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1 avril 2023

À Couteaux tirés

Il y a une réplique de ce film qui m'a toujours flingué. Elle est restée gravée en moi à jamais sans que je comprenne vraiment pourquoi. Ce n'est pourtant pas un film que je me suis repassé en boucle quand j'étais gosse, non, il ne faisait pas partie de ceux-là. Il a suffit d'une fois. Ou peut-être de deux... Oui, je crois que c'est ça : je l'avais maté un soir sur Canal avec mon padre, on avait tous les deux été scotchés. Puis il était repassé quelques jours plus tard, un matin, comme la chaîne cryptée le faisait alors, et il nous avait de nouveau scotchés. C'est ce genre de films-là, qui peut facilement scotcher un gosse et son padre. Je ne le reverrai pour rien au monde, je veux garder intact le bon souvenir qu'il m'a laissé et que j'aurais trop peur d'abîmer. Cela fait partie des moments magiques de mon enfance, les deux seuls passés avec mon padre. Il ne faudrait pas les altérer... 


 
 
C'était le troisième film de l'artiste néo-zélandais Lee Tamahori, son deuxième tourné sur le sol américain. Un tapis rouge lui avait été déroulé, des luxueux studios d'Hollywood jusqu'à son magnifique wharenui de Wellington, suite au retentissant succès de L'Âme des guerriers, "l'un des chocs cinématographiques de l'année 1994" selon le magazine Première, qui ne produit plus tout à fait le même effet au XXIème siècle (je ne remets pas en cause sa valeur historique, mais il a assez mal vieilli, il faut l'avouer). Lee Tamahori, qui avait commencé à faire ses gammes en tant qu'assistant de Nagisa Ōshima sur le tournage de Furyo, où il s'était chargé de toutes les scènes de guerre (80% du métrage), constituait alors un bel espoir pour le cinéma d'action américain, désireux de recruter les meilleurs talents de l'étranger, tel le Milan AC de l'époque et encore d'aujourd'hui (bravo à Olivier Giroud d'avoir su conjurer la malédiction des numéros 9 milanais). Avec ce survival de montagne d'une redoutable efficacité, Lee Tamahori s'avérait tout à fait à la hauteur des attentes placées en lui, ça ne faisait en tout cas aucun doute aux yeux d'un gamin de dix ans avide de sensations fortes et d'expériences extrêmes vécues dans le confort de son salon.


 
 
Le cinéaste néo-zélandais étalait ici le savoir-faire d'un artisan méticuleux, soucieux de faire briller à l'écran chaque dollar qui lui avait été généreusement alloué, heureux de s’amuser avec ses nouveaux jouets dans un vaste bac à sable aux mille possibles. Tamahori tirait le maximum d'un scénario très carré signé d'un expert autoproclamé, David Mamet, et obtenait le meilleur de sa petite troupe d'acteurs, toutes espèces comprises. Alec Baldwin, qui était à l'époque principalement connu pour être Monsieur Kim Basinger, se présentait comme le choix idéal dans ce rôle de photographe glamour fourbe et égoïste. Il est très convaincant et, privé d'arme à feu, on le sent réellement préoccupé par sa propre survie. Le cabotinage cher à Anthony Hopkins avait rarement été si bien canalisé, placé au service d'un récit à l'os. La puissance de la fameuse réplique dont je tarde tant à vous parler (rappelez-vous, si vous êtes encore là, mon premier paragraphe), c'est aussi et surtout à lui qu'on la doit. Enfin, Lee Tamahori a su exploiter à fond tout le potentiel cinégénique ultra flippant de Bart the Bear, l'ours vedette des années 90, dangereux miracle de la nature et comédien-né qui jouait hélas ici dans l'avant-dernier film d'une carrière trop courte mais imprimée sur toutes les rétines et gravée à jamais dans les mémoires. 



 
 
À la différence de notre sinistre compatriote Jean-Jacques Annaud (John-Jack Ring en anglais), qui s'était focalisé sur le côté peluche vivante de ce majestueux kodiak pur sang, le réalisateur océanien s'est affairé à nous en révéler la face obscure, féroce, bestiale et primitive. Lee Tamahori est allé très loin pour agacer l'ours surdoué, le faire régresser à l'état sauvage, afin de le mettre dans les meilleures dispositions avant de le filmer, écumant de rage et d'incompréhension. La peur des deux acteurs, enfin solidaires face à plus fort qu'eux, n'est jamais feinte. C'est en s'appuyant sur de vieilles techniques maories et en profitant des largesses alors permises par une réglementation de protection animale plus souple qu'aujourd'hui que Lee Tamahori a poussé l'animal, tenu affamé, dans ses derniers retranchements, pour un résultat tout bonnement insoutenable à l'image. C'est notamment cette haine farouche pour l'être humain, inculquée par l'imaginatif cinéaste à la manière forte, qui a conduit Bart à se retirer du métier et à finir ses vieux jours oklm dans une réserve naturelle de l'Utah, d'où il pouvait tout de même garder un œil sur les films diffusés à Sundance. 


