Film à pitch, film de cavale, minimaliste, proche de l'abstraction métaphysique, à mi-chemin entre La Chaîne et Essential Killing. Deux types, les mains attachées dans le dos durant la première demi-heure, viennent de s'évader d'on ne sait où et tentent de rejoindre on ne sait quoi, poursuivis sans relâche par on ne sait qui. Ceux qui traquent les fugitifs le font à bord d'un hélicoptère noir, c'est tout ce qu'on sait. Le film s'ouvre d'ailleurs à l'intérieur de l'habitacle, oiseau de proie anonyme et froid qui survole champs, canyons et paysages rocailleux à la poursuite des évadés, mais nous ne saurons rien de ces pilotes ni des raisons qui les poussent à traquer sans relâche deux hommes (sont-ils de scrupuleux justiciers ou des esclavagistes modernes ?), quitte à en perdre beaucoup dans l'opération, car rapidement nous découvrons que cet hélicoptère commande les déplacements de toute une armée mobilisée dans l'opération. A vrai dire, les silhouettes dans le paysage du titre désignent presque moins les deux personnages ciblés par le mauvais titre français, contraints à une lente déréliction qui les rapproche des véritables silhouettes du Gerry de Gus Van Sant, que les gens d'armes sans visages, sans noms et sans dialogues qui ratissent méthodiquement, mécaniquement, plaines, cultures, montagnes et cimes enneigées dans le seul but de mettre le grappin sur les deux fuyards.
Si l'on sent très vite que les mystères resteront et que le film joue volontiers, peut-être à l'excès, sur une dimension disons métaphorique, il n'en demeure pas moins un film d'action rythmé (peut-être un brin moins sur la fin) opposant, dans un écho à Seuls sont les indomptés de David Miller, deux maquisards contraints de collaborer, vêtus de guenilles et bientôt munis d'une valise pleine de boîtes de conserves et d'un vieux fusil de paysan, à une armada militaire devancée par le sempiternel hélicoptère sans âme dont la figure finit par évoquer le camion personnifié de Duel.
Le film est d'ailleurs ponctué de scènes fortes, comme la brève rencontre avec cet improbable berger menant ses chèvres dans la garrigue, emmitouflé dans sa capeline et comme évadé d'un conte de Provence ; l'épisode nocturne dans un village où les deux compères louvoient parmi les chiens et les chats errants et finissent par dévaliser la maison d'un mort, veillé par une femme muette qui semble ne même pas les voir, jusqu'à ce que l'un des deux vagabonds mette la main sur une miche de pain, déclenchant un hurlement digne des extraterrestres de L'Invasion des profanateurs de sépulture, mouture Ferrara ; ou encore la bataille dans les champs irrigués où le pilote de l'hélicoptère largue des bombes incendiaires sur les cultures dans un refoulé de la guerre du Vietnam, quitte à perdre quelques fermiers dans l'affaire, pour déloger les deux complices qui s'en sortiront à moitié calcinés.
On regrettera tout de même que les deux personnages principaux, Mac (Robert Shaw) et Ansel (Malcolm McDowell), finalement beaucoup plus consistants que les figures noires qui les harcèlent (le premier est un vieux briscard réactionnaire, solitaire et revanchard qui aime à évoquer sa femme et ses gosses, le second un jeune coureur de jupons plus innocent et plus fragile), peinent à nous conquérir totalement. Certes les épreuves les rapprochent mais certaines scènes auraient dû nous toucher plus directement. Je pense en particulier au monologue tenu par Robert Shaw (co-auteur du scénario) dans la grotte à flanc de montagne où les deux hommes, au bord du délire pour le plus vieux, de la folie pour le jeune qui s’inquiète de devenir un animal, s’abritent de la pluie après avoir traversé un camp ennemi et survécu à l'attaque dans les champs de maïs.
Le jeune Ansel roupille pendant que le vieux Mac se lance dans le récit à battons rompus d'un souvenir de à sa femme, avec lent travelling à l'appui pour le recadrer dans l'image en plein discours, l'autre ne formant plus qu'un vague amas humain tassé dans un coin du cadre. La mise en scène de cette séquence, certes intéressante sur le papier, n'est, à l'image, pas vraiment à la hauteur de celle d'un Resnais sur le monologue de Dussolier au début de Mélo, et le texte dit par Robert Shaw, n'a pas la vigueur de cet autre monologue prononcé par le même comédien dans la scène la plus marquante de Jaws. C'est peut-être cela qui rend la fin de Figures in a Landscape moins mémorable que ce qui la précède, qui vaut tout de même le coup d'oeil !
Figures in a Landscape (Deux hommes en fuite) de Joseph Losey, avec Robert Shaw et Malcolm McDowell (1970)
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