30 avril 2012

Toutes nos envies

Qu'est-ce qui ne va pas, Philippe Lioret ? Qu'est-ce qui ne va pas !? Moi, je ne t'avais rien demandé, j'allais très bien, Philippe, tu n'aurais pas dû t'en faire ! Je passais une soirée plutôt tranquille, jusqu'à ce que je mate ton film. Je luttais simplement contre un mal de bide carabiné, conséquence logique d'un barbecue dominical chez mes beaux-parents. "Faire honneur aux repas", "avoir très bon appétit" étant la seule qualité qu'ils me reconnaissent, je m'étais donné pour mission de ne pas faillir à ma belle réputation. Hélas, mon organisme n'est pas habitué à ingurgiter autant de matières grasses, autant de viande grillée. J'ai un peu goûté à tous les vertébrés du monde ce dimanche-là. Ce barbecue, c'était l'Arche de Noé revue et corrigée à la plancha. Quelques feuilles de salades, c'est loin d'être suffisant pour aider à digérer tout ça. A l'heure qu'il est, je lutte encore, et je n'ai pourtant rien avalé depuis. Je suis à la diète. Je rechigne même à boire de l'eau. Rendez-vous compte ! Bref, sachez bien qu'à part cet important souci de digestion, tout allait pour le mieux au moment de lancer Toutes nos envies, le dernier rejeton de Philippe Lioret, cinéaste engagé à dégager, à qui l'on doit déjà l'abominable Je vais bien ne t'en fais pas et le médiocre Welcome.


J'avais à peu près cette mine lorsque j'ai lancé le film.

L'affichage de mon lecteur dvd m'indiquait qu'à peine 9 petites minutes venaient de s'écouler quand j'ai commencé à sombrer dans une sévère dépression mélancolique. Vincent Lindon n'avait même pas encore fait son entrée en scène. Apathique, je suivais innocemment les mésaventures de la belle Marie Gillain dans le rôle de Claire, une jeune juge d'instance confrontée aux personnes en situation de surendettement qui tente de venir en aide à la mère d'une amie de sa petite fille, prise dans l'étau d'un organisme de crédit impitoyable. Dit comme cela, ça n'a l'air de rien, mais croyez-moi, à l'écran, c'est la déprime totale. C'est fait de telle façon que ça vous colle illico un cafard monstrueux. L'énoncé clinique de toutes les sommes que doit la jeune maman endettée n'y est pas étranger. Le fait qu'elle se félicite d'avoir trouvé un emploi à mi-temps en tant que caissière dans un supermarché pourri, croyant cela suffisant pour rembourser ses dettes et subvenir aux besoins de ses trois enfants qu'elle élève seule, ça n'arrange évidemment rien à l'affaire. Ni une ni deux, j'envoyais fissa un mail à mon acolyte Rémi, fan hardcore de Marie Gillain, pour le prévenir de ne pas s'envoyer ce film un soir où son moral serait déjà défaillant. Sitôt le message d'alerte envoyé, je relançais le brûlot de Philippe Lioret et j'apprenais aussi sec qu'il ne restait plus que quelques mois à vivre à la douce Marie Gillain, atteinte d'une tumeur au cerveau incurable. Voilà pour les 10 premières minutes irrespirables de ce film terrible, qui nous prend brutalement en otage et nous saisit à la gorge pour ne plus jamais relâcher son étreinte.


Le seul moment "sexy" du film.

Sérieusement, on n'a pas idée de commencer un film comme ça... J'étais à deux doigts de l'arrêter net pour ne plus jamais le relancer, animé d'une rancune tenace envers Philippe Lioret. Passé le premier quart d'heure, l'arrivée du personnage incarné par le toujours impeccable Vincent Lindon apporte un peu de lumière à ce film si glauque, si gris ; mais c'est tout de même trop maigre. L'acteur a beau faire tout son possible, apporter sa présence pleine de bonhomie et son charisme redoutable, cela ne suffit pas. D'ailleurs, Marie Gillain aussi est très bien, irréprochable, rien à dire là-dessus. En vérité, aucun acteur n'est à blâmer, à l'exception peut-être de celui qui joue l'époux de Marie Gillain (un dénommé Yannick Renier, le demi-frère de Jérémie et qui n'a même pas le quart de son talent), un personnage toujours de bonne humeur, qui s'émerveille de tout, et tout particulièrement de ses propres talents de cuisinier alors même que sa compagne vomit en silence dans la salle de bains. Un type insupportable dont l'humeur contraste méchamment avec celle du spectateur et que l'on a donc très naturellement envie de fracasser. La tignasse redoutable et la mâchoire proéminente de ce comédien n'aident pas du tout à le rendre un brin sympathique. Je le place en état d'arrestation pour délit de sale tronche.