 
 
Le critique de cinéma newyorkais Kenneth Turan Turan, très impressionné par The Edge (titre original du film), qualifia la performance de Bart de "pierre angulaire d'une carrière illustre", de "balise de repérage pour tous nos amis plus poilus", de "x marquant l'emplacement d'un trésor d'acting foudroyant à voir et à revoir", de "point d'achoppement d'une filmographie déjà légendaire" et d'"une étape importante dans la représentation des ours au cinéma et dans le jeu d'acteur ursidé" (traduction difficile, réalisée par mes soins). Je le rejoins sur tous les points. Nulle discussion possible : À Couteaux tirés marque bien le sommet d'intensité de la filmographie de celui que l'on a surnommé le "John Wayne des ours" en référence à sa classe nonchalante, son incroyable présence à l'écran et sa démarche claudicante (ndlr : due à un genu varum naturel pour l'ours, pathologique pour son duplicata humain).



 
Et il y a donc, j'y viens !, cette réplique terrible qui m'a beaucoup marqué et que je me plais encore à ressortir à la moindre occasion, quitte à lasser ma partenaire de PACS lors de nos longues promenades dominicales. Pour planter rapidement le contexte, il faut savoir qu'Anthony Hopkins et Alec Baldwin sont donc paumés en forêt, au beau milieu des Rocheuses, dans un coin certes assez humide et verdoyant mais pas spécialement hospitalier puisqu'il s'agit de la chasse gardée d'un ours de type colossal et belliqueux qui a une interprétation très stricte du concept de propriété privée. Une certaine rivalité lie les deux hommes que tout oppose : l'un est un vieux briscard plein aux as rompu aux jeux de survie en plein air tandis que l'autre est un citadin pur jus assez peu friand de randonnée. Surtout, ils se disputent la même femme : Elle Macpherson, que l'on surnommait à l'époque The Body, qui incarne ici une top modèle (car elle ne savait et ne pouvait pas jouer autre chose, faute de crédibilité et de talent). Entretenue par l'un, photographiée par l'autre, Elle (Macpherson) est la femme du millionnaire grisonnant et l'as de la pellicule est son amant. Hopkins étant au courant de tout, comme le spectateur, nous n'avons plus qu'à attendre sagement que les choses dégénèrent. Mais rien ne se passe tout à fait comme prévu et le règlement de comptes tant espéré va laisser place à une coopération tendue et forcée, seule condition pour que notre duo d'infortune, jeté dans la gueule de l'ours, garde espoir de s'en tirer. 


 
 
Alors qu'ils n'ont pas encore eu affaire au kodiak survolté, dont la présence menaçante se fait toutefois de plus en plus palpable à mesure que l'on croise en chemin ses immondes déjections, attestant d'un régime équilibré de carnivore vorace amateur de baies, et découvrons, stupéfaits, des pièges à ours soigneusement démantelés, soulignant l'intelligence supérieure du mammifère vicieux, les deux marcheurs tournent en rond et finissent par s'assoir dos à dos sur un rocher. Leur moral est au plus bas, surtout chez Baldwin, de loin le plus fragile psychologiquement. Le voyant pris d'incontrôlables sanglots, Tony Hopkins se relève, lui fait face et essaie de le recadrer, tel l'impuissant coach du PSG à la mi-temps d'un match retour couperet de 1/8ème de finale de Ligue des Champions. C'est alors que l'acteur britannique doublement oscarisé sort le grand jeu. "Sais-tu de quoi meurent les guignols qui se perdent en montagne ?" demande-t-il à son triste compagnon. "Nope", répond tout penaud Baldwin, en relevant tout juste la tête. Et à Hopkins, lucide et dur, qui a bien préparé le coup, très sûr de ses effets, d'enchaîner, avec un ton inimitable, le regard plus perçant que jamais, les poings sur les hanches, les pieds bien enfoncés dans les fougères, sa stature droite surplombant son pitoyable interlocuteur : 

"Ils meurent de honte."

