10 mai 2011

Animal Kingdom

Nônon Cocouan va vous parler du premier film de David Michôd, Animal Kingdom, en ce moment sur les écrans. Le film remporte un franc succès autant critique que public et on a voulu en savoir plus.

Après l'overdose de sa mère, un adolescent est recueilli par sa grand-mère et ses oncles, tous plus criminels les uns que les autres, tous plus ou moins tarés, et tous sacrément dans la merde car traqués par les flics. Voilà pour le pitch. Le film commence très fort : la première séquence, en plan fixe et dans un décor grisâtre, nous présente le jeune héros, Josh, assis à côté de sa maman endormie devant un jeu télévisé. Soudain, au second plan apparaissent des infirmiers venus secourir la mère, en fait victime d'une overdose. Tandis qu'ils prodiguent quelques soins à sa génitrice, Josh continue à regarder la télé, planté là comme si de rien n'était. Il ne semble pas davantage affecté dans le plan suivant quand il s'agit d'appeler sa grand-mère pour lui annoncer la mort de sa mère. C'est en fantôme mutique et passif qu'il va ainsi traverser tout le film, à la fois témoin et victime du milieu mafieux qu'il reçoit en héritage.


Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, le premier, de nous deux, qui rira, prendra un coup d'machette.

Il y a de quoi être mitigé à propos de ce film. Faut d'abord lui reconnaître une force évidente, due notamment à son côté très froid, rugueux, réaliste. Les criminels sont humains, on les suit avec un intérêt certain d'autant que Michôd installe dès le début un tension bien lourde avec une espèce de violence psychologique qui se mêle étrangement au côté chaleureux de l'esprit de famille. Tout l'aspect "ado à peu près normal pris petit à petit dans les pièges du banditisme familial" est bien mené, rien ne paraît forcé et le film arrive à nous faire éprouver de la sympathie, voire de l'empathie, pour ses personnages pourtant peu aimables (à ce propos, le casting est impeccable et porte le film à bout de bras). Comme souvent dans ce cinéma de genre, on retrouve le fameux motif de la toile d'araignée, du piège qui se referme tragiquement sur les personnages, mais Michôd a la bonne idée de prendre des distances précisément avec ce genre auquel il se réfère pour se tourner davantage vers la chronique familiale teintée de critique sociale. C'est sur ce point que le film est le plus efficace : évitant le spectaculaire et autres écueils du genre (comme par exemple les grosses fusillades criminelles, les braquages qu'on attend pourtant tout au long du film), il préfère rester planqué avec ses personnages, les observant, contraints à rester cloitrés jusqu'à se bouffer entre eux.


Le baiser incestueux de la femme araignée.

Cependant, et c'est là qu'Animal Kingdom commence à décevoir, on peut largement reprocher à Fleury Michôd de ne pas être très créatif formellement (sauf au niveau du son où il propose quelques trucs pas mal, et je ferai l'impasse sur les nombreux ralentis qui jalonnent le film et qui apparaissent comme autant d'artifices lourds et superflus). Mais peut-être que la simplicité de la mise en scène participe au côté sobre et glacial du film qui lui permet de maintenir une tension constante et de créer une atmosphère âpre et inquiétante. Comme tous les critiques, on pense un peu au Scorsese des débuts ou à James Gray, surtout dans la façon dont Michôd conjugue très bien les enjeux du film de gangsters et ceux du film de famille. Mais bon, pas de quoi non plus hurler au film référentiel, disons plutôt qu'il s'inscrit dans toute la tendance réaliste du film criminel.


Quand il ne tourne pas, Ben Mendelsohn chante pour le groupe Mercury Rev.

Autre bémol : au bout d'un moment, le scénario pousse le bouchon un poil trop loin et nous perd en cours de route. Les personnages jusqu'alors à peu près comme vous et moi, à ceci près qu'ils ont tous une carabine dans la poche prête à vous exploser au visage, ces personnages donc passent le seuil de la "normalité" et atteignent des extrêmes de violence et de débilité. Certes, il y a bel et bien des gens qui, pris dans un engrenage sans issue, fondent littéralement un plomb et accumulent les conneries. Et, certes again, les oncles d'Animal Kingdom en particulier sont d'un naturel belliqueux et peu raisonnable. Mais point trop n'en faut, il arrive un moment où on a du mal à les suivre dans leurs excès et où on n'accroche plus, ce qui, vous me l'accorderez, est bien dommage pour ce film qui nous maintenait jusqu'alors sur la corde raide.


