Le décès récent d'Ernest Borgnine est une triste mais bonne occasion de découvrir ou de redécouvrir La Horde sauvage de Sam Peckinpah. Quand on regarde le film pour la première fois on ne peut s'empêcher de croire admirer le dernier jalon de la carrière d'un grand cinéaste, une œuvre tardive déployant toute l'étendue du talent de son auteur, le spectre impressionnant de son assurance, de sa maîtrise et de son pessimisme bu jusqu'à la lie. La Horde sauvage, qui date de 1969, apparaît comme le testament d'un vieillard de 44 ans qui n'a alors encore réalisé que quatre westerns, celui-ci compris, et qui tournera dix films de plus avant de passer l'arme à gauche en 1984. La séquence d'introduction est un chef-d’œuvre en soi, comme souvent chez Peckinpah, sauf que la conclusion du film, peut-être plus hallucinante encore dans sa décharge d'énergie mortifère, est elle aussi admirable, chose moins commune dans la filmographie du vieux Sam, dont les séquences d'ouverture sont souvent les meilleures scènes de films qui ne parviennent pas toujours à en réitérer la puissance visuelle et à poursuivre le travail aussi violent que passionnant sur le montage initialement déployé (dans Pat Garrett et Billy le Kid comme dans The Ballad of Cable Hogue ou Guet-apens - mais on peut trouver des contre-exemples : typiquement Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia et surtout Les Chiens de paille).
Je ne veux pas en dire trop sur le spectacle macabre aussi grandiloquent que pertinent et intelligent que nous offre Peckinpah, d'abord parce que beaucoup d'autres l'ont fait et très bien fait, ensuite parce que ceux qui n'ont pas encore vu le film pourront ainsi le découvrir plus librement, mais le gigantesque massacre qui lance le film et qui s'accomplit avec la même gratuité morbide qu'un jeu d'enfant (Peckinpah, qui ne mâche pas ses effets, ouvre et clôt la séquence par une scène, en montage parallèle, où un scorpion est assailli par une masse de fourmis sous le regard avide et rieur d'enfants qui s'amusent à recouvrir l'affrontement animal d'un papier journal enflammé), trouve un écho génial dans le règlement de compte grandiose qui conclut le film après deux heures trente de courses poursuites, d'attaques de train, de pauses dans un village mexicain et de bains dans des cuves à vin. Mais le déferlement inarrêtable de violence final dans Aqua Verde, à grand renfort de ralentis percutants et de jets d'hémoglobine écarlate, a quant à lui un but réel et noble. Pour la première fois les quatre de la drôle de horde décident d'agir pour un camarade. Quitte à se sacrifier ils vont faire quelque chose de bien, de sauvage mais de bien, et il faut voir le beau Warren Oates dire "Why not !" sur un ton bien à lui et complètement inimitable quand Pike Bishop (William Holden), le meneur de la troupe, lui lance un "Let's go" sibyllin, dont un seul regard ardent aura suffi à trahir l'éventuel mystère. Peckinpah enchaîne alors cette suite de plans inoubliables où les quatre cow-boys marchent de front et d'un pas sûr vers un carnage démentiel et suicidaire.
Traqués de tous les côtés, les quatre hors-la-loi n'ont pas grand chose de mieux à faire qu'agir enfin dans le sens de la dernière valeur ayant cours dans leur monde, qui vient se rappeler à leur bon souvenir comme par voie de fatalisme : l'amitié. Il aura fallu une nuit passée au milieu des putes à William Holden et aux frères goguenards incarnés par Warren Oates et Ben Johnson pour se décider, beaucoup moins de temps à Ernest Borgnine, qui incarne sans doute le plus beau personnage du film, ce fier-à-bras rieur et droit. L'amitié est un grand sujet pour Peckinpah qui, de Ride The Hide Country (1962) à Pat Garrett et Billy le Kid (1973) a continuellement filmé des camarades, des partenaires, des gringos complémentaires, quitte à ce qu'ils soient séparés par la loi venue corrompre leur entente et leur liberté, à l'image ici de Pike Bishop et Deke Thornton (Robert Ryan), son ancien complice réduit à le pourchasser après s'être fait pincer par les fédéraux.
