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12 juillet 2016

Encore heureux

Attention, il s'agit du premier film jamais réalisé sur la crise économique. Benoît Graffin, le réalisateur, met les deux pieds dans le plat, il saute dedans à pieds joints et ses chaussures sont pleines de merde. Il se permet même une pique ad hominem contre François Hollande, même si, avec ce film, Benoît fait plus de mal au cinéma français, donc à la France, que l'autre enclume. C'est l'histoire d'un type qui perd son job (Edouard Baer) et qui devient aussi sec une serpillère, il se met à dormir sous une tente dans son propre salon, fait le sourd quand ses gosses ou sa femme (Sandrine Kiberlain) lui demandent un truc et fouille dans les poubelles du quartier pour trouver des déchets de valeur à revendre, car il est très con. Du coup sa femme le trompe avec un tombeur irrésistible, j'ai nommé Benjamin Biolay. Voilà plusieurs fois que Biolay incarne les matamores, les bourreaux des cœurs, les tombeurs de ces dames, Jésus Christ multipliant les coups de pine. Je pense notamment à son rôle dans Au bout du conte d'Agnès Jaoui. Il ne joue que deux types de rôles : le Casanova du tiéquar ou le détritus humain dépressif et suicidaire. Beaucoup plus crédible dans le second.


 J'ai décidé d'illustrer cet article avec la photo d'un vrai beau gosse.

Toujours est-il que Baer va tout pardonner à sa femme et la récupérer en regagnant de la thune (sa fille d'abord, puis toute la famille, profite du décès de la vieille voisine acariâtre, raciste et conne, pour la voler). En interview, Graffin se la joue grand gauchiste avec des saillies du genre : "Après tout, cet argent qui va retourner à l’État, pourquoi cette petite famille n'en profiterait pas ?", mais son personnage principal évoque plutôt Sarkozy faisant les poches de Liliane Bettencourt en lui braquant un flingue sur la tempe. C'est une resucée plan par plan, et je dis bien plan par plan, de L'Argent de la vieille, que je n'ai pas vu. On nage en plein dans la comédie sociopolitique, dans la veine de Fun with Dick and Jane, sans l'humour, donc plutôt dans la veine tranchée dans le sens de la longueur par une lame rouillée de Une pure affaire, avec François Damiens et Pascale Arbalète. On pouvait espérer quelque chose des retrouvailles d'Edouard Baer et Sandrine Kiberlain, qui avaient déjà joué ensemble devant la caméra de Pascal Bonitzer, dans Rien sur Robert, où Baer initiait Kiberlain à la sodomie. Mais Encore heureux est un film Europacorp, et par conséquent c'est ici le spectateur qui a tout d'un coup la sensation de se faire enculer. 


Encore heureux de Benoît Graffin, avec Edouard Baer, Sandrine Kiberlain, Benjamin Biolay et Bulle Ogier (2016)

12 juillet 2013

La Rochelle 2013 - 1ère partie



Le Festival International du Film de La Rochelle 2013 s'est achevé dimanche dernier. Ce très agréable festival, fort bien organisé, mérite qu'on parle de lui, et parler de lui c'est parler des films qu'il propose. Je pourrais m'étendre sur le cadre assez idéal, les salles de cinéma sur les berges du vieux port, l'immense et superbe salle de la Coursive, tout près de l'océan, les gaufres au chocolat à la sortie des séances, les glaces gigantesques aux mille et un parfums de chez Ernest, les plateaux de fruits de mer des petits restaurants alentour et, plus globalement, la très belle ville de La Rochelle. Mais c'est le festival qui compte ici, et la pléthore de films qu'il diffuse. Entre classiques et nouveautés projetées en avant-première, la sélection est foisonnante et forcément frustrante. Voici malgré tout un petit bilan des 13 films vus là-bas cette année, bilan divisé en deux parties, une première consacrée aux avant-premières, une seconde aux rétrospectives. Sans plus tarder, place aux films :


Grand Central de Rebecca Zlotowski (28 août 2013)


