23 novembre 2020

Le Cerveau d'acier

Avant d'achever un grand requin blanc en commettant le dernier volet putride des Dents de la mer, Joseph Sargent avait mangé du lion ! On lui doit au moins deux très bons thrillers des années 70 : Les Pirates du Métro, rayon action/polar et, côté SF, Le Cerveau d'acier. C'est ce dernier qui m'intéresse aujourd'hui, Colossus : The Forbin Project dans son titre original qui m'a toujours perturbé. The Forbidden Project ? Non, The Forbin Project, du nom de Dr Forbin, le créateur de ce super-ordinateur géant répondant au doux patronyme de Colossus qui a pour mission de contrôler l'arsenal nucléaire des États-Unis et de ses alliés afin d'éviter toute erreur humaine et de garantir la paix en pleine Guerre Froide. Présenté comme une merveille technologique sans faille lors d'une conférence de presse en grandes pompes donnée par le Président des États-Unis, Colossus fera immédiatement ami-ami avec Guardian, le super-ordinateur soviétique, animé des mêmes intentions envers l'espèce humaine... Inutile d'en dire plus sur le pitch terrible de ce film dont on se doute bien d'où il va nous mener mais qui fait cela, d'entrée de jeu, avec brio et sur un rythme qui ne faiblit jamais !




On marche en effet à fond dès ces premières images qui nous montrent les entrailles faites d'acier et d'électronique de l'impressionnant Colossus, monument technologique invulnérable caché dans les Rocheuses et alimenté par son propre réacteur nucléaire. Puis nous restons dans les pas de son créateur, l'énigmatique Dr Forbin (Eric Braeden), qui rejoint la conférence de presse présidentielle où il est rapidement invité à présenter son petit bébé. La mise en scène de Joseph Sargent est dynamique et tout s'enchaîne très vite, on se laisse donc porter sans souci. Colossus a tôt fait de faire tourner tout son monde en bourrique, en attestant d'une intelligence redoutable et en prenant des initiatives en binôme avec son alter ego russe (la première d'entre elles, ils inventent ensemble un langage commun sous le regard médusé des observateurs impuissants). Tous ces événements devaient être difficiles à mettre en image mais Joseph Sargent s'en tire fort bien en insufflant beaucoup d'énergie à son récit, par ses mouvements de caméra fluides et son montage sans temps mort. Le cinéaste atteste d'un certain savoir-faire pour filmer des salles de réunion circulaires où la technologie omniprésente s'avère encore étonnamment crédible quand on découvre le film aujourd'hui.




Les ultimatums et les menaces de Colossus font toujours leur petit effet. Le suspense est au rendez-vous et on se demande même comment le film va réussir à tenir une telle cadence jusqu'au bout. Il surprend agréablement lorsqu'il choisit de baisser en intensité pour mieux prendre un virage plus ouvertement comique et assez inattendue, quand Colossus décidera de surveiller son créateur via ses multiples caméras et de lui dicter son emploi du temps à la minute près. Cela donne lieu à un passage savoureux où le Dr Forbin doit négocier ses rares libertés hebdomadaires et notamment le nombre de fois où il aura besoin de profiter d'entrevues privées avec sa maîtresse improvisée... Une combine pour se faire passer des informations cruciales qui ne suffira malheureusement pas à duper Colossus mais qui offrira son petit lot de scènes amusantes au spectateur.




Le scénario du film est donc d'une belle intelligence non artificielle, en se permettant ainsi de mêler les tons et en ne cherchant pas l'intensité à tout prix, il ne nous lasse à aucun moment et nous maintient en haleine jusqu'à la dernière seconde. On reconnaît peut-être là-dedans la patte de James Bridges, ici auteur du scénario, à qui l'on doit également le très efficace et similaire Syndrome Chinois. On retrouve en effet la même tension, où les enjeux d'une ampleur mondiale s'avèrent crédibles, et le même regard satirique porté sur l'homme face aux technologies qui le dépassent, aspect contribuant pour beaucoup au côté éminemment divertissant de la chose. Dans les deux films, on quitte rarement des salles rondes, grises et fermées, où les écrans de contrôle et les boutons clignotants sont légion mais malgré l'absence d'images vraiment spectaculaires, on a aucun mal à croire à l'importance de ce qui se joue sous nos yeux et à prendre notre pied.




Les acteurs font aussi leur part du job, à commencer par Eric Braeden : il parvient à donner une dimension très intrigante à son personnage, un génie de l'informatique qui a d'abord l'air de prendre les choses plutôt à la légère, arrogant, amusé et impressionné par les progrès de sa création, avant d'être réellement inquiet qu'à la toute fin, quasiment. Le choix d'un personnage plus sérieux et grave aurait peut-être pu plomber un tel film, le condamnant à échouer dans la catégorie de ces séries b que l'on apprécie surtout au second degré. Colossus vaut beaucoup mieux que ça et parvient à aborder d'une habile et jolie manière des thèmes toujours très actuelles. Chapeau bas ! Pour l'anecdote : Eric Braeden sera bien plus tard engagé par James Cameron pour un petit rôle à bord du Titanic ; on devine que le réalisateur d'Avorton devait être ravi de pouvoir diriger le créateur d'un équivalent de SkyNet ! 


Le Cerveau d'acier (Colossus : The Forbin Project) de Joseph Sargent avec Eric Braeden (1970)

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