Si vous voulez (continuer à) assister à la déchéance professionnelle d'Al Pacino, alors n'hésitez pas une seule seconde, prenez une grande inspiration et lancez-vous dans Manglehorn de David Gordon Green (DGG pour les intimes). Par contre, si vous voulez garder un souvenir émerveillé de cet acteur-caméléon, tirez le frein à main juste après Heat.
Dans Manglehorn, Al Pacino incarne A. J. Manglehorn, un serrurier vieux et fatigué, plutôt grincheux, ayant largement dépassé l'âge de la retraite et vivant seul avec sa chatte Fannie. Il passe une bonne partie de son temps libre à rédiger d'une écriture d'écolier parkinsonien, des lettres enflammées et mélancoliques à une certaine Clara, son amour perdu, lettres qui retournent toutes à l'envoyeur, sans exception, et qu'il stocke chez lui dans une pièce fermée à clef après les avoir récupérées dans sa boite aux lettres infestée d'abeilles. Son unique fils, qui n'est pas le fils de Clara mais d'une femme qu'Al Pacino déclare n'avoir jamais aimée, est présenté comme un connard puisqu'il est un riche trader qui joue à dépouiller les gens en leur proposant des investissements foireux tout en se faisant des millions au passage. Ce fils indigne traite son père avec mépris, lui reprochant d'aimer d'avantage la chatte que sa propre famille (cette série de reproche se déroule lors d'une scène au restaurant à couper l'appétit même aux plus affamés)... Par contre Manglehorn s'entend bien avec sa petite-fille qui a la langue bien pendue et une mère chicanos. En dehors de ça, il aime papoter avec sa guichetière préférée (Holly Hunter, victime d'un lifting malheureux) lorsqu'il effectue son dépôt hebdomadaire à la banque du coin, notamment parce qu'elle est propriétaire d'un chien victime de nombreux soucis d'ordre vétérinaire, comme lui avec sa chatte.
Heureusement que c'est Al Pacino à l'écran : il peut jouer n'importe quoi et n'importe comment, il reste tout de même fascinant. Et heureusement qu'il est là sinon je n'aurais pas réussi à tenir quarante minutes devant ce gros navet. Tantôt farceur, tantôt déprimé, tantôt exalté, toujours Pacino, il nous sort toute sa palette, engoncé dans ses habits fatigués sous une touffe de cheveux fous grisonnants. Il faut le voir changer une ampoule au tout début du film, un acte qu'il accomplit comme s'il jouait Richard III. Bref, Al Pacino joue exactement le même rôle depuis vingt ans, à tel point que tous les personnages qu'il incarne devraient dorénavant s'appeler Albert Pacino, ce serait plus honnête pour les spectateurs. N'ayant pas vu la seconde moitié du film, j'ignore ce qu'il advient de ce personnage mais on peut soupçonner qu'il va se rapprocher de Holly Hunter et retrouver une certaine joie de vivre sur fond de musique indé. Ces films américains pseudo-indépendants sont tous plus ou moins prévisibles et chiants.
David Gordon Green commet donc ici un autre navet. Il a bel et bien définitivement perdu toute espèce de crédit après avoir tenté de remonter la pente ces dernières années avec un retour vers le southern gothic, son genre de prédilection. Après un début prometteur quoiqu'en dents de scie (L'Autre Rive pour le meilleur, Snow Angels pour le pire), il s'est fourvoyé dans quelques productions Apatow sans intérêt en loupant même le coche de mettre en valeur Natalie Portman dans le registre de la comédie dans Votre Majesté (parmi ses films, je garde tout de même un petit faible pour Baby-sitter malgré lui mais c'est vraiment pas grand chose). Il est étonnant de voir qu'il garde encore assez de crédit pour attirer Al Pacino dans son désastre sur pellicule, mais ce dernier commence peut-être à perdre la boule (Danny Collins, où il joue Albert Pacino, exactement comme dans Manglehorn, en serait la preuve). Dernièrement Prince of Texas n'était déjà pas fameux mais se laissait voir, tandis que Joe alternait le bon (surtout pour les fans de Nick Cage dont nous faisons partie !) et le très mauvais, et c'est le très mauvais qui finissait par l'emporter. Au bout du compte, David Gordon Green, réalisateur caméléon avec toujours le cul entre trois ou quatre chaises, ne sait pas trop quoi faire de ses deux mains ni de ses deux pieds. Il gagnerait à s'entourer d'un bon scénariste et d'un bon producteur qui lui permettraient de "retrouver le chemin des filets" de ses débuts, ou bien à définitivement arrêter une activité qui ne semble pas faite pour lui. Il pourrait faire ébéniste, c'est chouette ébéniste comme métier.
Manglehorn de David Gordon Green avec Al Pacino et Holly Hunter (2015)
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