15 août 2011

Super 8

Vu l'annonce du projet, et d'après les critiques glanées ça et là, ce serait forcément quitte ou double. Soit J.J. Abrams allait donner de l'eau au moulin de ma profonde indifférence à son endroit, soit il se rachèterait une réputation auprès de moi en me foutant des étoiles plein les mirettes. J'étais donc aussi curieux que méfiant face à ce film-hommage, réalisé sur le mode nostalgique et venu s'ajouter aux mille projets du genre qui envahissent un peu plus nos écrans de jour en jour. Au final j'avais tout faux car mon avis sur ce film s'avère plutôt mitigé, bien que tout mépris en soit effacé, et à plus forte raison, au risque de le regretter bientôt, je dirais que j'ai plutôt aimé. J'ai passé un agréable moment dans mon fauteuil de ciné, j'avoue, guilty as charged d'avoir apprécié un film de Jean-Jacques Abrams. Il faut dire qu'il aurait pu nous livrer quelque chose de désastreux avec le projet casse-gueule de rendre hommage aux films pour enfants des années 80, mais au final il s'en sort plutôt bien, même si la supériorité écrasante de la première heure sur la seconde implique un affaiblissement en cours de route, ce qui fait toujours tache. C'est d'ailleurs pour ça que je ne serai pas aussi dithyrambique que d'autres sur cette œuvre. La fin est en effet assez décevante, après une ouverture franchement convaincante, et d'abord grâce aux enfants. C'est là-dessus qu'on craignait le pire et qu'on est paradoxalement le plus agréablement surpris.



On pouvait craindre de retrouver la clique de gosses habituelle, avec sa somme de clichés et une suite de portraits bien dessinés, l'un après l'autre, avec de grosses différences physiques à la clé pour ne pas perdre le spectateur (si possible avec quelques quotas : un petit noir, un petit chinois) et des caractères bien sentis pour chacun d'entre eux, voire opposés. Or pas du tout, les enfants de la bande nous sont présentés de manière presque chaotique, nous plongeant dans leur groupe au beau milieu de conversations mitraillettes. Certes l'un d'eux porte un appareil dentaire hallucinant et, oui, il y a un gros, Charles (Riley Griffiths), à l'image de Choco dans Les Goonies ou de Vern dans Stand by me. Les enfants ont bien quelques lubies : Charles veut devenir réalisateur et ne pense qu'à ça, le héros fait des maquettes dans sa chambre en regrettant sa maman décédée, et le blond qui porte l'appareil dentaire d'un squale adulte est passionné par les explosifs. Mais leurs goûts restent assez basiques, et, à ce titre, les gamins de la bande sont finalement presque moins caricaturaux que ceux de Richard Donner ou autres. Malgré leur bien-heureux défaut de traits spécifiques trop appuyés, on ne tarde pas à reconnaître les personnages de Super 8, à les distinguer et à s'attacher à eux. Le seul "type" physique qui se détache nettement du lot, finalement, c'est le gros de la bande, or il n'est pas le débile malheureusement attendu, celui dont on se moque tout le temps parce qu'il est gourmand et stupide et à qui on balance des vannes dès que possible. Ici il joue le rôle du meneur, il est le réalisateur passionné qui conduit derrière lui ses amis pour réaliser un court métrage fantastique afin de le présenter dans un festival. La motivation de ce personnage et l'entrain de ses amis pour l'aider à faire son film sont très communicatifs, ce qui nous introduit immédiatement et très efficacement au sein de la bande.



Les gosses ne sont d'ailleurs pas des modèles de beauté, ce ne sont pas des étudiants en première année de licence de socio qui font semblant d'avoir douze ans, ce sont de vrais enfants et même le héros, Joe (Joel Courtney), quand bien même il est à priori plus "mignon" que ses amis, car d'un physique plus poupin, n'est pas le beau garçon qui fait semblant de ne pas avoir de succès pour accrocher les jeunes spectatrices ou favoriser le plus bas des instincts d’identification du spectateur, celui qui pousse à chérir les héros forts et puissants, non, c'est un vrai gamin. Idem pour la fille, Alice (Elle Fanning), qui n'est pas sublime, qui est même presque vulgaire lors de sa première apparition, la nuit, au volant de la voiture de son père, bref qui ne nous est pas "vendue", mais qui se révèle très belle ensuite grâce au regard porté sur elle par les personnages et par le cinéaste. A ce sujet, le film parvient à nous faire tomber amoureux de son héroïne, et je n'avais pas vu ça au cinéma (dans ce cinéma-là j'entends) depuis extrêmement longtemps. La scène d'émotion à la gare, le manque affectif du héros qu'il reporte peut-être sur Alice et leurs scènes ensemble (notamment les séquences de maquillage), nous font complètement tomber amoureux de cette jeune fille, et que l'on puisse nourrir quelque sentiment d'un instant pour une gamine de 12 ans est bien le signe que l'identification fonctionne à bloc et que la sincérité du cinéaste a quelque prise sur le spectateur (c'est peut-être aussi que le film nous ramène à nos 12 ans, ce qui peut être envisagé de façon positive ou non). D'ailleurs quand le père interdit au héros de revoir sa camarade, elle manque au film, sa présence féminine manque réellement, y compris au spectateur, peut-être même plus qu'au personnage. Et c'est un sentiment devenu rare dans le cinéma hollywoodien grand public.