J'avais raté Belle épine, le premier film de Rebecca Zlotowski. Je sais désormais que je ne le verrai jamais. Avec le très mauvais Grand Central, l'ancienne étudiante de la Fémis nous livre un film comme on en a déjà vu par wagons entiers. Ce genre de film qui n'a rien à dire mais qui le dit quand même, et qui, pour se donner des airs ou une légitimité, noie la petite romance adultérine minable supposée faire le sel de son récit dans un univers ultra-réaliste. On a droit à notre petite étude de cas habituelle sur des petits délinquants et autres marginaux embauchés à la hâte pour bosser dans le réacteur d'une usine nucléaire. Le deuxième long métrage de Zlotowski s'inscrit parmi ces tonnes de films français que l'on croirait uniquement faits pour illustrer gentiment quelques débats sociétaux de rigueur. Et pour achever de se donner de l'importance, le film applique sur ce très sérieux tableau naturaliste (mais même l'aspect documentaire sonne souvent faux) une mise en scène essoufflante, toute en musique saccadée et en caméra portée, pour créer des effets d'annonce ridicules et faire grimper la tension, quitte à ce qu'elle ne débouche sur rien. 

Plus ou moins filmé comme du Audiard (compagnon de Zlotowski…), le film roule des mécaniques sur un vide absolu. Les personnages sont autant de clichés sur pieds, l'histoire est idiote, déjà vue et revue, les effets de manche s'enchainent, le scénario est si bâclé que certains éléments du récit débarquent tout d'un coup comme autant de cheveux sur la soupe avant de totalement disparaître de la circulation, et le film s'enfonce de plus en plus dans la médiocrité, au point qu'on a quelques fois envie de franchement rigoler (ce plan sur la pomme emportée dans la rigole, dans la très laide scène de mariage au ralenti…). Quant aux acteurs ? Tahar Rahim fait ce qu'il a pour l'instant toujours fait, Olivier Gourmet c'est idem, il joue relativement bien même s'il joue toujours le même rôle (Niels Arestrup aurait pu le remplacer, ils sont interchangeables), et Léa Seydoux lasse plus que jamais dans le rôle de la pauvre fille "vraie", vulgaire et ravagée. Film maniéré et creux, qui s'achève en prime de façon particulièrement ridicule, Grand Central est une chose bien vaine et bien pénible.



Tip Top de Serge Bozon (11 septembre 2013)


On m'avait prévenu : le film est malaisant, il est "autre". Je dirais qu'il est embarrassant, et qu'il se vautre. Tip Top est quasiment irregardable, presque insupportable. Rester jusqu'au bout est déjà un exploit. D'ailleurs la salle, archi-pleine au départ, s'est vidée petit à petit. On s'ennuie mortellement devant le dernier film de Serge Bozon, dont le précédent long métrage, La France, lui-même très déstabilisant, totalement à part, parvenait pourtant à être aussi gênant que poétique. Aucune poésie à l'horizon de Tip Top, aucune drôlerie non plus, et ce ne serait pas si grave si le film, en dehors de quelques brusques changements de ton volontaires, n’essayait de faire rire de bout en bout. Impossible de faire la liste des gags visuels ou verbaux qui tombent violemment à l'eau, la faute à une mise en scène impuissante, tout simplement. Les acteurs n'y sont pour rien. Huppert n'est guère fascinante en flic stricte et excentrique, mais elle fait le travail. François Damiens se démène et sauve ses scènes du naufrage une ou deux fois, même si très vite le spectateur n'a plus du tout envie de rire, ni ne serait-ce que de sourire, à ses vagues facéties.

A ce propos, Tip Top est l'anti-La Fille du 14 juillet, où certains gags ratés se laissent apprécier au milieu d'une foule de franches réussites humoristiques. Ici, même quand François Damiens, voire Sandrine Kiberlain, ont une bonne réplique, bien dite en prime, le rire ne sort pas : on est trop crispé par la masse des gags ratés, par un scénario de polar vaguement alambiqué mais surtout extrêmement daté (dans le fond et dans la forme), par de fausses bonnes idées (les flics tapent et matent, les deux femmes-flics de la police des polices, dans l'intimité de la chambre à coucher, tapent et matent…), par de vraies mauvaises idées (ces scènes où Isabelle Huppert et Samy Naceri prennent leur pied en se frappant jusqu'au sang, c'est si peu drôle que c'est gênant), et par l'aspect général absolument insoutenable de l'ensemble, qui à force de bizarrerie forcée devient parfaitement épuisant et parle de la France mais se montre a priori bien incapable de lui parler.



