12 juillet 2021

Leto

Il est bien rare qu'un film ait une telle influence sur mes écoutes musicales. Lou Reed, David Bowie, T. Rex, Mott the Hoople et compagnie ont illico réintroduit ma playlist du moment, accompagnés de Kino, le groupe de Viktor Tsoï que j'ai ainsi pu découvrir et dont l'ultime album éponyme, sorti en 90, vaut vraiment le coup. C'est dire si le cinéaste Kirill Serebrennikov, qui nous raconte ici les premiers pas de Viktor Tsoï sur la scène rock underground de Leningrad, de la fin des années 70 au début des années 80, est parvenu à me communiquer son amour pour cette musique et ses auteurs. "Enivrant" peut-on lire en gros sur la jaquette du dvd, et force est de reconnaître que le mot est plutôt bien choisi. Il y a presque quelque chose d'étourdissant dans la manière, pourtant en apparence très simple et douce, qu'a choisi le réalisateur de nous plonger dans cette période, où la contre-culture était en pleine effervescence. Tourné dans un format scope parfaitement exploité et un très joli noir & blanc, Leto est d'une beauté formelle évidente ; la mise en scène du réalisateur russe est d'une fougue saisissante et transmet une passion débordante, forcément contagieuse.


 
 
Servi par des acteurs impeccables et charismatiques (Irina Starchenbaum et Teo Yoo en tête), nimbé d'une ambiance mélancolique qui ne paraît nullement forcée ou déplacée, Leto est aussi un film très stimulant, invitant donc à la découverte et à l'échange, s'amusant avec nous. Dans cet esprit, les parenthèses musicales, toujours parfaitement introduites et propices à quelques débordements visuels plaisants, instaurent très délicatement un jeu ludique pour le spectateur, amené notamment à s'interroger sur la réalité de la scène à laquelle il assiste, son début et sa fin, et sur la provenance de la musique interprétée. Bien que le terme "jouissif" soit désormais proscrit, on serait presque tenté de l'employer ici, ce serait quasi à bon escient... On a comme la certitude que l'on tient là le film d'un fan pur jus, un fin connaisseur de Viktor Tsoï et des musiciens qui gravitaient autour de lui, en particulier Mike Naoumenko, du groupe Zoopark, avec la compagne duquel se forme progressivement un triangle amoureux (dépeint, là encore, avec une rare finesse). Kirill Serebrennikov est un fan qui a donc très bien su nous partager sa passion, nous intéresser pour son sujet, et même lui donner l'ampleur et la résonance qu'il méritait : les airs de Kino font vibrer l'Histoire, alors sur le point de basculer.


 
 
Célébration de la musique, de la jeunesse et de la liberté, au-delà d'un simple portrait, aussi réussi soit-il, de quelques leaders d'un mouvement culturel bouillonnant et annonciateur de l'inévitable perestroïka à venir, Leto devrait, pour toutes les raisons précédemment évoquées, servir de modèle. Viktor Tsoï, ce musicien au statut d'idole en Russie, qui gagnerait à être davantage connu au-delà, mort accidentellement à l'âge de 28 ans en 1990,  n'aurait pas pu rêver d'un plus bel hommage. Et à l'heure où Hollywood aligne encore les biopics lourdingues sur des stars de la pop, qui permettent au passage à quelques acteurs souvent médiocres de récupérer un Oscar en singeant des vedettes bien connues, beaucoup devraient en prendre de la graine et regarder attentivement le film de Kirill Serebrennikov. Dans le genre, sa grâce, son souffle et son intelligence n'ont pas d'égal récent, tout simplement. 




Leto de Kirill Serebrennikov avec Irina Starchenbaum, Teo Yoo et Roma Zver (2018)

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