Affichage des articles dont le libellé est Charlie Kaufman. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Charlie Kaufman. Afficher tous les articles

5 décembre 2020

I'm thinking of ending things

Je vous préviens, je n'ajouterai pas à mon top annuel le nouveau film de Charlie Kaufman sorti en septembre sur Netflix, I'm thinking of ending things, même si je sais que nombreux sont ceux (en dehors de notre rédaction, bien entendu) qui le feront figurer en bonne place, en cette si maigre année 2020, d'abord pour se féliciter eux-mêmes d'en être venu à bout, de l'avoir vu et compris, et pour ainsi se démarquer des autres, qui ne l'auraient pas vu ou n'auraient pas su l'apprécier. Il y a des choses intéressantes, c'est intrigant à souhait et parfois presque beau. Je suis moi-même content de l'avoir regardé, de savoir de quoi il en retourne. Ma curiosité est satisfaite. C'est d'ailleurs surtout pour cela que je poste ici cet article, pour vous signaler que j'ai vu le film de Charlie Kaufman, du début à la fin, sans en perdre une miette, en repassant même certains dialogues ou monologues intérieurs (c'est qu'il y en a beaucoup) pour m'assurer d'en saisir toutes les subtilités, toute la complexité. Je cherchais à garder la tête hors de l'eau, je ne voulais pas être noyé par ce flot de références érudites ("Have you ever read Guy Deboaar ?"), ni largué par sa construction traître et tarabiscotée. J'ai vu I'm thinking of ending things et cet article est écrit et publié dans le simple but de le dire au plus grand nombre. Lorsque, courant 2021, notre très attendu top bi-annuel sera enfin dévoilé (nous avions vu venir la crise sanitaire et avons choisi de rattacher 2019 à 2020), vous, fidèles lecteurs, pourrez ainsi être sûrs qu'il ne s'agit pas d'un oubli, puisque nous aurons effectivement vu le film de Charlie Kaufman. Nous l'aurons bien pris en considération et nous aurons jugé qu'il n'a aucunement sa place dans notre top, malgré tous les efforts déployés par Mr Kaufman et malgré mon espèce d'étrange fierté d'en être venu à bout, sans tricher, et mon envie de le répéter encore. Car cette envie sera encore là, j'en suis sûr, elle me suivra jusqu'au bout, je ne l'aurai jamais assez dit, que j'ai vu le film de Charlie Kaufman, et regardé sérieusement, jusqu'à la dernière image post-générique de fin, dans l'attente d'une dernière clé de lecture, d'un ultime indice placé par l'auteur, dans sa grande malice, à la toute fin de la bobine. J'ai donc vu ce film mais je ne vous le rappellerai pas sous la forme d'une citation dans un top. Ah ça non. Faut pas pousser. Cela ne sera de toute façon pas utile parce que j'aurai déjà consacré un article entier, cet article, à le dire et à le redire, à ne faire que ça, juste assez pour me soulager un temps (j'espère jusqu'à Noël...). I'm thinking of ending things, moi aussi. N'empêche que j'ai maté le film, moi. Et ça n'est pas quelque chose que l'on veut garder pour soi, croyez-moi. Ce texte-là est suffisamment long, pesant et tordu, comme le film, je vous épargne une Toni Collette qui en fait des caisses et je n'insiste pas davantage. J'ai à peu près tout dit, finalement. Je pense donc en finir là. 
 
 
 
 
I'm thinking of ending things (Je veux juste en finir) de Charlie Kaufman avec Jessie Buckley, Jesse Plemons, Tonie Collette et David Thewlis (2020)

