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14 novembre 2021

Army of the Dead

La toute première scène d'Army of the Dead a le mérite d'annoncer la couleur. Très représentative des 148 minutes d'abrutissement intensif à venir, on y voit un convoi militaire rempli d'imbéciles armés jusqu'aux dents transporter une mystérieuse cargaison placée sous la plus haute protection. Leur route croise celle d'un autre véhicule zigzaguant à pleine vitesse car son conducteur est déconcentré par sa passagère, trop occupée à lui administrer une fellation. Un accident s'ensuit, qui provoque la libération du pas si mystérieux contenu de la cargaison : un zombie de type vigoureux, costaud et remuant qui s'en prend à tous les survivants restant. Tout Zack Snyder est là, concentré dans ces premières minutes d'une nullité abyssale où action rime avec affliction. C'est bête, vulgaire, éculé, déjà pénible et terriblement laid. Cela n'apporte rien et promet seulement le vide. Des gros flingues, des sombres crétins et un poil de cul : le programme à venir est donc déjà posé puisque c'est tout ce que nous réserve ce scénario de malheur qui semble tout droit sortir du cerveau d'un adolescent dérangé aux centres d'intérêt limités à tout ce qui vrombit, gicle, sue ou coûte beaucoup d'argent. Évidemment, ça a le cachet visuel du compte instagram d'une marque d'automobiles spécialisée dans les SUV, un style calamiteux tout simplement intenable durant 2h30 et dont Snyder est entièrement responsable puisqu'il occupe tous les postes clés. Ce film-là, ce croisement tout ce qu'il y a de moins savant entre un zombie flick de bas étage et un énième Ocean's 11, est véritablement son bébé... et il a une sacrée sale gueule. Après ses mauvaises expériences chez les studios DC, l'auteur de 300 voulait vraisemblablement revenir à ses premières amours en nous proposant un nouveau film de zombies, lui qui avait débuté sa si triste carrière par un remake du deuxième opus de la célèbre saga de George Romero. Voilà ce que ça donne quand on lui laisse carte blanche. Et cet homme-là a encore des fans... On a la même passion, mais on ne porte putain de pas le même maillot.


Army of the Dead de Zack Snyder avec une bande de guignols XXL (2021)

15 juin 2021

L'un des nôtres

Costner, Lane. Deux des plus grands sex-symbols des années 80 et 90 de nouveau réunis dans un même film suite au camouflet qu'avait constitué le misérable Man of Steel du triste Zack Snyder, où ils incarnaient les parents adoptifs de Superbeman. Il y avait une revanche à prendre et les cinéphiles du monde entier n'en rêvaient même plus ! C'est pourtant ce que nous propose Let Him Go, aka L'Un des nôtres, le quatrième film du discret réalisateur américain Thomas Bezucha, adaptation du roman éponyme de Larry Watson, écrivain dont les récits, publiés en France chez Gallmeister (maison d'édition dont nous apprécions particulièrement le travail et que nous saluons dès que possible), sont toujours fermement ancrés dans le Middle West. L'histoire est à la fois très simple et plutôt originale, elle donne la part belle à un couple d'un âge avancé, campé par les deux stars. Une paire d'années après la mort accidentelle de leur fils unique, Lane et Costner voient leur ex-belle fille s'éloigner d'eux, emportant avec elle son gamin, leur petit-fils donc, pour grossir les rangs de la famille peu recommandable de son nouveau mari, dans un bled paumé du Dakota du Nord. Ni une, ni deux, ils décident de quitter leur ranch du Montana pour aller récupérer le gosse, qu'ils estiment entre de très mauvaises mains, et le ramener, par la force s'il le faut, chez eux.
 
 
 
 
Jamais désagréable à suivre, Let Him Go est une sorte de néo-western pour retraités, de thriller très pépère, qui doit beaucoup, si ce n'est presque tout, à son duo d'acteurs principaux. Diane Lane et Kevin Costner sont crédibles en grands-parents sur les dents, ils dégagent une complicité silencieuse, principalement faite de regards et de petits gestes qui en disent longs, une alchimie discrète et naturelle qui les rend assez attachants. On a aucun mal à les accompagner tout au long de leur mission dont le seul objectif est de retrouver leur petit-fils. Diane Lane est le personnage fort du couple, la véritable meneuse, son mari taiseux tient le volant, certes, mais c'est sous son impulsion qu'ils prennent la route à travers le Midwest, c'est elle qui est aux commandes. L'actrice propose une prestation nuancée, assez riche, tour à tour forte ou fragile, vulnérable et résolue. Elle se tire avec les honneurs de scènes parfois casse-gueule et elle parvient à conférer une profondeur appréciable à son rôle.




