7 janvier 2021

La Ville gronde / La Brigade du Texas

Les deux films dont il est question ici n'ont pas grand chose en commun sinon qu'ils traitent du même sujet : la quête du succès politique par des justiciers sans scrupules brandissant le spectre de la peur pour se faire élire. Tourné en en 1937 par Mervyn LeRoy, La Ville gronde (They won't forget) s'ouvre par une séquence intéressante où, dans une petite bourgade tranquille du sud des États-Unis, une poignée de vétérans grabataires de la guerre de sécession, assis en uniformes sur le bord d'une fontaine, se remémorent les grandes batailles auxquelles ils ont pris part et, déplorant que leurs rangs s'éclaircissent, se demandent combien il en restera lors de la prochaine commémoration. Mais le film nous lance sur une fausse piste. On pourrait s'attendre à un flashback sur l'histoire de ces vieillards. Pas du tout. La Ville gronde est un film de procès. Et un drôle de film de procès puisque le crime ne nous sera pas montré et le coupable jamais révélé. Tout ce que l'on sait, c'est qu'une jeune fille a été retrouvée morte dans une cage d'ascenseur de son école. Les deux suspects sont le concierge noir de l'établissement et un jeune enseignant marié venu du Nord qui s'apprêtait à y retourner et que plusieurs preuves indirectes accablent (la victime en pinçait pour lui, il était présent dans le bâtiment au moment des faits, vient d'acheter un billet pour quitter la région et une tache de sang sur le col de sa veste enfonce le clou). Seul hic : nous, spectateurs, savons a priori que ni le concierge ni l'enseignant n'ont commis le meurtre. Les habitants de la ville, eux, et en particulier les frères de la jeune fille assassinée, veulent un coupable, coûte que coûte, et veulent sa mort.
 
 
 

Tourné en 1975 par Kirk Douglas lui-même, La Brigade du texas (Posse), qui prend pour décor l’État sudiste en 1892, est quant à lui un authentique western, dont l'acteur-réalisateur ne se donne pas le beau rôle. Celui-ci revient plutôt à ce cher Bruce Dern, qui incarne Jack Strawhorn, le plus grand bandit du sud des États-Unis, un redoutable pilleur de trains. Kirk Douglas, lui, est Howard Nightingale, le marshall à ses trousses. Et très vite, avec facilité même, le shérif met la main sur sa proie, qu'il ramène en ville comme un trophée, après que ses adjoints ont tué absolument tous les hommes de Strawhorn dans l'affrontement initial, y compris ceux qui se rendaient... une drôle d'idée de la justice (et l'on sourit de voir Bo Hopkins dans la bande du shérif, l'un des chiens fous de La Horde sauvage). C'est que Nightingale espère devenir sénateur, et pourquoi pas davantage, or le bonhomme a bâti toute sa campagne sur la peur du banditisme et multiplie les promesses de sécurité. Le gibier de potence qu'il vient de rapporter sera donc son laisser-passer pour le Sénat, et de fait toute la population locale l'acclame et jure d'aller voter pour lui la fleur au fusil (à l'exception de quelques réfractaires, dont le journaliste local). Sauf que Strawhorn, embarqué dans le train spécial du justicier pour aller se faire pendre ailleurs, non seulement se libère, non seulement prend le shérif en otage, mais le ramène dans la bourgade de son succès pour l'humilier. Et par une ruse habile, le truand aura sa vengeance, aussi perfide que brillante, par une manœuvre pour le moins inattendue qu'il vaut mieux ne pas révéler ici.
 


Une chose est sûre, la dernière séquence est rude pour Nightingale qui, quand il traite de monstre le hors-la-loi, s'entend répondre qu'utiliser un macchabée pour se faire élire est digne d'un tas de "horseshit" (sic.), et qu'il y en a déjà bien assez à Washington. Ce Nightingale est un double du procureur Andrew J. Griffin (Claude Rains) de La Ville gronde, impatient de trouver un coupable au meurtre de la jeune Mary Clay pour gagner en prestige et bientôt se faire élire sénateur, lui aussi. Pas de hors-la-loi pour s'opposer à lui, comme Strawhorn barrant la route à Nightingale dans le film de Kirk Douglas, seulement un avocat de la défense et deux accusés innocents. Et le procureur Griffin aura, lui, gain de cause. Mais le verdict du jury, favorable à l'accusation, déchaîne les passions de la foule et l'accusé, condamné à la prison, finit lynché, disparaissant du film dans une scène terrible où des hommes enragés viennent l'extirper du train qui le conduit en prison, la caméra se fixant sur une potence en bord de chemin de fer où un sac suspendu est fauché au vol par un cheminot à bord du train. Et le film de se conclure gravement sur Griffin et le journaliste local, complices, se demandant si l'accusé était bel et bien coupable, après la visite d'une femme (la jeune Lana Turner) venue leur dire leurs quatre vérités. 
 
 
La Ville gronde de Mervyn LeRoy avec Claude Rains, Lana Turner et Elisha Cook Jr. (1937)
La Brigade du Texas de Kirk Douglas avec Bruce Dern, Kirk Douglas et Bo Hopkins (1975)

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