26 mars 2014

Her

Ça par exemple… Si je m’attendais à aimer le dernier film de Spike Jonze… Force est d'avouer qu'une armée d'a priori négatifs m'ont assailli à l'approche de ce fameux Her, signé de la main du réalisateur d'une centaine de clips et, tout dernièrement, de Max et les Maximonstres. Scénariste plein de bonnes idées mais pénible et besogneux (à l’instar du célèbre Dans la peau de John Malkovich, film parti sur de bonnes bases dont il n’a su que faire), au style visuel pompier et lassant, Jonze ne partait pas d'un bon pied, encore moins à la vue de cette affiche ô combien inquiétante. Et pourtant le film est une bonne, une vraie surprise. D'abord parce que le cinéaste cesse de jouer la carte de l'épate ou de la séduction et peint un futur terriblement proche de notre présent, sans emphase, sans esthétisme criard, dépourvu de toute quête d’inventivité échevelée, de tout coup de manche narratif, et loin de tout goût affiché pour un "visuel" excessif. Spike Jonze a lui-même écrit son scénario et se libère ainsi de la lourde patte Kaufman, auteur de Synecdoche New-York et scénariste non seulement de Dans la peau de John Malkovich mais aussi d'Adaptation, l'autre long métrage de Jonze. Charlie Kaufman a également commis, pour Michel Gondry, autre clipeur professionnel adepte du tout-visuel, le script d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Et l'on pouvait craindre que Her se rapproche de ce cru de la filmographie de Gondry, récit aussi mignon que mélancolique d'une histoire d'amour vouée à l'échec mais recommencée ad vitam æternam par deux paumés dépressifs et adorables...




Mais Her vole bien au-dessus de tout ça en refusant d'être un pot pourri de petites idées bricolées, de séduire son petit monde avec force détails mignonnets, en mettant au rebut toute mise en clip superficielle et toute velléité de livrer son petit délire cheap pseudo ravissant. Optant en fin de compte pour une simplicité absolue et pour un discours tout en finesse, Jonze parvient enfin à mettre l'émotion au premier plan. Il filme un futur qui est déjà au présent, poussant notre quotidien à peine plus loin qu'il ne va déjà et, ce faisant, il réalise l'un des films les plus intéressants de ces dernières années sur des questions aussi cruciales et d'actualité que le problème de l'individualisme et de la solitude de l'homme moderne, celui de la communication virtuelle, de la dépersonnalisation émotionnelle, de la mise en gérance des histoires personnelles ou du développement des intelligences artificielles. Sans asséner de réponses toutes tracées, et sans tirer de plans sur la comète, Spike Jonze avance des hypothèses non seulement originales mais terriblement convaincantes : et si, au fond, les nouvelles technologiques de communication, au lieu de révolutionner absolument le destin du genre humain, ne faisaient que rejouer son drame profond, l'échec amoureux, en l'accentuant sans véritablement le dénaturer ? Et si les robots, doués de personnalité et d’une authentique capacité au sentiment, venaient à tomber amoureux des hommes, et réciproquement, au lieu de vouloir les soumettre et les abattre, comme, pour vulgariser leur propos, dans 2001 l’Odyssée de l’espace ou Terminator ? Et si l'intelligence artificielle, au lieu de prendre le contrôle du monde et de vouloir asservir ses propres créateurs (pour quoi faire au juste ?), comme l'ont prophétisé tant de films, se mettait simplement à évoluer à une telle allure et de façon si indépendante que l'homme n'aurait plus rien à lui apporter, que l'humain la désintéresserait totalement et qu'elle finirait par mettre un terme à tout rapport avec lui pour fuir dans un ailleurs inventé par elle ?




Toutes ces hypothèses sont à vrai dire fascinantes, et la force de Spike Jonze est de les poser sans se croire obligé, une fois n’est pas coutume, d’extrapoler, d’exagérer, de pousser chaque idée à son paroxysme avec l’air de celui qui a tout compris et à qui on ne la fait pas : ces hypothèses sont simples et Jonze les traite avec toute la simplicité qu’elles réclament. Le cinéaste nous donne ainsi à penser les données du monde tel qu'il est, ou tel qu'il va vraisemblablement devenir, sans refermer aucune porte et en évitant les lieux communs, surprenant constamment son spectateur. Qui ne s'attend pas à ce que Samantha (Scarlett Johansson), le système d'exploitation dont Theodore (Joaquin Phoenix) tombe amoureux, se mette, par jalousie, à parasiter la vie de son installateur, à prendre le contrôle de son existence en utilisant toutes ses données intimes accessibles et en court-circuitant ses relations en toute discrétion ? Il n'en est rien. Au contraire, lorsque Samantha se permet un droit d'ingérence dans la vie de son protégé et amant, écrivain public de lettres intimes pour particuliers, c'est dans le but d'obtenir la publication en volume tant espérée de ses plus belles missives virtuelles. Savoir qu'elle est capable de cette initiative suffit à nous laisser imaginer le pire, la prise de contrôle tyrannique de la vie humaine par une machine, sans que le scénario ait à s'y astreindre. On pouvait aussi s'attendre à ce que la relation de Samantha et de Theodore ne soit pas aussi exclusive que le jeune homme l'espérait. Cette attente est pour le coup confirmée mais, loin de s'abaisser à un retournement de situation banal et désespérant (Theodore surprenant par exemple un ami ou collègue en plein ébat virtuel avec sa dulcinée artificielle), Spike Jonze va au plus simple et pourtant au moins attendu : Theodore constate le détachement de sa maîtresse, lui demande s’il n’est pas le seul, elle lui dit la vérité, que Theodore écoute tout en observant ces dizaines d’individus qui se croisent dans le métro et qui parlent, comme lui, à une voix sans corps, peut-être à la même...