 
 
J'étais cloué. Mourir de honte ?! Comme c'est cruel... De soif, de faim, de froid, d'une mauvaise chute, d'empoisonnement ou que sais-je, d'accord, c'est d'ailleurs ce que propose bêtement Baldwin lors de pénibles énumérations improvisées par le comédien, soucieux de montrer qu'il pouvait faire face à l'aplomb de son intimidant collègue britannique, et systématiquement coupées par le metteur en scène car cela ne collait pas du tout au script. Mais crever de honte ?! Quel effroi ! Si la tension dramatique du film atteint son apogée un peu plus tard, lors de la fameuse rencontre musclée avec un Bart the Bear devenu Bart the Beast, le véritable climax psychologique de ce thriller sylvestre est bel et bien contenu dans ces simples mots, prononcés avec un soin maniaque par celui qui était jadis si à l'aise dans la peau du génie du mal Hannibal Lecter. Des propos qui nous marquaient au fer rouge, dont j'ai retenu malgré moi la moindre syllabe et au-delà. Ils me sont utiles à chaque sortie, quand le temps du demi-tour salutaire et du retour à la maison se fait désirer. On peut en tirer une morale toute simple : il ne faut pas avoir honte d'appeler les secours quand on est paumé en montagne. Ne croyez pas l'adage : le ridicule peut tuer, oui, s'il vous empêche de reconnaître votre échec, d'accepter que vous avez merdé, de voir la réalité en face et d'appeler piteusement à l'aide. C'est, au milieu des frissons, la grande leçon que l'on peut garder du survival incisif de Lee Tamahori. 
 
 
 
 
Oubliez donc la plutôt agréable partie de Cluedo filmée de Rian Johnson, quand bien même vous êtes un admirateur gaga d'Ana de Armas comme mon frère Poulpard – qui a toujours eu un faible pour les latinas. Des À Couteaux tirés, il n'y en a qu'un seul, c'est celui-ci. Et continuez de vous méfier de Lee Tamahori. Je suis persuadé que le bonhomme en a encore sous le capot. Il n'y a qu'à voir des photos récentes de lui pour constater qu'un feu ardent diabolique, constamment alimenté par son âme damnée, brûle encore derrière son regard si noir et pénétrant. À tout moment, il peut décider de revenir et redistribuer les cartes. Je ne serai pas étonné qu'il sorte de sa retraite pour casser la baraque et rappeler à tous qui est le patron. Moi, je vous aurai prévenus.


À Couteaux tirés (The Edge) de Lee Tamahori avec Anthony Hopkins, Alec Baldwin, Bart the Bear et Elle Macpherson (1997)

19 décembre 2013

Belle et Sébastien

On souligne toujours la "performance" de ces films qui donnent la part belle aux enfants ou aux animaux. La millième adaptation de Belle et Sébastien réunit ces deux gageures, et on l'en félicite en l'applaudissant des deux mains. Mais des deux bestiaux, disons-le, l'un est tout de même plus facile à manœuvrer que l'autre. On veut bien évidemment parler du clebs, puisque qu'il en existe des wagons, autant de Sébastien interchangeables à souhait. C'est le truc à ne pas dire pour ne pas faire retomber la magie du film, surtout aux yeux des gamins qui raffolent de ce genre de contes humanistes. Dès qu'on leur avoue que ce chien des quais qu'ils ont tant adoré n'était jamais le même à chaque contrechamp, et que le réalisateur devait composer avec toute une portée de clébards identiques, choisissant toujours le premier à avoir vidé sa gamelle pour le propulser devant la caméra à l'aide d'un grand coup de pied au cul, les enfants ont envie de crever. Tout l'intérêt du film s'estompe en effet, on leur a menti, on les a trompés, on les a pris pour des cons. 


Nicolas Vanier, aka "Nicolas Vanilla Sky", sur le plateau du film, en compagnie de Sébastien 1, Sébastien 5, Sébastien 7, Sébastien 4, Sébastien 2, Sébastien 3, Sébastien 6 et Sébastien 18.

A ce petit jeu-là, seul Annaud, Jean-Jacques Annaud, est resté droit dans ses baskets, portant Bart the Bear au pinacle dans L'Ours. Bart the Bear n'est autre, rappelons-le aux plus jeunes, que l'ours éponyme du petit chef-d’œuvre d'Annaud, un bestiau unique en son genre et fringuant tous les matins. C'est aussi le dernier grizzly d'Europe, qui a assisté à la mort de sa mère pour les besoins du spectacle, et qui nous a livré à cette occasion l'un des regards-caméra les plus troublants de l'histoire du cinéma. Bart the Bear a ensuite traversé l'Atlantique à la nage pour assiéger Hollywood, vaisseau-mère de l'industrie du 7ème Art, afin de révéler au monde l'horreur de ces élevages en masses de clones animaliers destinés à se partager le devant de la scène dans tous ces films vendus aux enfants naïfs. Bart, à cette occasion, a brisé ses chaînes et fait irruption sur le plateau du film A Couteaux tirés (At a arm left) pour niaquer Sœur Anthony Hopkins, dont il avait peu goûté la prestation minable en Van Helsing dans le Dracula de Coppola, adapté de son roman de chevet. Par chance, Lee Tamahori, réalisateur de son état, était là, caméra au poing, œilleton vissé au front, et a capté la scène pour ensuite construire un film autour de cette image-choc. 