La vie c'est comme une boîte de pruneaux, on ne sait jamais lequel va nous plomber le cul.

Rien de très nouveau donc avec ce film qui laisse une impression un peu mitigée : il possède des qualités indéniables, il chope très vite, mais arrivé aux deux tiers, on s'emmerde un peu ... Il est cependant bien possible que j'aille voir le prochain Michôd, donc je suppose que c'est plutôt bon signe. Sauf que je ne sais pas si je me souviendrai de ce film dans un mois, et ça c'est plutôt pas bon signe. Ceci étant, je me dis qu'Animal Kingdom a quand même de quoi plaire aux fanas de gangsters (dont je fais partie). C'est un autre bon point du film : ses gangsters ne sont pas séduisants, ce qui leur arrive ne fait pas envie du tout du tout, et pourtant il y a un truc qui fonctionne, ce fameux truc qui fait que malgré tout, ça séduit voire fascine en même temps que ça écœure. Comme dans cette scène où l'oncle pousse l'innocent Josh à menacer d'une arme des abrutis qui les provoquent afin de leur montrer qui sont les plus forts. Et à ce moment, moi qui du haut de mes 1m20 ai peur d'aller pisser seule la nuit, moi qui me fais régulièrement emmerder par tous les culs-terreux de Toulouse, j'ai presque eu envie d'avoir un flingue dans mon sac pour être la plus forte et dézinguer à tout-va, tout en trouvant ça complètement dégueulasse et ridicule. Cette ambiguïté, que provoque systématiquement chez moi les films de gangsters, est plutôt bien sentie dans ce film d'une belle efficacité.


Animal Kingdom de David Michôd avec Guy Pearce, James Frecheville, Ben Mendelsohn et Jacki Weaver (2011)

9 commentaires:

  1. Le film m'a laissé un goût bizarre. Loin d'être réussi, peut-être aussi la réalisation est un peu trop appuyé, les acteurs jouent bien par contre, sauf que les acteurs australiens les plus connus sont dans des rôles assez anecdotiques.

    Bref. Difficile de me faire un avis, il semblerait que la série tv Underbelly soit mieux foutu côté policier. A voir.

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  2. Je m'avoue également assez mitigé. Pas désagréable, voire même plutôt chouette dans les deux premiers tiers malgré les ralentis fatiguant, dommage que la fin soit trop "grosse" pour que le film me garde dans ses filets jusqu'au bout.

    Mais on peut estimer que ça reste assez prometteur pour l'avenir de ce réalisateur.

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  3. Joe Gonzalez10 mai, 2011 17:26

    Chouette article Nonon ! Et la légende de la dernière photo m'a fait marrer.

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  4. J'ai bien aimé Animal Kingdom, son austérité et sa froideur, comme il a été dit, sont deux facteurs qui font marcher le film mais qui le plombent aussi par moment... Par contre au niveau des interprétations rien à dire, ces Aussies en jettent :D

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  5. Son prochain film : The Rover ; le pitch : "A dirty and dangerous near-future Western set in the Australian desert" ; avec : Bob Pattinson et Guy Pearcé.
    http://www.imdb.com/title/tt2345737/

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  6. Hamsterjovial06 juin, 2014 17:23

    Quand on vous dit que la plupart des affichistes de cinéma n'ont aucune imagination (ce qui est un comble, car dans « imagination » il y a « image », quand même) :

    http://3.bp.blogspot.com/-xoVtCzbvx3k/TcaTTsdM8AI/AAAAAAAABpk/g_-N271gbt8/s1600/19638756.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20110117_124447.jpg

    http://3.bp.blogspot.com/_UrC5TYpk8Uo/SN_v22cGaTI/AAAAAAAAAWk/yQbBMhbI2MU/s1600-h/18699303.jpg

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