En bon aficionado de Kevin Costner, quel plaisir de le revoir enfin dans un film qui tient à peu près la route ! Malgré une coupe en brosse regrettable qui nuit à son charisme naturel et vient renforcer le caractère trop figé de son visage empreint d'une certaine lassitude, Kev nous livre sa meilleure performance depuis un sacré bail. Il a ses quelques moments de grâce où il éclabousse une scène a priori anodine de son talent hors norme. Je pense tout particulièrement à un plan précis qui fait suite à un dîner romantique au restaurant durant lequel son personnage, encore éperdument amoureux de sa femme, a sorti le grand jeu : Thomas Bezucha nous montre les deux tourtereaux rentrer à leur hôtel, marchant sur le trottoir et, pour faire tenir dans le cadre leurs mains fermement empoignées l'une à l'autre, le réalisateur opte pour un plan américain. Son choix s'avère malavisé. Il ignore (ou se voile peut-être la face !) que ce que nous remarquons alors est surtout le très imposant service trois pièces de celui qui jadis dansait avec les loups et dont le jean moulant ne laisse ici rien à l'imagination. Nous ne voyons que ça ! Quelques secondes plus tard, nouveau coup d'éclat : nous retrouvons un Kevin Costner pensif face au miroir de la salle de bains, il s'apprête à se mettre au lit quand sa femme vient lui faire des petits bisous dans le cou. Il n'en faut pas moins pour réveiller la bête. "Don't start what you can't finish..." lui dit-il alors avec sa voix de cowboy, nous rappelant que malgré son âge avancé, sa testostérone reste en ébullition. Mais la dame continue... Jusqu'à ce que Costner se retourne brutalement et gobe littéralement le visage de sa partenaire ! L'un des temps forts du film, à n'en pas douter. Il y a d'autres éclairs de Costner. Ils sont parfois furtifs, comme cet étonnant coup de pied latéral que notre homme, très diminué et alité, tente d'administrer à un shérif ripoux qui vient l'embêter dans sa chambre d'hôpital, un move très surprenant, peut-être improvisé. Ces moments précieux m'amènent à recommander chaudement ce film à tous les fans, encore si nombreux, du réalisateur d'Open Range, que l'on croyait perdu à jamais suite à son sacrifice ridicule dans Man of Steel, à tous ceux qui espèrent encore sa renaissance sur grand écran.




C'est quand il se consacre à ce couple vieillissant, encore marqué par la disparition tragique de leur unique fiston, que Thomas Bezucha se montre le plus habile, bien aidé par des stars sur le retour qui ont peut-être à cœur de montrer qu'elles en ont encore sous le capot et comptent bien profiter des beaux rôles qui leurs sont ici offerts (à propos de capots, ça me fait penser que la reconstitution des années 60 pêche ici à cause de toutes ces bagnoles rutilantes qui ont toutes l'air de sortir de chez le collectionneur et du car wash). Le réalisateur a la main beaucoup plus lourde quand il s'épanche un peu trop sur les sentiments, une musique venant souvent souligner ce qui se passe à l'image, et aussi quand il nous dépeint le clan de salopards des griffes desquels Lane et Costner aimeraient extirper leur dernier descendant. C'est également une femme qui tient les rênes de ce clan, une Ma Dalton un brin caricaturale incarnée par Lesley Manville, celle que nous avions jadis confondue avec Jean-Michel Aulas (my bad !) dans Phantom Thread et qui déçoit un peu dans le rôle de cette matriarche douée pour donner des ordre mais si maladroite à la gâchette. Plus il avance, plus Let Him Go se met à flirter avec la série b. Cela donne une scène cocasse où Kevin Costner perd quelques morceaux... Et cela aboutit hélas à un dernier acte complètement raté, un climax beaucoup trop expédié, où la tension échoue à grimper et où l'on se dit que le réalisateur aurait peut-être dû laisser sa caméra à son acteur, que l'on sait capable de torcher de bien meilleures scènes d'action. Thomas Bezucha nous laisse donc sur une dernière note en demi-teinte qui ne gâche pas néanmoins le bon moment passé aux côtés de Kevin Costner et Diane Lane.


L'Un des nôtres (Let him go) de Thomas Bezucha avec Kevin Costner, Diane Lane et Lesley Manville (2020)

22 mai 2021

Oxygène

Voilà déjà quelques jours que les abonnés Netflix ont la chance de pouvoir découvrir Oxygène, le nouveau film d'Alexandre Aja. Quelques jours, c'est peu, mais à l'ère des réseaux sociaux et des sites de notations à tout-va, c'est aujourd'hui suffisant pour évaluer l'accueil réservé à une telle sortie. Nul doute que plus personne ne se souviendra d'Oxygène dans quelques années, que dis-je, quelques mois ; mais, à J+10, force est de constater que, malgré la nullité quasi totale du film en question, les retours ne sont pas si négatifs, ils sont même globalement positifs. Oxygène a été reçu avec un certain enthousiasme, mesuré, certes, mais bien réel. Longtemps après l'accueil, déjà beaucoup trop chaleureux, accordé au précédent opus du cinéaste français, et juste après avoir vu la petite merde dont il s'agit ici, j'en viens au constat suivant : on est drôlement bienveillant avec Alexandre Aja. Et je me demande encore pourquoi, d'où ça vient, comment est-ce possible... Cela me plonge dans une incompréhension dont nous parlions déjà dans notre article sur Crawl.



