14 avril 2019

Boy Erased

Boy Erased est le deuxième long métrage en tant que réalisateur de l'australien Joel Edgerton, un acteur à la filmographie très inégale révélé par le bon polar de son compatriote David Michôd, Animal Kingdom, qui a depuis fait ses classes chez Jeff Nichols en étant, manque de bol, à l'affiche de ses deux plus mauvais films (Loving et Midnight Special, que l'on essaye encore de chasser de nos esprits). On peut toutefois être à pire école et Joel Edgerton entend bien, avec ce nouveau film, nous démontrer ses aptitudes de cinéaste et tout son sérieux. Il s'attaque pour cela à un sujet grave : les thérapies de réorientation sexuelle, en adaptant les mémoires de Garrard Conley. A dix-neuf ans, celui-ci a été envoyé dans un centre de conversion par ses parents, baptistes pratiquants, qui voyaient d'un assez mauvais œil les préférences naturelles de leur gamin.




Pour adapter cette histoire vraie, Joel Edgerton ne pend pas trop de risque, en choisissant d'emblée d'épouser le point de vue du gosse, et ne fait pas dans la dentelle, en multipliant les effets parfois lourdingues pour susciter notre émotion (ralentis et travellings insistants, accompagnement musical bien trop omniprésent et pénible...). On sent que le type s'applique du mieux qu'il peut et qu'il cherche à signer un mélo véritablement poignant, au message fort. Il atteste de son implication totale dans le projet en s'octroyant en outre le pire rôle du lot puisque l'acteur-réalisateur incarne également, avec toute la solennité que cela implique, le thérapeute en chef du centre de conversion, un salopard aux méthodes absurdes qui se prend pour sergent-instructeur de pacotille et un gourou illuminé. Côté mise en scène : quelques autres auraient fait mieux, beaucoup auraient fait pire, et il y a deux trois petits moments où Edgerton sait se montrer plus délicat. On peut tout de même se demander si la construction chronologique alambiquée de son film apporte réellement quelque chose...




Heureusement, Joel Edgerton peut s'appuyer sur des acteurs d'exception, à commencer par le couple de parents tout à fait crédible que forment Nicole Kidman et Russell Crowe. La première fait le taff, comme souvent, avec un acting haute précision qui laisse encore pantois. On sent que chaque micro détail est calculé au millimètre : une discrète variation d'intonation par-ci, un léger haussement de sourcils par-là, et ce regard qui reste fixe et intense malgré les larmes inondant ses yeux lors de cette scène-clé où elle affirme son soutien à son garçon... Cela pourrait être un poil énervant, mais c'est si bien rôdé qu'il n'y a rien à dire, on s'incline. Nicole Kidman a désormais une drôle de tronche, certes, mais elle n'a, à l'évidence, rien perdu de son talent. Une nomination à l'Oscar n'aurait pas été volée (quoique sa présence dans le navrant Aquaman annihile tout le reste).




Mais s'il y en a un qui crève littéralement l'écran, c'est bien Russell Crowe, en père à la ramasse, au ventre bedonnant, pasteur baptiste de son état, qui ne parvient pas à encaisser l'homosexualité de son fils. Le pauvre, il n'aura jamais de petit-fils biologique... Russell Crowe est énorme là-dedans. Dans tous les sens du terme. Il est très gros et il est très bon. Ce n'est pas l'acteur qui a pris des kilos pour le rôle, mais l'inverse. Il nous rappelle le grand comédien qu'il peut être quand il le veut bien. Lui aussi aurait mérité quelques récompenses. Là encore, tout est savamment calculé, mais c'est peut-être moins ostentatoire que chez sa partenaire à l'écran. C'est un vrai récital. Chaque scène où apparaît la star sort naturellement du lot. Le film monte d'un cran dès qu'il est dans le cadre. Un phénomène !




Au milieu de ces deux légendes, on aurait presque tendance à oublier la prestation du jeune Lucas Hedges dans le rôle principal du garçon effacé, mais celui-ci, très sobre, s'en tire avec les honneurs. A noter également la présence dans un rôle très secondaire de Xavier Dolan, qui répond toujours à l'appel quand on lui propose de jouer un homo devant la caméra d'un cinéaste beau-gosse. Il n'y a rien de particulier à dire sur sa performance mais je me devais de la relever pour préserver ma crédibilité de blogueur ciné, alerte et à l'affût. Tout comme je me dois à présent de clore ce trop long papelard avec une conclusion rapide et efficace. Je dirai donc que si Joel Edgerton a encore de gros progrès à faire en tant que cinéaste, il sait déjà s'entourer, car ses acteurs sauvent son film de la médiocrité.


Boy Erased de Joel Edgerton avec Lucas Hedges, Nicole Kidman et Russell Crowe (2019)

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