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1 novembre 2019

Dracula et ses femmes vampires

La grande idée de cette adaptation du classique de Bram Stoker, c'est d'embaucher Jack Palance pour incarner Dracula. On peut débattre du type d'homme qu'est le célèbre comte, grand lord portant beau à la voix de stentor (tendance Christopher Lee) ou chauve rabougri pâle et souffreteux tout en murmures (Klaus Kinski dans l'immense Nosferatu de Werner Herzog). Palance serait dans la première catégorie, encore qu'il apparaît ici plutôt vieux déjà, et fatigué. Mais c'est précisément un assez bon compromis. Puissant physiquement, Jack Palance, l'éternel salop des westerns et autres films de gangsters (il est inoubliable dès l'un de ses premiers rôles, dans Shane, et le sera encore dans l'un de ses derniers, en vraie peau de vache mais faux méchant cette fois, dans la comédie La vie, l'amour, les vaches), Palance c'est ce visage large, carré, émacié, ce front et ces joues comme des façades, ces pommettes intimidantes, ce nez légèrement épaté et ces petits yeux perçants, ces traits d'européen de l'est (Volodymyr Palahniuk est son vrai nom), comme tirés en arrière et douloureux, impressionnants en réalité, remodelés après un crash d'avion pendant la seconde guerre mondiale. Mais les tempes ici sont grises et les paupières lourdes. La voix de Jack Palance, aussi, est parfaite pour la prêter au maître vampire, cette voix grave toujours couverte d'un voile inquiétant.




Le seul problème, et c'est un fan du bonhomme qui le dit, c'est que je ne suis pas sûr et certain que Jack Palance fut un grand acteur. Je crois qu'il doit beaucoup à son physique, à sa silhouette, à son allure et à sa prestance. Mais en termes de jeu, Palance n'était peut-être pas remarquablement talentueux. Or, pas très bien dirigé, dans un film moins que moyen et dans des gros plans où il s'agit d'en faire un minimum et de le faire avec une extrême finesse pour dépasser le ridicule potentiel des fausses canines et du reste, le bât blesse. C'est regrettable car Palance avait la carrure. Il faut dire qu'il ne s'en sort pas si mal dans ce film raté, où les autres acteurs sont quant à eux assez mauvais et mal choisis, ce film connu pour être le premier à avoir affublé Dracula du souvenir d'une femme aimée des siècles plus tôt et retrouvée sous les traits de la belle Mina, idée absente du roman de Stoker, reprise plus tard entre autres par Coppola dans le mal nommé Bram Stoker's Dracula. Le titre français du film de Dan Curtis, qui ajoute ce "et ses femmes vampires" au Dracula original, est bien bête aussi puisque les trois goules du comte, peu présentes, n'ont ici quasiment aucune importance. Pas beaucoup plus d'ailleurs que Lucy et Mina, qui sont réduites à des poupées séduisantes et séduites, comme dans la grande majorité des adaptations de ce livre génial où ces personnages sont ô combien plus intéressants (en particulier Mina, qui insiste pour faire partie de la troupe jusqu'au bout, malgré son envoûtement, et dans ce but résiste aux tentatives de dissuasion de ces messieurs partis en croisade contre le vampire de Transylvanie). Et comme dans beaucoup d'adaptations, chez Dan Curtis, dont le scénario est pourtant signé Richard Matheson, les meilleures scènes du livre ne sont pas filmées ou le sont très mal. Décidément, et malgré tout, on ne se souviendra que de Jack Palance, une fois de plus.


Dracula et ses femmes vampires de Dan Curtis avec Jack Palance (1974)

5 juillet 2017

L'Homme des vallées perdues

Un cavalier seul apparaît à l'horizon, se détachant sur les montagnes du Wyoming, comme né des fantasmes du petit garçon qui l'aperçoit de loin et n'attendait que lui. L'homme, qui répond au nom de Shane (Alan Ladd), se présente à l'enfant, Joey, puis à ses parents, Joe et Marian (Van Heflin et Jean Arthur). Silencieux sur son passé, il ne faut que quelques minutes à Shane pour se lier d'amitié avec les Starret, cette famille de fermiers sans histoires, quitte à devenir l'associé improvisé de Joe, le propriétaire pourtant farouche des lieux, contre les éleveurs, et en particulier leur meneur Rufus Ryker (Emile Meyer), qui tentent d'intimider et d'expulser l'ensemble des cultivateurs du coin pour permettre à leur bétail de s'étendre au plus loin.




L'amitié et l'entraide entre Shane et Joe Starret est un des atouts majeurs du film, même si le ridicule est frôlé quand on les voit taper en canon sur une souche d'arbre à coups de haches avec une banane de tous les diables. Leur relation devient plus intéressante quand il s'agit plutôt de taper à l'unisson sur les éleveurs dans le saloon local, lui aussi contrôlé par Ryker, ou de se taper l'un sur l'autre à la fin du film, quand Shane tabasse son collègue pour l'écarter du duel final contre l'ennemi et lui sauver la vie. Cette échauffourée amicale sans pitié rappelle avec plaisir quelques modèles du genre, comme la mythique empoignade des acolytes de They Live.





Mais ce qui touche particulièrement dans ce film, c'est sa grande simplicité, qui va de l'évidence de cette amitié qu'il dépeint (comme est évidente l'attirance réprimée que Marian éprouve pour Shane et réciproquement), à la physionomie des acteurs choisis, à commencer par ceux qui composent le triangle amical et amoureux central, tous trois sobrement émouvants, mais aussi les seconds rôles, comme Elisha Cook Jr., dans la peau d'un petit cultivateur sympathique nommé Frank « Stonewall » Torrey, en hommage au général sudiste qu'il admire et à sa ténacité face aux menaces de Ryker.




La séquence où le brave Torrey est envoyé ad patres par Jack Wilson (sublime Jack Palance), tueur à gages embauché par Ryker pour en finir des fermiers, dénote d'ailleurs terriblement dans la partition que nous joue Georges Stevens, étant une des rares manifestations brute de violence du film (entre deux bagarres de bar plus amusantes qu'autre chose), d'une puissance étonnante. George Stevens fait de cet assassinat un exemple (bien au-delà de celui que Ryker entend donner à ses opposants pour les terrifier et leur intimer de fuir) jugeant manifestement inutile de se répandre en tueries et en scènes d'injustices : un homme bon et innocent tué de sang froid, pour rien, et s'écroulant dans une flaque de boue suffit à dire l'impitoyable violence du grand ouest. 




Cette image marque l'esprit, au même titre que celle, d’Épinal, qui conclut le film, du lonesome cowboy héroïque, blessé, peut-être à mort, s'en allant vers d'autres horizons, condamné à errer de ville en ville jusqu'à sa disparition complète. Mais ce n'est pas le cliché qui bouleverse, en tout cas pas tout seul, ce qui serre le cœur et que donc nous retiendrons, c'est bien le cri de l'enfant qui retentit dans la vallée, ce Goodbye Shane (le titre d'origine, ce limpide Shane, est encore plus beau que le nôtre), jeté dans le désert sur une silhouette déjà lointaine.


L'Homme des vallées perdues de George Stevens avec Alan Ladd, Van Heflin, Jean Arthur, Elisha Cook Jr., Jack Palance et Emile Meyer (1953)