Voilà deux grands personnages emblématiques de l’œuvre de Peckinpah, des vieux de la vieille dépassés par un monde devenu bien trop laid, où le charisme des hommes a laissé place à la puissance des machines : le train, qui est au cœur du conflit americano-mexicain et d'une scène géniale de braquage silencieux ; la voiture de Mapache, le général mexicain qui torture Angel (Jaime Sánchez), le cinquième larron de la horde, en le traînant au bout d'une corde accrochée à son pare-choc ; et la mitrailleuse qui, avant de faire un ménage considérable dans la dernière séquence, donne à Peckinpah l'occasion d'une joyeuse scène de comédie comme il les affectionne et comme il en usera et abusera dans son film suivant, The Ballad of Cable Hogue. Autant d'éléments modernes qui marquent la fin d'une époque et d'un certain genre de cow-boys : Pike Bishop fait rire ses propres hommes parce qu'une vieille blessure l'empêche de monter à cheval, et son meilleur ennemi Deke Thornton est aux prises avec une bande de repris de justice décérébrés prêts à faire feu sur des civils pour se distraire, dépourvus de tout respect pour des bandits d'envergure tels que lui ou ceux de la horde. Le monde tel que l'ont connu ces vieux hors-la-loi et tel qu'ils aimaient à le parcourir n'est plus, et quitte à devoir le quitter autant le faire avec panache dans un geste héroïque : aider les rebelles mexicains, compatriotes de leur ami Angel, en les débarrassant d'une bonne partie de l'armée impitoyable de Mapache. Quand Pike et ses hommes tuent ce dernier, le fort mexicain entier est comme en suspens, les soldats ne réagissent pas, plus personne ne bouge comme si, une fois la tête coupée, le corps d'armée était sous le choc et incapable de riposter (par quoi l'on retrouve la métaphore animale de l'introduction), et il y a une chance alors pour que ce meurtre ait suffit. Mais William Holden abat l'officier allemand bras droit de Mapache et lance ainsi la bataille épique et sanglante qui verra sa fin advenir dans l'ultime convulsion venue ébranler un Ouest déjà fini.
Quand, à la fin du film, après la boucherie opposant les quatre piliers de la bande aux soldats de Mapache dans l'enceinte d'Aqua Verde, Thornton arrive trop tard et retrouve le vieux Edmond O'Brien (qui joue le rôle de la sixième roue du carrosse, le vieillard malicieux, un équivalent de Stumpy dans Rio Bravo), les deux hommes constatent l'étendue des dégâts puis se proposent d'avancer vers de nouvelles aventures ("It won't be like old times… but it'll do !") avant de partir d'un rire généreux et sans fin. Tout au long du film et après chaque étape de leur voyage, y compris après les pires déconvenues, les gars de la horde n'ont de cesse d'échanger quelques bons mots et de s'esclaffer tous ensemble à gorge déployée. Ces rires de gaillards entrent en contraste avec ceux des gamins qui s'en prenaient sournoisement et vicieusement à de beaux scorpions cernés par un banc de fourmis grouillant comme de la vermine au début du film, dignes et rares scorpions symbolisant pour sûr les briscards de Pike Bishop écrasés par le nombre de leurs piètres adversaires, qui composent peut-être la vraie horde sauvage du titre... Plus tard, d'autres gamins - l'Amérique de demain, nourrie au sein de la violence (Peckinpah fait ce gros plan mémorable, dans le village mexicain, d'un nourrisson tétant sa mère dont la poitrine nue soutient une bandoulière à cartouches) - admireront Mapache et finiront par tirer sur Pike à la fin. Aussi les éclats de rire de William Holden, Ernest Borgnine, Warren Oates, Ben Johnson, Edmond O'Brien et Jaime Sánchez résonnent-ils longtemps en nous comme un écho du grand Ouest perdu et des derniers cow-boys, non pas les vrais, ceux du grand cinéma américain tel que l'a investi et marqué à tout jamais Sam Peckinpah avec ce sublime western crépusculaire, fier et désabusé.
La Horde sauvage de Sam Peckinpah avec William Holden, Robert Ryan, Ernest Borgnine, Warren Oates, Ben Johnson, Edmon O'Brien et Jaime Sánchez (1969)
La Horde sauvage de Sam Peckinpah avec William Holden, Robert Ryan, Ernest Borgnine, Warren Oates, Ben Johnson, Edmon O'Brien et Jaime Sánchez (1969)
Putain de film!