 
Alexandre Aja semble encore bénéficier d'une indulgence étonnante en raison de la réputation démesurée de ses premiers faits d'arme, Haute Tension et son remake de La Colline a des yeux, deux films d'horreur brutaux qui avaient fait de lui l'un des parangons de ce que certains ont nommé la "french touch" du cinéma de genre. Peut-être jouit-il aussi de cette espèce de vague sympathie qu'inspire sa tronche amicale et son allure désinvolte de vieux pote du lycée qui a réussi mais qui n'a pas changé. Allez savoir... Avec les films bêtes et laids qu'il commet à un rythme de métronome, Aja occupe pourtant désormais une place de choix parmi ceux qui participent, aux yeux des spectateurs qui y sont les moins réceptifs, à maintenir le genre dans le caniveau du septième art, tout au bout de l'éventail, voué au mépris ou à l'indifférence. Oxygène est bel et bien digne de cela : sitôt vu, sitôt envie de l'oublier très fort en se disant qu'on a déjà perdu assez de temps avec ça (et c'est bien là le seul effort intellectuel auquel il invite).


 
 
J'ai déjà qualifié le film de "petite merde". C'est naze, je sais. Vous nous avez connus plus imaginatifs, originaux, inspirés. Mais quand je repense à Oxygène, ce sont vraiment les premiers mots qui me viennent à l'esprit, très naturellement, très spontanément, j'en suis désolé. "Petite" de par la taille du caisson dans lequel est enfermée Mélanie Laurent pendant 90 minutes ; petite de par le minimalisme affiché du pitch et la débilité d'un scénario très faible, incohérent à mesure qu'il se révèle, échouant à nous maintenir alertes et tendus comme nous devrions l'être devant un tel survival, et ne parvenant certainement pas à provoquer le vertige ou la fascination propre à la SF à concept fort qu'il convoque dans sa dernière partie. Et enfin, "merde", terme allié au précédent pour rappeler les talents de metteur en scène très limités d'Alexandre Aja et souligner l'insignifiance extrême de la chose. C'est qu'il n'y a rien à voir là-dedans. Il n'y a qu'à subir. Subir un film qui bat de l'aile d'entrée de jeu, qui s'essouffle et manque d'air, comme son héroïne, dès les premières minutes, et qui ne parvient à installer qu'une tension très superficielle, bête, vaine, la même que nous pourrions ressentir en contemplant un compte à rebours s'écouler sous nos yeux.


 
 
Sans idée, fuyant systématiquement son huis ultra clos par des flashbacks miteux, Aja se réfugie dans des trucs faciles, typiquement ceux d'un réalisateur de films d'horreur aux abois, en panne sèche : jump scares gratis et images gores hideuses en numérique, les deux allant souvent de paire. Il achève de nous exaspérer quand il tente un plan-séquence ridicule où la caméra tournoie dans le caisson, encore et encore, dans un mouvement pénible et laborieux qui ne semble jamais finir. Pendant ce temps, son actrice Mélanie Laurent se démène et pose également question : on ne sait pas si elle joue tout simplement mal ou si elle expérimente, si elle innove, aux frontières de l'avant-gardisme de l'acting. "Je suis un putain de clone !" est-elle amenée à hurler, en gesticulant toute seule dans sa boîte. Avouons qu'elle ne pouvait pas transformer cela en or... On jurerait entendre "clown" et non "clone". L'actrice a des intonations surprenantes, à côté, qui sonnent faux. Paradoxalement, c'est aussi l'une des curiosités du film... Et pour finir sur une note positive, en faisant preuve de la même grandeur d'âme que la majorité des malheureux qui ont maté ça, je peux relever la seule chose que j'ai trouvée pas si mal là-dedans : ce bras mécanique ayant des airs de serpent insaisissable, qui sort régulièrement de son enclos métallique, menaçant l'héroïne de piqûres fatales. On touche là à une peur universelle, celle de voir une saloperie s'immiscer de force en nous par l'un de nos orifices. Une sensation peut-être bien familière à ces abonnés Netflix, curieux de découvrir les dernières sorties ciné de la plateforme. A présent, L'Armée des Morts de Zack Snyder les attend. Veinards !
 
 
Oxygène d'Alexandre Aja avec Mélanie Laurent et la voix de Mathieu Amalric (2021)

21 avril 2018

Batman, Superman, Captain America & cie : voyous, vengeurs et capitaines d'industrie

Nous donnons la parole à notre fidèle pigiste philosophe, Paul-Emile Geoffroy qui a accompli l'exploit de trouver des choses très intéressantes à dire des films de super-héros américains actuels, à travers les cas de Batman v Superman, Captain American : Civil War et X-Men : Apocalypse. Place à l'artiste.

Il y a quand même un thème qui revient de plus en plus dans ces films de super-héros, celui du rôle de la puissance publique : point de vue libertaire contre point de vue "républicain". La franchise X-Men en est imprégnée depuis longtemps : c'est le désaccord Xavier-Magneto (surtout depuis la série de films préquellisants). Mais j'ai été étonné de retrouver ce thème aussi expressément central dans les deux gros blockbusters héroïsants de l'été 2016 (qui sont d'ailleurs de meilleurs films que le X-Men, et qui ont bien mieux marché que lui dans les salles). 




Après avoir dévasté un pays pour stopper un robot qu'ils avaient eux-mêmes créé (dans un film précédent de la franchise), les Vengeurs se trouvent forcés d'accepter une tutelle gouvernementale. Certains seront d'accord, d'autres vont virer "voyous" (rogue, en anglais). Ce qui est étonnant, c'est que le meneur de chacun des deux camps n'est pas celui qu'on aurait pu imaginer. Le "voyou" en chef est Captain America, qui devrait pourtant, en tant que porte-drapeau, soldat, patriote, mener l'équipe des "gouvernementaux". Or, ceux-ci sont menés par Iron Man, le capitaine d'industrie, le riche play-boy jemenfoutiste que l'on aurait plutôt attendu dans le rôle du libertarien prêt à créer une île de toutes pièces dans les eaux internationales, loin de toute juridiction. 