Sur ce cliché, Sébastien 3, après une rude journée de tournage, prépare déjà le spin-off du film, annoncé pour 2016. On peut déjà voir que deux futurs Sébastien seront mis de côté à cause d'un mince défaut de pelage à la naissance du zob, et seront abattus puis dépecés. On ne gardera d'eux que leur pelage qui, même imparfait, servira à l'isolation des murs d'un orphelinat. La peau de Berger des Pyrénées est un isolant inflammable de première qualité que le jeune public du film sera ravi d'avoir dans ses murs.

Pour revenir au film, Belle et Sébastien est donc beaucoup moins honnête et puissant que n'importe quel Annaud. D'ailleurs, en passant, procurez-vous toute sa filmo, ses neuf films, et surtout l'avant-dernier, Sa Majesté Minor, l'Annaud de pouvoir, parce qu'il faut se l'enquiller, faut se le foutre au doigt sans verser la larme, un Annaud pour les gouverner tous, un Annaud pour les trouver, un Annaud pour les mater tous et dans les ténèbres les lier, et pour être invisible en soirée aussi, parce que si vous avez l'intégrale d'Annaud à la maison vous êtes certain d'être poliment ignoré même à domicile. En parlant de Jean-Jacques Annaud, on notera la présence au casting de Tchéky Karyo, son acteur fétiche, venu sur le plateau du nouveau film de Nicolas Vanier entre deux gardes-à-vue pour stationnement sur passage clouté, et qui incarne ici l'abominable bonhomme des neiges sans maquillage. L'acteur a sans doute accepté le rôle avant qu'un réalisateur ne soit appelé à la rescousse suite au refus de l'auteur de La Guerre du feu, que Tchéky vénère et qu'il appelle "Le Nécromancien". Un mot sur Belle quand même, la gamine du film, qui quant à elle a passé du bon temps sur le tournage, à cheval sur le dos de Séb', qu'elle appelait "Bastien" quitte à systématiquement faire tressaillir toute la meute de clébards du film. La petite Belle, avare en images chocs mais gourmande en DéliChocs, de Delacre, est assez masculine d'aspect et rend donc peu hommage au prénom de son personnage, tout comme son prédécesseur, Mehdi El Glaoui, qui a bien vieilli mais qui joue dans le film. C'est le problème de toutes ces filles qui s'appellent Linda ("bonne" en portugais), sauf qu'ici le contraste est encore plus saisissant entre le sens du prénom et l'horreur de ce gosse recouvert de poils blancs et cavalant à quatre pattes dans la neige.


Belle et Sébastien de Nicolas Vanier avec Félix Bossuet, Tchéky Karyo, Margaux Chatelier et Mehdi El Glaoui (2013)

12 février 2008

Next

Tout droit venu de New Zealand (Oceania), Lee Tamahori nous lâche enfin son dernier film sorti de derrière les fagots. Alors faut connaître le bonhomme pour aimer. Lee Tamahori, c'est 60 balais dont 26 passés derrière les barreaux et 34 dans une caravane en plein milieu rural néo-zéolandais. Quand le type a découvert l'urbanisme, à 34 ans, ça lui a fait un choc et il a tout de suite sombré dans le trafic de drogue et de cartes Magic.

Ce film, de par ses milles facettes et son Nicolas Cage au bord du gouffre capillairement parlant, est une nouvelle part de sa personnalité. Il faut vraiment connaitre ce vieux bonhomme qu'est Lee Tamahori pour piger et blairer ce movie d'outre-tombe. Jessica Biel est de tous les plans et faudrait louer des lunettes en 3D à l'entrée des salles de cinoche pour jauger sa plastique comme il faut tant elle a du relief. Elle envoie le gros bois vert, y'a pas à dire.



Moi j'ai aimé car j'aime Tamahori et sa vision unique du cinoche contemporain. Acceptez donc de faire un bout de route avec lui ! C'est 6 euros et ça en vaut peut-être 20.


Next de Lee Tamahori avec Nicolas Cage et Jessica Biel (2007)