RépondreSupprimerEt très bon texte :)
J'ai déjà envie de le revoir...
SupprimerRobert Ryan joue aussi aux côtés du regretté Ernest Borgnine dans l'excellent Bad Day at Black Rock !
RépondreSupprimerSacré acteur Robert Ryan, je l'aime particulièrement dans Côte 465 d'Anthony Mann.
SupprimerJe le retrouverai avec bonheur dans The Set-Up de Robert Wise, que je prévois de voir bientôt !
SupprimerIl m'est difficile en lisant ça de m'expliquer comment mon DVD n'a toujours pas trouvé son chemin jusqu'à mes tripes ! BIENTOT !
RépondreSupprimerRépare cet oubli !
SupprimerVous êtes plus marrants quand vous n'aimez pas un film. Là c'est du convenu (admirable, sublime etc).
RépondreSupprimerCa tombe bien le but n'était pas d'être marrant. Et je ne pense pas que l'article se limite à dire que le film est "admirable" et "sublime", quand bien même il l'est.
SupprimerJe suis allé lire ta critique du film sur ton blog Tepepa. En effet, beaucoup moins convenu : "Bouh... je suis dégoûté, j'aurais aimé que le film raconte l'histoire des 150 tueurs de la "horde sauvage" de Mon Nom est personne... bouh..." -_-
RépondreSupprimerRhooo, la vile et raccourcie attaque...:-)
RépondreSupprimerNon, simplement, les auteurs de ce blog se sortent les doigts du cul pour démolir de façon originale et argumentée certains films estimés (TDK par exemple, ou Inglorious Basterds pour citer deux films que j'ai moi-même apprécié), mais quand ils aiment, le propos est plus passe partout, c'est tout...
Sache qu'on nous reproche souvent tout le contraire. :-|
Supprimer"Souvent" c'est peu de le dire.
SupprimerJ'adore ce film ! Quand à Borgnine je me dis fait chier tous ces acteurs qui disparaissent comme ça ! Qu'est-ce qu'il va nous rester !? De nos jours les très bons se comptent sur les doigts d'une main. Sinon en passant, et je n'ai aucune action dessus, le magasine So Film est pas mal.
RépondreSupprimerSalutations
C'est vrai qu'on aurait du mal aujourd'hui à réunir un casting aussi beau. C'est le revers de la médaille quand Hollywood ne tourne plus que des films de super-héros avec des acteurs de 12 ans sans talent ni allure.
SupprimerTu veux parler de Johnny Depp ? ;))
SupprimerNon mais pourquoi pas.
Supprimersi je peux me permettre .. : http://lecabinetdesrugosites.blogspot.fr/2012/06/on-acheve-bien-les-chevaux.html
SupprimerJe comprends mieux et je plussoie !
SupprimerPlussoyez plussoyez ! ;)
RépondreSupprimerQuestion : La photo sur votre entête est tirée de "El dia de la bestia" ?
Non, mais d'un autre film espagnol : Volver, de Pedro Almodovar, avec la si sympathique Penelope Cruz. :)
SupprimerBonne critique pour un excellent film!
RépondreSupprimerAllez pour la peine je vous paie votre place pour Dark Knight Rises :D
Super ! :D Comment peut-on s'arranger pour les places ?
SupprimerAh trop facile!
RépondreSupprimeril est tombé dans le panneau!
Malheureusement je n'ai pas ce pouvoir!
Puis on est d'accord que ca va surement être de la merde non?
On est d'accord ! :D
SupprimerHélas, oui. :-|
SupprimerPutain de chef d'œuvre !!
RépondreSupprimer"La Horde Sauvage va bientôt faire l'objet d'un remake malgré la disparation tragique de Tony Scott qui fut longtemps attaché au projet. Mais pas n'importe quel remake puisque le film va être remis au goût du jour et suivra une équipe des stups tentant de mettre fin à un cartel de drogue mexicain.
RépondreSupprimerWill Smith serait bien partie pour jouer le rôle principal, mais également en être le producteur. L'acteur ne devrait pas être dépaysé dans ce mélange de Bad Boys et de Wild Wild West. "
La Horde sauvage mélange de Bad Boys et de Wild Wild West. Sam Peckinpah vient de mourir une seconde fois.
SupprimerJe me doutais que tu retiendrais surtout ça. :D
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