Le fait est que ces rôles inversés reviennent chez DC Comics où c'est Superman (qui porte, lui aussi, les couleurs américaines - plus ou moins - sur le torse) qui est un "voyou" (malgré lui, certes). De manière moins psychologiquement fine que chez les Vengeurs, Superman le sauveur-qui-détruit-les-villes-en-les-sauvant se laisse amener devant une cour de justice dans ses jambières de spandex, mais ça ne mène à rien et, finalement, il attise par son comportement une vindicte populaire contre le "false God" qu'il est devenu. Et c'est le capitaine d'industrie, le riche play-boy, Bruce Wayne qui, revêtant son armure tel un Iron Man gothamien, va faire tout son possible pour ramener le voyou à la raison. 

Parallélisme, donc, entre Marvel et DC. Peu étonnant, puisque les héros y sont souvent analogues, et puisqu'en prime les studios aiment sortir les exacts mêmes films au même moment.




Les conclusions sont elles-mêmes analogues : Batman et Superman, après s'être finalement alliés, vont monter un front commun. Certes, Superman meurt-il, mais Batman va bâtir sur sa tombe une équipe de super-types (et meufs) prêts à en découdre sans forcément rendre des comptes. De même, après s'être bien torchés la race, Tony Stark et son pote Cap' vont finalement se liguer contre un gouvernement un brin porté sur le contrôle et l'enfermement arbitraire, et leurs futures aventures seront sans doute hors de tout contrôle. 




La "morale" est donc la même : à trop représenter la patrie, on se l'aliène, et à trop accepter ses règles, on se trouve forcé de s'en défaire (quand on veut "sauver le monde"). Or, de nos jours, qui sont les super-héros, ceux qui dépassent les limites, ceux qui veulent "sauver le monde" (malgré lui) ? Les Superman et les Captain America n'existent pas, ils ne sont qu'un faire-valoir, un symbole de l'état. Mais les Tony Stark et les Bruce Wayne, eux, existent bel et bien. Ils vivent dans la Silicon Valley et rêvent de s'extraire d'un fédéralisme pesant pour mettre en pratique leurs "pouvoirs" sur des terres incontrôlées. Ils travaillent dans la robotique et dans l'armement, chez Google et ailleurs. Et la morale de ces films n'est pas peu claire : ils doivent, pour continuer leur job, se défaire de la tutelle qu'on leur impose. 




Qui sont les "méchants" de ces deux films ? Celui qui provoque la guerre civile chez les Vengeurs est un type au passé trouble, certes, mais rangé des voitures et qui ne sort de sa retraite que pour venger sa famille, massacrée par les héros. Il devra payer sa vengeance orchestrée sans trop de dommages collatéraux contre ses seuls ennemis : les héros, les sauveurs qui tuent par erreur. Celui qui oblige Batman et Superman à s'entretuer est un autre capitaine d'industrie, Lex Luthor. Mais c'est un mauvais exemple du riche industriel. Non seulement son rejet de l'autorité gouvernementale ne se traduit-elle pas par un évitement mais par une confrontation (il tue des élus), mais en prime son activité industrielle n'est pas dirigée vers le bien de tous (comme le serait celles de Batman ou d'Iron Man) : il ne vise que son bien propre. Voilà qui sont les méchants : celui qui n'accepte pas les débordements des super-héros et celui qui, ayant le pouvoir, ne s'emploie pas à "sauver le monde". 




On peut tout aussi bien considérer que ces trois films sont assez mauvais et que ce que je raconte n'a aucun intérêt. Personnellement, j'y vois un symptôme très important de ce qui traverse la culture populaire américaine (et donc mondiale) : un discours politique sur la puissance publique, et un discours qui me semble donc assez dangereux, oligarchique sinon aristocratique (au sens où "arista" signifie "les meilleurs") et anti-Etat voire anti-républicain, libertarien à vrai dire. Chose peu étonnante quand on sait que le monde est mené de plus en plus par les géants de l'industrie américaine (et chinoise), eux-mêmes très largement libertariens. 

Par ailleurs, les trois films "passent crème", même si j'ai trouvé que le Captain était supérieur aux deux autres.


Batman v Superman : L'Aube de la justice de Zack Snyder avec Ben Affleck, Henry Cavill, Gal Gadot et Amy Adams (2016)
Captain America : Civil War d'Anthony et Joe Russo avec Chris Evans, Robert Downey Jr. et Scarlett Johansson (2016)
X-Men : Apocalypse de Bryan Singer avec James McAvoy, Michael Fassbender et Jennifer Lawrence (2016)

21 novembre 2015

Hunger Games - La Révolte : Partie 2

Tout le monde a parlé de cet homme atteint d’une maladie incurable et condamné à une mort imminente qui a écrit à J.J. Abrams pour obtenir de lui cette faveur : avoir le privilège de découvrir Star Wars Episode VII en avant-première, longtemps avant le reste du monde, histoire d’être sûr de pouvoir se le faire avant de décéder. Aussi suis-je un peu étonné de constater que personne dans les médias n’ait parlé de cet autre homme, un vieux pote à moi en l’occurrence (dont je tairai le nom par respect, mais que je surnomme Leigh Braguette), qui va lui aussi bientôt mourir des suites d’une maladie inconnue, et qui a lui aussi écrit une lettre à un cinéaste pour lui faire une requête similaire, requête qui n’a pas été entendue ni donc relayée, ce que je trouve honteux.


