3 juin 2013

Only God Forgives

Les fans de Drive seront sans doute déçus. Ceux qui n'aimaient pas Drive, à l'évidence, n'aimeront toujours pas et risqueront même de prendre définitivement en grippe Nicolas Winding Refn. Mais ceux qui appréciaient déjà plus en profondeur son cinéma, comme c'est plutôt mon cas, seront satisfaits de constater que le réalisateur danois a su conserver toute sa liberté et sa personnalité malgré le grand succès critique et public rencontré par son film précédent. Only God Forgives est un film peu aimable, pratiquement masochiste, comme l'est son personnage central et peut-être son auteur. On imagine presque en effet ce dernier accueillir avec le sourire les huées cannois... Heureusement, il ne s'agit pas d'une sorte de suite aux accents asiatiques de Drive, ce que les bandes-annonces m'avaient laissé redouter, bien que ce nouveau film s'inscrive dans une continuité formelle logique et s'éloigne encore de la mise en scène brute et spontanée de la trilogie Pusher.




NWR nous propose un drôle de thriller à l'ambiance psychédélique où la tension est sans cesse réfrénée ou simplement exclue, un faux film de boxe contenant un seul affrontement (un véritable passage à tabac se refusant d'être le long climax attendu), un film d'action hémiplégique et amorphe au "héros" totalement impuissant, un polar dénué d'intrigue policière et sans suspense, un drame familial absurde tutoyant parfois le grotesque, par ses quelques dialogues d'une vulgarité sèche, et le mauvais goût, dans des séquences où la beauté esthétique n'a d'égal que la violence de ce qui s'y passe. La vengeance, bien que présente comme élément déclencheur, passe ici au second plan, supplantée par une histoire hantée par les démons d'un personnage impuissant et centrée sur une relation mère-fils bien tordue qui rappelle les rapports très malsains qu'entretenait déjà Tony (excellent Mads Mikkelsen), le dealer paumé de Pusher 2, avec son salaud de père. C'est d'ailleurs de ce film qu'Only God Forgives est peut-être le plus proche, en raison de ces deux personnages cousins condamnés à traverser un douloureux chemin de croix, jusqu'à une possible rédemption. Cela se finit encore dans le sang, et un symbolisme plus rentre-dedans, révélateur d'un profond besoin de psychanalyse chez NWR.




Comme son cinéaste, Ryan Gosling ne fera pas taire ses détracteurs, bien au contraire. Sans jamais bouger les sourcils, il incarne encore un rôle-marionnette, une figure cette fois-ci d'impuissance, de frustration et d'incapacité, que Refn maltraite du début à la fin. Un incapable conjointement manipulé : à l'écran, par sa mère abominablement tyrannique et vulgaire, et en coulisse, par un réalisateur s'amusant peut-être à ravager et ridiculiser l'icône érigée par son précédent film. Un personnage assez éloigné du driver, donc, qui laissait les cadavres dans son sillage en suivant sa voie, guidé par sa seule détermination, mais que l'acteur campe avec une même torpeur, propice aux railleries dont on imagine le duo se moquer comme il faut. Malgré sa faiblesse et son impuissance, ce personnage et son cheminement psychologique semblent au cœur du film, de ce trip curieux où nous sommes invités. Il est coincé dans une apesanteur irréelle, suspendu dans un labyrinthe d'images mentales issues de son mal-être. Face à lui, Kristin Scott Thomas étonne beaucoup dans un rôle inhabituel de mère atroce et castratrice, qu'elle incarne avec un brio tout à fait inédit. On a même du mal à la reconnaître !




On est encore en présence d'un méli-mélo d'influences très diverses, de références connues, bis, cultes et occultes qui, passées à la machine NWR, donnent quelque chose d'assez unique et remarquable. Dans les dédales d'Only God Forgives, on pense pêle-mêle à Dario Argento, pour ces couleurs tranchantes sorties tout droit d'un giallo comme Suspiria, à John Carpenter, pour certains des meilleurs moments d'une bande originale de nouveau signée Cliff Martinez, à David Lynch, pour cette ambiance onirique ponctuée d'images cauchemardesques très stylisées, à Stanley Kubrick, pour ces travellings "cérébraux" dans les couloirs du club de boxe thaï, et à Alejandro Jodorowsky, quand son nom apparaît en hommage dès le générique de fin (car on connait mal son cinéma !)... On pourrait peut-être continuer ainsi encore un peu. Comme Drive avant lui, Only God Forgives évoque également un thriller coréen, par sa violence crue et soudaine, mais aussi un bête slasher, où les scènes de meurtres s'enchaîneraient à un rythme anormalement lent, tendant à chaque fois vers plus d'inventivité visuelle et malsaine. Nicolas Winding Refn donne alors l'impression de s'échiner à élever un sous-genre d'ordinaire purement commercial et condamné à la médiocrité, ce qui n'est pas vraiment pour déplaire.