La Bataille de Solférino de Justine Triet (18 septembre 2013)


On s'attendait à mieux après la belle surprise de La Fille du 14 juillet. Drôle de phrase, j'avoue, puisqu'on parle de deux réalisateurs différents. Mais La Bataille de Solférino est un autre premier film français de l'été 2013, il est aussi produit par Emmanuel Chaumet pour un budget dérisoire, Justine Triet fait partie de la bande encensée par les Cahiers ces derniers mois (aux côtés de Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ou Yann Gonzalez), et fait elle aussi tourner Vincent Macaigne. La comparaison est donc permise, voire logique. Le film de Triet est malheureusement moins réjouissant que ceux de ses camarades déjà sortis. Quoique très prometteur, La Bataille de Solférino s'étire en longueur, noie ses effets et dilue son intérêt, qui réside dans l'opposition entre un grand événement historique impliquant toute une foule euphorique (l'élection de François Hollande) et un événement très intime et plutôt tragique impliquant un tout petit groupe de personnes (le conflit de deux quidams divorcés, une journaliste TV et un artiste raté, qui se disputent la garde de leurs filles). Le film est parcouru de bonnes séquences et de bonnes idées, on retrouve quelques scènes drôles (grâce aux personnages joués par Arthur Harari et Virgil Vernier, et bien sûr à Vincent Macaigne quand il est avec eux), et la longue séquence de dispute de la fin parvient à nous faire méditer sur le couple et la fin du couple : comment peut-on en arriver à se hurler dessus et à se frapper quand on s'est aimé (si toutefois ces deux cas se sont aimés...) et quand on a fait deux enfants ensemble. 

La Bataille de Solferino est donc un assez bon film qui a malheureusement le grand tort de vouloir durer une heure et demi, et les plus petits torts conjugués de se reposer sur son ingénieux dispositif d'une part, et de parfois mettre le doigt trop lourdement sur sa propre ambition d'autre part, notamment à la fin, quand, pour calmer l'assemblée après la dispute fracassante de l'ancien couple, le "médiateur" interprété par Arthur Harari met de la musique classique et, pour répondre aux remarques du personnage de Vincent Macaigne, qui se plaint des moments gais "un peu chiants" dans ce genre de morceaux, affirme qu'il apprécie au contraire l'alternance de moments tristes et de moments gais, dans un art qui se veut "totalisant". 

Devant ce film, on se dit qu'Antonin Peretjatko (même si La Fille du 14 juillet est plus diversifié et passe plus facilement - en un mot, est meilleur) et surtout Justine Triet donc, auraient peut-être dû suivre la voie de l'éclaireur Guillaume Brac et adopter le modèle d'Un Monde sans femmes : un court métrage d'une vingtaine de minutes suivi d'un moyen métrage d'environ une heure. Il semblerait que Peretjatko et Triet aient tous deux commencé par réaliser des courts métrages tout à fait dans le ton de leur premier long, ce qui aurait permis de les enchaîner de la même façon que Brac, d'articuler et de mettre en lumière leurs premiers essais tout en allégeant leurs premiers films de cinéma et en les débarrassant de leurs relatives faiblesses ou longueurs. Nous aurions ainsi assisté à la naissance d'une véritable nouvelle nouvelle vague, revendiquée dans le ton et dans la forme, unifiée par les dispositifs, les sujets et les acteurs, dont les films auraient tous été d'une belle tenue dans leurs styles respectifs, et qui aurait fait bien plus grand bruit encore.


