film, si bien-nommé Le premier jour du reste de ta vie, est un grand coup de machette sans anesthésie qui vous traversera de part en part en passant par nombre d'artères principales et d'organes vitaux.



Inutile de s'éterniser puisque des centaines de travaux universitaires verront bientôt le jour pour percer les mystères de l'œuvre abyssale de Rémi Bezançon, qui est en lice pour recevoir une poignée de Césars dans quelques jours, dont ceux du meilleur réalisateur ou du meilleur film. Là j'ai un ton assez ironique, un peu détaché, pince sans rire, tendance humour british, mais je vais essayer de vite m'en défaire, pour ne pas m'y emprisonner et faire l'honneur d'une ombre de subtilité au film de Rémi Bezançon. Nous sommes en présence d'un des pires films jamais réalisés dans l'histoire du monde. Je crois que je n'aurais pas de mal à le ranger parmi les 10 films les plus laids que j'ai jamais vus... Ou peut-être, parmi les 5 films les plus laids ? Parmi les 5 films les plus laids que j'ai jamais vus... Pour une fois je n'ai vraiment aucune sorte de scrupule à enterrer ce film sous des monceaux d'insultes, dont je m'épargne la lourde et pénible tâche d'en faire la liste par cette phrase même. D'ailleurs le seul fait d'affirmer que ce film fait partie des plus grosses saloperies jamais impressionnées sur pellicule est une facilité que je me permets enfin, alors qu'elle me tend souvent les bras, parce qu'il y a urgence, parce que ce film a reçu un beau succès aussi public que critique, et qu'il importe d'en parler sans ambages.



Par où commencer quand on a déjà hâte d'en finir... Ce film c'est en quelque sorte l'invasion du cinéma français par la série américaine moyenne. Cinq épisodes, cinq tranches de vie minables, faîtes de moment tantôt graves tantôt légers, cinq étapes charnières de la vie des membres d'une même famille, une suite de sketches rapides et faciles à avaler, ponctués de clips musicaux, une multitude de saynètes chorales toutes construites sur le même patron, le tout se voulant pontifiant et plein d'une vision de la vie aussi misérable que banale, tout à fait dépourvue d'intérêt. Le film est scandé par des scènes d'une vulgarité accablante, et l'on se sent presque coupable d'être choqué par ces instants de profonde bêtise et de grossièreté infinie où Déborah François (dans le rôle d'une fille de 16 ans...), passe cinq minutes face aux parents du garçon qu'elle vient de sucer, incapable de répondre à leurs questions la bouche encore toute pleine de sperme. Suis-je puritain ? Suis-je un catho confirmé ? Suis-je un quaker oats ? Ou bien suis-je tout simplement un être sensible et plus ou moins délicat, facilement attristé par le son que fait l'actrice, hors cadre, en train de cracher le fruit de sa première fellation dans un lavabo, la semence retenue semblant correspondre au contenu d'un bon cubi. Et n'allez pas croire que j'invente cette séquence. Il m'arrive de fabuler parfois ou d'exagérer les scènes les plus détestables des films tels que celui-ci, mais là tout est tristement exact. Je n'invente rien. Seul Rémi Bezançon en était capable. Sans parler de cette autre scène où la jeune fille perd sa virginité avec le même canfre, observée par le fantôme de son enfance, qu'elle semble abandonner pour de bon tandis qu'une flaque de sang digne du Shining se répand sous la porte de la salle de bain. Là aussi vous allez m'accuser de diffamation, de prendre Bezançon en grippe, de fantasmer au détriment de cet homme. Mais je vous jure sur ma vie qu'il n'en est rien. Je ne dis rien que d'honnête. Et je préfère ne pas m'étendre sur les autres séquences infamantes de ce pur produit américain étiqueté made in France par de multiples références aux grands vins du Brulhois, subrepticement placées entre deux grandes lampées de namedropping qui rallieront les zicos et autres connards finis à la cause Bezançonnaise.



Et puis sur ces cinq tranchasses de vie, deux sont consacrées aux femmes de la famille. D'abord la jeune fille dont nous venons d'évoquer le sordide cas, puis la mère, interprétée par Zabou Breitman. Dans les deux cas, le jour le plus important du reste de leurs vies de merde est intrinsèquement lié à leur sexualité. Tandis que la première devient femme en perdant sa virginité dans ce qui ressemble à un nécessaire viol étrangement consenti (le passage d'une femme à l'âge adulte ne peut advenir autrement d'après Besancenot), l'autre, en pleine ménopause et mal baisée par son époux, a besoin de perdre la moitié de son visage dans un accident de voiture pour que ce dernier daigne la regarder à nouveau avec envie, ce qui redonne à sa vie la pleine mesure de son utilité. Je ne suis pas une chienne de garde, mais je pourrais facilement niaquer Bezançon jusqu'au sang si l'occasion se présentait au détour d'une rue.