On termine la vision de ce film étrange et malade un peu désorienté, sans précisément savoir quoi en penser, avec toutefois l'assurance de ne pas avoir été insensible à l'art singulier d'un cinéaste atypique qui semble savoir exactement ce qu'il fait et dont, accessoirement, on ne veut pas connaître les problèmes familiaux ou les traumas infantiles... Un film qui pourra ensuite nous accompagner comme nos plus marquants cauchemars, avec ses images obsédantes, sa narration déstructurée, son ambiance décomposée et ses situations dérangeantes, mais que d'autres oublieront aussitôt après l'avoir chassé ou rejetteront immédiatement.


Only God Forgives de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas et Vithaya Pansringarm (2013)

11 commentaires:

  1. Je croys que j'en ay typyquement ryen à foutre de ce fylm !

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    1. Tant mieux pour toi, n'en dégoute pas les autres.

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    2. D'autant que NWR s'en charge très bien...

      Je pense que NWR et moi, on sera jamais potes. Mais je pense néanmoins qu'avec ce film, on a atteint le stade ultime du cinéma : pas de mise en scène, pas de dialogues, un héros monolithique, un scénario dont les maigres éléments sont distillés au compte-goutte pour donner une impression de complexité (alors que c'est une bête histoire de règlement de comptes sur fond de trafic de came).

      D'après ce que j'ai compris (pas grand-chose), c'est une suite de Drive (même réal, même acteur sans expression) : à la fin, le héros a dû se barrer à l'étranger pour fuir la police qui le recherchait pour, entre autres, éclatage de tronche à coups de pied droit.

      C'est ici la limite : voir un film sans s'être informé dessus, ce que je fais habituellement. Je pense que si j'avais lu des résumés et des critiques, j'aurais pigé le truc. Mais j'aime pas m'informer sur un film avant de l'avoir vu : je préfère me plonger dans le film sans rien en connaître.

      Ce qui me pose problème parce que j'ai de plus en plus l'impression que les films sont faits par des gens qui prennent pour acquis que le spectateur connaît déjà l'intrigue avant de l'avoir vu. Et quand je ne comprends rien à l'histoire, je ne suis pas disposé à saisir toutes les subtilités de métaphores du style "de l'huile de vidange sort d'un évier" ou "un gars plonge son bras dans un trou noir et il a le bras coupé par un sabre", mais en fait c'était un rêve, je crois, ou une illusion, ou une hallu, ou une prémonition.

      Boooooooonnnnn...

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  2. Après le chef-d'œuvre Drive, Nicolas Winding Refn retrouve pour la deuxième fois Ryan Gosling dans un film qui ne plaira pas à tout le monde. Soyons clair, soit vous accrochez au film soit vous n'y accrochez pas du tout car il est loin d'être accessible à tout le monde. Pour ma part, j'ai adoré. L'esthétique du film est magnifique (le jeu de couleur est superbe) tout comme la mise en scène de Refn, très calme, très posée. Les acteurs sont supers (Gosling au top, Pansringarm, parfait) mais le meilleur rôle revient à Kristin Scott Thomas qui campe une mère absolument machiavélique. Le tout, sublimé par un magnifique score de Cliff Martinez, déjà auteur sur Drive. Côté scénario, celui-ci peut s'avérer simpliste au premier abord mais il est beaucoup plus complexe qu'il n'y parait. En effet, Only God Forgives est sujet à plusieurs interprétations et il est fort probable que vous ne puissiez pas comprendre tous les sens du film lors de la première vision de celui-ci. Moi-même je n'ai pas totalement assimilé tous les points. Un deuxième visionnage s'impose donc. Néanmoins, Only God Forgives est vraiment un très bon film, violent, oppressant et qui ne laisse personne indiffèrent.