Y a-t-il une âme dans ces babouches ? Et sous ce jean slim ?

Mon ancien camarade d’école a en effet envoyé un courrier en recommandé à Francis Lawrence pour lui demander non pas de rapprocher la sortie de son film, Hunger Games - La Révolte : Partie 2, mais de la reporter de quelques mois, voire de quelques années si possible (car il est optimiste mon ami, il voit la vie en rose), afin d’être certain de n’avoir aucune chance de voir le film avant de disparaître. Mon pote s’est déjà tapé les trois premiers épisodes de "cette saga de merde" (je le cite texto, il est même convaincu, contre l’avis de ses médecins, que c’est lors du visionnage du premier film, en 2012, que s’est déclenchée sa maladie orpheline mortelle, comme un phénomène d’autodéfense par la suppression de soi par soi pour soi), et il aimerait bien s’éviter le plus petit risque de se fracasser sur le 4ème opus avant de mourir. Francis Lawrence, qui est décidément un être peu recommandable, n’a pas décalé la sortie de son film. Hunger Games - La Partie : Révolte 2 et son titre putride ont débarqué sur les écrans ce mercredi. Et Francis n’a pas même répondu à mon ami. Aucun média ni aucun crétin sur Facebook n’a eu l’idée de faire tourner l’histoire. C’est dégueulasse.

PS. Petit message aux journalistes et autres éditorialistes écumeurs du web en quête d’anecdotes morbides croustillantes : si vous entendez parler de lettres semblables à celle de mon ami reçues ces derniers jours par Quentin Tarantino, à propos des Huit salopards, ou par Zack Snyder, au sujet de Batman v Superman : L’aube de la Justice, ne faites pas tourner non plus, c’est moi qui les ai écrites. Je vais bien, rassurez-vous. Mais le monde, lui, va mal, et il va déjà assez mal comme ça, alors si on peut tenter de retarder la sortie de quelques saloperies au coût d’un simple timbre poste, c’est toujours ça de pris. J’ai aussi écrit à Taika Waititi, le réalisateur de Thor : Ragnarok, pour lui demander non seulement d’ajourner la sortie de son truc de quelques siècles mais aussi pour lui demander si je pourrais emprunter son nom pour m’en faire un blaze de scène (à côté de ma carrière de blogueur ciné, je suis breakdancer).


Hunger Games - La Révolte : Partie 2 de Francis Lawrence avec Jenifer Lawrence (2015)

10 mai 2014

Pompéi

Critique IRT (in real time) de Pompeii (prononcez « Pompé2i », comme «M2iB»). Critique IRT donc d’un film IRT. Oui car je l’ignorais mais Kiefer Sutherland joue dans ce film, et l’acteur réclame que tout ce qu’il tourne soit découpé en 24 épisodes d’une heure (dont 18 minutes de pub aux USA) et se déroule IRT. Paul W. S. Anderson, le réalisateur, n’a pas pu obtenir des studios de faire durer le film un jour, mais il a vite soulagé son acteur en obtenant de ses financiers que le récit s’étende grosso modo sur 24 heures de temps et que le film soit tourné de manière à donner l’impression au spectateur qu'il se déroule en temps réel. On a même droit, à intervalles réguliers, à la petite horloge jaune sur fond noir qui vient interrompre l’action pour décompter les secondes avec cet effet sonore aussi insupportable qu’inoubliable, imitant autant le tic-tact d’une bombe à retardement que les battements d’un cœur sous 700 bars de pression : skun-tcha, skoun-tcha ; skun-tcha, skoun-tcha, ad libitum.


"Mate un de mes films, Sátántangó par exemple, ça va te buter et j'aurai la paix fumier..."

Kiefer Sutherland incarne le grand méchant du film, à la tête d’une légion romaine qui, dans l’introduction, massacre un campement de rebelles celtes, une tribu d’adorateurs des chevaux et des cheveux, donc des écolos, donc des gentils. Un petit garçon est évidemment témoin de tout ça et voit, au ralenti, son père et sa mère se faire tuer. Il se réveille le lendemain du génocide (car il sera le dernier de sa lignée, c'est toujours plus terrible) sous un tas de cadavres et finit planté, les sourcils froncés, devant un bel arbre où les romains ont mis ses ancêtres à sécher comme des sauciflards humains. Séquence suivante, deux gros lards de romains à bouclettes en toges violettes, avec du laurier dans les oreilles et un grain de raisin au bout de chaque crayon, matent des combats de gladiateurs dans un semblant d’arène en plein cœur de Londinium. « J’en ai raaaaaaaaas le cul de ces Thraces de merde, je veux du nouveau ! », déclare le plus laid des deux. Soit mais fallait pas jouer dans un péplum vérolé qui prend ses bases sur l’ouverture du script de Conan le barbare, qu’on croit revoir vingt ans après, remaké par des bras cassés dans une esthétique hideuse qui croit devoir s’inspirer du 300 de Zack Snyder, et surtout avec un sérieux pitoyable aux antipodes des excès ironiques et bravaches de John Milius, qui faisait tuer un chameau innocent à son Schwarzenneger d’un seul coup de poing idéalement placé pour mieux nous dérider. Au lieu de ça, Paul W. S. Anderson espère nous identifier à un énième idiot du village comme Hollywood nous en fournit tant ces derniers temps, j’ai nommé Kit Harington, surnommé tout au long du film "le Celte". Son entrée en scène, qui est aussi son entrée dans l’arène, pectoraux luisants toutes voiles au vent et barbe de trois jours finement taillée à la serpe, ainsi que les gros plans sur sa tronche de cake en train de hurler au ralenti en filant des coups d’épée dans ses dix adversaires balayés en deux temps trois mouvements, donnent le ton. Comment peut-on encore tourner des conneries pareilles ?