La mise en scène de ce film est celle d'une publicité EDF mal fagotée. Chaque plan, chaque cadre, chaque lumière, chaque cut, est empreint d'un maniérisme éculé et pitoyable. Bezançon sort probablement d'une grande écoles de gros cons. Il est plein de tics, cet homme là est un ticard, un tocard, il a des tics, des troubles. Et il peaufine sa bande originale comme une petite reine, comme la dernière des Coppola, fier de faire copiner David Bowie et Etienne Daho, auquel le film est certainement dédié. Bezançon filme une scène de repas familial vouée à imager la réconciliation générale en faisant tourner sa caméra tout autour de la table, dans un sens puis dans l'autre, passant derrière les nuques rasées de près des acteurs en présence, tournant et retournant, encore et encore. C'est pesant à regarder, ça pèse, c'est lourd, n'est-ce pas. Tout ce film, tout ce cinéma-là est d'une lourdeur... ça pèse horriblement, c'est lourdingue à s'en foutre par la fenêtre de désespoir, il y a tant de poids là-dedans que c'est pas possible de le dire. Et au milieu de ce fourbis : le triste Jacques Gamblin, qui ferait bien de retourner moudre du café sous son vrai nom Jacques Vabre. Ce type-là a le nez qui s'allonge quand il ment, ce qui lui vaut, je ne vous apprends rien, d'être surnommé Pinocchio. Or quand il joue la comédie, par définition, il ment. Alors il traîne un blair pas possible de film en film. Et tout autour de cet immense naseau rocheux, sa gueule fond comme neige au soleil sous la puissance des spots des studios, sous le soleil de Satan. Ce pseudo séducteur de merde est une horreur vivante, et je dis ça en ayant plutôt de la sympathie pour lui, à cause de mes parents qui l'aiment bien. C'est un tableau de Jérôme Bosch, ou de Munch, ou de Schiele, qui a pris la pluie et qui a fondu pour mieux dégouliner sur la planche. Il faut le voir se prendre pour Jimmy Hendrix...



J'ignore si ce petit texte est réellement digne d'intérêt. Mais c'était vraiment pour faire la paix avec moi-même, pour faire un point route, pour dissiper les nuages et pour pouvoir vivre le reste de ma vie comme s'entend, l'âme en paix. Le titre de ce film m'a tutoyé et moi je l'ai insulté en retour. Je l'ai "fait passer à travers". On m'a dit ça une fois dans un bar où je perdais une soirée de ma pourtant courte vie. J'avais bu un ou deux verres de trop et j'ai accosté une fille au hasard. Son maquereau est venu me menacer de "me faire passer à travers". J'ai tourné mes béquilles et je suis retourné baiser la poutre centrale du bâtiment, la poutre porteuse, ronde et douce, qui m'a contenté ce soir là, ce soir où j'ai bien failli "passer à travers".


Le Premier jour du reste de ta vie de Rémi Bezançon avec Zabou Breitman, Jacques Gamblin et Déborah François (2008)

5 mai 2008

Naissance des pieuvres

Voici un film qui traite de l'adolescence à travers le parcours d'une jeune fille chamboulée par la découverte de son homosexualité. Elle est tiraillée entre sa meilleure amie mal dans sa peau et une jeune fille membre d'un club de natation synchronisée, à la réputation sulfureuse, dont elle devient l'amie après en être tombée amoureuse. Enfin bref c'est la naissance des pieuvres, à ne pas confondre avec 20000 lieues sous les mers. Néanmoins, lors d'une scène de natation synchronisée, l’héroïne passe 35 minutes and counting montre en main la tête sous l'eau, grâce à quelques raccords pernicieux qui prouvent que Céline Sciamma est la fille spirituelle d'Albert Hitchcock et qui permettent de battre un record. C'est un film sur la jeunesse, assez sombre et pessimiste, c'est un film qui parle du silence de la jeunesse, de la solitude des adolescents de 15 ans et de l'angoisse des premières amours ainsi que de la fameuse première fois.




Il y a des moments intrigants. Comme quand l'héroïne parle du désir qu'elle a de faire partie du club de natation synchronisée à sa meilleure amie et qu'elle se plaint de ne pas être bâtie pour ça, en déclarant par exemple, alors qu'elles sont assises sur un canapé au fond d'une grande pièce : "J'ai un bras plus long que l'autre, t'as jamais remarqué ? Téma j'ai la main gauche sur la poignée de la porte à plus de vingt mètre alors que mon autre main est normale, dans ma poche, c'est pas normal, t'as jamais guinché que j'avais un bras méga trop long ?". Enfin, pour nous dépeindre l'ennui estival caractéristique des jeunes filles de cet âge-là, la réalisatrice filme les deux amies qui jouent tout un après-midi à se cracher de l'eau à la gueule, puis le soir venu on voit le père rentrer chez lui et dire en découvrant son salon inondé : "Je t'achète la Wii demain, à ce rythme-là, franco je te l'achète demain à l'aise." Bref, si c'était Coppola Sofia qui avait réalisé ce film (et on y pense beaucoup), avec un peu de zique indé, quelques plans sur le soleil et les arbres en fleur, James Woods qui se balade en salopette et un beau suicide collectif pour clore le métrage, ça faisait six millions de spectateurs en région PACA dès la première heure d'exploitation.


