13 juin 2013

Drôle de frimousse

Ressorti récemment sur les écrans dans une magnifique version restaurée, Drôle de frimousse fait partie des dernières grandes comédies musicales de l'âge d'or hollywoodien. En 1957, dix ans avant Voyage à deux, Audrey Hepburn joue pour la première fois sous la direction de Stanley Donen et vient déjà rayonner sur la France. Avant la Côte d'Azur, parcourue en long, en large et en travers aux côtés d'Albert Finney, c'est à Paris qu'elle atterrit en compagnie de Fred Astaire. Dick Avery, un photographe de mode au service de Maggie Prescott (Kay Thompson), directrice du magazine Quality, est à la recherche d'un mannequin capable de ménager élégance et intelligence pour devenir l'égérie du magazine et porter les robes de la prochaine collection du grand couturier parisien Paul Duval. Embarrassé par les poupées décérébrées qu'on place sous son objectif, Dick Avery décide de photographier son principal modèle dans une petite librairie de Greenwich Village pour l'entourer de livres et lui fabriquer un air spirituel, quitte à mettre la propriétaire de l'établissement, Jo Stockton (Audrey Hepburn), à la porte de sa propre boutique le temps du shooting. Sauf que c'est le visage chiffonné de la libraire qui va retenir l'attention du photographe, et que c'est elle qu'il va convaincre d'embarquer pour Paris.




Le film doit beaucoup à la beauté fascinante d'Audrey Hepburn. On tombe amoureux d'elle à chaque séquence, qu'elle soit fagotée en caricature de libraire avec ses cheveux lisses, son grand gilet gris à poches et sa longue jupe étroite et sombre, ou transformée en pure icône de mode dans des robes toutes plus somptueuses les unes que les autres. L'actrice éblouit plus encore quand elle se situe entre ces deux extrêmes et se contente de déployer un sourire radieux, en toute simplicité. Dans la fameuse séquence musicale du "Bonjour Paris !", le splitscreen lui fait parfois partager l'écran avec Fred Astaire et Kay Thompson sans qu'on puisse décoller les yeux de la belle Audrey. La comédienne est parfaite à plus d'un titre, chante et danse parfaitement et dégage une grâce exceptionnelle, y compris dans un numéro casse-gueule, dans la scène où, au milieu d'un piano-bar parisien improbable, elle se lance dans une danse improvisée un peu loufoque et presque grotesque sur une musique jazz composée par George Gershwin. La beauté et la vitalité de l'actrice feraient tout passer, et font en l'occurrence oublier l'inégalité de la partie musicale du film, qui alterne des scènes originales et touchantes (celle de la chambre noire) et d'autres plus convenues et moins frappantes, comme quand Fred Astaire danse pour une Audrey Hepburn penchée à son balcon. L'extraordinaire acteur, chanteur et danseur nous a livré des performances autrement plus impressionnantes, chez Donen lui-même, chez Minnelli ou dans ses premières comédies musicales aux côtés de Ginger Rogers (ne citons que l'inoubliable Top Hat de 1935).




Dans cette scène où Fred Astaire danse pour séduire Audrey Hepburn, on se confronte à l'autre fragilité du film : le jeu avec les clichés. On les attend de pied ferme dès que nos chers américains survolent Paris en avion, avec ces drôles de vues aériennes sur la Tour Eiffel, Notre-Dame ou l'Arc de Triomphe. Et ça ne rate pas, le Paris filmé par Donen est un Paris de carte postale qui emboîte les clichés les uns sur les autres, des pêcheurs moustachus aux baguettes de pain en passant par les pavés, la pluie, Jean-Paul Sartre, les voitures minuscules, les amants aux terrasses des cafés qui se giflent et s'embrassent dans la même phrase et compagnie. Mais Donen a tout prévu puisque la première chanson parisienne du film montre nos trois expatriés revendiquant leur statut de touristes et adorant ouvertement, en toute conscience, cette image fausse qu'ils se font de Paris. On sourit quand même jaune quand on voit Fred Astaire commencer son numéro dans la cour du petit hôtel (très 19ème...) de sa promise avec le parapluie de rigueur, et le terminer derrière une camionnette transportant une vache… Entre les deux, la star se livre avec sa veste rouge à une danse mimant la corrida, sans qu'on comprenne pourquoi (les américains croient-ils la corrida parisienne ? Ou bien considèrent-ils que la France, l'Espagne, tout ça finalement c'est l'Europe…).