Ce type-là, marchand d'esclaves couard et perfide, qui soudoie un garde pour monter seul dans un bateau au moment de l'éruption, finit par recevoir une énorme boule de feu sur les anglaises.

Troisième séquence et le Celte, ce débile profond, prénommé Milo (non, pas comme Michael Caine dans Le Limier, plutôt comme un clebs de compagnie), réduit en esclavage et tiré à l’aide d’une chaîne par un type désagréable qui grogne à chaque fois qu’il donne un petit coup sec sur ladite chaîne, va soigner un cheval blessé (en fait lui rompre la nuque d’un coup sec pour abréger ses souffrances). Dame Cassia, pintade locale jouée par une Emily Browning tout simplement effrayante, aime aussi beaucoup les chevaux (comme on le verra plus tard dans une belle scène aux côtés de son fidèle écuyer noir, Félix, qui sera la première victime du volcan ; on ne peut pas tout faire, être un valet noir de troisième zone dans un grand spectacle hollywoodien et espérer survivre à la première demi heure), descend de son carrosse et vient aider l’esclave celte à tenir le canasson pour qu’il puisse lui rompre l’anévrisme sans difficulté, tombant aussitôt amoureuse de ce bellâtre au grand cœur et aux gros muscles. Après une bagarre de chambrée entre notre Celte et un Thrace très costaud (pas jouasse depuis que son nouveau coloc a tué son frère, prénommé Female, dans un combat de cage), Milo fait la rencontre d’Atticus (non, pas comme Gregory Peck dans To Kill a mockingbird, plutôt comme un esclave noir). Atticus est un gigantesque esclave, noir. Scarifié, les yeux écarquillés dès qu'il cause et la voix sortie en ligne droite des tréfonds de son propre slip (alors qu’il n’en porte pas), notre gladiateur émérite est interprété par Adewale Akinnuoye-Agbaje (qui non content d’avoir un nom compte putain de triple au Scrabble, joue la comédie comme quand on a quatre ans et demi et qu’on fait semblant d’être méchant, donc toujours très énervé, dents serrées et grimace merdique à la clé). Et pendant ce temps le volcan commence à se réveiller en douceur.


Je me demande si un seul type dans l'histoire de l'humanité a déjà parlé en faisant cette moue, même un type vraiment furax.

Chaque réplique qu’échangent Milo et Atticus est un délice d’innovation. « Ne t’inquiète pas le Celte, si je voulais te tuer, je l’aurais déjà fait ». Bien envoyé. Dans les dents. D’ailleurs tous ces gens ont des dents parfaites, d’une blancheur éclatante, divinement alignées, fou pour des esclaves et pour l’époque non ? En même temps les deux créature féminines du film sont donc Emily Browning et Carrie-Anne Moss, deux êtres de sexe féminin dont le morphotype me semblait pourtant assez clairement estampillé XXIème siècle. A quand Jennifer Aniston en Marie-Antoinette ? Ou Nicole Kidman, avec sa vieille tronche entièrement fondue et remoulée, dans la peau de Grace Kelly ? Mais revenons à nos deux gros cons. Voilà que débarque une scène de baston très longue dans l’arène, mais qui n’est qu’un entraînement, une répétition générale avant le combat du lendemain devant un public en délire. Ou comment faire deux scènes avec une seule histoire de remplir, d’en donner pour son argent au spectateur mâle en sueur venu en prendre plein la vue, et de ne pas montrer quand même qu’une foule de citadins cramés par la lave, car au fond c’est juste ça Pompéi. Bel échange ensuite, de retour dans la geôle : « Je peux te faire une promesse. Quand tu mourras, le souffle viendra de devant, et il viendra de ma main ». Réponse de Milo à son adversaire du lendemain : « Je peux te faire une promesse aussi, quand tu mourras, ta mort sera rapide, et elle viendra de ma main ». Échange de regards entendus et fondu au noir (au sens technique du terme, pas au sens d'un fondu sur Adewale Akinnuoye-Agbaje).


J'ignore qui fait le plus peine à voir.

