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15 août 2023

Christophe / Trilogie pour un homme seul / Le Come-back de Baquet

Trois films de montagne, trois films de Nicolas Philibert, parmi ses premiers, trois films avec Christophe Profit, alpiniste principalement connu pour totaliser 10 ascensions de la face Nord de l'Eiger et pour avoir accompli la première ascension de l'arête Nord-Ouest du K2 avec Pierre Béghin le 15 août 1991. Mais les trois films dont il est question ici ont été tournés avant ça. Respectivement en 85, 87 et 88. Le premier, Christophe (je l'aurais plutôt intitulé Profit, car le patronyme de notre grimpeur originaire de Normandie sonne bien : personnellement je prononce Profit avec le 't', contrairement à ce qu'il faut faire, en hommage au titre de cette série des années 90, Profit, avec Adrian Pasdar dans le rôle éponyme), le premier donc, Christophe, est un film d'une demi-heure qui suit en toute simplicité et sur un rythme vif l'ascension en solitaire et en escalade libre, par un beau jour de soleil, de la face ouest des Drus, gigantesque façade de 1100 mètres au cœur du massif du Mont-Blanc. Le film est, quelque part, vaguement proche de Cerro Torre Cumbre, sorti la même année, par sa vivacité, sa légèreté de ton et son côté musical, jovial, effréné, mais en moins beau, il faut le dire, et avec une part de scénarisation en plus, peut-être en trop.
 


C'est un film quasiment sans paroles, sauf celles que l'on entend au début du film, préenregistrées par Christophe Profit sur son répondeur, demandant de lui laisser un message pendant son absence, et celles, d'encouragement ou de réconfort, que l'on entend sur une cassette de répondeur emportée en montagne et que l'alpiniste écoute lors d'une pause. Les seuls mots que prononce Profit pendant l'ascension sont "merde" et "bordel de merde", lors d'un passage particulièrement difficile où l'alpiniste semble coincé (guère longtemps). A part ça, on entend très fort son souffle, et il y a de quoi se sentir épuisé pendant 30 minutes à le regarder se démener sur la face presque lisse des Drus qu'il escalade sans sécurité. La fin du film, un peu surfaite, où Christophe escalade la paroi d'un immeuble pour rejoindre des amis qui festoient sans lui, comme s'ils l'avaient oublié, surligne une solitude déjà bien présente dans le film et qu'il n'était pas besoin de rappeler.

 


Le chiffe trois, c'est aussi le nombre de personnages de ces trois films. Il y a Profit, bien sûr, fil conducteur, absolument seul dans Christophe, mais plus seul du tout dans les deux suivants : le deuxième film, Trilogie pour un homme seul (encore trois), est un film de montagne et un film d'amour. C'est d'une triple ascension dont il est question ici, réalisée en deux jours et une nuit, les 12 et 13 mars 1987. Profit est alors âgé de 26 ans, et il a déjà accompli l'enchaînement qu'il tente à nouveau, mais cette fois-ci l'ascension sera hivernale. En 40 heures, il escalade les trois plus grandes faces nord des Alpes : Grandes Jorasses, Eiger et Cervin. Encore une fois, c'est de l'escalade libre, et Profit n'est assisté que pour redescendre des sommets (belles séquences de sauts en parapentes, où tout paraît soudain si léger) et pour être transporté du pied d'un sommet à un autre, en général en hélicoptère.

 


Si l'ascension des Drus, dans Christophe, paraissait facile, malgré un passage compliqué, filmé de près et dans la durée, ici on sent vraiment la difficulté. Non pas que la caméra passe beaucoup de temps avec Profit sur la paroi (l'escalade est plutôt filmée de loin, ou en hélicoptère), mais le film se focalise sur ses arrivées aux sommets. On voit alors l'alpiniste épuisé, vidé, frigorifié. Cela ne dure que quelques minutes, car un thé chaud semble suffire à le requinquer et notre homme, frais et dispos, de repartir à l'aventure. Mais ce qui le remet sur pied, c'est surtout sa femme, Sylviane, qui l'aidait à s'entraîner pour cet exploit dans les premières séquences du film, et qui est toujours là au sommet pour l'attendre, l'accueillir, le prendre dans ses bras, l'embrasser, le réchauffer, le nourrir et l'encourager. 

