27 juillet 2021

Onoda, 10 000 nuits dans la jungle

Sommes-nous en train d'assister à l'éclosion d'un grand cinéaste ? On a toutes les raisons de l'espérer après avoir vu le brillant Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, le deuxième film d'Arthur Harari, qui atteste d'une ambition et d'une maîtrise rarement observées si tôt dans une filmographie, et tout particulièrement chez un réalisateur français. Dès son premier long métrage, sorti en 2015, Arthur Harari annonçait pourtant la couleur en affichant déjà de fort belles intentions : son Diamant Noir était une tragédie familiale audacieuse sous les allures d'un film noir assez bien mené qui prenait place dans le milieu des diamantaires anversois. Un peu alourdie et étouffée par son scénario retors et un ou deux personnages superflus, cette première œuvre était néanmoins remarquable et prometteuse. Le cinéaste, aujourd'hui âgé de 40 ans, s'est attaqué à un projet d'une envergure tout autre en adaptant librement l'histoire insensée de Hirō Onoda, l'un des soldats japonais restants, s'en allant pour cela tourner loin de nos frontières, en langue étrangère, et aux côtés d'acteurs, tous impeccables, asiatiques. Le résultat est un film magistral de près de 3 heures qui n'ennuie à aucune moment, frappe tout le long par son extraordinaire limpidité et impressionne a posteriori par son ampleur étonnante ; c'est une fresque intime où l'histoire tourmentée d'un pays se trouve mêlée à la vie intérieure d'un homme, prisonnier de ses convictions et de l'embrigadement dont il a été l'objet, emportant dans sa folie si rationnelle une poignée de soldats pour lesquels la guerre va durer et durer encore. Une œuvre imposante, franchement digne d'éloges, qui mérite tout à fait d'être saluée et que l'on recommande au passage de voir au cinéma pour en apprécier la juste valeur. 
 
 
 
 
Herzog, Cimino, Kurosawa, Lean, Ōshima... Une généreuse pelletée de noms imposants ont été cités pour situer le nouveau film d'Arthur Harari. Je me contenterai pour ma part de poursuivre la filiation avec James Gray, dont l'ombre planait déjà sur Diamant Noir. On pouvait effectivement penser à Little Odessa ou The Yards devant le premier long métrage encourageant d'Harari, et l'on pencherait plutôt cette fois-ci du côté de The Lost City of Z. On y retrouve une harmonie discrète similaire, une même espèce de modestie distinguée, malgré la grandeur de l'histoire contée, ainsi qu'un souffle et un lyrisme délicats qui s'appuient là aussi sur une mise en scène au classicisme élégant qui nous réserve nombre de moments de toute beauté. Mais n'allons pas plus loin dans ce petit jeu de comparaison hasardeux, ce rapprochement sans doute réducteur ne rend pas entièrement justice au talent croissant du cinéaste français, qui a su trouver un ton bien à lui et dont on observera avec impatience l'évolution. Ces associations flatteuses aident surtout à avoir une idée de l'enthousiasme, pour une fois justifié, avec lequel a été accueilli ce film par les critiques et les cinéphiles, depuis sa projection à Cannes, où il a ouvert la sélection Un Certain regard alors même qu'il aurait largement mérité la compétition officielle avec, à la clé, un grand prix, au moins.


 
 
En ce qui me concerne, il me manque tout de même un petit quelque chose pour qualifier Onoda de chef d’œuvre ou de grand film. Peut-être quelques failles, digressions ou fulgurances, que sais-je... Un grain de folie ou un plus fort impact émotionnel, d'autres qualités du même genre, plus précieuses et difficiles à atteindre, mais parfois bien présentes dans les meilleurs films de quelques-uns des cinéastes évoqués précédemment. Si le scénario s'étend sur trente longues années, de 1944 à 1974, période durant laquelle Onoda continua de mener sa guerre secrète sur son île du Pacifique, je n'ai pas, ou pas assez, reconnu la sensation du temps qui passe. L'ennui, la lassitude, voire la solitude, sont finalement peu filmés. Arthur Harari déploie une science de l'ellipse et du flashback peu commune, son récit est si minutieusement construit et d'une telle fluidité que le temps semble passer bien vite, paradoxalement ! En outre, la grande amitié qui finit par unir Onoda à son plus fidèle lieutenant, Kinshichi Kozuka, ne m'a guère beaucoup touché : malgré quelques scènes très belles qui lui sont consacrées et émaillent la dernière partie du film, il m'a manqué une pointe d'émotion supplémentaire. Enfin, la nature, élément-clé de ce qui est aussi un survival à part entière, m'a également semblé sous-exploitée : elle est considérée sous ses deux aspects antagoniques, elle nourrit aussi bien qu'elle empoisonne, menace autant qu'elle protège, mais il y a comme une retenue qui nous laisse à distance, spectateur peu impliqué de la survie quotidienne de notre petite troupe de vaillants soldats. Sur ces différents aspects, Onoda s'apparente à la copie parfaite d'un élève surdoué mais peut-être trop scolaire, trop appliqué... Tout cela est cependant très subjectif et il s'agit simplement de bémols, de petites réserves émises par un cinéphage à la gourmandise insatiable auquel avait été promis un festin sans pareille. Pour l'essentiel, je m'aligne à l'avis unanime, en admettant que l'on tient là une réussite éclatante. Arthur Harari fait preuve d'un talent évident et a su trouver ici un équilibre rare et subtil, ne se trompant dans aucun des nombreux thèmes abordés et démontrant une maîtrise globale prodigieuse, à la hauteur de ses folles ambitions. Son film splendide reste en tête et, quand j'y repense, ce sont les deux regards d'Onoda, puissamment incarné par Yūya Endō puis Kanji Tsuda, qui me viennent à l'esprit : celui qu'il affiche au début de son épopée intérieure, empreint d'une détermination écrasante et d'une profonde certitude, puis ce masque stoïque, d'une sagesse imperturbable, gagné au fil du temps, après des décennies de guerre contre un ennemi évanoui, qu'il porte à la toute fin, plus fascinant que jamais. 
 
 
Onoda, 10 000 nuits dans la jungle d'Arthur Harari avec Yūya Endō, Kanji Tsuda, Shinsuke Kato, Issei Ogata, Kai Inowaki et Nobuhiro Suwa (2021)

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