Il faut que Vincent Lindon raye de son carnet d'adresses le nom de Philippe Lioret (et qu'il en profite aussi pour effacer celui de Pierre Jolivet).

Toutes nos envies est un cocktail d'idées noires. Un film-massue à déconseiller aux plus sensibles d'entre nous. Je l'ai moi-même arrêté au bout d'une quarantaine de minutes, dans un réflexe salvateur totalement inespéré en plein repli catatonique. Une sale nuit m'attendait, due à mon estomac en vrac, mais aussi à l'ensemble de mon organisme, mental et physique, que Philippe Lioret avait sournoisement pris pour cible. Ton film se termine peut-être bien, Philippe, mais il commence si mal que je ne le saurai jamais. D'ailleurs, non, il se termine forcément mal puisque Marie Gillain est promise à une mort certaine. A travers le portrait de ces deux personnages campés par Gillain et Lindon, Toutes nos envies a peut-être la louable intention de faire l'éloge de ces combattants du quotidien ancrés dans une réalité sociale éprouvante, violente et cruelle. Certes, mais ça pèse des tonnes et des tonnes, Philippe, et je place très facilement ton pamphlet dans le top 5 des films français les plus cafardeux de ces dix dernières années, alors que la concurrence est extrêmement relevée (je pense par exemple à Partir, mais ça n'est pas le seul). Cet article est là pour vous prévenir, chers lecteurs. Je ne prends aucun plaisir à me rappeler l’œuvre de Philippe Lioret. Toutes nos envies est un sale film. Sans doute un film "utile" dans ce qu'il dénonce de la société actuelle, comme l'était peut-être déjà Welcome, je n'en sais fichtre rien, mais une chose est sûre : c'est fait d'une telle façon qu'on n'a pas envie de voir ça, de s'infliger une telle épreuve. C'est simplement désagréable, pesant, plombant. Un "cinéma de résistance", comme le disent certaines critiques, qui vous paralysera de pessimisme et aura votre peau bien avant d'atteindre sa véritable cible.

Sur ce, je m'en vais prendre du Forlax.


Toutes nos envies de Philippe Lioret avec Marie Gillain, Vincent Lindon, Amandine Deswasmes, Yannick Renier et Pascale Arbillot (2011)

30 commentaires:

  1. Indépendamment du fait qu'il y a deux types de vies de merde traitées de concert (l'endettement et le cancer), contribuant à faire de ce film un éloge funèbre éparpillé et ne montrant rien de précis, j'ajoute pour l'avoir vu jusqu'au bout qu'il n'y a rien d'utile à la société dans ce film, sinon la présence de V. Lindon, toujours bonne à prendre.
    En effet, à part lui & Gillain, les deux persos assurant leurs arrières sont des monolithes d'absence de pensée de la part de Lioret. On a un mari méga con que vous épinglez bien, mais surtout la maman endettée qui est vraiment super gênante : elle commence à esquisser un mouvement d'orgueil au début du film pour ensuite manger dans la main du couple de Gillain avec un regard reconnaissant de chienne battue et une bouche qui restera close jusqu'à la fin. Quand on voit que Gillain veut finalement caser ensemble cette mère endettée et son débile de mari après sa mort, on se dit que ce film montre malgré lui la gêne et la perversité d'un certain altruisme qui s'apitoie sur le sort des malheureux pour en faire des faire-valoir. Et en même temps c'est moche se dire ça parce que Gillain n'est pas beaucoup mieux lotie avec ses chimios... Mais ce personnage de mère endettée est à ce point dépeinte comme absente à elle-même que je n'ai vraiment pas pigé à quoi invite Lioret pour la société, sinon à se complaire dans le marasme.

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  2. T'as essayé Spasfon, Smeclax, Aspro500, Chiartex ? Stu veux jte parraine, je suis abonné aux laboratoires Boiron ! C'est chaud que t'aies le bide toujours aussi québlo après avoir vu un movie aussi "à chier".

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  3. Quant à moi j'ai lu cet article sur les djocs par solidarité...

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    1. "sur les djocs" ?

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    2. Ouais, j'avais les flancs posés sur la lunette quoi !

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    3. (Belgique) (Argot) (Vulgaire) Toilettes, WC, chiottes.
      J'étais pressé et je ne savais pas où étaient les djocs.

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    4. Ah, d'accord ! Je n'avais pas saisi le mot "djocs" ! :D

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    5. Content de l'apprendre !

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  4. Tiens,j'ai pas detesté Wlecome.
    C'était trop académique,mais bon film pour ma part.

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    1. Pas vraiment "détesté" non plus. En fait, j'en ai quasiment aucun souvenir... Le mot "médiocre" me semble employé à bon escient.