Retour de Kiefer Sutherland, toujours aussi bon comédien, qui a bien fait de signer pour une 9ème saison de 24 étant donné l’odeur fétide qui se dégage de sa filmographie en décomposition depuis une bonne quinzaine d’années. Il prend ici un accent pointu qui, couplé à sa voix rauque, lui donne un air con de première qualité. Mais on sent que son personnage ne sera pas très fouillé, tandis que du côté des gladiateurs trépanés ça discute sec en taule : « Ton bras gauche est plus faible que le droit » lance Atticus dans un éclair de génie. « Sans déc’ ! » répond l’autre, à cran. Après quoi on a droit à la minute clins d’œil appuyés à mes films préférés dont les dvds sont affichés sur trépieds dans mon entrée de Paul W.S. Anderson. C’est d’abord le gladiateur noir qui lâche « Why so serious ? », réplique fétiche du Joker de Nolan, puis la servante, noire elle aussi, d’Emily Browning, qui parle du héros à sa maîtresse en l’appelant « l’homme qui murmurait à l’oreille des chevals ». Fin de la minute clins d’œil de dingues, travaillée au cordeau, puisque nous découvrons désormais que Kiefer Sutherland, aka le sénateur Corpus, probablement menacé par un attentat terroriste, comme tout sénateur dans un film impliquant Kiefer Sutherland, veut épouser Dame Cassia, évidemment éprise quant à elle de Milo, l’esclave celte condamné aux fers. Et, dans ce remake misérable du Gladiator de Ridley Scott, bientôt teinté de relents de l’ineffaçable 2012 de Roland Emmerich, on sent se profiler un combat à mort entre les deux queutards dans la ville en flammes, tel celui qui opposa Leonardo DiCaprio à Billy Zane sur le Twitanic englouti de James Cameron.


Le taulard enfermé depuis un brin trop longtemps.

Retour dans la cellule des deux gladiateurs et premier tremblement de terre, minime encore, mais suffisamment fort pour faire tomber un gode grossièrement taillé, et à visage humain, que notre ami Atticus avait érigé bien en évidence contre un mur de la pièce, sur une sorte d'autel, entouré de quelques chandelles comme autant d’invites à la relaxation. Kit Harington, qui vient de recevoir quinze coups de fouet pour avoir parlé non seulement à un cheval mais à Dame Cassia, et que son nouveau pote soulageait à l’instant de ses douleurs en lui épongeant gentiment le dos, fait une grimace inimitable en découvrant le pot aux roses. Malaise. Puis la conversation repart comme si de rien n’était quand Djimon Hounsoun II, tout en ramassant le godemichet pour le remettre à sa place, et sans épargner à son collègue de zonzon un regard ô combien concupiscent, raconte à son frère ennemi que Rome lui a pris toute sa famille et qu’il les rejoindra tôt ou tard dans le royaume de Zeus. S’ensuivent d’interminables scènes de combat, si longues qu’il ne reste bientôt plus que 35 minutes (sur 1h45) au Vésuve pour rétamer Pompéi. Ou un peu moins, puisqu’en voyant un énorme champignon de fumée et de cendre sortir du cul du volcan, et alors que le sol se dérobe sous ses pieds, Milo n’a qu’une idée en tronche, continuer à cogner sur le bras droit du grand méchant (sur le serviteur du sénateur si vous préférez, il ne cogne pas littéralement sur le membre supérieur droit de Kiefer Sutherland), qui jadis tua son papa.


Le fameux gode en glaise d'Atticus.

Je vous passe la fin en real time mais en accéléré : le volcan casse l’ambiance et le champion de Pompéi et des zonards sauve la belle Cassia de la prison où le sénateur l’avait cloîtrée (ils auront quand même le temps de regarder la servante noire tomber dans un éboulement). Quant à Atticus, il aperçoit une mère séparée de sa fille dans la foule et sauve l’enfant du tsunami qui s’abat sur la ville, en bon samaritain qu’il est, nous donnant droit au fameux regard terrifié par-dessus l’épaule de l’acteur noir qui va bientôt crever (pour lequel tout cinéaste doit payer des royalties à Roland Emmerich). Millième jabar dans l’arène, sous les projections du volcan, où le héros crie le nom du méchant qui ne se tient pourtant qu'à cinq mètres de lui, où ledit méchant se barre pour échapper aux éruptions du volcan en promettant à ses centurions très cons 100 dinars s’ils tuent son ennemi juré quitte à y passer aussi, et où le bon copain noir se sacrifie enfin pour le héros, tuant le bras droit très costaud mais muet (ou juste très bête) du sénateur. Combat terminal du gentil contre le méchant, puis baiser final du couple héroïque qui préfère sauver un cheval que se sauver lui-même et qui finit très logiquement en cendres (un peu comme si Jack et Rose, à la fin du blockbuster de Cameron, avaient préféré se geler les amandons en couple pour ne pas faire couler l'armoire).


Quand Paul W. S. Anderson a textoté Roland Emmerich pour lui demander s'il pouvait utiliser son plan-signature, Emmerich a répliqué : "Tu ferais mieux de pas signer le chèque si t'as pas le fric en caisse".