La France est aussi désignée comme le pays de la philosophie, et venant des américains, quelque part, ça se comprend. Jo Stockcton accepte de se rendre à Paris et d'y jouer les mannequins pour avoir une chance de rencontrer le professeur Émile Flostre (Michel Auclair), chantre de l'"empathicalisme", qui donne des conférences dans des cafés-philo-poésie bien de chez nous. Le film pose d'emblée une opposition entre le monde superficiel de la mode, dont il se moque allègrement, et celui, trop triste, de la pensée, deux mondes séparés et incomplets, clairement attribués respectivement aux USA pour le premier et à la France pour le second. Sauf qu'à la fin c'est l'Amérique qui gagne. Flostre se révèle être un vulgaire séducteur, usant du verbe pour coucher, et Jo finit par se débarrasser de lui en lui fracassant une sculpture hors de prix nulle part ailleurs que sur le crâne. La tête du chercheur français n'est bien entendu remplie que de blabla, puisque Maggie Prescott, la directrice du magazine de mode, papesse du commerce des corps et du règne de l'apparence, comprend non seulement parfaitement la théorie de l'empathie chère au philosophe, à condition de la formuler dans des termes simples et efficaces, mais la met même en pratique, contrairement à lui.




Stanley Donen nous donne une petite leçon quand Fred Astaire et Kay Thompson se déguisent en français (tenues austères et bouc sévère) pour pénétrer le repaire de Flostre et libérer Jo. Après avoir écouté la lente complainte morbide d'une jeune chanteuse française racontant ses turpitudes sentimentales sur fond d'envie de meurtre et de suicide, les deux américains vendeurs de rêve sont contraints de faire le spectacle à leur tour, mais à l'américaine s'il vous plaît, et nous livrent un show très complet de danse et de chant plein d'énergie et ô combien rythmé. Comme la plupart des grands spectacles hollywoodiens, le numéro du photographe et de la directrice de Quality n'a pour but que d'en foutre plein la vue aux tristes français pour les endormir et parvenir à leurs fins : récupérer Jo, la faire poser dans les robes de Paul Duval, et faire du business à tout prix. Au final, Stanley Donen n'étant pas totalement cynique, c'est quand même avant tout l'amour qui l'emporte, dans une de ces visions "idéalisées" vendues par les magazines de mode, que le cinéaste dénonce et plébiscite dans le même temps en concluant son film sur un idéal de vie résumé à un chromo absolu, factice au possible. A moins que ce ne soit précisément le cynisme du cinéaste qui le pousse à conclure sur cet inévitable happy end en toc, cette idylle improbable dans un décor pré-fabriqué, quand on sait le portrait désenchanté qu'il dressera dix ans plus tard des relations de couple dans l'excellent Voyage à deux. Fred Astaire s'éloigne dans les bras d'une Audrey Hepburn en robe de mariée sur un petit radeau de bois, le long d'un ruisseau parcouru de cygnes blancs, derrière une vieille église en pierre. Il faut bien avouer qu'Audrey Hepburn ajoute un surplus d'idéal à tous les décors du monde, et qu'un monde idéalisé par amour pour Audrey Hepburn est un monde qu'on achèterait volontiers.


Drôle de frimousse de Stanley Donen avec Audrey Hepburn, Fred Astaire et Kay Thompson (1957)

11 commentaires:

  1. Ma meuf est allée le voir mais je l'ai loupé. Je vais devoir me rabattre sur le numériqu.. OUPS !

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  2. Frimize Limont14 juin, 2013 20:47

    Ben non. Je ne ris pas jaune quand je regarde Fred toréer en virevoltant divinement et il n'y a jamais trop de parapluies dans les comédies musicales pour mon goût.
    D'autant que cette séquence est une des plus agréablement trépidantes de ce film par ailleurs aux love-séquences longuettement gnangnan et un poil ennuyeuses, sirupeuses et gélatineuses dans le traitement très particulier la photo à ces moments-là. Il faut bien l'avouer.
    Kay Thompson y est assez époustouflante. Donen lui donne l'occasion d'être en lumière, elle qui a été si souvent dans l'ombre de stars telles que Judy Garland, Sinatra, etc, dont elle était le coach. Cette grande dame (dans tous les sens du terme) aux talents multiples (outre chanter, danser, elle écrivait de délicieux et insolents livres pour enfants inspirés par Liza Minnelli petite fille) méritait qu'on lui donne ce rôle un peu plus étendu que ceux qu'elle avait habituellement.

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    1. Précisons que Fred Astaire est seul en scène pour la séquence du parapluie et de la corrida, mais je ne suis pas sûr qu'il y ait un lien entre ton deuxième et ton troisième paragraphe.
      Dans la séquence finale où Fred et Kay dansent ensemble pour épater les parisiens philosophes, cette dernière est excellente en effet.

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  3. Fred est en effet seul à danser dans cette séquence où Hepburn le regarde. Le "y " de "y est époustouflante" concerne bien entendu le film en général, pas cette séquence. Désolée d'avoir omis un fondu enchaîné grammatical.