 
A Touch of Sin de Jia Zhang-ke (11 décembre 2013)


Notre collaborateur Simon avait déjà parlé du nouveau film de Jia Zhang-ke quand il l'a vu à Cannes, je rejoins assez son avis. Très différent des films précédents du cinéaste (en tout cas de The World et de Still Life), A Touch of Sin vaut autant le détour qu'eux. Le dispositif du film est à la fois presque facile, en tout cas d'une simplicité absolue, et d'une ambition remarquable. Zhang-ke dresse un état des lieux alarmant de son pays, la Chine, à travers quatre histoires consécutives, comme dans un film à sketches, ou disons choral. Et si les deux premières histoires sont liées de très loin, les suivantes n'entretiennent aucun rapport apparent entre elles, même si des échos s'opèrent au détour de tel dialogue ou d'une photo sur un mur. Dans le premier récit, un homme ulcéré par les abus des dirigeants corrompus de son village se met à les massacrer ; dans le deuxième, un voyageur-tueur rentre chez lui après une longue absence, déclare à sa femme que rien ne lui procure de plaisir en dehors des armes à feu, tire au revolver pour remplacer les feux d'artifices qu'il n'a pas pu acheter à son fils, puis s'en va assassiner des passants dans une rue sous prétexte de voler un sac-à-main de luxe ; dans le troisième, l'hôtesse d'accueil d'un sauna, après avoir été agressée par l'épouse légitime de son amant, se venge soudain d'un client fortuné qui la harcèle et la frappe au visage avec des liasses de billets pour qu'elle se soumette à lui ; dans le quatrième et dernier récit, un jeune homme enchaîne les contrats minables dans une usine puis dans un hôtel de luxe et se fait rabrouer par une collègue call-girl qui préfère enchaîner les passes avec de grands magnats de la finance. 

La force de Zhang-ke, c'est qu'il change de genre ou de régime narratif pour chaque histoire, voire au sein même de chaque récit, allant du brûlot social violent au drame réaliste en passant par le portrait d'un psychopathe, le drame romantique intimiste, ou le film de sabre et de vengeance, le tout pour dénoncer un pays résolument pourri où le pouvoir de l'argent le plus répugnant écrase les hommes et les femmes et les pousse au meurtre ou à la mort sans que ces échappatoires n'aient rien de libérateur ou d'exaltant. Le film, rigoureusement sombre, procédant d'un mélange de distance froide et de rage bouillonnante, est d'une force implacable, même s'il faut pas mal de temps pour totalement le digérer et l'aimer.


 
L'Image manquante de Rithy Panh (2013)


Transposition à l'écran de L'élimination, indispensable ouvrage co-écrit avec Christophe Bataille l'an passé, L'image manquante est un nouveau documentaire remarquable à mettre au crédit de Rithy Panh (après S21 la machine de mort khmer rouge ou le moins marquant Les artistes du théâtre brûlé). Le film est une version très condensée d'un livre plus complet et plus disert (en cela il ne dispense pas de le lire, loin s'en faut, la part politique et documentaire du bouquin étant atténuée au profit de sa dimension plus intimiste et autobiographique), dans lequel Rithy Panh raconte le génocide cambodgien dont lui et toute sa famille furent victimes, mais il a l'immense mérite d'en offrir une vulgarisation nécessaire et d'en transformer réellement la trace dans un objet cinématographique quasi-expérimental d'une grande originalité et d'une grande force. Rithy Panh nous invite à méditer sur les images manquantes de l'Histoire, et particulièrement d'un chapitre aussi capital que celui du génocide cambodgien perpétré par les Khmers Rouges, le régime communiste instigateur du Kampuchéa Démocratique mené par des idéologues (Pol Pot en tête) jadis formés chez nous, en France, et dont les membres détruisirent consciencieusement toutes les images du cinéma de fiction qui les avait précédés ainsi que toute illustration de leurs crimes pour ne léguer aux survivants que les films de propagande réalisés par leurs soins entre 75 et 79.

Les images n'existant pas, ou plus, Rithy Panh tente de reconstituer ses souvenirs, ses images mentales, à l'aide de petites figurines d'argile moulées puis peintes à la main et filmées dans des décors miniatures de marionnettes. Le projet fait pleinement sens et va bien au-delà de la pure idée qui le régit, car le cinéaste filme de façon admirable les scènes rejouées de son enfance et parvient à créer des images vivantes à partir de fétiches réalisés avec un soin inouï et recelant une grande beauté. Ces images de l'enfance, à double titre, mêlées au "vraies" images existantes pour les contredire ou les compléter, nous donnent à voir ce qui sans l'intelligence et le tact du cinéaste resterait invisible, ou serait potentiellement représenté de telle manière qu'on aurait préféré ne pas le voir.