Il fallait bien Paul W. S. Anderson, véritable cas clinique, pour filmer le déclin d’une population assez conne elle-même pour aller s’installer au pied d’un immense volcan en activité. Le réalisateur de Mortal Kombat, d'Event Horizon, des trois (et bientôt quatre) Resident Evil et d’Alien W. S. Predator, est forcément un type pas totalement réfractaire à l’idée de recevoir des jets de pierre et autres torrents de boue. On raconte que, lors de quelques avant-premières électriques de ses précédents films, des gens auraient lancé des cigarettes incandescentes sur ses vêtements dans l’espoir qu’il prenne feu. Un type particulièrement décidé lui aurait même envoyé une véritable torche enflammée, objet pourtant pas évident à introduire discrètement dans un UGC. En tout cas, et ça ce n’est pas une rumeur, sur le tournage du film, Kiefer Sutherland, qui n’a pas non plus dix tonnes de scènes et qui les a toutes mises en boîte en une journée, a déclaré aux journalistes : « I'm federal agent Jack Bauer, and today is the longest day of my life ». Impossible de savoir s’il a dit ça par simple habitude ou si vraiment cette journée de tournage était pire que les pires 24 heures de la vie de merde de Jack Bauer.


Pompéi de Paul W. S. Anderson avec Kit Harington, Kiefer Sutherland, Emily Browning, Carrie-Anne Moss et Adewale Akinnuoye-Agbaje (2014)

4 août 2008

300

Un ami m'a raconté il y a trois jours une histoire. Il est allé acheter l'intégrale de Rimbaud aux éditions de la Pléiade pour l'anniversaire de sa mère. Les éditions de la Pléiade, à tort ou à raison, et sans doute à raison, c'est pas donné. De sorte que ce cadeau a coûté à mon ami la modique somme de 45 euros, ou pour parler franchement, l'équivalent d'un bras. Mais quoi de plus normal et de plus honorable ? Après tout il aime sa maman qui l'aime en retour, c'est bien heureux. Mais l'un dans l'autre, mon ami n'avait plus assez de sous pour se payer deux films de Jean-Luc Godard vendus ensemble, à savoir L'éloge de l'amour et Notre musique, coffret qui coûtait pas moins de 30 euros. Alors mon ami a pris l'étiquette ainsi que le code-barre d'un dvd du film 300 qui traînait là, parmi 150 autres exemplaires du même dvd, en tronche de gondole, et il les a soigneusement collés par-dessus ceux du boîtier contenant les deux films de Godard afin de ne payer le coffret que 10 euros (le prix du dvd de 300, donc). Mon ami a volé. Et le connaissant on peut encore se féliciter qu'il n'ait pas sommairement déchiré les blisters des deux dvds pour les intervertir au petit bonheur la chance et se faire défoncer par un vigile chauve et costaud peu fana des grands blonds intellos.



Si les films de Godard coûtaient 30 euros (soit 15 euros par film), et si celui du publicitaire Zack Snyder n'en coûtait que 10, le geste de mon ami fut noble et réparateur. Il serait en effet attendu que 300 coûte 3(00) fois plus cher que L'Éloge de l'amour et Notre musique réunis, puisqu'il a dû coûter 300 fois plus cher à ses producteurs, et puisqu'il a dû rapporter 3000 fois plus d'argent, et je pense être loin du compte, on ne pourra pas me taxer d'exagération, il doit s'agir en réalité d'un écart bien plus éloquent, mais je suis un vrai tocard en économie du cinéma, ce qui place cet article sous le sceau du soupçon. En somme, le geste de mon ami (parfaitement condamnable dans tout autre cas), est un geste digne d'Antoine Doinel (par ailleurs toujours condamné), qui volait dans les magasins, qui arrachait des photos d'Harriet Andersson dans Monika aux devantures des cinéma, qui dérobait la culture, celle que l'on devrait donner et qui se vend 3 fois plus cher que le divertissement populaire de la plus basse qualité, à moins que la valeur des choses soit proportionnelle à leur prix, mais l'on sait que cette équation, qui se vérifie dans cette histoire, est fausse presque partout ailleurs. Mon ami, qui a toujours une longueur d'avance, m'a dit : "on devrait payer 3 fois plus cher pour voir des merdes comme 300, pas l'inverse".



Au final c'est une histoire de Truffaut qu'il faudrait filmer comme Godard, avec politique et déductions, histoires de production, de coûts et de bénéfices en salles. On pourrait croire que le héros de cette histoire se paye Rimbaud, cadeau ou pas, pour 45 euros, alors que Rimbaud est mort il y a 118 ans, et que ce faisant il retire 20 euros à Godard. Que dis-je 20 euros, il retire 30 euros à Godard, puisqu'en caisse c'est 300 qui a été enregistré pour 10 balles. Godard se serait donc vu retirer 30 euros - même si je ne suis pas sûr de mon calcul et rappelle que je suis une buse non seulement en économie mais en calcul - lui qui vit encore et qui n'a pas beaucoup d'argent pour faire ses films. Lui qui a vendu les droits d'auteur d'un certain nombre de ses œuvres aux rapaces de chez Gaumont qui refusent de les sortir en dvd aujourd'hui. Mais l'argent qu'on donne à la fnac n'arrive jamais à Godard, ou des miettes, tout ça se passe avant. Notre Doinel grand et blond a volé la fnac, pas Godard Jean-Luc. Encore moins 300 et Snyder Zack, dont le distributeur dvd a vu rentrer 10 euros sans lâcher de dvd, mais tout ça ne compte pas pour 300. Godard aurait volé son propre film pour le donner au héros de cette histoire, et il aurait montré son majeur tendu, vieux de 78 ans, aux gens de la fnac. "Pour la gloire" comme n'a de cesse de le hurler le triste Gérard Butler tout au long de ce film prodigieusement laid et consternant qu'est 300.


300 de Zack Snyder avec Gerard Butler (2007)