C’est parce que cette situation est connue de tout un chacun que Jonze parvient à nous toucher, parce que le numérique, le virtuel, l’artificiel, ne font qu’augmenter horriblement le nombre des dialogues potentiels, sentimentaux ou non, entretenus de concert par l’être aimé avec d’autres que l’amoureux délaissé. Loin de jongler au petit bonheur la chance avec des idées, des concepts ou autres théories plus ou moins farfelues, comme il l’a fait par le passé, le cinéaste observe avec une sincérité et une forme de respect, d’amour, disons-le, cet humain qui jadis lui servait de jouet. Jonze filme, sans esbroufe, sans en faire de sympathiques freaks, pivots d’une satire pontifiante ou mesquine, un homme et son corps, l’excellent Joaquin Phoenix (Her lui doit beaucoup), il filme une femme, artificielle ou pas, en tout cas sa voix, celle (parfois irritante il est vrai) de Scarlett Johansson, soit des sujets au centre d’une histoire, et non de simples rouages dans une quelconque démonstration. On pense finalement moins à Michel Gondry qu’à James Gray, celui de Two Lovers. Joaquin Phoenix nous gratifie d’ailleurs une nouvelle fois de sa déjà célèbre danse solitaire, aussi drôle qu’émouvante, exécutée pour la première fois en boîte de nuit, en 2008, pour séduire Gwyneth Paltrow. Cette danse et ce film, Two Lovers, sublime et plus important qu’on ne croit, ont donc déjà fait des petits. Outre Her, le récent Tonnerre de Guillaume Brac leur emprunte beaucoup (Vincent Macaigne rejouant la danse de Joaquin Phoenix pour séduire la belle Solène Rigot), et ces trois films sont au fond liés, au-delà de leurs sujets et des figures qu’ils mettent en scène, par la qualité pas si commune de leur regard porté sur l’humain.


Her de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara et Olivia Wilde (2014)

12 novembre 2010

Synecdoche New-York

C'est le dernier film en date de Charlie Kaufman, qui a pour meilleur ami Spike Jonze (Kaufman a écrit pour lui les scénarios d'Adaptation et Dans la peau de John Malkovitch), et pour concubin Michel Gondry (il a aussi écrit Human nature et Eternal Shoeshine). Or s'il est vrai que vos amitiés en disent long sur vous, ce que vous accouchez quand on vous calfeutre devant une feuille blanche finit de dresser votre portrait. Et que dire de l'autoportrait ultra vitriolé que nous adresse ainsi régulièrement Karlie Chaufman... Une pluie de "mind fuck" et d'histoires à pioncer debout, un imaginaire souffreteux de geek attardé, une suite de mises en abîmes oniriques et de personnages moribonds. Sauf que là il parachève son œuvre : Synecdoche New-York, c'est son bébé à lui, tout entier à lui, écrit ET réalisé par lui. Donc j'avais les foies en m'apprêtant à le mater. Kaufman a certes peut-être parfois de bonnes idées de départ mais il écrit toujours des scripts qui s'avèrent foireux "au finish", et qui donnent systématiquement lieu à de grosses enculades cinématographiques. Néanmoins j'étais curieux à l'approche de ce film-là, principalement à cause du pitch, que je vous copie-colle ci-dessous en direct de Wikipédia.