Voilà pour les avant-premières auxquelles j'ai pu assister. Le bilan est pour le moins équilibré : deux ratages, un film partiellement réussi et plutôt très prometteur, et deux œuvres majeures. Mais le festival de cinéma de La Rochelle ne donne pas à voir que des nouveautés, loin s'en faut, c'est aussi et surtout des rétrospectives et des hommages en grand nombre, et c'est ce qui sera au menu de la 2ème partie de ce bilan, à paraître dans trois jours.


18 février 2011

L'Arnacoeur

Votre fille sort avec un sale type ? Votre sœur s'est enlisée dans une relation passionnelle destructrice avec un acteur porno ? Votre tante est mariée depuis 50 ans à votre Tonton Scefo qui est un vrai connard ? Votre mère s'est entichée d'un fan d'O.J. Simpson ? Aujourd'hui, il existe une solution radicale, elle s'appelle Alex. Son métier : briseur de couple professionnel. Sa méthode : un dentier d'Orang-outan à faire craquer tous les zlips du monde. Sa filmographie : tous les films de Cédric Klapisch et tous ceux de Tony Gatlif. En effet le séducteur en question n'est autre que Romain Duris, et Vanessa Paradis est celle que Duris doit délivrer de son époux idéal, lourdement payé pour ce faire par le père de la dame (que tous les personnages du film n'arrêtent pas d'appeler "la belle", avec parfois la variante "bonne"), grassement payé donc, le Duris, par le père de cette beauté divine qui veut se débarrasser de son futur gendre pour des raisons dont, croyez-moi, tout le monde se fout à mort.


La scène qui m'a fait rêver d'être un énorme gros coiffé d'un bonnet en plein été et pendu à son nokia.

Notre séducteur à la manque s'y refuse d'abord, son éthique lui dictant de ne briser que les couples malheureux afin de libérer les femmes de leur carcan conjugal et de maris minables. Apparemment seules les femmes souffrent de mauvais mariages, c'est bon à savoir. Or il se trouve que Vanessa Paradis a la chance hors-du-commun de vivre le grand amour avec un bellâtre bourré aux as, très appréciable puisque rasé de près et souvent absent, qui l'aime profondément. Duris finit néanmoins par accepter le gros chèque signé du père de Vanessa Paradis pour briser ce couple idyllique car il a besoin d'argent rapport à une ridicule histoire parallèle de malfrats, qui sert de macguffin ultra dispensable à cette triste comédie. Donc tout le scénario va consister à nous faire suivre les péripéties de Romain Duris, enfoncé jusqu'au cou dans sa mission visant à foutre la merde dans un couple de rêve qui n'a rien demandé. Ceci dit on sent bien, assez rapidement, que Paradis n'est pas complètement heureuse dans ce ménage. Pas d'exception à la règle, la femme est triste en couple si elle ne vit pas avec Romain Duris, c'est la leçon du film et du cinéma français depuis 10 ans. Pendant tout le "métrage" on croit deviner que le futur époux de Paradis est en réalité un bel enfoiré, un type louche, une plaie qui cache son jeu sous le fric, un sourire bright et des costars. Eh bien en fait non, c'est simplement qu'il est trop parfait, trop lisse, trop amoureux, que sais-je... Et Paradis finira par tout plaquer pour s'en aller coincer les chicots désordonnés de Duris entre ses propres dents du bonheur, même si ce dernier lui a menti à chaque instant, même s'il arbore d'un bout à l'autre du film des cheveux huileux ou dégoulinants, y compris par temps sec, et même si son personnage a tout l'air d'un vrai débile, histoire de s'éclater dans la vie avec un marsupial hystérique. Encore un film, donc, qui donne de la figure du mari une image obligatoirement désastreuse.


L'actrice préférée des français à côté de Vanessa Paradis.