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  5. Et puis ça s'éparpille carrément quand Lindon se prend pour Paul Newman dans "The Verdict", et potasse la loi en vieux bourlingueur en alternant les mines désabusées et les lueurs d'espoir de conquérir les juges véreux. Ce sont des bouffées d'air désempuanté salutaires !

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    1. Complètement. Je vois que nous avons vécu le film exactement de la même façon. (Parce qu'en réalité je suis allé plus loin que je ne le dis dans ma critique, et j'ai même fini le film !)

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    2. "Agree to agree" comme on dit dans la langue de Goethe :-)

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    3. Il y a un passage qui m'a plutôt plu lorsque je l'ai vu pour la première fois et qui a eu sur moi l'effet d'une vraie bouffée d'air frais : cette scène où Lindon laisse deviner à Marie Gillain l'astuce judiciaire qu'il a déjà trouvée pour espérer tourner le procès à leur avantage. Grâce aux charmes des deux acteurs, au regard pétillant du beau Lindon et à celui très attendrissant de la belle Gillain, ça m'avait vraiment fait du bien de voir ça.
      Et puis quelques temps après, j'ai voulu montrer ce court extrait à Rémi, et à la revoyure, ça ne m'a rien fait du tout. Sortie du contexte grisâtre et ultra plombant du film, cette scène n'a pas le même charme...

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    4. J'y aurais pas pensé mais je comprends, oui, et ça légitime la question du rôle de faire-valoir attribué aux malheurs et déboires. En fait on a un niveau d'initiative au strict minimum puisque constamment freiné par les montagnes d'obstacles qui sont censés le faire d'autant plus reluire... drôle de procédé.

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  6. Welcome était déjà un film sociétal "engagé" uuuuuuuuuultra déprimant et plombant qui poussait plus à l'inertie qu'à la révolte...

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    1. Celui-ci est pire encore. Pire encore !

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    2. J'en doute pas. Je ne veux pas le voir. En tant que fan maboule de Marie Gillain je ne veux pas me faire du mal, et la voix souffrir d'un cancer dans un film cafardeux va me faire du mal.

      Le pire c'est que ce film est quand même adapté d'un roman d'Emmanuel Carrère ("D'autres vies que la mienne"), écrivain que je tiens en très très haute estime et dont je déplore l'adaptation assassine par Lioret telle que cet article la décrit et l'enterre sans appel.

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    3. Emmanuel Carrère = La Moustache (avec Vincent Lindon)
      Emmanuel Carrère = L'adversaire de Nicole Garcia
      Emmanuel Carrère = Toutes nos envies

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    4. Eh ben... j'ai vu les trois films et n'ai lu aucun des livres, et ils sont tous glauques et m'ont chacun épouvanté.

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    5. J'ai lu L'Adversaire et La Moustache, le premier livre est excellent, le second est pas mal, les deux films sont ratés (y compris La Moustache, adapté par Carrère lui-même, qui avait été meilleur caméra au poing pour son documentaire Retour à Kotelnitch). Je n'ai ni lu ni vu le troisième, quoique si, je l'ai "vu" en lisant cet article :)

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    6. As-tu vu "L'emploi du temps" ? Et si oui l'as-tu apprécié ?

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    7. Non, de Cantet je n'ai vu que Ressources humaines et Entre les murs, que j'ai tous deux appréciés dans les limites de leurs genres. Et toi ?

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    8. Je l'ai vu oui, et trouvé un gros cran au-dessus de la version de Garcia (pas dur quand on voit les merdes qu'elle fait celle-là c'est flippant (je me réfère surtout à "Selon Charlie" qu'il vous faut éviter comme la peste)).
      Cantet arrive à capter la peur du regard des autres chez son personnage, et à la mettre en scène de façon plutôt réussie, surtout dans ses rapports avec sa famille, où on retrouve le talent de Ressources Humaines. Cela dit je l'ai trouvé un brin moins bon que les deux que tu as vu, et que j'ai beaucoup aimés !

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    9. Je vais essayer de le voir, ça m'intéresse. Le bouquin était vraiment génial, et à côté l'adaptation de Garcia profondément sans intérêt. De toute façon les films de Nicole Garcia...

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    10. Ah ça si Bertrand Cantet avait réalisé ce film, toutes ces greluches geignardes auraient fini la gueule dans le radiateur ! C'aurait été autre chose !

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  7. "Toutes nos envies" ? Ni de viande ni de navet, merci !

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  8. Encore un film que je n'irais pas voir. Merci, grâce à vous je vais devenir riche, car je vais me constituer une petite cagnotte, alimenté d'un euro pour chaque film non-vu.

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  9. Ce que j'aimerais, c'est que tes beaux-parents lisent cet article !

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