Et puis le film a une autre qualité : il ne dit pas tout, ne surligne pas son texte. Pas que ce soit un exemple de finesse ou de suggestion, mais disons qu'il y a des scènes très brèves où quelque chose se passe sans que rien ne soit vraiment dit, comme quand le gamin, quatre mois après l'accident de sa mère (accident qu'on ne voit pas, et c'est un bon point) rentre guilleret de sa journée de collège et trouve son père en train de pleurer dans la salle de bain. Cette scène sonne terriblement vrai : le deuil peut-être prématuré du fils (on se souvient du héros de Stand by me qui s'étonnait quatre mois après la mort accidentelle de son grand frère que ses parents mettent autant de temps à "recoller les morceaux"), cette capacité qu'a l'enfant a parfois oublier, à vivre dans l'instant et à avancer grâce à une forme de naïveté propre à la jeunesse, ce sentiment de culpabilité qu'il éprouve quand il découvre que son père ne peut pas. C'est très bref et très juste. Et même quand les choses sont clairement énoncées dans les dialogues, par exemple l'amitié des deux personnages centraux de la bande (Charles et Joe), c'est dit aussi simplement que joliment. Bref, grâce à tout cela, le début du film est une vraie réussite. La scène sur le quai de gare est touchante (idem quand Joe et la fille regardent une vidéo Super 8 de la mère décédée), et franchement bien filmée (on sent que Spielberg était là, sinon par la présence du moins par l'influence, ça crève les yeux, et espérons que ce retour aux sources inspirera Tonton Spielby dans ses prochaines réalisations...), le crash du train est un peu poussif mais bien réalisé, l'intrigue est prenante, la mise en scène "à l'ancienne", qui évite les écueils du pastiche, a de quoi séduire. J'étais dedans ! Quand, juste après le déraillement explosif du train, l'un des gosses monte sur un débris en disant : "Venez voir les gars, on voit tout de là-haut !", on peut ressentir ce qu'on ressentait devant Les Goonies ou dans les films pour gosses de cette époque de façon générale, cet engouement de la jeunesse, cette joie puérile de la découverte et cette soif réelle d'aventure, un élan ô combien plaisant vers la fiction et vers ces gamins.



Mais dans la dernière demi heure, il faut l'avouer, on décroche un peu. Tout n'y est pas mauvais. L'histoire des deux pères par exemple n'est pas vraiment gênante, car elle est brève et peut rappeler Signes (cf. l'histoire de Mel Gibson et du tueur involontaire de sa femme, joué par Shyamalan himself, dans un film encore marqué de l'empreinte de Spielberg), et il y a fort à parier pour que la référence soit volontaire tant elle saute aux yeux. Il est d'ailleurs appréciable que le film puise certes principalement dans E.T. et Les Goonies (beaucoup aussi dans Rencontre du 3ème type, avec la scène de la station essence, entre autres) et dans les films des 80s en général (notamment Explorers, avec le cube extra-terrestre qui passe à travers les murs et le héros qui ressemble à s'y méprendre à l'un des trois personnages du film de Dante, lequel avait perdu sa mère très jeune et dont le père était alcoolique...), mais aussi dans des œuvres plus récentes. Grâce à cela le film ne tombe pas complètement dans le piège du remake déguisé ou dans celui du reboot fallacieux, et sa part de nostalgie n'est pas totalement écrasante. A l'image de ces "traces" de lumière bleue qui apparaissent quelques fois dans l'image à la faveur d'une source lumineuse puissante placée face à l'objectif et reflétée par la lentille de la caméra, qu'on appelle "lens flares". Ce type d'effet recherché se rattache à la mode nostalgique grindhouse et Abrams en est plus que friand. En reprenant volontairement cet effet pellicule à priori indésirable mais assumé comme heureux défaut dans E.T. comme dans Rencontre du 3ème type (chef-d’œuvre dont la photographie assurée par Vilmos Zsigmond était un émerveillement permanent), Abrams en rajoute certes un peu dans le "comme avant". Dans l'esprit on pourrait comparer ce geste à celui consistant à rajouter des rayures dans l'image ou à pourrir le son d'une chanson pour se rappeler les mauvaises copies de l'époque et les walkman, comme le font de tristes cinéastes actuellement, dans leurs tristes films, suivez mon regard... Mais dans Super 8 c'est peut-être LE projet où ça se tient (voir le titre du film...), et où ce n'est pas juste un effet bidon supposé "cool" mais au contraire plutôt bien vu, notamment grâce à l'ambiance de film fantastique et merveilleux que cela participe à créer.