 


Le titre est donc trompeur, Profit n'étant jamais véritablement seul, par opposition à l'image ébauchée par Philibert dans Christophe. Son épouse, Sylviane, est aussi là pour parler à Profit par talkie walkie, notamment quand, en pleine nuit, ses deux piles au lithium le lâchent, le laissant sans lampe frontale, obligé d'interrompre l'escalade pendant trois heures à flanc de montagne, dans le noir et le froid : l'une des séquences les plus fortes, où Profit est réduit à une voix tandis que nous sommes avec Sylviane, qui lui donne du courage.



 

Ayant accompli la triple ascension en un temps hallucinant, Profit redescend en hélicoptère, cerné par les journalistes qui ont suivi sa geste. On lui pose alors tout un tas de questions auxquelles il peine parfois à répondre, expliquant qu'il rêvait de faire ça depuis trois ans (italiques pour mettre en valeur cette récurrence du chiffre 3, hautement symbolique, et pour m'éviter d'avoir à insister encore là-dessus par une lourde et longue parenthèse ; symbolique de quoi ? je n'en sais rien, peut-être du triangle, forme simplifiée de la montagne, ou du tabouret, ode à sa fiabilité isostatique ?). Profit dit aussi qu'il n'aurait rien pu faire sans sa femme et qu'il dédie cette victoire à un ami alpiniste disparu peu de temps auparavant.

 


 

Ce qui nous amène au troisième film, Le Come-back de Baquet, et au troisième personnage, Maurice Baquet. Après l'alpiniste solitaire, et l'alpiniste amoureux, l'alpiniste ami. Dans ce film, Christophe Profit n'est plus le personnage central, il joue le rôle de guide (ce qu'il fut dans la vie) et d'intermédiaire. Le personnage principal, c'est Baquet Maurice, violoncelliste et acteur (apparu chez Renoir, Grémillon, Becker, Losey, Lamorisse, Costa-Gavras ou Varda). Petit homme trapu au sourire géant, Baquet a un vague air d'Ernest Borgnine, croisé avec Jean-François Stévenin (dont on aurait pu causer dans ce dossier consacré aux films de montagne). Dans une mise en scène au ton de comédie, on voit le bonhomme débarquer au pied des Alpes 32 ans après sa première escalade de la façade sud de l'Aiguille du Midi, en 1956. Le film de Philibert insère des images d'archives, tirées d'un autre film, Étoiles et tempêtes, où l'on voyait Baquet dans les mêmes lieux à 32 ans de distance. S'il est là, c'est pour refaire la même escalade, en hommage à l'ami qui l'avait emmené en haut à l'époque, le célèbre alpiniste cinéaste Gaston Rébuffat, qu'on ne présente plus. 
 
 

 
Ces temporalités superposées ont quelque chose de touchant, et la personnalité rieuse de Maurice Baquet emporte le morceau, comme dans cette étrange conversation à flanc de montagne où il échange avec un alpiniste japonais qui manifestement ne comprend pas grand chose aux blagues du Français, mais semble bien connaître le nom de Rébuffat, que l'on revoit avec joie dans quelques images, avec sa bonne gueule qui ressemblait vaguement à celle d'Edmund Hillary, dont j'ai déjà parlé ici, lui aussi membre d'un beau duo de grimpeurs. La grimpe, justement, n'est clairement pas au centre de ce film de Philibert, l'amitié si. Et l'émotion de Baquet, quand il embrasse le sommet pour son ami Gaston, est belle à voir.

 


En réalité il existe un quatrième film consacré par Nicolas Philibert à Christophe Profit, La Face nord du Camembert (1985), tourné peu après le premier, Christophe, mais je ne l'ai pas vu et il ne s'agit pas d'un film de montagne : Profit y joue les cascadeurs et escalade la façade lisse d'un bâtiment pour les besoins d'un film. Mais les trois films de montagne de Philibert avec Profit, belle trilogie pour un seul homme (et sa femme, et Maurice Baquet, et deux fantômes d'alpinistes disparus), dessinent un beau portrait de la figure de l'alpiniste, l'arpenteur de roches, aventurier solitaire porté par l'amour des vivants et la mémoire, l'amitié, la présence fantomatique de ses pareils tombés. 

