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12 février 2022

Une Vie démente

Nouvelle soirée-débat dans mon ciné de quartier attitré. Au programme : Une Vie démente, le premier long métrage d'un jeune duo prometteur qui nous vient de Belgique, Raphaël Balboni et Ann Sirot. Remarqué en France et acclamé dans son pays, ce film nous propose de rire de la maladie d'Alzheimer. A priori, pourquoi pas. Personne n'en souffre (pour le moment) dans ma famille, ce n'est pas un sujet sensible pour moi, et je suis très ouvert, j'ai tendance à accepter toute invitation à me poiler. La question du soir était "Comment réagir face à la maladie ?" et on sentait déjà que les organisateurs avaient galéré pour la trouver, optant au bout d'un long brainstorming pour le truc le plus bateau qui soit. A mon avis, ça allait encore faire un four complet, surtout par les temps qui courent, je craignais le pire et, à vrai dire, j'avais peur que l'on retombe dans la polémique autour de la vaccination. A moins que le film soit vraiment léger, fendard et engendre une atmosphère apaisée, propice aux échanges relax... 


 
 
Bon, comme d'hab, la présentation du programmateur avant la projo laissait carrément à désirer. En charge de la captation sonore de l'événement, je peux vous la restituer par écrit. "Bonsoir à tous ! Merci d'être venu si peu nombreux ! Soirée de dingo en perspective avec ce film, Une Vie démente, que je vais vous présenter rapidos. Premier bon point : sa durée. 87 minutes. Ça fait un bien fou ! A l'heure où la moindre connerie dure 2 plombes 30, voici un petit film vite vu qui va pas vous flinguer la soirée. Que vous ayez pu ou non bouffer avant, on s'en fout, c'est pas grave, vous allez survivre ! A 22h30, tout le monde sera rentré, on aura plié boutique, et vous serez au dodo de bonne heure, pas de souci là-dessus. Ce film-là va pas vous niquer la nuit. Deuxième bon point : c'est belge ! Et qui n'aime pas les belges ? Brel, Poelvoorde, Hepburn, Godard, Tintin, Titeuf... Bref, à part leur équipe de foot, franchement, tout le reste, on prend, non ?! Enfin, troisième et dernier bon point : ça a fait un tabac outre-Rhin, avec 12 nominations aux Magritte à la clé, leurs César à eux. Un record ! Ouais bon ok, c'est le cinéma belge hein... Pour vous donner une idée du niveau, Mr Nobody les avait tous raflés à l'époque. Jaco Van Dormael plane au-dessus de la mêlée là-bas... Bref, ça veut rien dire, ok... * brouhaha dans la salle* Alzheimer, ça vous parle ? Non, personne ? se met à lire un papelard tout chiffonné qu'il sort de sa poche Vous allez voir, le film s'attaque à ce sujet et interroge notre rapport à la maladie et, plus globalement, au vieillissement de nos parents. Il file des solutions pour continuer à kiffer plutôt que de nous coller une grosse déprime. Bref, ce soir, je vous propose un film belge de 87 minutes qui file pas le cafard, et c'est déjà pas mal pour vous donner envie. On se retrouve après la séance, moi je me le suis déjà farci, et une fois, ça m'a suffit. A tout' !" 


 
 
La séance a effectivement été émaillée de quelques rires. C'était pas la franche marrade, mais c'était déjà pas mal compte tenu du sujet, bel et bien abordé sous un angle positif, parfois comique et presque jamais plombant (on note tout de même un petit ventre, si ce n'est mou, au moins un brin morose). Surtout, le film de Raphaël Balboni et Ann Sirot a la chic idée de nous quitter sur une note optimiste, assez jolie même et, dans ces cas-là, la dernière impression, ça compte drôlement. Le duo parvient presque tout le long à trouver un juste équilibre, notamment parce que les personnages en présence, incarnés par des acteurs agréables, sont tous sympathiques et attachants, chose assez rare pour être soulignée. On suit donc Alex et Noémie (impeccables Jean Le Peltier et Lucie Debay), un couple de trentenaires qui envisage d'avoir un enfant quand la santé mentale de la mère d'Alex (bluffante Jo Deseure) se met à décliner progressivement. La maman retombe d'une certaine façon en enfance, devenant par la même occasion une sacrée charge pour le couple, qui revoit ses plans, doit beaucoup s'en occuper et décide de faire appel à un garde-malade, également très cool (excellent Gilles Remiche, le sosie exact d'un pote déjà super cool). 


 
 
Par une mise en scène faite de jump cuts en veux-tu en voilà, les cinéastes ont semble-t-il cherché à laisser libre cours à l'improvisation des comédiens, entre lesquels règne une délicate alchimie. Le résultat est souvent captivant et amusant. Certaines scènes, où nous voyons la maman, accompagnée de son fils ou du couple, se rendre à la banque, chez le médecin, ou à la caisse des retraites, sont visuellement plus osées : les personnages sont alors vêtus de tenues assorties aux décors, comme pour nous indiquer que la maladie concerne tout l'entourage. Ce décalage visuel permet au passage d'esquiver l'horreur de ces lieux anonymes, participe à désamorcer la lourdeur des situations dépeintes (madame a fait n'importe quoi avec sa retraite, madame découvre le sérieux de son état de santé sans le comprendre, madame échoue aux tests de mémoire les plus simples, etc.) et s'avère donc plutôt bien vu. Cette même astuce visuelle est appliquée à la chambre du jeune couple où pyjamas, abat-jour, tapisserie et compagnie s'harmonisent avec la parure de lit offerte par la mère dans l'une des premières scènes, là encore pour nous montrer, sans doute, comment la maladie s'immisce partout, teinte leur vie, même dans la plus grande intimité. Une petite idée simple et sympathique, à l'image du film. 