N'empêche que c'est Noguerra qui donne lieu à la seule scène à peu près marrante du film. Duris engrange toutes les infos qu'il trouve sur Paradis pour tâcher de les mettre à profit histoire de la séduire : elle aime honteusement Georges Michael, elle kiffe Dirty Dancing (LE film préféré de toute femme), et elle n'a plus de sensibilité dans l'épaule gauche depuis un accident de skate (!). Du coup lors d'un repas au restaurant où il hésite sur le menu entre l'âne (Paradis) et le cochon (Noguerra), Duris fait exprès de se renverser de la soupe brûlante sur une guibole qu'il a préalablement protégée pour ensuite déblatérer qu'il n'a rien ressenti car il n'a plus de sensibilité dans cette jambe depuis une chute en rollers (?), ce à quoi Paradis s'empresse de répondre : "Ça alors coïncidence ! Il se trouve que justement j'ai moi-même l'épaule à blanc depuis que je me suis galtée avec mon skateboard". Trivias, correspondances, rapprochement, coup de foudre à Nothing Hill. Mais Noguerra, qui a décidé d'intervenir dans ce dialogue, demande alors à Duris : "Si je te plante un coutelas dans le muscle tu ne sentiras rien ?" Duris acquiesce et l'autre lui plante alors de toutes ses forces 5cm de fourchette dans la mauvaise cuisse. Duris hurle de douleur en la traitant de connasse, et c'est bien la seule fois qu'il prononce une parole à laquelle on adhère. Aussitôt Noguerra réitère l'expérience dans la bonne jambe. Normal. Quoi de plus logique que d'embrocher la première personne rencontrée qui se trouve être paraplégique et donc insensible, ou de déboîter le caisson à quelqu'un qui affirme avoir perdu sa sensibilité dans la joue à cause d'une sieste prolongée avec la tête calée contre l'angle d'une table. Forcément si quelqu'un me dit avoir perdu sa sensibilité dans le bras je vais m'empresser de le lui coincer dans un broyeur à ordures avant de lui trancher carrément la patte, pour voir si c'est vrai. Chouette scène donc. Mais le reste...


Duris qui ne peut pas s'empêcher de se faire remarquer en déféquant sur le dress code.

Pour le reste on ne se marre jamais devant cette comédie d'outre-tombe. Le plus tragique c'est qu'ils ont réuni François Damiens et Julie Ferrier, un duo "comique", pour ça... duo qui tombe à l'eau comme c'est pas permis et qui, acteurs comme personnages, se contente de servir la soupe au duo de stars en faisant un peu peine à voir. Quant à l'aspect romance du bordel... Comment ne pas avoir envie de gerber devant les facéties de Romain "Jigsaw Puzzle" Duris pour séduire cette duchesse interprétée par Vanessa "Far from heaven" Paradis ? Il faut voir Duris interpréter le type fan de musique classique qui va au concert dans un costume blanc trouvé à la Foir'Fouille du coin et qui passe une heure et demi à écouter un morceau de Chopin en mimant très sérieusement (bien que très mal) tous les gestes du pianiste dans le vide, giflant quasiment ses voisins de fauteuils quand les notes partent dans les graves ou dans les aigus. Il faut voir ça. Mais pour assister à ça, à ce génie dramatique, à cette saloperie, il faut aussi endurer le pire couple du cinéma français s'efforçant d'imiter - et ô combien mochement - la scène de danse finale de Dirty Dancing dans une comédie romantique qui s'inspire en tous points des pires films américains actuels et qui pour ce faire cite et pompe douloureusement et directement de drôles de classiques d'outre-atlantique pour un résultat purement macabre. Quel spectacle... Et les critiques et journalistes de tous horizons qui se félicitent qu'une comédie romantique française contemporaine parvienne enfin à ressembler à une comédie romantique américaine contemporaine... comme si on n'en voyait pas déjà assez, et comme si c'était un modèle à suivre.


L'Arnacoeur de Pascal Chaumeil avec Romain Duris, Vanessa Paradis, François Damiens, Helena Noguerra et Julie Ferrier (2010)

8 juin 2008

JCVD

Gare à vous, on tient là une perle de cette année 2008. Comme le laissaient présager les extraits du film qui nous arrivaient depuis un certain temps ou les merveilleuses interviews promotionnelles de Jean-Claude Van Damme, fort d'un charisme éblouissant et d'une pléiade de clins d'œil ravageurs à des journalistes tétanisés, ce JCVD tant attendu est un grand film.

