6 octobre 2018

Leave no trace

Il y aurait un jeu de mots tout trouvé à faire avec le titre, mais il serait un peu cruel. Car certes, Leave no trace ne laissera pas une marque indélébile dans cette année de cinéma, ni même dans ma semaine, mais il ne m'a pas pour autant fait passer une mauvaise soirée ! Le nouveau film de Debra Granik, qui s'était déjà faite remarquer en 2010 pour Winter's Bone, a bénéficié d'un excellent accueil à Sundance et fait partie des rares à avoir une approbation des critiques à 100% sur Rotten Tomatoes, au même titre que des classiques comme Paddington 2 et Chocolat (avec Omar Sy !), pour vous donner une idée. Leave no trace, dont le titre n'a vraisemblablement pas su être traduit pour sa sortie française, est l'adaptation d'un bouquin de Peter Rock intitulé L'Abandon paru en 2009. Au bout de quelques minutes, l'histoire m'étant étrangement familière, je me suis souvenu avoir lu ce livre dont la lecture ne m'avait pas vraiment marqué, sans être désagréable.


Rien de tel qu'un petit moment de lecture sous la pluie. 

Le tronc d'arbre symbolise le fossé entre la fille et la civilisation...

On suit donc un père (Ben Foster) et sa fille (Thomasin McKenzie), âgée de 15 ans, qui vivent clandestinement dans les forêts bordant Portland, Oregon (place forte de la zik et du ciné indé US). Ils restent à l'écart d'une société avec laquelle ils évitent tout contact, jusqu'au jour où, évidemment, on leur met le grappin dessus et où ils sont plus ou moins forcés de retourner à la civilisation. Après un temps d'observation, histoire de s'assurer qu'il n'y a pas d'inceste ou quoi que ce soit de glauque là-dedans, les services sociaux les installent dans une petite baraque en périphérie, permettant au père de trouver un job dans l'exploitation forestière et incitant sa fille à aller au collège. Définitivement inadapté à la société, le père, dont on peut comprendre qu'il est un vétéran de la guerre d'Irak, veuf de surcroît, décide de repartir vivre au grand air avec sa gamine.


2 mois d'arrêt pour Ben Foster suite à cette scène réalisée sans trucage et décrite, selon ses propres termes, comme "la plus difficile à tourner de toute sa putain de carrière" (sic)  

P'tit-déj frugal... 

Quand on est malgré soi un abonné du bitume, que l'on passe ses semaines dans les tristes bureaux de tours grises sans âme ou dans les couloirs souterrains dégueulasses du métro parisien, à des années lumière de la nature et de toute verdure, voir un tel film peut peut-être apparaître comme un événement exceptionnel et salvateur, un sacré bol d'air frais, une belle respiration, aussi nécessaire que bienfaitrice. Les critiques américaines, qui ont couvert ce film d'éloges, comme en attestent ces phrases dithyrambiques copiées sur l'affiche US, ont peut-être besoin de se mettre au vert. Mais on peut aussi les comprendre : un tel film, avec sa nature omniprésente, son rythme très doux et son regard délicat porté sur ses personnages, passe sans souci pour une vraie curiosité et une pure merveille entre un Batman vs Superman et un Equalizer 2 ! Manque de pot, en ce qui me concerne, je vis dans les bois, je dors à la belle étoile, je bois l'eau de pluie, je me nourris de vieilles racines et, quand je regarde un flm, j'évite désormais comme la peste les pires saloperies US.


 Thomasin McKenzie est la révélation du film.

Ben Foster n'a pas fermé l’œil de la nuit et avouera plus tard en interview qu'il s'agissait "du tournage le plus difficile de toute sa putain de carrière" (sic)

Malgré tout, cela ne m'empêche pas d'avoir conscience des modestes qualités de l’œuvre trop modeste de la si modeste Debra Granik, qui est une sorte de sous-Kelly Reichardt, réalisatrice autrement plus importante du cinéma indé américain qui s'intéresse elle aussi aux marginaux et adore les espaces verts. Debra Granik joue sa petite musique sans faire de vague, de façon très simple, plutôt intelligemment, en évitant tout pathos et en filmant tout ça comme si c'était franchement pas grand chose, et c'est ce que devient son film : une petite chose mignonne et gentille mais inoffensive et presque insignifiante. C'est aussi ce qui fait son charme, paradoxalement. L'aspect le plus réussi est le portrait de cette adolescente curieuse, désireuse de s'épanouir, quitte à rompre le lien sacré qui l'unit à son paternel. L'actrice est très bien et la cinéaste la filme avec une certaine sensibilité. On ne trouve pas ça ridicule quand la gamine s'émerveille de la découverte d'un élevage de lapins ou d'une ruche d'abeilles, cela compte au contraire parmi les meilleurs moments.


Le regard-caméra de X-tro le lapin n'a pas pu être évité... 

Aucune abeille n'a été blessée durant le tournage.

La plus belle scène du film ne concerne toutefois ni la gamine ni son père. Elle survient dans la dernière partie, quand le père et la gamine ont temporairement trouvé résidence dans un mobil-home au sein d'une petite communauté de marginaux fort sympathiques et accueillants. Il s'agit d'une très belle parenthèse musicale durant laquelle Debra Granik filme le plus simplement du monde un vieil homme qui chante, accompagné de sa guitare et d'une amie gratteuse. Il s'agit en fait de Michael Hurley, un folkeux digne du plus grand respect, qui pousse la chansonnette depuis plus de 50 ans et qui joue ici une des plus jolies chansons de son riche répertoire, "O my stars" (sortie en 1980 sur l'album Snockgrass). J'étais agréablement surpris par ces minutes de flottement, hommage amplement mérité à cet artiste discret. Ne serait-ce que pour ça, Leave no trace mérite d'exister.


 Michael Hurley (à doite), accompagné par Marisa Anderson (à vérifier)

On s'éclate comme on peut sans wifi...

C'est quand le film se consacre à nous dépeindre la (sur)vie des deux personnages dans la nature qu'il s'avère le moins intéressant. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas venus là pour voir ça et, surtout, parce qu'on l'a déjà vu des milliards de fois ailleurs... Qu'il est compliqué de faire du feu quand tout est trempé. Comme il est important de mettre tout à l'abri quand la pluie recommence à tomber. Qu'il est bon de manger des vieilles conserves de flageolets mijotés au réchaud après avoir passé toute la journée à se les geler. Qu'il est nécessaire de se coller l'un à l'autre pour se réchauffer quand on a choisi de passer la nuit dans un tronc d'arbre en forêt par -15°C... Merci des tuyaux Debra, en ce qui me concerne, je reste chez moi bien au chaud pour mater ton petit film sympa en m'envoyant une bonne grosse pizza base crème fraîche.


Leave no trace de Debra Granik avec Ben Foster et Thomasin McKenzie (2018)

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