Naissance des pieuvres de Céline Sciamma avec Pauline Acquart, Adèle Haenel et Louise Blachère (2007)

14 février 2008

Marie-Antoinette

Jusqu'à ce soir ce film était un vaste point d'interrogation pour moi, désormais c'est un grand panneau sens interdit. C'est pas tout à fait vrai, j'avais déjà une certaine idée de l'ampleur du désastre. Sofia Coppola n'a pas pépom Quentin Tarantino pour rien. Elle a la même obsession que lui : tâcher de prouver dans chaque film son bon goût. Et alors les petits fans de musique sont tout enjoués de reconnaître quelque chose dans un film, il leur suffit de savoir le nom d'un groupe utilisé dans la bande originale pour adorer ce qu'ils voient à l'image, la vie de ces gens est semble-t-il un blindtest permanent. "Putain fatche j'ai reconnu New Order et Air, ce film est vraiment puissant !". C'est d'une tristesse accablante. S'ils aiment ces musiques ils n'ont qu'à les écouter sur leur ipod et qu'ils se fassent pas chier à foutre le dvd du film dans leur platine pour les entendre sur un clip écoeurant... Si le même film, très exactement, était sorti en France, réalisé par, mettons Laurent Tirard, sans New Order et Sparklehorse dans la BO, peu de gens seraient allés le voir, ou en tout cas peu de gens auraient aimé. C'est assez tragi-comique.



À part ça le film est d'un ennui prodigieux. Kirsten Dunst est jolie mais Sofia Coppola filme plus volontiers les lustres quand elle est nue, puis elle baisse sa caméra une fois la robe enfilée. Pourquoi ne pas la filmer directement habillée donc ? J'aurais fait un porno assez salace à sa place croyez-moi. L'acteur qui joue Louis XVI, le jeune type de Rushmore, Arthur H je crois, je sais plus son nom, ressemble à Dustin Hoffman s'il avait été laid. Y'a un petit caméo de Mathieu Amalric qui indique que Coppola, l'ayant vu chez Spielberg, l'a tout de suite contacté pour son unique film se déroulant en France. Bref le podcast fait pas toujours rêver. Le chef décorateur non plus, puisque tous les plans où on aperçoit les extérieurs de Versailles sont faits par ordinateur ou simples effets spéciaux à la con, ça se voit très nettement et c'est d'une laideur peu commune. Y'a même toute une scène où Jason Bourne (l'acteur de Rushmode qui incarne Louis XVI) cause à un éléphant dans le parc du château, et un grand portail en inox le protège de ses assauts répétés. Ledit éléphant est un gros effet spécial dégueulasse et saccadé comme les hologrammes avec lesquels ils communiquent à distance dans Star Wars New Episode. Le gros connard de Jason Molina (l'acteur de Mushroom qui joue Louis XVI) agite les bras devant un fond bleu, c'est pathétique.



En parlant d'animaux de compagnie, y'a au minimum un clebs dans chaque plan de ce film, quand c'est pas trois, une épreuve pour les yeux car ce sont des charpets, clébards hideux qui selon Wikipédia n'ont été inventés que bien plus tard. Le dirlo de la photo a fait son boulot, y'a rien à redire, il a suivi les indications de Coppola, c'est son film qui pue la merde pas le vieux dirlo. Et puis elle nous fout du Français de temps en temps, pour faire couleur locale, qu'on adhère un peu, mais Marie-Antoinette d'Autriche parle anglais, comme semble-t-il tous les Autrichiens dont la langue maternelle selon Sofia est l'Anglais. Et puis très vite comme c'était chiant de faire parler Ahston Cutcher (Louis XVI) en Français, vu qu'il sait pas, elle a décidé que tous les Français parleraient tout le temps anglais, même quand la Reine autrichienne qui parle anglais n'est pas là, même le peuple français de France quand il hurle qu'il veut de la farine. Ils ont foiré leur coup au mixage parce qu'il reste des bouts de français un peu partout et tout ça ressemble largement à du gros foutage de gueule.



C'est un film vraiment très très bête. On nous dit que Marie-Antoinette était une pauvre jeune fille comme les autres, exactement comme celles d'aujourd'hui (étonnant pour une Reine de France autrichienne en 1765, non ?), qui ne voulait qu'une chose, se faire niquer une fois convenablement. Et pour nous démontrer cette insignifiance Sofia Coppola nous fait chier pendant deux longues plombes. Putain vous pouvez pas savoir comme je me sens léger, enfin débarrassé, et de ce film de merde, et de ce que j'en pense.


Marie-Antoinette de Sofia Coppola avec Kirsten Dunst et Jason Schwartzman (2006)