2 août 2021

The Mortal Storm

En 1940, Frank Borzage évoque et filme les camps de concentration (dont on feindra de découvrir l'existence cinq ans plus tard) dans The Mortal Storm, film qui relate la montée du nazisme dans l'Allemagne du milieu des années 30 à travers les déchirures d'une famille fracassée par l'accession au pouvoir d'Adolf Hitler. D'un côté le beau-père, vieux savant et professeur d'université fort respecté aux portes de la retraite, sa femme et Marin (James Stewart), un jeune fermier ami de la famille. De l'autre, les fils du vieux couple, biberonnés au national-socialisme, exaltés par la verve hitlérienne, intolérants à toute voix dissidente et prompts à harceler quiconque possède un profil peu aryen, tant pis si leur beau-père chéri en fait partie. Entre les deux, Freyda (Margaret Sullavan), unique sœur de la fratrie des fachos abrutis. Fiancée à l'un d'entre eux, elle est dans le radar de Martin, le Juste qui tient tête aux jeunes nazis et s'échine à faire passer les persécutés en Autriche par un col de montagne peu surveillé. 
 
 

 
Fin du film, vient cette séquence où, après que deux des frères S.S., pourtant soudés par leur immense connerie jusque là, se retrouvent finalement séparés eux aussi par le désastre de leurs actes (la destruction de leur propre famille), la caméra se déplace dans la maison familiale vide et se fixe plusieurs fois, filmant les lieux désertés de leurs habitants, une table, l'ombre d'une chaise vide sur le sol, une cage d'escalier ; et l'on entend l'écho des paroles prononcées au début du film par l'aïeul dans ces mêmes lieux pleins alors de tous les personnages d'une famille nombreuse, et aussi les pas des bottes martiales du seul fils sceptique face aux conséquences de ses choix, dernier présent dans la demeure, lui qui se souvient de ces heures heureuses, et qui maintenant fuit les reflux de sa mémoire quand, par son fanatisme, il a contribué à vider son foyer et à s'endeuiller, causant la perte de plusieurs individus parmi les plus chers.
 
 
 

 
C'est un peu le même final que celui de La Corde, avec le même James Stewart, qui ici est un élève du professeur de sciences, vieil homme du jour au lendemain vénéré puis harcelé, arrêté et parqué dans un camp de concentration par de jeunes idéologues sûrs de leur suprématie. James Stewart, chez Hitchcock, incarnera à son tour le professeur adulé trahi par ses propres élèves au nom, là encore, d'une catégorie d'hommes supérieure à une autre (mais coupable, quant à lui, d'élucubrations théoriques fumeuses sur le droit au crime accordé à une pseudo-élite élevant la discipline meurtrière au rang des beaux-arts). J'ai vu récemment ce type de séquence dans un autre film, mais je ne me souviens pas lequel. Dans celui de Borzage, c'est la mise en scène de la mémoire et de la perte, dans celui d'Hitchcock, la projection mentale, dans l'espace vacant, du crime qui s'y est déroulé quelques heures plus tôt (juste avant le début du générique d'introduction). Dans un recours formidable aux puissances de l'image et du son, qui suffit à annihiler la supposée prérogative de l'art littéraire sur l'art cinématographique réservant au premier la capacité de nous laisser fabriquer nos propres images, la caméra filme des lieux vides de corps mais paradoxalement habités, surchargés de récit, de drame, d'émotion et de présences par celle des objets, des lieux et d'une voix off puissamment iconogène, qui nous laisse le soin et le plaisir (ou la douleur) de remplir le cadre, de refabriquer de l'image, de voir ce qui n'est pas (ou plus).
 
 

 
 
The Mortal Storm de Frank Borzage avec James Stewart, Robert Stack et Margaret Sullavan (1940)

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