L'acteur karatéka Belge aux mille facéties interprète son propre rôle, celui d'un homme parti à Hollywood, devenu une grande star mondiale, et aujourd'hui réduit à enchaîner les petits rôles minables dans de sombres productions Bulgares pour joindre les deux bouts et assumer un divorce difficile qui va lui coûter sa fille, lasse qu'on se foute d'elle à l'école à la moindre rediffusion télévisuelle des joutes verbales insensées que son paternel accumulait généreusement alors qu'il était drogué jusqu'à l'os devant des journalistes sans scrupule.



Mais ne vous détrompez-pas, si Van Damme joue Van Damme, ou Jean-Claude Van Varenberg de son vrai nom, nous avons néanmoins affaire à une fiction. En effet, par le biais d'une construction très fluide et largement profitable au récit, et à travers divers chapitres, différents points de vue ou plusieurs changements de lieu et de temps, nous est contée l'histoire d'un Van Damme revenu à la source, en Belgique, pour remettre les pendules à l'heure, et qui va être pris dans un braquage malheureux. Après un tournage difficile sous les ordres d'un réalisateur abruti et indifférent aux problèmes de la star sur le déclin (séquence "film dans le film" qui n'est autre que l'époustouflante ouverture de JCVD, dans laquelle on voit l'acteur dans son registre, massacrant à toute allure toute une armée de malfrats dans un plan séquence du tonnerre), après avoir vu un rôle à sa portée lui passer sous le nez au profit de Steven Seagal, après s'être résolu à l'idée que John Woo l'a définitivement oublié, lui à qui il a permis de venir travailler aux États-Unis et qui y a rencontré grâce à lui un immense succès, après avoir entendu sa petite fille déclarer à un juge qu'elle ne voulait pas rester avec son père, après bien d'autres embuches encore, Van Damme rentre au pays. Il vient d'accepter un rôle miteux que son agent lui a proposé sans même avoir lu le scénario en question. Il a besoin de cash, de liquidités. Et c'est pour ça qu'il va entrer dans une poste, en Belgique, après s'être excusé auprès d'une chauffeuse de taxi énervée, et après avoir fait des photos avec deux fans dans un vidéo-club, toujours serviable et modeste. Mais dans cette poste a lieu un braquage dans lequel Van Damme va se jeter tête la première, pour finalement non seulement faire partie des otages, mais devenir aux yeux du pays et au service des braqueurs le supposé preneur d'otages.

Tel est le point de départ du film. Or, laissez-moi vous le dire, il s'agit d'un grand film. Et c'est d'abord parce que nous avons là un grand acteur. Van Damme a vieilli, il porte sur lui-même un regard absolument lucide et intelligent, il a un regard sagace sur sa carrière, pleinement conscient de ce qu'il est, de ce qu'il a été, et donc de ce qu'il est devenu. Il a 47 ans et il est à son sommet. Première des choses, il est devenu extrêmement beau. Il a toujours eu une certaine présence mais ici elle est plus irradiante que jamais. Van Damme crève l'écran, qu'il parle ou non, qu'il se batte ou reste assis, son charisme est fulgurant. Force est de constater qu'il s'agit bien là d'un immense acteur. Dans ce film, impossible d'affirmer le contraire, même en faisant preuve d'une mauvaise foi sans borne, il déploie un talent d'acteur, un "acting" comme il dit, totalement sidérant. Il joue tout, il incarne tout, et sans la moindre difficulté apparente. C'est un grand, un très grand acteur que nous découvrons grâce à ce film.