Caden Connard, metteur en scène de théâtre, est en train de monter une nouvelle pièce. Mais travailler pour un public de petits vieux aux portes de la mort dans l'obscur théâtre attaqué par les mites d'une banlieue de New York assez malfamée lui paraît bien terne. Tu m'étonnes. Sa femme, Adele, l'a quitté pour poursuivre sa carrière de peintre en bâtiment à Berlin, emmenant avec elle leur petite fille, Toundra. Madeleine, sa psy, est plus occupée à faire la promo de son nouveau livre "essentiel" (dit-elle) sur les huiles essentielles qu'à soulager ses angoisses. Suite à toutes ces déconvenues, Caden a quand même eu une aventure, mais sa liaison avec une belle et naïve jeune femme, nommée Eden Hazard, a tourné court. Et il est rongé par une mystérieuse maladie douloureuse et incurable qui s'attaque directement à son système nerveux.

Pressé par la peur de mourir prématurément, peur légitime car il va bel et bien mourir prématurément, Caden décide alors de tout quitter. Aspirant à créer une œuvre d'une intégrité absolue, il rassemble quelques comédiens dans un entrepôt de New York. Il les met en scène dans une célébration de l'ordinaire, demandant à chacun de vivre une vie artificielle dans une maquette de la ville.



Il faut être un beau con pour se laisser attirer par un script pareil. J'ai maté vingt minutes du film au bas mot. J'ai donc seulement vu la partie en gras du résumé, la partie émergée de l'iceberg, suffisamment terrifiante et déprimante pour me faire virer de bord de peur de m'empaler sur la partie immergée du merdier avant de couler à pic comme un vieux paquebot. La seconde partie est pourtant censée être un peu plus lumineuse, d'après le résumé, d'après l'affiche (j'ai rien vu de tout ça, et franchement je doute que ce soit dans le film), mais pour y avoir droit il faut passer outre la première demi heure qui s'acharne à pousser le spectateur à la dépression la plus carabinée qui soit. C'est in-sou-te-nable.



On passe trente interminables minutes à fixer du regard le gros Philip Seymour Hoffman, doté d'une voix venue des tréfonds de son propre slip sale, qui baragouine lentement des mots incomplets, lesquels ont bien du mal à trouver un chemin non-obstrué hors de son corps, et on écoute ses inepties la mort dans l'âme, confondu par le spectacle dévoyant de cet acteur qui incarne sans forcer un personnage à qui il n'arrive que merdes sur merdes dans son pavillon triste, hanté par sa femme et sa fille qui le font sans cesse chier à force d'être ultra connes et lourdes à mourir, mais qui ont le mérite d'être près de lui quelques heures encore, avant de foutre le camp pour le laisser seul avec son cancer. Et Seymort Offman va d'hôpital en hôpital pour apprendre qu'il est malade et qu'il va crever sous peu, pense donc à la mort, et explique à sa fille endormie les veines et le sang, et les maladies, et la mort qui frappe ensuite... C'est un Woody Allen plus que sombre que la moyenne et sans la moindre vanne à l'horizon, si vous préférez, ou un Bergman sans personne derrière la caméra, sans idées et sans talent. Y'a de quoi crever en matant ce truc. J'ai senti naître deux ou trois ulcères au fond de mon estomac en une trentaine de minutes, et j'ai plein de grains de beauté sous les aisselles depuis que j'ai éteint ma télé. Je pisse aussi cramoisi. J'en ai parlé à mon médecin, je lui ai dit que mes selles étaient bleu blanc rouge, il m'a dit que j'allais voter Le Pen alors que pas du tout, je dois juste être très malade. En tout cas je vais pas au top.

Je défie quiconque de lancer ce film sans être pris d'un cafard de tous les diables, d'un bourdon à crever la gueule ouverte. Je tends mon doigt à Charlie Kaufman et à son Sinecdochié New-York. C'était mon troisième film estampillé Kaufman et comme par hasard c'est la troisième fois que je bats le record d'apnée dans ma baignoire, sans que personne ne le sache. Je file un mauvais coton.


Synecdoche New-York de Charlie Kaufman avec Philip Seymour Hoffman (2009)