Malgré l'atmosphère bon enfant qui régnait dans la salle et s'annonçait propice à des échanges courtois, cette nouvelle soirée-débat a de nouveau tourné court. L'ambiance est retombée d'un coup dès qu'a reparu le programmateur, auteur d'une énième maladresse, cette fois-ci fatale. Celui-ci a eu la mauvaise idée de se pointer alors que le générique de fin n'était pas encore tout à fait terminé. Il faut savoir que mon ciné de quartier est exclusivement peuplé de spectateurs intégristes, du genre à tomber sur le râble du profane à la moindre occasion et notamment dès qu'un malotru a l'outrecuidance de se lever de son siège alors que les lumières ne se sont pas rallumées. Les connaissant bien, pour m'être moi-même déjà fait sévèrement rabroué quand j'avais eu le malheur de ronfler durant le dernier Roy Andersson, je me doutais que ça n'allait pas louper. Le retour du programmateur a provoqué un échange étonnant... Une voix très calme venue du fond de la salle a demandé à l'infortuné, sur un ton faussement amical, "Dis, ils faisaient quoi comme métiers tes parents ?", ce à quoi l'autre a répondu avec une belle sincérité "Ma maman était femme au foyer et mon père programmateur de ce cinéma même, pourquoi ?", puis, toujours avec cette même douceur trompeuse et un ton interrogatif surjoué, "Ils n'étaient donc pas vitriers, par hasard ?", "Euh non, pourquoi ?", et là, comme un coup de tonnerre : "Alors DÉGAGE !!". Les murs de la salle et mes propres tympans en vibrent encore... Un léger malaise s'en est suivi, plus personne ne mouftait. Les lumières enfin rallumées, le programmateur n'est guère revenu, on est tous sortis lentement, en regardant nos pompes, dans le plus grand respect de la distanciation physique et des gestes barrières. 
 
J'étais au lit sur les coups de 22h30.


Une Vie démente de Raphaël Balboni et Ann Sirot avec Jean Le Peltier, Lucie Debay, Jo Deseure et Gilles Remiche (2021)

24 novembre 2019

Nos batailles

Le plus compliqué est de survivre au premier quart d'heure. Guillaume Senez plante le décor au marteau-piqueur. Quelque part dans un coin grisâtre du nord de la France, Romain Duris est chef d'équipe au sein d'un immense entrepôt de vente en ligne. Syndiqué, il tente vainement de défendre les droits d'un des salariés, plus tard licencié, qui finira par se tailler les veines. Ambiance... Entre temps, le cinéaste belge nous a aussi dépeint en quelques coups de pinceaux cruels le terrible quotidien de la femme de Romain Duris, incarnée par une Lucie Debay condamnée à ne faire que chialer et tirer la tronche. Celle-ci bosse dans un petit magasin de fringues et s'occupe seule de leurs deux gamins. Lors de l'unique scène où nous la voyons dans sa boutique, elle tombe dans les pommes après qu'une de ses amies n'ait pas pu lui régler une robe à 59€ (carte bleue refusée, "On n'est que le 12 du mois pourtant ?!", pleurs, tout y est...). Guillaume Senez n'y va pas avec le dos de la cuillère, il nous flingue le moral d'entrée de jeu à bout portant. On se croirait alors devant un très mauvais film social, accumulant les couches de désespoir pour mieux nous maintenir entre ses griffes. Heureusement, le pire est déjà derrière nous. La maman met les voiles sans laisser d'adresse et le film se concentre sur ce père qui va essayer de s'en sortir avec ses mômes et devra repenser ses priorités.




Romain Duris, que l'on a dernièrement vu surnager dans des films médiocres tels que Tout l'argent du monde ou Fleuve noir, est ici irréprochable et trouve à coup sûr l'un de ses meilleurs rôles. A la recherche d'une certaine authenticité, Guillaume Senez a semble-t-il invité ses acteurs à improviser leurs dialogues, leurs réactions. Romain Duris s'avère très à l'aise avec le choix payant du réalisateur, il porte le film sur ses épaules et lui influe une belle énergie. Dans le rôle de sa sœur venue temporairement lui prêter main forte, Lætitia Dosch apporte quant à elle une touche de fraîcheur et de légèreté tout à fait bienvenue, pour la petite famille comme pour le spectateur avec, à la clé, quelques beaux moments de complicité. Très aidé par ses comédiens, Guillaume Senez parvient donc à faire exister ses personnages, à rendre compréhensible leur évolution. Il trouve également un assez bon équilibre entre la chronique sociale et le drame intimiste, le tout formant un ensemble plutôt cohérent. Passée sa mise en place pénible et cafardeuse, Nos batailles est en fin de compte un film assez délicat qui évite de justesse les travers propres à ce cinéma-là et parvient même à émouvoir. Un "feel good movie social", comme dirait l'autre...


Nos batailles de Guillaume Senez avec Romain Duris, Lætitia Dosch, Laure Calamy, Lucie Debay, Basile Grunberger et Lena Girard Voss (2018)