 


L'ultime séquence du Come-back de Baquet, où l'on voit Maurice Baquet et Christophe Profit, de retour de leur ascension, jouer ensemble et en tenue de ville du violoncelle, assis sur des tabourets (à quatre pieds, petit raté de Philibert et de son staff déco), au milieu d'un parterre fleuri et au-devant des montagnes, au cœur d'un plateau des Alpes, n'est pas sans rappeler le dernier plan du Master & Commander de Peter Weir, qui aura réuni de la même façon Russell Crowe et Paul Bettany dans une autre célébration de l'aventure et de l'amitié, non pas sur les sommets, mais en pleine mer, ce qui est du pareil au même.

 

Christophe / Trilogie pour un homme seul / Le Come-back de Baquet de Nicolas Philibert avec Christophe Profit et Maurice Baquet (1985/1987/1988)

28 septembre 2015

Jeanne captive

Que c'est triste un film pareil. Pourtant tout était là : une histoire qui a fait ses preuves, rien moins que l'un des épisodes les plus fameux de l'Histoire de France, qui aura inspiré le cinéma peut-être mieux que nul autre ; une approche plutôt originale de cette histoire, évitant au cinéaste la redite et surtout la comparaison, puisque le script ne porte ni sur l'ascension de Jeanne d'Arc, filmée entre autres par Rossellini ou Rivette, ni sur son procès devant l'évêque Cauchon, représenté à l'écran par Dreyer ou par Bresson, mais sur cet épisode méconnu de l'histoire où Jeanne, déjà captive, donc, attendant d'être remise aux anglais et n'entendant plus les voix, décide de mettre fin à ses jours en se jetant du troisième étage de la tour où elle est retenue prisonnière, sans succès ; et pour incarner tout ça de bons acteurs, car outre Clémence Poesy et Thierry Frémont, dont les talents restent relatifs à mes yeux, on croise là-dedans Jean-François Stévenin, Louis-Do de Lencquesaing ou encore Mathieu Amalric. Certains déjouent, le deuxième de la liste notamment (qui inquiète, à force de rôder dans des crimes cinématographiques avérés), mais on a moins envie de les accuser que de s'interroger sur les talents de Philippe Ramos en matière de direction d'acteur et d'écriture de scénario (entre autres).


 Philippe Ramos, sur le tournage du film, s'en remet à Dieu, tel Jeanne la pucelle en son temps. Que faire ? Tourner un truc pas trop moche ? Arrêter tout de suite le cinoche ? Les voix du Seigneur sont impénétrables.

Avec une histoire pourtant passionnante en soi et un axe d'approche relativement nouveau, Ramos ne parvient jamais, jamais, à nous intéresser tant soit peu à ce qu'il fait, à ce qu'il montre ou raconte. Impossible de se sentir le moins du monde concerné par ces images numériques si lisses et pauvrement filmées, ces cadres télévisuels si mal composés, cette lumière sous-travaillée, cette voix-off désagréable, ces arrêts sur image ridicules, ces ralentis copieusement hideux et j'en passe. La réalisation s'améliore un brin avec l'arrivée de Mathieu Amalric dans la deuxième partie du film (moins intéressante puisque centrée sur la condamnation de Jeanne et sa conduite au bûcher), comme si Ramos et son équipe avaient saisi quelques rudiments de mise en scène sur le tas ou au contact de sieur Amalric, mais le niveau demeure extrêmement bas. Quelle tristesse qu'un film si mal réalisé que l'on a dès le départ et à chaque instant l'envie urgente de physiquement s'en détourner.


Jeanne captive de Philippe Ramos avec Clémence Poesy, Thierry Frémont, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-François Stévenin et Mathieu Amalric (2012)