24 novembre 2018

Petulia

Quel chouette film de Dick Lester ! Il faut dire que lorsqu'on dispose de Julie Christie et George C. Scott en tête d'affiche, Nicolas Roeg en chef op' et John Barry à la musique, on met toutes les chances de son côté ! Petulia donne en effet l'impression d'être la conjugaison du talent de tout ce beau petit monde et un fruit bien de son époque, encore délicieux aujourd'hui. Richard Lester nous narre la rencontre et l'histoire d'amour compliquée qui s'ensuit entre la jeune, pétillante et ravissante Petulia (Julie Christie) et le calme et beau docteur Archie Bolen (George C. Scott). Tous deux appartiennent à la bonne société de San Francisco, tous deux sont plus ou moins en instance de divorce. Pour Archie, ça n'est plus qu'une histoire de papiers à signer, mais c'est acté : il vit désormais seul dans un appartement hi-tech à l'agencement très étrange, s'occupe un week-end sur deux de ses gamins et, quand il revoit sa femme, ça fait souvent des étincelles... Mais du côté de Petulia, ça n'est pas encore ça : elle clame sa passion pour Archie alors que tout reste à faire avec son actuel mari (Richard Chamberlain), encore bien accroché à elle... Nous suivons donc avec plaisir ces deux personnages dans leurs vies désordonnées, cherchant peut-être un équilibre et un peu de tranquillité dans l'agitation ambiante.





Comment, en effet, ne pas s'intéresser au récit d'une romance contrariée quand celle-ci concerne deux superbes personnages incarnés par de tels acteurs ? Julie Christie magnétise littéralement la caméra avec son si grand regard d'un bleu foncé hypnotisant, elle prête ses traits délicats à ce qui peut d'abord apparaître comme un personnage léger, farfelu ("a kook" comme le dira Archie), qui deviendra petit à petit une figure tragique réellement poignante. Quant à George C. Scott, ici particulièrement classe et dans un registre que je lui connaissais peu, il impressionne encore une fois en héros romantique, tout en sobriété. L'alchimie entre les deux acteurs fonctionne à plein régime et ceux qui les entourent semblent contaminés par leur charisme et leur intensité, à l'image de l'élégante et gracile Shirley Knight, dans le rôle de l'ex-femme d'Archie, qui nous offre quelques scènes marquantes elle aussi. Cerise sur le gâteau, la musique de John Barry est superbe, à commencer par son thème principal (samplé par The Cinematic Orchestra, il me disait bien quelque chose !), vecteur dès le générique d'ouverture d'un spleen qui ira comme un gant à l'histoire contée.





Richard Lester, qui avait fait ses preuves sur les films des Beatles (A Hard Day's Night et Help !), se montre ici très inspiré et adopte un style qui n'est pas sans rappeler celui que choisira plus tard son directeur photo du moment, Nicolas Roeg (entre autres pour Don't Look Now, Walkabout et Bad Timing). Le cinéaste fait preuve d'une inventivité formelle de chaque instant et met en place une narration déroutante, menée à un rythme plutôt soutenu, régulièrement ponctuée par des inserts de flashbacks ou de flashforwards qui ont toujours du sens. Richard Lester renforce ainsi un sentiment, en replaçant un bref moment passé, ou glisse des images quasiment subliminales qui préparent et provoqueront de drôles d'impressions de déjà-vu. Ces tours de passe-passe agréables et déconcertants participent au pouvoir de fascination évident d'un film qui prend les allures d'un puzzle très simple à suivre et progressivement doté d'une vraie envergure. Car si Richard Lester et toute sa bande ont l'air de s'être bien amusés, parvenant notamment à capter une des facettes de leur époque (on note également les apparitions de Janis Joplin et du groupe The Grateful Dead), ils n'en ont pas moins oublié de nous émouvoir, de nous toucher pour de bon. La dernière scène empreigne même durablement nos esprits, nous restons pendus à la destinée indécise de ces deux êtres.





Au-delà de leur histoire personnelle, c'est aussi l'air du temps saisi, ce parfum si propre à la fin des années soixante, lourd de ses questionnements et de ses remises en cause, qui réussit à nous emplir d'émotions contradictoires, nimbées d'amertume. Petulia a un ton vraiment étonnant, tour à tour léger et amusant ou grave et acerbe. Pendant que les personnages se débattent dans leurs relations tumultueuses et leurs logements chics et confortables, la télé ou la radio diffusent en arrière-plan des infos sur la guerre du Vietnam qui, de l'autre côté du monde, bat son plein. Et que cachent la frivolité séduisante, la fantaisie permanente et les extravagances surprenantes de la si belle Petulia ? Nous découvrons peu à peu la véritable nature du lien qui l'unit à son mari et tout n'est pas si rose... Tout à fait à l'image de ses deux acteurs principaux, à leur zénith, le film de Richard Lester possède donc un charme fou. Plein de couleurs, de détails tantôt comiques tantôt sordides, d'idées de mise en scène et de montage en veux-tu en voilà toujours pleinement au service du récit, Petulia déborde de vie et s'impose finalement comme un puissant mélodrame.


Petulia de Richard Lester avec Julie Christie, George C. Scott et Richard Chamberlain (1968)

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