Mais ça n'est pas tout. Ce film, contrairement à ce que présuppose son titre, n'est pas qu'un acteur. Dans le sens où l'acteur n'est pas seul impliqué dans la réussite de l'œuvre. Et dans ce sens-là uniquement. Car il faut bien le dire, sorti de ces considérations, le film est, ni plus ni moins, l'acteur. Il est bâti à son image, et c'est un mérite ô combien vertueux. C'est en effet une œuvre brillant, qui alterne un humour très efficace et une langueur émotionnelle poignante. Comme son acteur, ce film sait parfaitement ce qu'il est, signe d'une grande intelligence. On jongle entre cette biographie fascinante et une fiction dont la cocasserie est clairement assumée et revendiquée. C'est un va et vient permanent entre grandeur et décadence, de l'action pure et dure, brutale et saisissante, à une réflexion soutenue et interminable, ardue et passionnante, un questionnement sans relâche quant au métier d'acteur, au jeu des apparences, à l'existentialisme. La photographie du film, très à la mode (à base d'atténuation des couleurs vives, d'augmentation des gris et du marron, de saturation éblouissante des blancs) chez Spielberg notamment, qui en fait son cheval de bataille depuis près de 5 films, trouve ici tout son sens: c'est toute une imagerie à la mode au service d'un minable petit braquage au fin fond de la Belgique. Qui plus est ce style donne un côté vieillot, délavé, au film, typique de ces mornes villes pauvres telles que les cinéastes Belges se tuent à nous les dépeindre depuis des années. Cet aspect de morne banlieue qu'affichaient bien des films indépendants américains dans les années 70. On pense bien entendu à Un après-midi de chien de Sidney Lumet, qui racontait si brillamment un braquage foiré, et que JCVD pastiche d'une certaine façon, avec un Zinédine Soualem grimé, perruque à l'appui, en John Cazale. Le personnage de Soualem est d'ailleurs l'antithèse, l'autre pendant, de celui de Van Damme. Là où notre héros joue pleinement son propre rôle, Soualem, à force de peau blanchie, de perruque aux cheveux raides, et de méchanceté pure et dure, presque invraisemblable, est l'emblème du pur personnage de fiction, de la pleine création, du parfait imaginaire. À la réalité répond la fiction. Et à la fiction répond la réalité quand à la fin du film, Van Damme, utilisé comme bouclier humain par un des braqueurs, avec une balle dans le bras, se défait de son ravisseur d'un sublime coup de pied retourné avant de lever les bras au ciel acclamé par la foule, pour se réveiller soudain de cette rêverie insensée, toujours braqué par le dernier des preneurs d'otages, dont il se défait d'un banal coup de coude dans le ventre avant de voir les forces de police maîtriser le criminel.

Et puis l'histoire est finie, Van Damme va quand même aller en prison, condamné pour extorsion de fonds, lui qui avait demandé au commissaire (interprété par François Damiens, formidable acteur belge déjà croisé dans Dikkenek ou Cowboy), qui le prenait pour le braqueur de la poste un virement d'un million d'euros sur le compte de son agent, histoire de rendre plus crédible l'idée selon laquelle l'acteur Van Damme, au bout du rouleau, aurait pu commettre cette sombre prise d'otages. Mais après ce purgatoire, et c'est le dernier plan du film, Van Damme voit sa fille, au parloir, prête à le pardonner ou plutôt à se faire pardonner. Il s'est racheté une réputation et une autorité, en même temps qu'il a remis les pendules à l'heure.



C'est un très grand film auquel nous avons droit. Un film d'une rare et si précieuse intelligence, et surtout d'une prodigieuse liberté. Un film qui a su très intelligemment se façonner à l'image de l'acteur qu'il raconte. À mi-chemin entre le rire et la détresse, l'action et la réflexion, la fiction et la réalité. Un film superbement inspiré, qui va du plan séquence brutal sans concession où l'acteur fait son métier, bastonnant majestueusement des armées entières comme il sait encore le faire à 47 ans, à un autre plan séquence de huit minutes, où l'acteur fait son métier, et en plein film, s'élève soudain bien au-dessus des bassesses du plateau pour se percher parmi les projecteurs et analyser son parcours, sa situation, sa condition, dans un monologue aussi déconcertant que palpitant où le bel et puissant athlète se laisse aller à pleurer pour mieux dire sa vérité. Film d'action drôle et efficace aussi bien que méditation, distanciation Godardienne, et émotion pure. Voila ce qu'est JCVD, c'est un grand film.


JCVD de Mabrouk el Mechri avec Jean-Claude Van Damme, Zinédine Soualem et François Damiens (2008)