    Je maintiens le reste: Cette danse (Let's kiss and make up) dans la cour qui s'achève sur la vache demeure une des meilleures séquences musicales du film. Donen et le chorégraphe y manient l'art de transformer un imper en mille possibilités de danser... Corrida, vache, who cares ? Dans les années d'après-guerre, on pouvait rencontrer des chèvres, à Paris, conduites par de petits fermiers de la banlieue qui venaient vendre leurs bidons de lait.
    Et puis, les Halles étaient encore... aux Halles. Ce n'était donc pas bizarre de croiser des véhicules avec bestiaux.
    Mais en réalité, en vrai, en vérité, on s'en fout !!!!! -bis.
    C'est beau. C'est tout.

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    1. Je ne reproche pas à cette pauvre vache d'être anachronique, je lui reproche juste, le vrai n'étant pas toujours vraisemblable, d'être un cliché un brin grotesque. D'ailleurs mon bémol sur cette séquence ne tient pas dans la vache ou dans la corrida (néanmoins trop décalés et trop risibles) mais dans sa dimension artistique. Comme je le disais Fred Astaire a fait beaucoup mieux en termes de technique, de chorégraphie et de poésie, on s'attend donc à autre chose dans un pareil film. Ca n'empêche pas le numéro d'être somme toute très sympathique, à l'image de l'ensemble du film.

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  4. Ce n'est pas un cliché puisque, justement, elle semble décalée. Le propre du cliché étant d'être là où on l'attend.
    Mais d'accord avec toi pour dire que le réalisme n'est pas le vraisemblable.
    Ce numéro est néanmoins magnifique.
    Je le compte parmi les plus toniques et les moins attendus d'Astaire, malgré le parapluie, malgré la vache, malgré le contexte à la Roméo-Juliette, etc.
    Son problème, à Fred, c'est faire son boulot so divinement, les doigts dans le nez, qu'il semble ne rien faire.
    Ce numéro, par exemple, est bien meilleur -cent coudées au-dessus- que le fameux numéro de Mariage Royal où il danse sur les murs et le plafond, et où la performance était davantage une prouesse de la caméra, moins de Fred.
    Ici, dans Let's kiss et make up, c'est mille fois mieux que sympathique! C'est carrément superbe.
    Faut pas s'y tromper, même s'il la joue modeste, le Fredo.

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    1. Une vache dans une camionnette en pleine nuit en plein Paris dans une rue pavée et trempée par la pluie devant un vieil hôtel à balcon, venant d'un américain, c'est un énorme cliché, tu joues sur les mots.
      Fred Astaire a également l'air "facile" dans Top Hat, par exemple, où ses numéros (sur le sol, pas au plafond) sont mille fois plus impressionnants que celui-ci.

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  5. J'adore Fred dans Top Hat, j'adore Fred dans tout, même quand il ne danse pas, même dans les séries télé, même dans Coppola, je suis une fan, une mordue, une fondue, une inconditionnelle, d'ailleurs j'œuvre activement pour la reconnaissance de son œuvre, et notamment parce que j'en ai marre d'entendre la phrase "je préfère Gene Kelly" qui me gonfle menu parce que tout le monde, ou presque, préfère Gene Kelly et que ce n'est pas de jeu. Mais, bref, c'est un peu léger de ta part d'expédier ce numéro magnifique en deux coups de cuillers à pot, juste parce qu'il affiche tous les codes attendus mais que , (trop?) subtilement, il ne fait pas dans la chorégraphie spectaculaire mais dans l'art difficile et délicat de la chorégraphie "underplayed". Si tu as un danseur ou une danseuse dans ton entourage, mets-le devant cette séquence et demande-lui qu'il ou qu'elle te mette le nez sur les subtilités ahurissantes d'une volte-face astairienne ou d'un simple petit saut de côté... Tu seras étonné.

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    1. Je ne demande que rarement le cours magistral d'un danseur professionnel pour apprécier un numéro dans une comédie musicale, je me fie tout simplement (et sans doute à tort) à mes impressions dans ce domaine, et je n'ai pas été émerveillé ni bouleversé par ce numéro de danse particulier, par ailleurs charmant, mais sache que je m'en excuse platement :)

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  6. J'accepte les excuses. Fred aussi.
    Parce que, là, les impressions toutes simples, pardon mais..........

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  7. et reu reu...16 juin, 2013 20:52

    Viens de me repasser la séquence juste pour le fun et le frisson. Rhâââ...
    Mazette ! La classe, ce Fred !
    Peu de danseurs pourraient faire voler et retomber un objet aussi ingrat qu'un imperméable, comme il fait, en tourbillon impecc, façon tapis volant, élégamment pile poil où c'est prévu ! Faut du génie et des années de boulot pour qu'il se ramasse pas, blam, en tas, sur les baskets. J'en connais pas beaucoup qui, comme Fred, savent dire à un imper comment il doit se comporter.
    Au fait, c'est pas une vache mais un veau. ça change tout, non ?

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