21 juin 2023

L'Été du démon

Sait-on ce que sont devenus les trois gosses qui ont participé à ce film ? Comment ont-ils grandi et s'ils s'en sont sortis ? Car il y a là de quoi être traumatisé pour la vie... Hiroki Iwase, Miyuki Yoshizawa et Jun Ishii incarnent respectivement Riichi, Yoshiko et Shōichi, trois enfants en bas âge abandonnés du jour au lendemain par leur mère, trop démunie pour s'occuper d'eux. Elle les laisse d'autorité à leur père, un imprimeur en faillite dont elle était la maîtresse. La femme de celui-ci, à la poigne de fer et au caractère impitoyable, voit d'un très mauvais œil l'arrivée des trois gamins et convainc le père de s'en débarrasser... Le seul pitch de ce film à de quoi glacer les sangs. Quoi de plus terrible, en effet, qu'une telle histoire d'abandon ? Quoi de pire que des parents qui s'en prennent à leurs enfants ? Le film de Yoshitarō Nomura, adapté d'une nouvelle de Seichō Matsumoto, est une sacrée épreuve pour les âmes sensibles et je vais ici forcément en révéler la teneur.
 
 

 
 
Il y a donc là-dedans des scènes très dures, même pour le spectateur aguerri ou qui sait à peu près à quoi s'attendre. Yoshitarō Nomura n'est pourtant guère à blâmer, il nous montre tout cela en restant à la bonne distance, assez froidement, sans jamais tomber dans le sordide ou le malsain, en visant plutôt le réalisme. C'est cette histoire qui est tout bonnement horrible. Il est rare, voire désormais totalement impossible, d'être confronté à cela, et de voir un enfant se faire ainsi malmener par un adulte, quand il est par exemple forcé à se taire ou à manger, au point que l'on se demande comment cela a pu être géré par l'équipe sur le tournage ! Le plus âgé des trois enfants a tout juste cinq ou six ans, le plus jeune est encore quasiment bébé, et c'est lui qui subit le plus... Peut-être est-ce parce que le réalisateur ne pouvait pas expliquer clairement le scénario du film à ses très jeunes acteurs, ou préférait même le leur cacher, que leur jeu est parfois approximatif, trop mécanique, comme absent. J'ose en tout cas l'espérer. Je note cependant que Hiroki Iwase, l'aîné, devient très juste à la toute fin, quand son personnage n'est plus qu'une boule de rage, d'amertume et d'incompréhension et qu'il regarde son père avec les yeux noirs, à jamais vidés de l'amour paternel espéré, lors de cette ultime confrontation qui finit de nous terrasser. Du côté des adultes, dans un rôle impossible, Ken Ogata, le mauvais père, s'en tire très bien et parvient presque à rendre son personnage touchant et humain. Shima Iwashita, la "belle-mère", qui pourrait être le démon du titre ou incarner l'un des pires personnages jamais inventés, réussit également à être crédible, à ne pas en faire trop.
 
 

 
 
Alors certes, les réactions des personnages sont parfois peu crédibles ou difficilement compréhensibles. Comment une mère peut-elle abandonner ainsi ses enfants ? Comment le garçon peut-il continuer à suivre son père et pourquoi ne réclame-t-il pas davantage sa frangine après la disparition de celle-ci ? Pourquoi les deux enfants apparaissent si peu perturbés suite à la mort de leur petit frère ? Et, surtout, comment un père peut-il en venir à cela ? Autant de questions que l'on se pose inévitablement et qui limitent sans doute la portée du film, expliquant peut-être pourquoi il n'est pas plus connu aujourd'hui. Mais ce n'est pas l'essentiel ici. Car malgré son réalisme et sa frontalité, L’Été du démon s'apparente à un conte, un conte particulièrement cruel, où la cohérence n'est pas primordiale. C'est au niveau psychologique que le film opère et qu'il est particulièrement dur. En dépit de son titre français peu inspiré, l'apparentant à un film d'horreur de bas étage, L'Été du démon est un drame terrible, qui prend son temps pour mieux nous laisser abasourdis et c'est bien après le mot fin que l'on mesure sa force émotionnelle.



 
 
L'intelligence de Nomura est de nous raconter son histoire avec la plus grande simplicité et une sorte de détachement malaisant, de la déplier méthodiquement, à un rythme très égal. Formellement, le cinéaste touche-à-tout au 89 longs métrages ne nous propose rien d'extraordinaire, quoique quelques plans restent en tête. Sa mise en scène est la plupart du temps très discrète mais toujours précise et réfléchie. Sort clairement du lot la scène de l'abandon de la petite fille, amenée au sommet de la tour de Tokyo par son père pour y observer la ville aux jumelles tandis qu'il se dérobe. Le dernier regard lancé par la petite fille à son père, avant que la porte de l'ascenseur ne se referme sur lui ; le visage du père quand il descend la tour puis sa façon de jeter des coups d’œil derrière son épaule tandis qu'il s'éloigne... Ces images-là ne sont pas près de me quitter. Tout comme ces plans du père, de dos, au bord de la falaise et face au soleil couchant, tenant son fils endormi dans ses bras, prêt à le lâcher. De quoi marquer durablement les esprits. La mélodie entêtante qui constitue la musique du film, déclinaisons de la berceuse d'une boîte à musique du plus petit des enfants, ne nous quitte pas, elle non plus. Oui, il y a bien quelque chose de démoniaque dans ce film.


L'Été du démon de Yoshitarō Nomura avec Hiroki Iwase, Miyuki Yoshizawa, Jun Ishii, Ken Ogata et Shima Iwashita (1978)

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