Non ce qui gêne davantage c'est tout ce qui tourne autour du monstre. On sent qu'Abrams a quand même voulu mettre sa patte dans ce film (qui ne ressemble pas beaucoup à ses réalisations précédentes, et tant mieux...) avec cette créature immense et monstrueuse, sorte de mini-cloverfield. La bête n'est pas franchement fascinante... Son histoire (elle veut repartir chez elle, a essayé de construire son vaisseau dans un labo où travaillait le professeur qui s'est sacrifié au début du film, etc.), n'est pas vraiment exploitée à fond (et tant mieux, parce qu'on s'en contrefout), mais du coup elle est bancale et peu intéressante. L'implication de l'armée (qui rappelle un peu 1941 tant les forces militaires sont ridiculisées, mais surtout La Guerre des mondes) fait tendre l'ensemble vers le film catastrophe, ou disons vers la grosse machine du film d'action, et nous éloigne donc des gosses qui étaient au cœur du récit et qui servaient de pivot au film, ce qui est assez regrettable. On perçoit bien en outre quelques macguffins évitables, comme quand l'un des enfants se casse la jambe histoire d'être éjecté du film ou quand, lorsque le héros va sauver la fille, le shérif et une jeune idiote aux bigoudis se réveillent aussi dans la grotte, juste pour se faire bouffer deux secondes après à la place des héros... Et puis cet élément de l'histoire qui veut que lorsqu'un personnage touche la bête il "voie" aussitôt et "ressente" à travers elle (exactement comme dans E.T. du reste, voire comme dans A.I.), n'est pas franchement utile, car finalement on ne voit pas grand chose, que ce soit quand le monstre s'apprête à désintégrer le chef de l'armée (le professeur lui ayant au préalable annoncé qu'il le regarderait à travers la créature à cet instant) ou quand il se saisit du héros en le prenant dans sa main : il paraît qu'Abrams a inséré numériquement les yeux de la mère sur le visage du monstre, j'avoue que je n'ai rien vu de tel et que, de facto, la scène ne m'a pas des masses bouleversé. Les yeux de l'alien ressemblent soudain à des yeux humains, d'accord, mais c'est loin d'être beau et la scène en question, où le monstre finit par reposer l'enfant après les répliques un peu lourdes de ce dernier, est franchement surfaite.



Idem pour la fin. J'aime la sincérité du film, j'aime qu'Abrams se foute des invraisemblances et qu'il réclame de nous que nous croyions à n'importe quoi, comme dans les films de l'époque bénie et comme quand, ici, tous les objets métalliques aimantés par l'extraterrestre (vélos, frigos, bagnoles et bouches d’égouts) forment soudain un vaisseau high-tec avec plein de loupiotes qui clignotent joliment. Ce ne sont pas ces goofs sympathiques qui retiennent l'enthousiasme dans la dernière partie du film (comme encore le pendentif, dernier objet attiré vers l'engin qui a déjà aimanté des tas de voitures..., pendentif qui, quand il touche la bombonne, suffit à la faire exploser dans un gros jet d'eau - déluge... - sur les spectateurs de la scène), ce qui gêne c'est plutôt l'emphase de la dernière partie du film, son exagération dramatique : le gamin qui regarde le pendentif pendant cinq minutes avant de le lâcher pour le laisser partir vers l'alien et ainsi faire le deuil de sa mère. Bon... J'ai peut-être passé l'âge là quand même... Mais je doute que ce soit la seule explication, parce que j'ai passé l'âge pour l'ensemble de ce que raconte et montre le film. A la limite j'aurais marché si la scène était bouleversante malgré tout, mais ce n'est pas le cas, parce que si à la fin d'E.T. - puisque la séquence en est un copié-collé - on était effectivement ébranlé par le départ de l'extra-terrestre, adorable personnage véritablement lié (par le travail de tout le film) au gamin, ici on se fout totalement de la bête et son départ ne nous laisse rien éprouver. Donc le film se termine très platement et on se dit : tout ça pour ça ?



C'est dommage car, vraiment, la première heure est une étonnante réussite. Elle est même assez excellente à mes yeux de cinéphile né dans les années 80, forcément un peu nostalgique vis-à-vis du cinéma hollywoodien destiné aux plus jeunes, en tout cas avide de retrouver l'émerveillement proposé par les films de Spielberg et sa clique de l'époque. Ceci dit, cette fin trop peu efficace ne suffit pas à faire détester le film, loin s'en faut. C'est juste décevant, d'autant plus après une première heure, voire 90 premières minutes vraiment appréciables. Au final je peux le dire, même si c'est rude, j'aime bien ce film de J.J. Abrams. Tout est possible. Et ce réalisateur acquiert même un petit capital sympathie auprès de moi, qui perdurera s'il poursuit dans cette veine et abandonne la superficialité de ses projets antérieurs. J'ai déjà hâte de revoir Super 8 pour savoir si la magie prendra une seconde fois ou si elle retombera aussi sec, et je me réjouis personnellement de la sortie de ce film, moi qui, depuis pas mal d'années, me plains de l'absence inquiétante de films ne serait-ce que honnêtes pour les enfants d'aujourd'hui.


Super 8 de J.J. Abrams avec Joel Courtney, Elle Fanning, Riley Griffiths et Kyle Chandler (2011)