
Inquiète d'entendre les immenses déflagrations d'un tonnerre invisible, l'institutrice demande aux enfants de se réunir dans l'école quand une pluie démentielle s'abat sur eux. Une fois les gamins abrités entre les murs du bâtiment, l'un d'eux reçoit ce qui semble être un projectile et commence à saigner : c'est un grêlon qui l'a frappé, une pluie torrentielle de glaçons énormes martèle soudain le toit de l'école et tout ce qui l'entoure dans ce qui ressemble moins à des intempéries qu'à une attaque ciblée, et qui n'est pas sans rappeler les deux séquences des Oiseaux d'Hitchcock où l'école de Bodega Bay est prise d'assaut par des mouettes puis des corbeaux, les enfants du film de Weir regardant au plafond sans comprendre d'où viennent ces bruits sourds qui écrasent leur école, puis les grêlons brisant les carreaux des fenêtres et pénétrant le bâtiment pour frapper un à un les enfants ensanglantés au milieu des cris stridents.
Juste après cette introduction fracassante, une autre scène nous saisit également mais sur un mode plus insidieux. Celle où David Burton dîne tranquillement en famille autour d'une table de cuisine filmée en plan large et fixe tandis que le cinéaste nous présente en montage alterné de l'eau coulant sur les marches de l'escalier qui descend au rez-de-chaussée. La lente progression du liquide sur la moquette beige lentement foncée par sa propagation, qui évoque une contamination virale du réel, est filmée en gros plan comme s'il s'agissait des pas d'un tueur approchant ses proies, et la petite musique qui l'accompagne, digne d'un film d'horreur, redoublée à l'image par un lent travelling de suivi, accentue le suspense et l'impression angoissante typique d'un film d'Hitchcock, une fois de plus. La résolution de cette séquence est d'ailleurs très logiquement celle d'un film d'épouvante trompant son spectateur pour faire lentement grimper l'angoisse, puisque l'eau ne venait que d'une baignoire en train de déborder...
Puis le film diluera peu à peu sa puissance inaugurale, ne réitérant pas avec autant de brio l'effet brutal du déluge initial ou l'invention figurale de la deuxième séquence, au profit d'une mise en scène parfois presque télévisuelle et d'un scénario plus étale faisant la part belle à une enquête criminelle mêlée d'ésotérisme via les rites tribaux d'aborigènes locaux peu commodes. Le récit eschatologique perd quelque peu à se restreindre aux présages sentencieux des autochtones prophétiques et perd surtout du temps et de son pouvoir de fascination en explications superflues. Mais heureusement Peter Weir se rattrape par de beaux sursauts, comme quand le héros, au volant de sa voiture, est assailli de visions terribles que le ralenti de l'image et la bande son bruitiste drapent d'une angoissante étrangeté : son poste radio crache des litres d'eau qui, modulés par la vitesse de défilement de l'image, se parent d'une matérialité étonnante, déformant sensiblement la réalité et contribuant par là même à la rendre douteuse. Et la rue devant lui, avec ses passants et ses véhicules, se retrouve soudain noyée sous un océan parsemé de cadavres flottants au gré d'un contrechamp improbable. Il y a aussi cette scène où David Burton retourne chez lui et voit ses visions antérieures actualisées dans une demeure pénétrée par les arbres que la tempête propulse sur elle, tapissée par des rideaux de pluie et surveillée par un sombre hibou de triste augure. Encore que le plus réussi dans cette séquence aux images envoûtantes reste le plan qui la précède, où l'on voit arriver la voiture du personnage sous la pluie et où les phares du véhicule créent un effet de distorsion sur la lentille de la caméra, brisant l'image en deux stries blanches en formes de vagues qui dessinent autant d'apparitions alarmantes.
Vient ensuite la découverte d'une fresque annonciatrice, au fond d'une grotte, dans une séquence obscure où le personnage n'a de cesse de répéter les mêmes mots, comme hypnotisé par les peintures rupestres qui prévoient le désastre, filmé au ralenti au milieu d'objets improbables (un masque, une amulette, etc.) dans une atmosphère crépusculaire nimbée de mystère et portée par une iconographie riche à souhait. Et Peter Weir de conclure son film sur le visage effaré de Richard Chamberlain, agenouillé face à une fin grandiose réalisée avec trois sous, une caméra penchée sur une vague et un projecteur qui s'éteint, mais qui n'en est que plus frappante, à l'image de l'ensemble du film qui, malgré quelques faiblesses réelles et autres temps morts, marque l'esprit d'images de fin du monde parmi les plus sourdement tenaces et préoccupantes qui soient.
La Dernière vague de Peter Weir avec Richard Chamberlain, Olivia Hamnett, David Gulpilil et Frederick Parslow (1977)
La Dernière vague de Peter Weir avec Richard Chamberlain, Olivia Hamnett, David Gulpilil et Frederick Parslow (1977)