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  3. merci pour ta chronique cher Anonyme de 15h07, elle me permet de confirmer mes soupçons quand au type de public auquel se destinent les oeuvres de Refn.
    Benjamin Reinert

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  4. J'ai vu le film, et malheureusement (ou pas franchement je sais plus) j'ai vite pensé à ce que vous pourriez en dire. Critique qui est arrivée, non pas pour me déplaire, plus tôt que ce que j'avais prévue, je l'avoue, je le confesse.
    Comme j'ai beaucoup moins aimé "Only God Forgives" que son prédécesseur "Drive". J'ai juste eu l'impression que Refn est très bon lorsqu'il s'agit de manier un genre qu'il domine. Mais lorsqu'il s'attaque à quelque chose de plus exotique stylistiquement, il est paumé et il fait, à dire vrai, n'importe quoi.
    De plus, comment un film peut s'inscrire dans un projet de "destruction de l'image d'un acteur" ? Puisque c'est bien Ryan Gosling que Refn veut tacler ; pas Julian (je ne suis même plus sûr de son nom, tiens), personnage totalement inexistant. Du vrai "goslingisme" en somme.
    On retrouve quand même quelques belles scènes (le couloir du club, la main tremblante alors retenue dans la réalité par des liens), qui témoignent de la recherche d'esthète et d'essais stylistiques parfois menés avec bonheur, parfois non.
    J'irai voir le prochain film, mais je ne reverrai pas celui-ci.

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  5. Félix Merci de défendre ce film qui en a bien besoin... C'est beaucoup mieux que Drive(pour moi le plus «mauvais» film de Winding Refn), c'est un film de genre beaucoup plus personnel et interessant...


    Maxpid Pas d'accord:le film ne consiste pas en la «destruction de l'image d'un acteur», c'est juste un personnage typique de Winding Refn (rappelons qu'il n'est pas auteur du scénario sur Drive) : comme dit dans le texte,il «maltraitait» déjà Mads Mikkelsen dans Pusher 2, qui est au début un dealer pitoyable mais qu'on finissait par aimer et la fin magnifique lui offrait une rédemption. Là on peut trouver Julian inexistant je le conçois, mais pourtant son «impuissance» (je cite le texte) et son complexe oedipien(j'ajoute) sont la clé du film je crois.

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    1. Je pense qu'à la lumière des 3 "Pusher", j'aurai les clés qui m'ouvriront les portes de la compréhension de cette œuvre. Merci pour la précision pour Drive, d'ailleurs, je ne savais pas. Pour ma part, en tout cas,
      le taff n'a pas été rempli ; un film ne doit pas émaner d'autres films, on peut remarquer l'évolution dans la filmographie mais pas en avoir besoin pour comprendre. Bon faut dire aussi que je n'avais pas saisi le complexe œdipien à la sortie du film. Mes amis, eux, l'avaient compris et m'ont, quand même, expliqué où le déceler.
      Cependant, quelqu'un peut-il expliquer ce que ces interludes musicales (assez poussives, soit dit en passant) fichent là ? Je dois être trop con, avoir un esprit trop obtus ou je ne sais quelle autre tare qui ont fait que je ne trouvais rien d'autre à faire que de pouffer dans mon siège et me resservir une poignée de pop-corn (confectionné par mes soins évidemment).

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  6. super critique félix ! je l'ai vu hier, dans une salle quasiment vide mais qui a quand même réussi à se vider encore un peu plus pendant le film... et mon avis rejoint tout à fait le tien, particulièrement sur ce que tu dis dans le deuxième paragraphe : only god forgives, c'est à la fois plein de chose, mais en même temps absolument rien du tout. le rythme est léthargique, c'est bizarrement foutu, c'est souvent grotesque (le sous-texte œdipien a de grosses lourdeurs), ça se regarde tantôt avec effroi tantôt avec fascination, ça ne marche ni en tant que film de vengeance, ni en tant que drame, ni en tant que thriller, ni en tant que trip psychédélique. ça passe à côté de tout, et pourtant, en fin de compte, il s'y passe un truc... et bizarrement, bon an mal an, j'en suis ressorti assez déboussolé mais plutôt content. c'est déjà pas mal.

    et je dois dire, pour répondre à maxpid, que j'étais très friand des passages au karaoké. en dehors de l'espèce de beauté très bizarre de ces scènes (on aurait presque dit du tsai-ming liang!), elles offraient un contre-point assez fameux non seulement à la violence du film, mais aussi un peu à drive. je veux dire, passer des gros tubes 80's à la con de kavisky à de la variété thaïlandaise sirupeuse, c'est plutôt drôle.

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  7. Pour ceux qui ont vu le film, une belle analyse est à lire ici: http://www.cineclubdecaen.com/realisat/windingrefn/onlygodforgives.htm

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